Turque ǀ 17 ans ǀ 173 cm ǀ Fille de Thalassa ǀ Comme un poisson dans l'eau ǀ Viggo
La mer
Je vois bien la différence entre le calme relatif hier et l’effervescence ce matin. Il y a bien sûr tous les évènements survenus pendant le petit-déjeuner mais le retour de tous ces demi-dieux et les nouveaux arrivants y contribue également. Entre hier soir à la veillée et ce matin, j’ai croisé de nombreuses têtes connues. Jusqu’à l’année dernière, j’étais comme eux, ne venant qu’au début de l’été pour repartir en septembre. Cette année, les évènements ont été différents et je ne sais pas encore quand je rentrerai en Grèce. Tout dépend de l’état de mon père mais j’espère qu’il sera rétabli. Même si j’apprécie la vie ici, ce n’est pas celle que je préfère. Et je l’avoue, il me manque beaucoup. J’ai envie de rentrer et de pouvoir discuter avec lui en tête à tête. Cela fait déjà plusieurs mois où l’on ne sait pas vu. Les moyens de communication étant plus limités ici, je dois aussi faire avec. J’en ai l’habitude à présent. Je préfère continuer à espérer de rentrer à la fin de l’été et je garde le sourire. Il le faut et je le dois pour mon père. Si je vais bien, cela aidera davantage mon père à guérir. Ici, je suis en sécurité même si j’ai subi une belle frayeur peu de temps après mon retour à la Colonie. Mais je décide de ne pas m’appesantir dessus. Je préfère me rappeler de souvenirs plus agréables ou plus heureux. J’en ai de nombreux ici où je souris, où je ris, où je discute, où je nage, où je surfe, où j’étreins… Des instants que j’aime chérir même si j’aime penser à l’instant présent et le vivre pleinement. La vie est courte alors je souhaite en profiter le plus possible. Je ne sais pas de quoi sera fait demain. Et cette prophétie ne donne pas le sourire. Elle m’évoque surtout des catastrophes et du danger. J’imagine qu’ils vont en discuter pendant la réunion des chefs de bungalow. Certains ont sans doute envie de partir en quête, de résoudre l’énigme de la prophétie, de vivre une aventure comme dans les romans fantastiques. Ce n’est pas quelque chose qui m’attire, dont j’ai envie. Je ne suis encore jamais partie en quête et c’est une bonne chose. Je ne suis pas une combattante, je n’aime pas la violence sous quelque forme qu’elle soit. Je ne souhaite pas partir en quête et j’espère ne jamais avoir à le faire. Je ne me rends jamais à l’arène, je ne m’entraine pas même si ma mère m’a offert une rame comme arme. Ce n’est pas commun mais cela correspond bien à sa symbolique. Thalassa est l’esprit même de la mer, l’eau est son élément. Et il me correspond, j’en ai hérité. Je suis comme un poisson dans l’eau. J’aime passer ma vie à la mer. J’entends chaque jour son appel. Je l’entends à l’instant même et je sais déjà où mes pas vont me mener. La plage. C’est la destination où je vais me rendre.
Perdue dans mes pensées, je vois Viggo au dernier moment, évitant de peu de lui rentrer dedans. Je ne l’ai pas croisé depuis hier matin. Quand je suis rentrée dans le bungalow après la veillée, il n’était pas dans son lit. Ce matin, il n’y était pas non plus. Soit il s’est couché tard et levé tôt, soit il n’a pas dormi dans son lit. Je ne peux empêcher un sourire de naitre sur mon visage quand je le vois. Il est l’une des personnes dont je me sens la plus proche. Il est à la fois un ami, un confident et un amant. Je suis donc heureuse de tomber sur lui à cet instant. Mon sourire devient encore plus grand à sa réponse. Je souris très souvent en compagnie de Viggo et je suis heureuse qu’il accepte de m’accompagner jusqu’à la plage et lui faire un résumé des derniers évènements survenus pendant le petit-déjeuner. Il me demande simplement de l’attendre pour aller récupérer à manger. J’avais donc vu juste. Sa dernière phrase m’amuse et je ris de cette plaisanterie. Cela me ferait rire aussi d’entendre son ventre gargouiller pendant notre trajet et je me moquerai gentiment de lui. Mais sa faim ne risque pas de partir avant le déjeuner et il lui faudrait attendre plusieurs heures avant de manger. A cet instant, il devrait avoir encore la possibilité de trouver de la nourriture sur les tables.
- Bien sûr, va te chercher à manger. Je m’en voudrai de te laisser mourir de faim, plaisanté-je. Je t’attends ici.
Pendant que Viggo part à la recherche de nourriture, je commence à feuilleter le journal dont je n’ai pas encore pris connaissance. Je rentre rapidement dans le vif du sujet en lisant les premières lignes. Tout le journal doit être comme ça. Gloria mérite le titre de reine des ragots, cela ne fait aucun doute. Elle le prouve une nouvelle fois en imprimant tout un journal. Je pourrais presque en être admirative… mais je reste partagée sur cette idée de journal et de lecture. Je suis également curieuse d’en savoir plus. Je sors de mes pensées lorsque mon ami revient et me signale sa présence. Retrouvant mon sourire, je me mets donc en route en direction de la plage.
- Tu me demandes un récit ? Il va donc me falloir faire mieux qu’un simple résumé. Voyons, fis-je en mettant de l’ordre dans mes idées et en faisant fonctionner ma mémoire. Chiron a annoncé un conseil des chefs de bungalow en urgence car il est arrivé une nouvelle pensionnaire. Elle s’appelle Cassiena et elle a apporté avec elle l’Egide. Enfin, je pense que c’est plutôt lié à l’artefact, fis-je songeuse. On a même pu en avoir un aperçu mais ensuite, Rachel est rentrée en transe et on a pu assister en direct à l’énonciation d’une prophétie. Elle n’a rien de rassurante à mes yeux. Je ne pourrais pas te la citer de mémoire mais je me souviens de quelques parties. Les portes d’ébène cédant, des mers voraces déferlant, de Méduse errant, d’un bouclier et de plusieurs têtes à retrouver et il est question d’une vérité et d’un trésor. Mais si tu veux entendre quelque chose de plus léger, Gloria a fabriqué son propre journal, terminé-je en le secouant d’une main.
Anglaise ǀ 17 ans ǀ 168 cm ǀ Fille d'Eole ǀ Humeur changeante ǀ Cathal
Shadow of the day
Je me suis éloignée des demi-dieux pour m'isoler dans un lieu plus calme, plus tranquille. Il y a trop de monde dans le pavillon-réfectoire, trop de bruit également. Les évènements de ce matin créent une effervescence certaine. Je ne la ressens pas. Je ne veux pas la ressentir non plus. Je ne ressens aucune motivation à participer à la vie de la Colonie. Assister à l'entrainement d'Achille comme spectatrice ne m'intéresse pas. Le dessiner pourrait représenter une activité plus agréable. Mais j'ai un autre modèle en tête et je garde son souvenir intact dans mon esprit. Achille ne partira pas dans l'absolu. D'autres occasions se présenteront sans doute au cours de cet été. Et à l'Arène, il y aura de nombreux spectateurs. Le risque d'être dérangée est plausible même si le lieu est grand. La présence d'un artefact ne provoque en moi aucune émotion. Ni positive, ni négative. Je n'y accorde aucune importance. Pour bien d'autres, il fait réagir par son importance, sa célébrité, son aura, son pouvoir, son histoire. Je pourrais dire exactement la même chose d'Achille. Mais ni l'un, ni l'autre ne changeront ma vie. Aucun des deux ne répondront à ces questions sans réponse. Je me les pose depuis le jour de sa disparition. Un mystère non résolu. Un mystère insoluble. Un mystère planant au dessus de ma tête. Un mystère provoquant un léger assombrissement de mon humeur malgré la météo ensoleillée. Je n'oublie pas son souvenir. J'en suis incapable. Je ne le dois pas. Je lui dois. La prophétie prononcée par Rachel a traversé mon esprit. Je me souviens seulement de quelques mots mais j'étais plus occupée par la vision de l'humaine. Plus occupée à coucher cette vision sur du papier. Je suis sûrement à la seule à avoir ce genre de réflexe. Et peu m'importe, ce que les autres en pensent.
Il n'y a personne au bord du lac, ni sur le ponton. Il ne manque aucun kayak. L'endroit est calme et je m'assois au bout. Je reprends mon dessin laissé en suspens. La mine de crayon appuie légèrement sur le papier et je fais appel à ma mémoire. Mon humeur maussade s'atténue dans la concentration. J'appelle un autre souvenir à la surface. Un souvenir récent, il a seulement quelques minutes. Un souvenir marquant. La tête relevée, les yeux révulsés, l'expression du visage figé, le corps crispé. De la fumée verte l'entourant, il sortait de sa bouche aussi. Ce dessin n'est pas en couleur, il restera en noir et blanc. La couleur de la fumée n'a pas d'importance. Représente-t-elle une symbolique ? Je n'en ai aucune idée. Je chasse cette question de mon esprit. La feuille se noircit au fil des secondes qui s'égrènent. Le souvenir est quasiment intact, tellement il a été marquant. Sans doute, ma mémoire visuelle est-elle la plus développée, la plus importante. Sans cette mémoire, je ne pourrais pas dessiner des visions, des souvenirs passés. Je dessine peu les objets, préférant toute chose vivante. Les humains, les animaux, les végétaux et les paysages. Ma concentration est telle que je n'entends pas ce qui m'entoure. Je ne sens pas la présence arrivée vers moi. Je ne la sens pas non plus avant qu'elle ne soit juste derrière moi. Pourtant, cette présence est imposante physiquement même si je ne le sais pas encore. Une voix masculine me sort de ma transe et j'arrête mon geste. Je la connais, je l'ai déjà entendu. Cet accent n'est pas anglais mais je sais le reconnaitre. Il est irlandais. La voix me fait relever la tête. Il s'agit de Cathal. Il est revenu à la Colonie tout comme moi. Son visage a changé en une année et sans doute le reste de son corps également. Il semble aussi avoir grandi sans pouvoir en être certaine. Cette position ne m'aide pas à être sûre. Elle n'est pas agréable non plus et je baisse la tête avant d'avoir mal à la nuque. Il reconnait Rachel sur le dessin même s'il me demande une confirmation. Il ajoute un commentaire sur son profil. Rachel n'est pas joli sur ce dessin, il ne cherche pas à l'être. Il montre une scène dont elle a le premier rôle. Je suis spectatrice et je trace ce souvenir sur du papier. Je suis volontairement très premier degré comme si je prenais les idées au pied de la lettre.
- Oui. Elle n'a pas de mauvais profil, elle est dessinée de face.