Je me demande à quel point on peut mal interpréter mes propos. Peut-être que je ne suis pas assez claire dans tout ce que je dis? Peut-être qu'inconsciemment je rends mes discours confus pour embêter les gens et les faire se questionner ou mal interpréter ce que je leur dis? C'est possible, mais je ne l'espère pas. Je n'aime pas avoir le contrôle. Quand je veux que l'on pense quelque chose, on le pense, mais je ne veux pas tromper les gens sans même le savoir. Ça, c'est un signe que je perds le contrôle, d'ignorance... de faiblesse. Et des faiblesses je ne peux m'en permettre aucune.
Sauf que j'en ai tout de même. Et au final, c'est bien la clé du problème.
Je grimace à l'écoute de la réponse de Breana. C'est désappointant de voir à quel point elle me reprend, d'une certaine manière, à tout ce que je dis. Je me tapote la cuisse de la main pour essayer de calmer la frustration qui pointe de plus en plus le bout de son petit nez agaçant. Si j'ai décidé de l'ignorer lors de mes précédentes paroles, je décide de plonger brusquement et profondément mon regard dans le sien lorsque je lâche:
- Ai-je dit que tu l'étais? Ou te sens-tu aussi peu sûre de toi au point de vouloir me contredire à ce que je n'ai pas dit? J'insinuais simplement que je préférais que mes tributs possèdent de bons adversaires, ou du moins des adversaires qui se tiennent debout. Je sais d’ors et déjà que tu te tiens debout, mais peut-être ai-je été leurré par une fausse assurance?
Je ne le crois pas. J'ai vraiment de très gros doute à ce sujet, mais remettre en question les tributs adverses, c'est un moyen comme un autre d'ébranler les certitudes, de faire tomber des murs que l'on croyait indestructibles et de laisser place à l'incertitude. Détruire les gens, c'est facile quand on sait comment s'y prendre. Cela dit, ce n'est pas ce que je tente de faire. Pas avec des gamins qui vont vivre ce que j'ai vécu. Toutefois, rien ne m'empêchera jamais d'ébranler leurs certitudes. D'essayer, en tout cas. C'est peut-être pas très sain, mais je préfère que mes tributs survivent plutôt que les autres. Mieux vaut les miens que ceux des autres. C'est mon boulot, non? Jusqu'ici, j'ai fait un piètre travail. Mais je n'abandonnerai pas. Pas encore.
Elle veut un bon lit? Elle veut la richesse et l'opulence? Elle veut la paix et la tranquillité? Elle veut ne plus jamais avoir faim? Elle peut trouver tout ça dans son district si elle gagne. Voire même plus que si elle va au Capitole. Ils ne la lâcheront pas. Ils la voudront. Ils n'arrêteront pas. Et un jour... un jour ils atteindront leur but. Et ce jour-là, il sera trop tard pour revenir en arrière. Si elle gagne avec brio, ils la harcèleront. Je ne la comprends pas sur ce point. Quel idiot voudrait vivre ici? À moins d'avoir un but bien précis, c'est le pire endroit où vivre.
Malgré tout, un espion en son sein peut-être adéquat, me souffle une petite voix.
Cette idée s'impose avec la force d'une gifle. Avoir des yeux et des oreilles dans la Capitole, ça peut être pratique. Mais Breana ne me semble pas une excellente candidate pour ce poste. Non... Oh, je ne doute pas de ses capacités à se faufiler partout et à écouter. Non... Non, ce dont je doute, c'est son envie de le faire. Elle n'a pas l'âme d'une révolutionnaire. Ou l'envie de se mêler aux gens ou de faire équipe pour quelque chose de grand, quelque chose qui nécessite d'une certaine grandeur d'âme. D'une envie de faire le bien. Enfin, ce n'est pas tous les révolutionnaires qui doivent le posséder, mais j'aimerais bien croire que c'est mon cas. Sauf que je suis loin d'être une sainte... Qui le serait en ayant participé aux Jeux? Je pourrais peut-être joindre la dernière gagnante en date... Celle du 12... Hummm... Ça reste à voir. Je me retourne vers mon interlocutrice et je lâche:
- Tu pourrais tout avoir ça dans ton district. Tu as oublié les maisons réservées aux vainqueurs? Bon lit, pleins d'argent, bonne nourriture car tu as l'argent pour en avoir. Tu veux la paix? Tu seras une gagnante, fais régner ta propre loi sur le terrain de ta maison. Au Capitole, je ne sais pas à quel point tu peux avoir la paix.
Mon ton est moins virulent que lors de mes dernières répliques, je suis plus pensive. L'idée qui s'est maintenant imprégnée dans mon esprit occupe tout l'espace. Je n'ai plus aucune envie de perdre ma salive en de vaines effusions verbales. Non, tout ce à quoi j'arrive à penser, c'est au moyen de parvenir à mes fins. Les contacts, c'est la clé de la réussite, non? Avoir des yeux et des oreilles partout... Mais ça implique d'avoir une confiance totale en ces gens. Ai-je suffisamment de force pour faire confiance à tous ces gens que le plan qui s'échafaude dans mon esprit nécessite? Je n'en suis pas certaine...
Quand on se retrouve au bar de cette sorte de salon et buffet à la fois qui me tient lieu de refuge, d'une certaine manière, je suis légèrement déçue de la voir décliner mon offre pour l'alcool. Pourtant, ça me renseigne tout de même à son propos. Et toute information peut être utile quand on sait comment les utiliser. J'aurais pu mentir et l'inciter à boire, bien entendu. Mais à quoi bon? Ça ne m'aurait pas amené bien loin, car malgré que ce soit diamétralement différent de tout ce qui peut exister dans les districts, c'est de l'alcool. Elle l'aurait forcément sentie. Et mon mensonge aurait été découvert. J'hausse donc les épaules face à sa réponse et lui annonce:
- La nourriture ne vaut pas la peine d'être célébrer? Ton initiation à la crème glacée, entre autre? Pour moi, ça vaut le coup de fêter. Mais tes raisons, tes décisions.
Je lève les mains dans les airs, paumes bien visibles pour démontrer la sincérité de mes propos, après tout, c'est un signe plutôt clair de reddition, n'est-ce pas? Mais est-ce que ça veut dire que j'abandonne toute idée d'apprendre tout ce que je peux sur elle pour pouvoir en tirer ce que je veux? Non. Bien sûr que non. Mais avant les plans, la crème glacée.
Un sourire étire mes lèvres quand elle revient parmi nous après avoir goûté la crème glacée. Personne ne peut échapper à ce goût particulier, exquis, divin. Rien que d'y penser et j'en salive. Je reprends une bouchée sans répondre, je laisse mes sens se délecter de cette succulente tentation. Je crois qu'un rêve particulièrement heureux serait de m'y baigner. Qu'est-ce que ça dérange si je finis congelée? Une fois cette seconde bouchée prise, je prends une nouvelle gorgée à mon verre et redirige mon attention sur Breana. Je l'analyse une seconde avant de dire, le sourire toujours aux lèvres:
- Donc... Tu ne regrettes de m'avoir suivie?
Elle le pourrait certainement avec toutes les choses qui se sont passées pendant notre brève fréquentation. Je ne suis pas la plus populaire quand vient le moment de socialiser avec les mentors du quatre. Ou les mentors, point. Je me penche un peu vers elle en m'appuyant sur le comptoir et je lui souffle:
- Dis-moi... Quelle idée te faisais-tu de moi, si tu en avais une, avant de me rencontrer? J'aime bien savoir ce que les gens pensent de moi, vois-tu... Alors ta vision a-t-elle changée après nos... fabuleuses discussions?
Bombardement de question? Peut-être. Mais les réponses qui viendront risquent d'être très intéressantes. D'autant plus par le choix qu'elle fera. Mentira-t-elle? Ce serait la chose la plus logique à faire pour brouiller les pistes. Je ne doute pas que je saurai reconnaître le mensonge sur son visage, mais à quel point en a-t-elle conscience? Et si elle décide d'opter pour l'honnêteté, ça voudra en dire beaucoup aussi. Je ne la lâche pas du regard alors que je songe au fait que ça pourrait être intéressant d'entendre tout ce qu'elle aurait à me dire de ces impressions sur les autres mentors...