↠ Roman Hatat-Krieger ↞18 ans│Tribut volontaire du District 2│Enfant-soldat│Machine de guerre│Loup captif
Autumn Leaves
La quinzième édition des Jeux se déroule comme elle doit se dérouler, sans aucun accroc, de la Moisson jusque l’entraînement des Tributs dont je fais partie pour le moment, mais je suis passé par une étape de plus, ce que je n’aurais jamais dû faire : une fois au Capitole après avoir pris le train, j’ai fait une overdose. Nous n’étions pas autorisés à sortir de l’Hôtel des Tributs, et je n’en suis pas sorti, néanmoins, le confinement ne m’a pas arrêté et j’ai trouvé le moyen de faire une overdose non préméditée en consommant une drogue apparemment puissante dont j’ignore le nom, qui m’a fait perdre pied pour la première fois de ma courte vie, davantage raccourcie à cet instant fatidique où j’ai annoncé que je me portais volontaire pour ces Jeux devant tout Panem. J’ai pris cette drogue, à outrance, sans m’en rendre compte, et ne garde que des souvenirs vagues, confus, troubles, de ce qui a suivi mon geste, qui se mélangent à la manière de la substance et du sang dans les veines. En effet, pour la première fois en douze années, je n’ai plus rien senti : je ne sentais plus ce qui m’entourait, je ne sentais plus mon corps, je ne sentais plus mon être. D’ordinaire, ma perception est aiguisée, sauf qu’elle ne l’a plus été, elle et mon esprit altérés par ce que j’avais alors absorbé : mon corps fonctionnait au ralenti, mes sens s’étaient émoussés, mes pensées s’étaient désagrégées. Les battements de mon cœur, déjà lents, avaient considérablement ralenti. Si on avait pu mesurer ma fréquence cardiaque tandis que j’étais sous l’emprise de cette drogue, on aurait aisément pu croire que j’étais en train de mourir, et je voulais mourir avant l’heure, expérimenter la mort avant qu’elle ne me prenne dans l’Arène, parce qu’elle m’y prendra.
Elle m’y prendra, j’en suis sûr et certain et le sais, car Diana me tuera, elle qui gagnera ces Jeux. Diana. Diana ne doit pas mourir, elle ne le peut pas et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour la seconder, pour tuer, pour la faire gagner, ce qui reviendra à me faire tuer par elle à la fin, lorsqu’il ne restera plus qu’elle et moi, parce qu’il n’y aura plus qu’elle et moi, il le faut. Je comptais me porter volontaire pour ces Jeux, les derniers auxquels je pouvais participer, afin de respecter le souhait de ma mère, mais quand le nom de Diana a été tiré au sort, je me suis porté volontaire non plus dans le but de satisfaire ma mère, mais pour Diana, pour devenir son bras armé, pour exécuter tous ceux qui se dresseront sur son chemin, que ce soit devant ou derrière elle, dans son dos, car je couvrirai ses arrières pendant qu’elle s’occupera des plus hardis, qui lui feront face alors que je fendrai la fourberie, la ruse, la lâcheté. Diana assumera ses responsabilités et j’assumerai les miennes, qui consistent à l’assister et mourir de sa main, ce que j’ai choisi sans hésiter ne serait-ce que durant une fraction de seconde. Je n’ai pas besoin des conseils de Cora Singer, l’ancien premier Tribut du District 2 à avoir remporté les Jeux, ni ceux de Monica Wons, qui a un an de plus que moi. Elles ne sont pas des modèles, personne ne l’est, et je ne me fierai qu’à Diana et moi, parce que ma stratégie est on ne peut plus simple : Diana et moi seront ensemble, nous ferons alliance avec les Carrières, c’est-à-dire les Tributs des Districts 1 et 4, et lorsque tous les autres Tributs auront été tués par les Carrières, nous tuerons les Carrières et Diana me tuera ensuite.
Je suis un enfant-soldat, je suis un combattant, je suis un guerrier : en tant que tel, je n’ai pas d’émotion, ne sous-estime personne et me méfie de tout le monde. J’ouvre continuellement grand mes yeux et mes oreilles, suis constamment sur mes gardes, aux aguets, à l’affût du moindre cillement, et suis prêt, mon entraînement quotidien avec des Pacificateurs pendant douze ans me permettant de l’être. Je mourrai serein et Diana triomphera, car j’aurai secondé la personne la plus chère à mon cœur froid, bien au-delà de ma famille. Mes parents ont beau être ma famille, celle qui a fait de moi un être humain est Diana, et j’honorerai ce qu’elle a fait pour moi en faisant d’elle un vainqueur. Elle en est un, je ne suis pas indispensable, mais on ne sera pas trop de deux pour venir à bout des vingt-deux autres Tributs, car nous serons vingt-quatre dans l’Arène et qu’il n’en ressortira qu’un vainqueur, Diana et personne d’autre. En attendant qu’on y soit, Diana et moi avons défilé côte à côte, sur le char du District 2. Je n’ai pas cillé une seule fois durant la préparation du défilé, ni pendant ni après, n’ayant Diana qu’en tête, encore et toujours elle, concentré. Succède au défilé le déjeuner, puis, les Tributs sont descendus au sous-sol de leur Hôtel afin de s’entraîner. La pièce est vaste, aux innombrables équipements, et une femme prend la parole pour nous présenter les différents ateliers installés. Il y en a plusieurs, chacun d’entre eux relevant d’un domaine précis, celui de la survie, du camouflage, de la maîtrise des armes à longue distance et de celle des armes en plein combat. Puisque je manie l’arbalète à la perfection et que je suis capable de me battre en usant de poignards, de dagues et de glaives, je m’intéresse aux ateliers de survie, parce que ce qui me manque est de savoir comment survivre dans une Arène truffée de pièges de toute nature, mais, avant de me diriger vers un atelier de ce domaine en particulier, je cherche Diana des yeux en demeurant immobile, silencieux, neutre, jusqu’à ce qu’ils se posent sur elle, sur sa crinière brune. J’attends patiemment que la femme ait terminé et que tous les Tributs se soient dispersés, et marche lentement d’un pas assuré, quand je suis à sa hauteur, devant elle. Ne pouvant l’étreindre au vu et au su des autres Tributs, je me contente de me rapprocher d’elle, au point où le dos de ma main effleure la sienne, cet unique contact brûlant ma peau, m’électrisant, faisant se diffuser une douce chaleur dans l’intégralité de mon corps. Mes yeux bleu ciel sont dans les siens vert clair et je la fixe durant quelques secondes, le visage de marbre, lisse et poli, car je ne peux rien lui exprimer ici, et lui murmure, mon autre main sur ma bouche afin qu’on ne puisse pas lire sur mes lèvres, en faisant semblant de me gratter une commissure pendant que je prends la parole, ma voix étant basse, si basse, que seule Diana est dans la capacité de l’entendre :
-… Tu sais pourquoi je me suis porté volontaire.
En réalité, ce que Diana peut déceler dans mon regard est qu’elle m’a manqué.