Rien d'spécial 1.03 - sur la mort de mon grand-père

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Cesar-4

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Rien d'spécial 1.03 - sur la mort de mon grand-père

Message par Cesar-4 »

Merci pour votre lecture et vos retours. Il est mort il y a maintenant trois jours. Paix à son âme.




Marrons ou dorés.

Une teinte qui évoque en substance ces séquences de films américains.

Celles-là dans lesquelles un bras d’homme endimanché lève une coupe en cristal.

Et que dégoulinent par tous ses orifices de brûlants désirs matifiés ou brillants.

Mais brillants non en ce sens qu’emploierait un avocat pour parler de son gendre, mais plutôt pour distinguer la lumière reflétée sur l’objet. Briller et éblouir.

Matifiés pour le luxe, comme le témoignage d’une richesse offrant la possibilité de modifier la réflexion lumineuse d’un objet. Contenir comme la faveur d’un homme de pouvoir.

Donc, deux facettes d’une même médaille. Mat ou brillant.

Les femmes peuvent manger aussi, dans ces scènes. Des choses grasses, de petite taille, mais suintantes. Heureusement, leurs doigts ne luiront pas. Là encore, matifications et chatoyances.

Quoi qu’il en soit, les murs sont marrons. Ou dorés.

Baissons les yeux.

Une table. Haute. De fait, les pieds sont si haut que nous devrions dire :

Des pieds. Table. Dans ce sens.

Sur ces pieds sont posés deux Ipad. Éteins.

Entre les Ipad, une boite de mouchoir. Mais alors, celle-là, il fallait l’inventer. Ou plutôt, il fallait la matérialiser. La rendre tangible. Comme la teinte de ces murs finalement. Encore un objet qui rappelle substantiellement une imagerie absorbée au cours d’une vingtaine d’année plongée dans un paysage audiovisuel Occidental.

Une boîte de mouchoir pour pleurer. Carrée, presque rectangulaire, haute, dominante et élégante, laissant s’échapper son unique étoffe tel un pashmina découvrant des épaules laiteuses une fois que le mistral moqueur ait soufflé en ricanant que tout allait mal. Personne n’est dupe.

Il fallait rendre tangible cette imagerie pour le bien de tous. Et pourtant, force est de constater que l’architecte, en se démenant à rendre si réelles ces impressions, en faisant en sorte que chaque élément qui compose la pièce rappelle ces souvenirs enfouis, ces choses que le cinéma ou la télévision ont cristallisé en nous et en eux, les empêche d’y toucher. Ils n’oseraient y toucher. Ils ne touchent à rien, d’ailleurs. Par pudeur ou par crainte.

Cédant tout de même à des aveux de faiblesse entendus par des regards réciproques, chacun s’assoit dans son fauteuil en cuir gris marron.

A lit le journal.

B se demande à qui elle n’a pas répondu en regardant les nombreux messages qu’elle a reçu sur son téléphone. B n’est pas à l’aise avec les téléphones portables, aussi, elle n’a enregistré que peu de numéros. Heureusement, les gens connaissent B et pensent encore à signer. Elle n’a répondu à personne. Elle a répondu à tous. Elle fait remarquer tout ça à voix haute pour que les autres ne passent pas à côté de ces informations.

C s’approche de D, son téléphone récent à la main, et lui parle des sources de financement d’une école de cinéma, preuves à l’appui. D acquiesce, regarde C hâtivement. Peut-être que si la source de financement n’occupait pas entièrement l’esprit de C, elle aurait pu interpréter ce regard, et serait retournée s’assoir dans son fauteuil.

Elle reste debout, marmonne quelques mots pour étoffer son explication, rien de trop. Elle finit par retourner à sa place.

D observe les Ipad et laisse son cœur se noyer dans une haine écœurante. Pourquoi, s’ils sont éteints sont-ils là ? Puis il élargit à mesure que sa haine grandit son raisonnement :

Pourquoi sont-ils là ?

Alors, il se calme, redevient docile, et se demande quel genre d’application les gens peuvent utiliser dans les circonstances qui les amènent ici.

Cela fait peut-être dix minutes qu’ils sont là. Je viens de décrire les cinq dernières minutes, mais je suis incapable de vous raconter les cinq premières, sinon qu’ils ont composé un code secret à quatre chiffres dont trois étaient identiques pour pouvoir entrer, et qu’ils se sont précipités vers le fond de la pièce, tous ensemble, afin de relever des détails sur le linceul, les cheveux, ou la maigreur.

Puis ils se sont regardés et se sont assis.

Maintenant.

D’un commun accord, ils décident de partir. Il fait froid. Il fait faim. Des choses à faire.

Tous se lèvent précipitamment. Le bruit des chaises gris marron est sourd, envahie la pièce. Ils se demandent où B a rangé son portable, alors A, C et D la palpent. Ils sont heureux de palper B, bien qu’alors, ils seraient heureux de palper n’importe quel autre être vivant. Ils trouvent le portable tandis qu’ils sont déjà sur le pas de la porte.

Soudain, les tympans se percent et les voitures lancées à pleine vitesse rencontrent des façades d’immeubles.

D, pour qui c’est la première visite, ressent le besoin de rester quelques instants, seul, et il prononce ce désir à voix haute.

Les corps tremblent.

Puis l’humour revient.

On lui préconise de bien fermer la porte en sortant, parce que ce serait con qu’on nous le vole.

La porte se referme.

Il retourne seul au fond de la pièce, regarde le visage dont la peau est tirée derrière les oreilles, formant deux petits paquets de chair.

Il se dit : On dirait une caricature de ménagère américaine dans les années quatre-vingt qui s’est fait tirer le visage et dont il suffirait de détacher les épingles derrière le crâne pour que le masque tombe.

Il se dit : Son menton est pointu. Très saillant. Je me suis toujours dit que j’avais un menton proéminent. Peut-être est-ce là son héritage.

Puis il met sa main en haut du crâne, et bouge très légèrement la tête, pour jauger la rigidité. Un vrai médecin. Il ne pousse pas les essais bien loin, il estime son grand-père plus que tout, et veut respecter son corps.

Alors, il lui dit qu’il l’aime. Et il lui dit merci.
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