Chapitre 41 :
La transpiration, le vomie et la sang se mêle sur ma peau alors que le Griffeur me transporte dans la forêt, s'enfonçant en profondeur parmi les sapins. Les arbres nous surplombent, leurs cimes chatouillent le ciel noir d'une immensité sans pareil. Mes sanglots se font de plus en plus étouffés à mesure que je reprends conscience de ce qui m'entoure. Je n'ai presque plus mal. Cette douleur à bien été évidemment causée par l'habitant de cette mamie, qui devait, elle, être morte depuis longtemps, c'est à dire le Griffeur. Ils ne peuvent donc pas que prendre l'apparence d'un être vivant, mais peuvent aussi infliger la douleur. Un instant, je me suis demandée si c'était ma mort. Si ce Griffeur avait décidé de me tuer sur le champ et de manger mon aura. Est- ce que se faire aspirer son don par un Griffeur est plus douloureux que ce que je viens de vivre ? Cette pensée me broie le cœur. Je n'ose imaginer la douleur qu'Invi ressentira si je n'arrive pas à la sauver.
Car oui. J'ai toujours en tête cette satanée idée qui m'a amenée ici. Mais même si je me sens en danger et que je n'ai jamais eu aussi mal, je sens l'adrénaline courir dans mes veines et je sens que quelque chose est en train de se passer. Rester enfermer dans ce Manoir la peur au ventre ne m'a pas fait du bien. Et j'ai été coupée du monde. Ressentir la caresse du vent sur ma peau et voir ce décor de verdure est magnifique, même les yeux brouillés de larmes. Et par dessus tout, le parfum des plantes et de la vie. Enivrant. Libérateur. Cependant, elle ne couvre pas assez cette autre odeur, l'odeur de la peur, de la saleté, du danger, et... du vomi. Sur mon t – shirt, une large tâche couleur jaune verdâtre s'accroît. Je sens son humidité sur ma poitrine, par dessous mon t- shirt.
Comme celle du sang, odeur métallique et peu rassurante.
Aussi, j'apprends que les Griffeurs sentent l'odeur des poubelles. Vous voyez ; quand vous sortez des poubelles et que vous tenez à bouts de bras le sac poubelle pour ne pas sentir cet arôme dégoûtant ?
Stupide comparaison, et pourtant, en ce moment même, j'ai comme l'impression qu'un sac poubelle s'est approché trop prés de moi. En vérité, ce sac poubelle me porte dans ses bras.
Quand le souvenir de ses mains difformes et griffus se rappelle à moi, je me met à sangloter. Tout ça, c'est de ma faute. Tout ça.
Les larmes coulent telles une averse, jamais je n'ai autant pleuré. Mes joues sont inondés et j'ai soif à force de perdre toute cette eau, de la même sorte j'ai mal à la tête. Un mal de rien du tout par rapport à ce que le Griffeur m'a administré, mais je me sens mal. Si mal. J'ai l'impression de petit à petit sombrer dans la folie et la tristesse. Je n'ose même pas me retourner légèrement pour observer le monstre. Me regarde t-il ? Se délecte t-il de mes pleurs et de mon angoisse ? Ou est – il sans vie, avec seul objectif de m'emmener dans leur repaire ? Je sanglote amèrement, rongée par la culpabilité et la frayeur.
À mesure que l'on s'enfonce dans les bois, la pénombre et les ténèbres nous engloutissent, et bientôt je ne vois plus rien, omis quelques ombres. Les bruits de la forêt ne m'ont jamais fait autant peur. Le hululement de la chouette, les branches des arbres secouées par le vent, les brindilles qui cassent sous les pas lourds du Griffeur, qui est resté silencieux. Évidemment. Les Griffeurs ne parlent pas...
Je me rends compte n'être pas préparée pour le monde qui m'entoure. Je ne sais même pas qui est vraiment mon ennemi ! Je ne connais rien de lui.
Je me mord la langue à plusieurs reprises pour m'empêcher de gémir de frayeur.
J'ai mal à la tête. J'ai soif, si soif. Et mon ventre gargouille si fort. J'ai tellement peur que le monstre me tue au moindre bruit. Je prie pour que mon corps arrête de faire autant de raffut.
Mais j'ai faim. Je ne peux pas arrêter mon corps. J'ai peur, aussi. Si peur. Je vais sans doute mourir durant les 24 heures qui suivent, et je ne m'y suis pas préparée. La terreur me saisit l'estomac, casse mon cœur en deux. Je ne vais plus jamais revoir ma mère.
Elle va être tellement ravagée par ma mort.
Et mon père... Il va sans doute s'en foutre. Je préfère ne pas y penser. Seulement, je ne me contrôle plus. Mes pensées partent dans tout les sens. La soif. La faim. Mon mal de crâne. La peur. Le froid.
***
Je ne me souviens pas m'être endormie. Mais j'aurais préférée ne jamais me réveiller.
Car ce que je vois, quand j'ouvre les yeux, ce sont des éclats blancs. Tout est blanc.
Le plafond. Les murs. Les draps du lit. Tout tangue. Mes yeux vont de droite à gauche, de gauche à droite, d'en haut à en bas. De en bas à en haut. Avoir une gueule de bois, c'est sûrement ça. Ta vision confuse, un mal de tête lancinant.
Il ne m'a pas quitté, lui. Je suis désespérée.
Je pousse un soupir et essaye d'ajuster mon regard. De m'habituer.
Surtout, je me sens molle. Lente et molle. Comme enfouie dans un cocon. Peu réactive. C'est ni agréable, ni désagréable. Juste déconcertant. Ma langue pèse dix tonnes dans ma bouche, et je n'ai ni chaud ni froid. Je n'entends rien. Pas le moindre son.
La mort, c'est décevant.
Je ne m'attendais pas à être dans un lit aux draps blancs. Et je ne pensais pas me sentir... maladive. Mais suis – je vraiment morte ? Malgré le fait que je ne suis pas entourée de trente Griffeurs affamés, je ne pense pas. Mais alors...
Je bats des cils, retrouve possession de mon corps, presse les lèvres. Finalement, je me redresse dans le lit. D'abord, le mouvement, un peu trop brusque
m'arrache un cri de stupeur. Je ne sens presque plus mon corps. Sauf mon dos, ou je sens une sorte de tension qui court le long de ma colonne vertébrale. Je jette un regard autour de moi. Je suis dans une pièce fermée, sans fenêtres. Une porte – blanche – se trouve à ma gauche, trop loin de moi pour que j'atteigne la poignée. Mon lit est un lit d'hôpital, en hauteur, si je me tenais juste devant, il m'arriverait à la poitrine.
La salle est vide. Il n'y à rien, ni personne. En levant la tête, j'aperçois une caméra, au plafond, braquée sur moi. Dessus, une petite lueur rouge clignote. Je suis observée. Lentement, je reporte mon attention sur moi. Je porte une robe de chambre blanche. J'ai été déshabillée. À mon poignet est accroché un bracelet, comme ceux que l'on met aux bébés à leur naissance. Dessus, il est inscrit au stylo noir : D. Tengridy – 2
D. signifie Daviegwen. Suivi de mon nom. Et un nombre. 2. Pourquoi deux ? Qu'es – ce que ça veut dire ? Ou suis – je ?
Instinctivement, je comprends que je suis dans leur repaire. Et je me trouve aussi à l'endroit ou est retenue Invi. Elle doit être, elle aussi, retenue dans une même chambre blanche, avec le même bracelet, mais avec son nom. Et... son nombre. C'est quoi cette mascarade ? Comme ça, les Griffeurs sont civilisés ?! Et ils ont un plan. Un bon plan. Sur mon avant bras se trouve un petit coton accroché grâce à du scotch de médecine. Comme dans les films, une petite seringue est plantée dans ma peau, sous le coton. Ça ne me fait pas mal.
Mais ce produit qui est injecté dans mon sang ne me dit rien qui vaille... Je suis vivante, mais ce n'est peut – être pas un miracle. L'effet de cette drogue me donne la nausée, je la sens dans mon corps, c'est ça qui me rend si faible. La seringue est reliée par un long fil transparent ou je vois le liquide ambré courir dans la seringue pour se pousser dans mes veines. Le fil est accroché à ma table de nuit, sur un attirail de médecine, comme dans les vrais hôpitaux. Sur un petit plateau métallique, je repère une seringue, un scalpel et des compresses, et mon stress monte d'un cran. Je prie pour que ce ne soit que du décor.
Mon cœur manque un battement quand la porte s'ouvre à la volée. Un homme âgé entre, vêtu d'une bouse blanche. Ses cheveux, quasi – absents, sont blancs et sont dressés sur sa tête d'une façon comique. Son visage est strié de rides et ses yeux gris sont petits et me scrutent avec curiosité... et regrets.
Il entre et referme la porte derrière lui.
- Où suis – je ?, je demande avec empressement, remise de ma surprise.
Je constate que ma voix est cassée, et c'est un râle rauque qui s'est échappé de mes lèvres, et non des mots. L'homme plisse les yeux.
- Pardon, mademoiselle ?
Il n'a pas l'air menaçant. Je m'éclaircis la voix dans un toussotement.
- Où... suis – je ?, je répète.
Il s'approche de moi, une pochette plastique à la main, et me jauge du regard. Va t-il me répondre, ou m'ignorer ? Je pousse un soupir. Je suis plongée dans les ennuies jusqu'au cou. Je suis en danger. Mon ventre se contracte.
- Vous êtes dans le Centre Hospitalier de Medina. Ou du moins sa couverture...
En me disant cela, il à l'air désolée et déçu. Comme... triste de la situation. L'incompréhension me gagne. Quel rapport avec les Griffeurs ? Et va t-on m'expliquer qui est ce bonhomme ? Avant d'avoir pu dire autre chose, il continu sur sa lancée :
- Moi même, je ne sais pas vraiment ce qu'il se trame ici. Mais... ( il se penche alors vers moi, inquiet, et fait mine de me murmurer un secret ) Je peux te dire, jeune fille, que tu es tombée au mauvais endroit.
Il se redresse et sort un papier de sa pochette. Il le consulte, se désintéressant de moi complètement. Il se tient à bonne distance du lit, et j'en suis soulagée.
- Comment ça ?
J'ai besoin d'en savoir plus que ça. J'ai peur. Et il ne me répond pas, ses yeux parcourent toujours la feuille qu'il à entre les mains. L'envie de pleurer me tord le ventre. Les Bryll me manquent. Et ma mère aussi. Que fait Jede ? Il doit être furieux contre moi. Si je suis à Medina, comme l'homme le revendique, il ne risque pas de me retrouver.
Monsieur, je sais que... Bon, écoutez, je me fous de vous. Vos histoires ne m'intéressent pas. Dites moi juste ce que je fais ici, je cingle en repoussant le drap qui me couvre d'un geste brusque. Je le regarde, provocatrice, décidée à avoir le dessus.
Il lève les yeux vers moi, l'air visiblement étonné. Puis il lève les yeux au ciel.
C'est ce que je crois dans un premier lieu, et l'envie de le frapper me démange. Puis je suis son regard. Il ne lève pas les yeux au ciel. Il fixe la caméra, au plafond, comme pour me faire passer un message.
Ils nous écoutent.
- Je... d'accord, dites seulement ce que vous êtes autorisé à dire.
- Je m'appelle Ben Grey. Je suis médecin dans cet hôpital, et je suis chargé de m'occuper de votre cas.
- Je ne suis pas malade.
Ça me paraît évident.
Je ne suis pas là pour vous soigner. Je dois faire quelque chose qu'ils attendent de moi. Je ne le veux pas, mais j'y suis obligé. Ma famille est en danger. Je n'ai pas le choix.
Cette révélation me chamboule. Ils. Ce Ben parle évidemment des Griffeurs. Et ils le forcent à faire quelque chose contre sa volonté. Il doit s'occuper de moi. Mais... c'est un médecin. Les Griffeurs n'ont nullement besoin de médecins pour extraire un don.
Ce docteur est là pour autre chose que mon don. Donc, mon don est toujours dans mon aura, en moi, tout va bien. Je suis vivante. Mais... pour combien de temps ?
Et pourquoi les Griffeurs font ça ? Ils n'ont besoin de rien d'autre que notre aura pour se nourrir. Alors, ils n'ont peut – être pas faim tout de suite. Ils nous... conservent.
L'idée de représenter à leur yeux la même chose que représente pour moi une boite de sardine me coupe le souffle. Je n'arrive pas à y croire.
- D'accord, Ben. Et est -ce que c'est pareil dans tout l'hôpital ?, je questionne lentement.
Et si c'était la question à ne pas poser ? La famille de Ben pourrait être tuée.
Il me regarde, me fixant étrangement. Je serre dans mon poing le drap blanc. Une goutte de sueur coule le long de mon échine. Ses yeux sont fuyants.
Enfin, il fait oui de la tête dans un mouvement presque pas perceptible.
Génial. Alors, ce Centre Machin Truc est bourré de gens qui sont menacés par les Griffeurs, et qui ont un but très précis qui est celui de faire joujou sur moi. Sinon, leur famille est découpée en rondelle. Chouette ambiance !
- Ben... Mr Grey. J'ai besoin de savoir... Est – ce que Invida Bryll est retenue ici ?
Je me mord l'intérieur de la joue. Le risque qu'un Griffeur nous observe est conséquent. Et si ma question avait de graves répercussions ? Je regrette aussitôt. Ben ets visiblement très mal à l'aise, et effrayé. Je vois qu'il hésite à répondre. Son visage est luisant de sueur et sa mâchoire est contractée. À en voir sa tête, il n'est pas surpris que je lui demande ça. Le nom lui est familier. J'ai ma réponse.
Oui. Invi est quelque part dans la bâtiment. Et j'espère avec force qu'elle n'est pas dans un état pire que le mien.
- Je ne peux pas te répondre.
Je hoche de la tête. Il ne pas m'a vouvoyé. C'est que je dois l'agacer, à mettre ainsi ses proches en danger. Pauvres médecins. Un matin, ils sont venus au bouleau, et ils se sont rendus compte que d'étranges créatures voulaient les manipuler. Je me demande soudain qui est au courant de ce qu'il se passe ici. Certaines personnes se doutent des activités de cet hôpital, non ?! Personne n'a rien tenté ? Combien de personnes sont sous les ordres des Griffeurs, et combien savent pour... nos dons ? Quelle est l'étendue de cette manigance... Et qui va en sortir indemne ?
Je sens ma lèvre inférieure trembler et mes yeux se remplirent de larmes. Je renifle fort et m'empêche de pleurer en serrant mes dents l'une contre l'autre avec tant de force que j'en ai mal aux joues. Je ne peux pas me permettre de tomber dans la dépression. Enfin, Davie, beaucoup de choses te dépassent, mais ce n'est rien de grave, hein ?
J'aurais du attendre au manoir que Silver nous présente son plan, et j'aurais du le suivre. Être une bonne fille et une bonne amie. Ne pas croire que tout est possible. Car je me rends compte à présent que cette histoire va bien au delà de disputes entre deux clans, et de monstres étranges tout droit sortis de Stranger Things.
Sans que je ne m'en sois aperçu, Ben s'est approché du lit et à saisi mon poignet. Il tâte mon pouls, les yeux plissés, l'air dégoûté lui – même de ce qu'il fait. Le pauvre. Il à été embarqué dans une affaire qu'il ne connaît pas.
S'ensuit une batterie de vérifications. Il vérifie le battement de mon cœur à maintes reprises, observe la seringue plantée dans mon poignet, vérifiant le temps que prend le produit à s'injecter, et finalement enlève le coton et l'aiguille de sous ma peau. Ses sourcils sont froncés. J'ai tellement peur que je ne parle plus et me laisse faire. De toute façon, que puis – je tenter ? Les caméras. La porte fermée à clé. Mon état... je suis clairement dans les vapes, oscillant entre le monde réel et des pensées floues. Puis il me fait signe de descendre du lit, j'obéis. Mes jambes sont flageolantes, mon cœur bat à cent à l'heure. J'avance dans la pièce doucement, il m'offre son bras pour que je puisse avoir un soutient. D'abord, je refuse son aide – bon dieu, il va faire des opérations sur moi pour aider les Griffeurs ! – puis je me dis que ça ne sert à rien d'être entêtée, ici. Cet homme n'a jamais voulu me faire de mal volontairement.
Je m'appuie à son bras, hésitante. Il sort un jeu de clés de sa poche et ouvre la porte en bois rapidement. Une deuxième pièce m'apparaît. C'est une pièce identique à la première, toute blanche, et fraîche. L'odeur de peinture et de gel est la même, et la température est similaire. Mais celle – ci est nettement plus grande. Et une autre porte se tient dans le fond. Bon. Je m'en occuperais plus tard. Ben me conduit à l'intérieur de la pièce, qui est en fait une salle de bain. Il y à des toilettes, une douche, une commode et un évier ou est posé des serviettes pliées proprement. Tout est métallique. Il n'y à aucunes couleurs. Dans un coin se trouve une étagère qui ne me dit rien de bon, recouverte de produits, crèmes et fioles. Je me sens mal, ici plus que dans la pièce ou il y à le lit.
Ben me montre du doigt une balance et me demande de me peser.
Il tient toujours sa fiche dans les mains, ou est griffonnés quelques mots. Je déglutis et obtempère. Je pose mes pieds sur la balance. Elle est glaciale.
J'attends en silence, puis mon poids s'affiche sur le cadran. Le docteur s'approche, regarde le résultat et note quelque chose sur sa feuille, en silence, un pli soucieux entre les sourcils. Puis il vérifie ma taille, et me pose des questions du genre : « As – tu une maladie ; problèmes de santé ? » « As – tu tes règles ? » « Ton don s'est-il déjà manifesté ? »
à cette dernière, je hoquette de surprise et fait non de la tête. C'est un mensonge, mais je suis sure que je ne dois pas dire la vérité. Il faut que je leur complique la tache dans leurs recherches, recherches que je ne comprends toujours pas. Il griffonne sur sa feuille puis me dit de prendre une douche. Il m'explique que des vêtements propres se trouvent dans la commode et qu' une caméra m'observe. Je frissonne à cette idée. Il à l'air vraiment désolé lui – même. Il me dit aussi qu'il revient dans une heure pour d'autres test et directives. Ben murmure enfin que la porte est fermée à clé, bien entendu, et il me gratifie d'un léger sourire avant de partir. Quand je me retrouve seule dans ma prison, je fonds en larme.
Merci d'avoir lu !