Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

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louji

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Re: Dynasties / Kyara III (2/3)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : sam. 13 nov., 2021 10:46 am Je disais donc que la partie III est chill… :ugeek:

L'OUBLIÉE
(2/3)


Jacelynn était une vipère. :arrow: Déjà, je trouve que le prénom est un prénom de vipère :lol: Une vipère qui n’était guère venimeuse, aussi peu versée dans l’art du combat que Kyara, mais qui avait quelques années de pratique de plus que la princesse. En l’affrontant, Kyara avait toujours l’impression que Jacelynn cherchait à la mordre, à la blesser, à l’étouffer… bref, à la faire disparaître. Et tous les coups semblaient permis pour arriver à ce but.
Cela ne dérangeait pas l’instructeur de combat pour autant. Au contraire, il aimait la vivacité de Jacelynn, son dynamisme, ses piques moqueuses et son humour grinçant. Il semblait même s’en inspirer, parfois, pour donner à Kyara davantage d’énergie. Et Kyara avait dû abandonner l’idée de lui expliquer qu’elle ne fonctionnait pas ainsi, parce qu’il ne l’entendait jamais de cette oreille.
— Plus vite, Avelke, plus vite… Ton jeu de jambes, tu vas te faire… Ah, trop tard.
Fauchée par un coup retors à l’arrière des genoux, Kyara mordit le sable et la poussière en grognant. Elle crachota, gémit, resta au sol quelques secondes. Jacelynn n’osait peut-être pas frapper trop fort, ou alors elle n’en était pas capable, mais en tout cas, elle était retorse. Et très mauvaise perdante.
— Alors, princesse ? ricana Jacelynn Tu n’as pas la forme, aujourd’hui !
— Elle est lente.
— Oui.
— Comme toi au début.
Kyara eut tout juste le temps de relever la tête pour voir la jeune femme blêmir. De quelques années son aînée, Jacelynn avait un port de tête trop altier, de grands yeux bruns et une mâchoire un peu trop large. Elle était vêtue des tenues qu’on leur avait fournies pour le combat, une chemise blanche à manches longues rentrée dans un pantalon bouffant et léger, serré à la taille par un cordon. Sinon, au quotidien, elle portait plutôt de longues robes couleur pastel, et elle appréciait particulièrement les mélanges de rose et de jaune sur ses jupons. Et Kyara détestait admettre le fait que ça lui allait bien. Elle savait ce qu’elle valait en tant que membre de la famille impériale plutôt proche – elle était après tout une cousine au deuxième degré d’Yngvar – mais elle en voulait toujours plus. Il se disait même parfois dans les couloirs qu’elle voulait le trône, mais elle était loin d’avoir une chance de l’obtenir. Et, pour cela, elle méprisait Kyara autant qu’Yngvar, si ce n’était davantage.
Pour une fois cependant, on aurait dit qu’elle s’était pris un coup dans les dents. Elle fusilla Arelkin du regard, et il lui rendit un sourire éclatant.
— Quoi ? La vérité te blesse, gente demoiselle ?
Pinçant les lèvres, Jacelynn finit par ravaler sa colère envers l’entraîneur… pour plutôt la déverser sur Kyara.
— Allez, debout ! On ne va pas rêvasser toute la journée, non ?
La princesse tendit la main vers son épée en bois, se redressa péniblement. Cela faisait une lune et demie qu’elle supportait les cours d’Arelkin, et au début, tant qu’il n’y avait eu qu’eux deux, cela s’était très bien passé. Même si elle ne faisait pas des progrès fulgurants, elle apprenait, ses gestes se précisaient, sa peur s’évanouissait. Mais, un jour, sur une idée lumineusement désespérante, le maître d’armes avait décidé qu’il fallait à Kyara quelqu’un de son niveau pour éviter qu’elle ne se sente surclassée en permanence. Et de toutes les personnes qui séjournaient à la Cour, il avait choisi la cousine d’Yngvar. Une vipère aigrie par son harpie de mère et ses harpies de tantes et sa harpie de grand-mère. :arrow: J'aime beaucoup cette dernière phrase :lol:
Kyara se secoua, essuya son front trempé de sueur, et chargea avec un hurlement de fureur. L’une des rares choses qui étaient positives avec la verve et l’expressivité de Jacelynn, c’était que Kyara ne mettait guère longtemps à se mettre en colère, et leurs affrontements étaient un excellent moyen d’extérioriser cette rage. Pour frapper, Kyara avait suivi les conseils d’Arelkin, elle puisait profondément dans cette colère lointaine qui la hantait encore parfois, l’obligeait à ressortir, la redirigeait vers son adversaire. Parce que, de toute manière, Jacelynn n’hésitait pas à frapper quand elle le pouvait.
Elles échangèrent une série de passes brutales, et, cette fois-ci, Kyara pensa à ses jambes, et elle esquiva un coup semblable à celui qui l’avait mise à terre quelques instants plus tôt. Ravie, elle asséna un revers de son épée, mais l’autre para, poussa, et faillit bien la renverser d’un coup de pied dans la cheville. Kyara vacilla, répliqua par réflexe, et l’attaque qu’elle porta à son adversaire l’étala par terre comme une chiffe molle.
Dans les gradins, quelques soldats crièrent et applaudirent. Les combats réguliers de Kyara et Jacelynn étaient devenus un petit spectacle privé pour la garde du palais et les hommes des Bataillons, qui venaient souvent les voir. La princesse se doutait bien que, pour eux, c’était comme voir deux chatons s’affronter en prétendant être des lions de montagne, mais elle pouvait comprendre l’attrait du spectacle de deux des plus nobles femmes de la Cour qui se jetaient l’une sur l’autre comme des sauvages. :arrow: Je serais allée voir aussi
En repérant Uma dans les gradins, Kyara lui adressa un signe de la main, auquel la soldate répondit avec un grand sourire. Peu désireuse de blesser Kyara, Uma avait chargé Arelkin de l’entraîner, en précisant que, au palais, il n’y avait certainement pas meilleur que lui pour transmettre ses connaissances. Au début, Kyara avait été sceptique, mais en constatant les changements progressifs, elle ne pouvait qu’être reconnaissante à son amie pour lui avoir trouvé cet homme. D’après lui, aujourd’hui, elle ne tenait plus son épée comme si c’était une brindille, et elle commençait même à toucher occasionnellement une cible à trois toises d’elle avec un arc. C’était un net progrès par rapport au fait que, au départ, elle n’était même pas capable de bander l’arc correctement.
Absorbée dans ses pensées, elle en avait oublié Jacelynn, mais le violent coup dans le dos qu’elle reçut la ramena bien vite à la réalité. Elle pivota, sonnée, juste à temps pour se prendre un revers dans l’épaule. Défigurée par la rage, la cousine d’Yngvar était comme possédée. Elle frappait aveuglément, et bientôt, malgré toutes ses tentatives pour parer, Kyara fut submergée. Elle encaissa une violente botte dans les côtes, une autre taillade dans la jambe, ouvrit sa défense contre une feinte et se prit un brutal revers de pommeau dans l’abdomen. Le heurt la laissa étourdie, lui coupa le souffle, et elle sentit le goût métallique et amer du sang dans sa bouche. Elle s’effondra.
— Arelkin !
La voix d’Uma déchira la salle. Kyara battit des paupières, les oreilles bourdonnantes, incapable de faire un geste. La coupole de la salle d’entraînement donnait sur un ciel gris, chargé de nuages d’orage. Une contraction dans son bas-ventre, contrecoup du choc qu’elle avait subi, lui voila la vue quelques instants. Quand elle rouvrit les yeux sur le monde, on l’avait légèrement redressée. Elle vit Jacelynn qui se tenait la mâchoire, Arelkin qui lui parlait à voix basse, plus furieux que Kyara ne l’avait jamais vu. Et surtout, elle vit les cheveux courts d’Uma au-dessus d’elle, sa voix douce qui lui murmurait des mots rassurants. Elle serra la main chaude qui s’était glissée dans la sienne, et le visage d’Uma s’éclaira de soulagement.
— Sortez-la d’ici avant que je ne l’assomme, siffla-t-elle néanmoins.
— Comment oses-tu ?! s’insurgea Jacelynn.
Cette fois-ci, Kyara vit clairement Arelkin lever la main sur la jeune femme. Le choc, puis la douleur et les larmes dans les yeux de la cousine d’Yngvar lui parurent bien pâles. Elle savait que Jacelynn s’était emportée. Elle savait qu’elle avait subi un accès de colère, plus féroce qu’elle n’aurait jamais osé lui infliger en retour. Elle savait qu’elle n’était pas en tort elle-même.
Alors elle ferma les yeux, et ne les rouvrit que quand les soldats la sortirent de la salle en la soutenant sous les épaules pour la ramener dans sa suite. Ils l’allongèrent sur son lit, appelèrent un médecin, et Uma et trois autres hommes restèrent à son côté tandis que la femme l’auscultait. Des hématomes commençaient déjà à fleurir sur ses bras, ses épaules et sa poitrine, mais le plus douloureux restait les contractions, qui durant le trajet jusqu’à la chambre s’étaient faites plus fréquentes. :arrow: Ouuuh smells like

utérus occupé

veuillez repasser dans 9 mois

Dans les brumes du choc qu’elle subissait encore, Kyara vit le froncement sourcils soucieux de la soigneuse, puis sa surprise alors qu’elle palpait doucement son ventre.
— Appelez l’Impératrice, souffla-t-elle d’une voix blanche.
L’un des soldats détala sans poser de questions, pressé par l’urgence dans le ton de la femme. Celle-ci prit doucement la main de Kyara, lui fit respirer des sels pour la ramener à la réalité, et Kyara battit des paupières, l’esprit éclairci.
— Avelke Sen, je vais essayer d’être aussi factuelle que possible en annonçant ceci.
Une contraction, plus forte que les précédentes, fit gémir la princesse, mais elle riva son regard dans les yeux verts :arrow: pourquoi je vois un écho à LCDS de la femme.
— Je pense que tu es enceinte. Et de plusieurs lunes.
— Comment ça ?
Uma s’était raidie, stupéfaite. Kyara, elle, n’était pas certaine d’avoir entendu correctement. Enceinte ? Mais elle avait fini de saigner quelques jours plus tôt…
— Il existe une condition rare, très rare même, où l’enfant ne se développe pas correctement dans le ventre de sa mère.
Elle enfonça délicatement un doigt dans le ventre de Kyara et, là où, en principe, elle aurait dû ne pas rencontrer de résistance, Kyara sentit quelque chose. Puis, elle perçut un mouvement. En elle. Elle blêmit.
— On a tendance à associer cette condition à des grossesses résultat d’évènements…
Le médecin chercha ses mots, mais ne parut pas trouver mieux que ce qu’elle avait.
— … traumatiques, on va dire, et le corps de la mère l’oblige à rester caché. Il peut arriver que les saignements lunaires continuent, que le ventre ne grandisse que très peu, que la mère ne se rende pas compte qu’elle est enceinte. En général, elle le réalise vers la sixième ou septième lune de grossesse, mais dans ton cas, Avelke Sen, je crois que tu n’étais plus qu’à quelques décades du terme. Et je crains que le choc n’ait précipité l’accouchement.
:arrow: AH OUAIS PAR CONTRE JE PENSAIS PAS QU'ON EN ETAIT LA.
OSKUR
ALED
PAUVRE KYARA


Nan mais vraiment Lokinette je sais même plus quoi dire :lol:

Entre les fausses couches et les grossesses terribles d'Eliane, voilà le bon gros déni de grossesse
Décidément, la grossesse et la naissance dans tes histoires, c'est savage :cry:


Sous le choc, Kyara laissa retomber sa tête contre le coussin, et ferma les yeux. Elle devait rêver. Elle était certaine de rêver. Ce n’était pas possible autrement.
Quelques minutes plus tard, l’Impératrice déboula dans la pièce et, sous ses traits froids et composés habituels transparaissaient une frénésie et une anxiété que Kyara ne lui avait jamais vues. La soigneuse se planta avec elle près de la fenêtre, la mit au courant en quelques mots, et, même si le soulagement de l’Impératrice fut perceptible, une certaine inquiétude persista dans son attitude.
En renversant la tête en arrière, sourde aux paroles rassurantes et encourageantes de son médecin, la princesse songea à sa mère. Sa mère, qui n’avait quasiment jamais été là pour elle, qui l’avait laissée aux mains de serviteurs et de précepteurs. Elle se demanda si elle avait un jour su combien de peine et de solitude elle lui avait infligé. Elle se demanda si Mara d’Eau, cette femme qui avait accouché d’elle, aurait voulu être là pour le premier et improbable accouchement de sa fille. Elle se demanda si elle avait un jour importé suffisamment à sa mère pour que celle-ci veuille prendre le temps de la connaître, de l’aimer, de s’occuper d’elle dans un moment comme celui-ci.
Quand elle rouvrit les yeux, une main glacée s’était posée sur son épaule, et des yeux d’un azurin limpide, si pâles qu’ils paraissaient irréels, l’observaient. Elle n’écoutait toujours pas le bavardage intempestif de la soigneuse, mais les mots de l’Impératrice, froids et posés, et pourtant si sincères, tranchèrent dans les murs qu’elle s’était inconsciemment érigés.
— De quoi que tu aies besoin, Kyara, dis-le. Je suis là.
Elle ne répondit rien, mais sut intuitivement que, jusqu’à la fin de sa vie, elle n’oublierait pas les mots de cette femme qui avait pourtant détruit sa vie et son royaume. Parce qu'ils portaient promesse muette qu’elle pourrait l’aider à se reconstruire.

Les heures s’étaient dissolues dans les lents mouvements du soleil, puis dans ceux de la lune. Le travail fut laborieux et long, sans être pour autant aussi douloureux qu’elle ne l’aurait craint, mais suffisamment pour lui arracher des cris à chaque spasme. Et, durant ces heures d’incertitudes où l’horloge semblait s’être arrêtée, où les instants s’étiraient à l’infini, l’Impératrice, Uma et le médecin demeurèrent à ses côtés. Elles ne s’éloignèrent que pour aller respirer un peu d’air frais à la fenêtre, ou manger un morceau sur un plateau qu’on leur avait apporté. Kyara elle-même se leva une demi-douzaine de fois, mais la plupart du temps elle demeura amorphe sur son lit, n’attendant que la prochaine vague.
Et puis, finalement, on lui apporta une petite chose enveloppée de langes, rougeaude et un peu bleue par endroits, piaillant faiblement. Instinctivement, Kyara fit ce qu’elle avait vu des dizaines de servantes ou de femmes de la Cour faire : elle l’approcha de sa poitrine, et la petite chose se raccrocha à son sein.
— C’est une petite fille, murmura la soigneuse, l’air soulagé.
— Comment veux-tu l’appeler ? demanda Uma.
Kyara fronça les sourcils. À Helvethras, on ne nommait pas les enfants la première décade, car le risque qu’ils décèdent était trop important. Et cela lui paraissait d’autant plus logique dans le cas de sa fille puisqu’elle n’avait pas grandi correctement, logée à la verticale entre les côtes de sa mère au lieu d’être à l’horizontale dans son ventre. Pourtant, l’Impératrice lui adressa un petit hochement de tête encourageant.
— Et Yngvar ? Est-ce qu’il ne devrait pas…
— Yngvar ne rentrera pas avant au moins quatre jours.
:arrow: Je sais pas si c'est pire qu'Yngvar ait pas été là ou pas. En soi, selon la temporalité et les dires du médecin, c'est au moment où il la violait non ? Franchement, pas sûre qu'elle veule le père de son enfant (non prévue à l'instant T puisque déni, issue d'un viol) à ses côtés à ce moment-là, où t'es en vulnérabilité et faiblesse extrêmes.
D'ailleurs, je me suis posé la question à ce propos y'a pa longtemps. Puisque Kyara et Yngvar étaient destinés à être mariés, pourquoi il lui a imposé des rapports sexuels avant qu'ils arrivent à Avalaën ? Est-ce que la nécessité d'un héritier était si urgente ? Autrement je vois pas de raison particulière et c'est ce qui fait que j'ai toujours ce morceau de haine contre lui, quoi qu'il se soit passé après x')

Ce n’était pas aussi loin qu’elle l’aurait cru… Mais c’était autant de temps passé avec dans ses bras une petite fille sans nom.
— Je connais les traditions d’Helvethras, ajouta l’Impératrice avec douceur. La naissance ne sera pas annoncée avant au moins une décade. Davantage si tu le souhaites.
Les rares personnes présentes dans la pièce hochèrent la tête gravement pour signifier leur vœu de silence.
— Amali, murmura Kyara. Je voudrais qu’elle s’appelle Amali.
Amali avait un duvet clair au sommet de la tête et des yeux d’un bleu foncé, comme presque tous les bébés apparemment. Leur couleur se préciserait dans les jours qui suivraient la naissance, lui avait-on dit. Kyara savait déjà que, en principe, elle aurait le violet brillant de la dynastie avalonienne. Elle avait aussi une peau bien plus foncée que le peuple de l’ouest, même si elle n’était pas non plus aussi sombre que celle de sa mère.
Mais surtout, elle était légère comme une plume.
Au début, Kyara ne s’en inquiéta pas, trop épuisée par la longue nuit et la journée qui avaient précédé. On cala des coussins dans son dos pour assurer son confort, et elle sombra dans un sommeil agité, occasionnellement réveillée par les pleurs de sa petite fille. Le médecin, l’Impératrice et Uma prirent congé durant son sommeil pour aller elles aussi se reposer, et on laissa ses femmes de chambre assurer sa garde et ses besoins.
Néanmoins, en émergeant de son sommeil, encore assommée par la torpeur, Kyara surprit les murmures des trois vieilles mégères, qui pour une fois paraissaient davantage inquiètes que méprisantes.
— Elle pleure si peu…
— Et elle mange si peu…
— Je vous assure qu’elle va finir par nous claquer entre les doigts !
Elles s’interrompirent en voyant Kyara se réveiller, et ne pipèrent plus un mot durant de longues heures. Mais leurs murmures de serpent avaient atteint la princesse, qui se mit à considérer avec davantage d’inquiétude la petite chose fragile dans ses bras. Elle bougeait peu. Elle dormait presque tout le temps. Et, plus l’heure avançait, plus la princesse se sentait épuisée, prise de frissons, glacée jusqu’aux os. Elle demanda de l’eau chaude, des couvertures supplémentaires, s’en enveloppa en couvrant au passage son bébé et en le serrant contre elle, et elle lui murmura doucement :
— Tiens bon ma chérie… tiens bon.
Des mots qui sonnaient davantage comme une supplique que comme un encouragement.
:arrow: Arf, c'est clair que sans la médecine d'aujourd'hui... :vv Puis développée de façon pas "normale" elle est peut-être moins robuste qu'un bébé développé "normalement" :'c

Elle sombra dans une fièvre si brûlante et si destructrice que les femmes de chambre appelèrent à nouveau la soigneuse, qui lui donna à boire des herbes et des décoctions, et si les herbes apaisèrent quelque peu sa température, elles ne changèrent rien à son esprit cotonneux. Puis, l’Impératrice revint, un petit coffre dans les mains, et déposa sur le front, la poitrine et les épaules de Kyara et de sa fille des pierres colorées. Les femmes de chambre se tassèrent dans un coin de la pièce, terrifiées, quand elle commença à psalmodier dans une langue inconnue, appelant à une magie ancestrale qu’Avalaën avait depuis longtemps reniée.
Ses incantations finirent par chasser les brumes de l’esprit de Kyara, mais Amali dormait toujours. Et l’Impératrice, exténuée, ne put que souffler :
— Je ne peux pas lui donner la volonté de se battre…
Assommée par l’épuisement, Kyara entendit les mots juste avant de replonger dans le sommeil. Cette fois-ci, elle dormit comme une souche, et non par intermittence, transpirante de fièvre, comme elle l’avait fait jusque-là, mais elle rêva. Dans ses rêves chaotiques, sa fille, lovée dans les bras d’Yngvar, hurlait en tendant ses petites mains vers elle, mais elle la repoussait, s’en détournait, la chassait. Et les paroles du médecin résonnaient jusque dans ses os par-dessus les hurlements d’Amali.
— L’enfant ne se développe pas correctement. Le corps de la mère l’oblige à rester caché.
Elle l’avait repoussée. Elle l’avait rejetée. :arrow: omg, je veux pas qu'elle se sente coupable, mais en même temps c'est normal qu'elle ressente ça :cry:
Kyara avait dû grandir avec une mère qui ne voulait pas vraiment d’elle. Elle connaissait la fatigue que l’on éprouvait quand on se battait pour une cause perdue d’avance, elle s’était résignée à abandonner l’idée que sa mère lui accorde un jour suffisamment d’attention. Elle comprenait l’envie de capituler, l’énergie que cela requérait de se battre.
Mais pourquoi Amali aurait-elle voulu se battre pour l’amour d’une mère qui ne lui avait même pas permis de grandir correctement ?
En rouvrant les yeux, elle sut, avant même d’avoir vérifié. Mais elle baissa néanmoins la tête vers la petite fille toujours couchée sur sa poitrine, immobile, les yeux fermés. En levant une main tremblante, échauffée par sa fièvre qui peinait toujours à se résorber, elle n’en sentit que davantage la différence avec la peau fripée et glacée du front d’Amali. Un frémissement agita ses lèvres, les tremblements secouèrent son corps, elle se mit à pleurer.
Elle aurait voulu hurler, mais elle ne parvint qu’à subir quand on lui enleva des bras le petit corps froid et raide.
Amali était morte.
J’ai refusé son existence, songea-t-elle, sous le choc.
Je me suis convaincue que je ne voulais pas qu’elle existe.
J’ai tant nié son existence que j’ai fini par l’empêcher de grandir.
Elle est morte par ma faute.

:arrow: MAIS KYARA NON BICHETTE. MAIS OH BORDEL

JARRIVE EN DM SARAH


Elle assista au retour d’Yngvar depuis sa fenêtre, incapable de s’enjoindre à se présenter en public pour l’accueillir. Elle ne savait même plus pourquoi il revenait, en vérité. Perchée au deuxième étage du palais, elle le vit saluer brièvement sa mère, adresser à peine un regard aux courtisans, et ensuite s’engouffrer dans le château tel une furie. Incapable de suivre son parcours à l’intérieur, elle se résolut à se rasseoir, mais très vite, il débarqua devant elle, haletant, l’air exténué.
Un instant, elle craignit qu’il ne s’énerve contre elle. Elle l’imagina l’assaillant de reproches, hargneux, en colère. C’était de sa faute si leur fille était morte, après tout. C’était elle qui l’avait rejetée au point d’anéantir sa volonté de vivre. Elle se replia sur elle-même, déterminée à accepter les coups, les cris ou les injures.
Mais il n’en fit rien. Au contraire, en la voyant, roulée en boule sur le lit, tremblante et hagarde, les cheveux en bataille, les yeux cernés, il se calma d’un seul coup. Il s’approcha lentement, comme avec un animal effarouché, s’assit à côté d’elle, passa une main sur sa joue. Alors, Kyara ferma les yeux avec un soupir haché, et le torrent de larmes qu’elle avait pensé tari se remit à couler.

Elle émergea d’un sommeil lourd et trouble aux allures de cauchemar, les joues tirées et asséchées. Elle était seule dans la pièce, même si Yngvar était resté auprès d’elle toute la nuit. Il l’avait consolée, bercée, rassurée, comme si c’était elle l’enfant :arrow: Peut-être parce que t'es encore une enfant quelque part Kyara ? T'as même pas 20 ans non ? x). Il n’avait pas beaucoup parlé, mais les rares mots qu’il avait prononcés s’étaient ancrés en elle. Car il s’était excusé. Il avait dit que c’était de sa faute, à lui. Qu’elle avait le droit de souffrir, qu’elle avait raison de souffrir, mais qu’il était bien davantage responsable de cette mort qu’elle. Elle n’était pas certaine d’avoir compris pourquoi, mais les mots lui avaient fait du bien malgré tout. Alors, elle avait continué à pleurer, lovée contre lui, jusqu’à sombrer dans un rêve brumeux et éreintant.
En enfilant son peignoir, elle se sentait aussi lasse et épuisée que la veille, pourtant, elle percevait également une autre émotion qui avait fait son apparition, plus diffuse, aussi douce qu’amère. La colère. Elle la sentait brûler dans le creux de sa poitrine comme un feu de campement, inoffensif en apparence, qui menaçait de s’étendre à chaque instant. Elle posa sa main sur son cœur, écouta quelques battements, finit par sourire. Un sourire terne, à la fois cruel et empli de désillusions.
Elle prit Kama dans ses bras et, après s’être tortillé quelques instants pour trouver une position confortable, le chat finit par poser la tête sur son épaule et se mettre à ronronner. À l’aveuglette, elle enfila ses chaussons, puis se dirigea vers le petit bureau adjacent au salon. Il était encore tôt, Yngvar s’y trouvait certainement. La porte entr’ouverte laissait filtrer un rayon de soleil matinal timide, curieux. Elle prit une brève inspiration, toqua, puis poussa la porte sans attendre la réponse.
Son époux, assis derrière son bureau, lisait une missive. En la voyant entrer, il leva la tête vers elle, reposa le parchemin, haussa les sourcils.
— Tu es debout tôt.
— Je ne dors plus autant depuis que tu es parti. Puis-je ?
Il haussa les sourcils, ne sachant guère où elle voulait en venir mais, quand elle fit mine de s’installer sur ses genoux, il recula sa chaise pour lui laisser davantage de place. Kama sauta sur la table, guère enclin à se retrouver coincé entre eux, et Kyara passa son bras autour du cou d’Yngvar en blottissant sa tête contre son épaule.
— J’en ai assez de souffrir… murmura-t-elle.
Silencieux, il l’enveloppa dans une étreinte aussi rassurante que protectrice.
— J’en ai assez de prétendre que je vais bien alors que je ne fais que survivre… et de m’obliger à prétendre que je suis toujours celle qui est partie de Ciel…
Même si sa gorge était nouée, ses yeux étaient secs. Elle ne ressentait plus l’envie de pleurer… ou du moins, plus de tristesse. Elle aurait en revanche aimé hurler sa rage d’avoir été abandonnée à la merci d’Avalaën alors qu’elle n’était pas encore prête à affronter les horreurs de la réalité. Elle ne voulait plus faire comme si elle n’était pas une étrangère dans la Citadelle Rouge alors que, l’été auparavant, elle était encore à Ciel, et la menace des armées d’Avalaën se faisait chaque jour plus pesante. Elle se sentait en colère. Furieuse d’avoir été si longtemps à la merci des décisions des autres, enrageant à l’idée des sacrifices qu’on lui avait, sciemment ou non, imposés.
Elle était certaine que son père n’avait pas voulu la laisser à la merci d’Yngvar, mais c’était ce qu’il lui avait infligé en lui cédant la couronne. Elle était presque certaine que sa mère aurait essayé de la soutenir durant une épreuve comme celle de son accouchement, si elle n’avait pas été aussi obnubilée par l’idée de se protéger elle-même.
Dans tous les cas, les décisions des uns et des autres à son sujet, même celles d’Yngvar et de l’Impératrice, avaient fini par l’amener à cet instant, cette fraction de seconde où, d’un seul coup, l’évidence s’imposa. Si elle était ici, aujourd’hui et maintenant, c’était du ressort de ceux qui avaient influencé son destin. Mais si elle voulait rester là, ou même aller ailleurs, devenir celle qu’elle aimerait être, il faudrait qu’elle prenne en main sa vie. Et, de là où elle était, il n’y avait qu’un seul véritable moyen d’y parvenir.
L’oreille appuyée contre la peau chaude d’Yngvar, elle écouta sa respiration, réfléchissant à sa décision. Mais, plus elle y revenait, et plus l’évidence se faisait limpide. C’était la seule solution pour elle.
Sans se redresser, mais haussant le ton pour avoir une voix un peu plus ferme, elle dit :
— Je voudrais devenir la femme qui pourra te seconder, la véritable héritière des trônes unis d’Uvrastryn :arrow: Oh c'est le nom du continent ? C'est joli !. Une épouse digne de siéger à tes côtés. Accepterais-tu de m’apprendre ? M’enseignerais-tu les jeux de pouvoir de la Cour ?
Il leva un sourcil, la considéra, songeur, mais avant même qu’il ne réponde, elle poursuivit :
— Aussi… Je sais que je ne suis rien pour toi, mais j’aimerais… j’aimerais apprendre à te connaître réellement. Je…
Elle hésita, et la pensée de ce qu’elle allait formuler envoya une décharge nerveuse dans sa nuque. Elle sourit doucement, un sourire camouflé dans le début de barbe d’Yngvar, un sourire qu’il ne pouvait pas voir mais qui, à elle, lui donnait des frissons d’expectative.
— Je t’apprécie. Sincèrement, souffla-t-elle, le cœur battant.
Elle le sentit se crisper sous sa peau, perçut la brusque inspiration qu’il prit et qui résonna au travers de son corps, et l’appréhension l’envahit. C’était certainement déplacé de le formuler ainsi, surtout après tout ce qu’ils avaient dû endurer tous les deux. Aucun d’entre eux n’avait choisi ce mariage, aucun d’entre eux ne l’avait voulu. Leur union n’était qu’une conséquence d’anciennes rancunes, d’un conflit trop longtemps étouffé.
— Si tu n’étais rien pour moi, souffla-t-il enfin avec un sourire dans la voix, je ne serais pas ici en ce moment. J’ai appris à t’apprécier aussi, Kyara.
Son nom, sur ses lèvres, la fit frémir. D’habitude, il l’appelait princesse. Elle recula un peu de l’étreinte, leva le menton pour lui faire face, et le regard qu’il lui offrit la laissa sans voix. Il y avait sur ses traits étrangement adoucis une véritable tendresse, une inquiétude sincère.
Rassérénée, elle reposa sa tête contre son épaule, murmura un simple « merci ». En d’autres circonstances, elle aurait peut-être essayé de véhiculer davantage d’idées, mais au moment où elle le dit, il n’y avait que ce mot pour répondre à l’affirmation. Elle n’était pas rien. Elle comptait pour quelqu’un, au moins pour lui.
— Je voudrais te demander pardon, ajouta-t-il. J’ai été odieux avec toi, et en toute sincérité, je ne sais pas vraiment comment tu peux me regarder en face sans me haïr. Et quoi que tu dises, si tu en es venue à nier autant l’idée qu’Amali naisse, c’est par ma faute. J’aurais dû…
— Arrête.
Elle s’étonna qu’il se taise aussitôt, comme si elle avait une quelconque absurde forme d’autorité sur lui.
— Ma vie sera de toute manière à tes côtés, ajouta-t-elle solennellement. Ce qui est arrivé est passé, désormais, et je ne veux pas vivre dans mes souvenirs de souffrances.
— D’accord, finit-il par acquiescer après un long moment de réflexion. Permets-moi de te proposer quelque chose, alors. Ni toi ni moi ne pouvons oublier ce qui nous a amenés ici, et de toute manière, ce ne serait pas une bonne chose. Mais prenons, ici, aujourd’hui, un nouveau départ.
L’idée aurait pu paraître vide, dénuée de sens ou de raison, mais Kyara la trouva amusante, presque attrayante. Ne pas oublier le passé, mais prendre le parti de se focaliser sur le futur. Une manière pour eux de revenir à une forme de normalité, ou au moins de repartir à la même hauteur. Qui pouvait dire si le chemin qu’ils parcourraient ensemble serait long ? En tout cas, s’ils n’essayaient pas, personne. Et à moins de vouloir rester cloîtrée dans ses appartements pour le restant de ses jours, et de n’être qu’un épouvantail sur le trône aux côtés du Corbeau, Kyara ne voyait pas d’autre manière d’aller de l’avant.
Alors elle se releva, lissa les pans de son peignoir comme si c’était une robe de cérémonie, esquissa une élégante révérence avalonienne, qu’elle maîtrisait désormais sur le bout des orteils.
— Kaleko Sen, c’est un honneur d’être ton épouse.
— Avelke Sen, dit-il après s’être redressé et incliné, le plaisir et l’honneur sont pour moi. Déjeuneras-tu avec moi ce midi ?
Un éclat de rire de connivence les secoua tous les deux alors qu’elle acquiesçait et, malgré une infime hésitation, Kyara se prit à croire que cette idée pourrait peut-être même fonctionner.
Ils passèrent le reste de la matinée dans le petit bureau, dans un calme souverain que même l’annonce d’une nouvelle guerre n’aurait pu rompre. Kyara s’installa sur son fauteuil favori avec Kama sur les genoux et un livre ouvert, tandis qu’Yngvar rédigeait missive après missive, concentré mais étrangement détendu. Ils déjeunèrent ensemble dans une petite salle cossue mais confortable, partirent se promener dans les jardins impériaux l’après-midi, et finirent leur soirée avec une petite réception organisée par la Duchesse de Tragr. Quelques jours filèrent dans un calme apaisant, et malgré ses doutes, Kyara réalisa que tout était plus simple avec Yngvar quand elle ne s’obligeait pas à prétendre qu’elle forçait ses émotions. Elle souriait sincèrement à ses plaisanteries, n’essayait plus de rester froide, composée et discrète comme auparavant.
Les femmes, qui jusque-là ne l’avaient guère vues aux soirées en petit comité, parurent surprises de son changement. Bien sûr, aucune d’entre elles n’osa ne serait-ce que murmurer le mot « bébé » autour d’elle, mais elle sut rien qu’en les observant que, d’une manière ou d’une autre, la rumeur s’était propagée. Et ses apparitions de plus en plus fréquentes au bras de son époux, ainsi que la facilité avec laquelle elle parvenait à sourire, soulevaient des milliers de questions muettes auxquelles elle ne répondrait jamais.
Car la vérité était qu’elle en souffrait toujours. :arrow: Ah bah ça va pas partir en une prise de décision et un nouveau départ malheureusement... Le souvenir d’Amali restait brûlant et vif dans son esprit, et parfois, juste en serrant les doigts, elle pouvait toujours sentir la petite menotte potelée dans sa paume. Les images rémanentes, quoique troublées par la fièvre, la hantaient toujours dans ses rêves, lui laissaient à son réveil la sensation de suffoquer de larmes alors que ses joues étaient sèches.
Yngvar était souvent là à ses côtés quand elle se réveillait ainsi, et s’il n’était pas là, elle allait le retrouver dans le petit bureau. Mais vint le moment où il dut repartir, reprendre l’affaire qu’il avait abandonnée pour l’accouchement, et elle se retrouva à nouveau seule. Alors elle se laissa emporter dans le tourbillon des longues robes fluides, des danses de salon et des parties de cartes, jusqu’à rentrer si tard le soir qu’elle se laissait tomber habillée sur son lit, et écoutait ses mégères de femmes de chambres pester le lendemain matin quand elles devaient s’occuper des caftans froissés. Elle sortit du palais de plus en plus souvent, toujours encadrée par ses gardes, s’aventura en ville, découvrit les petits marchés et les expressions radieuses des passants quand ils l’apercevaient en plein milieu de la rue, les spectacles de marionnettes et la joie des enfants quand elle rapportait des pâtisseries depuis les cuisines du palais. Elle prit le temps d’apprendre à revivre, pas à pas, instant par instant.
Et enfin, quand elle réalisa qu’elle n’essayait plus d’occuper son esprit pour oublier la blessure, quand le souvenir du poids de l’infante :arrow: infante ? dans ses bras ne revint plus hanter ses nuits, elle franchit la porte du bureau de l’Impératrice et annonça :
— Je veux apprendre.

◊~◊~◊
Aaaaah :evil:
Aaaaah :cry:

J'hésite entre pleurer et rire, car t'as quand même oublié cette histoire de mort infantile en disant que cette partie était chill :(
C'est légèrement le genre de truc qui va hanter Kyara jusqu'à la fin, quelle que soit la remontée qu'elle fait sur son état mental x) Autrement, évidemment que ça fait plaisir et que ça soulage de la voir se relever, vouloir aller de l'avant et vouloir reprendre les rênes de son destin.
Pour ce qui est de sa relation avec Yngvar... Je suis toujours mitigée, je pense que je le serai jusqu'à la fin de l'histoire. Pour moi, les violences sexuelles et psychologiques qu'il a fait subir à Kyara au début ne sont pas justifiées. Ils y seraient venus dans tous les cas puisque c'est un mariage arrangé, mais les conditions auraient été différentes je pense. Et ma façon de considérer Yngvar aurait été différente aussi. Je vois bien la personne qu'il est, ce qu'il essaie de construire. Je vois l'affection et le respect grandir entre eux, mais l'ombre de ce qu'il lui a fait subir recouvre l'ensemble et me met mal à l'aise.
Kayra subit déjà un paquet de violences psychologiques et physiques qui lui demandent déjà des mois (voire des années) pour se reconstruire. Mais j'avoue que les violences sexuelles qui sont venues se rajouter à ça... ben elle s'en relèvera jamais complètement, quels que soient ses efforts.
Vraiment, on parle d'un décalage de quelques mois. Je comprends la nécessité de l'héritier pour assurer la lignée d'Yngvar sur le trône. Mais ce point-là aurait pu attendre leur mariage, que la confiance s'installe entre eux comme elle l'a fait. Peut-être qu'il y aurait toujours pas eu le désir mutuel, mais bordel ça aurait été moins violent.
Je pense qu'on sera en désaccord là-dessus et que l'un des pans de cette histoire est de montrer l'histoire d'amour naissante entre Kayra et Yngvar. Mais pour moi cet amour naît d'un fruit pourri et contient donc forcément du toxique x')
Je sais pas si tu es incapable de considérer ce duo et leur dynamique sans ce qui se passe au début et je suis pas en position de te dire ce qui est bien ou pas bien, mais là je pense qu'on est sur un croisement à deux voies où les voies de rejoignent tout en empruntant des chemins +/- difficiles. Même sans les viols avant le mariage, il y aurait eu la colère, la tristesse et la rage de Kyara. Elle aurait quand même subi tout le reste. Il y aurait quand même eu la violence affective, émotionnelle et psychique du mariage forcé avec un ennemi.
Ça peut paraître bizarre que je ressorte tout ça maintenant, mais Amali m'y a fait penser. Amali est née d'un de ces viols. Kyara se sent coupable de l'avoir rejetée, de ne pas l'avoir acceptée en elle, mais comment en aurait-il aller autrement ? J'ai pas eu le sentiment dans le chapitre que Kayra faisait cette corrélation. Alors, soit c'est moi qui me trompe dans la temporalité et Amali naît suite à un rapport ""consenti"" (je vois pas comment tu peux consentir à ça après 1/2 mois de mariage forcé haha, ça restera toujours un viol domestique par obligation), soit on parle vraiment d'un déni de grossesse suite à un viol et le pire truc c'est la culpabilité de la mère. J'ai vraiment pas vu la remise en question de Kyara par rapport à ce qui lui est arrivé et non pas par rapport au fait qu'elle soit une mauvaise mère (car c'est ce qu'elle fait ressortir, en parallèle de son enfance pourrie sans sa mère). Je suis désolée d'écrire un pavé aussi long, surtout aussi tardivement dans l'historie, mais ça me met vraiment mal à l'aise depuis le début. Je sais que t'es là pour le drame, pas pour parler de bisounours, et je te parlerais pas de tout ça si je voyais pas d'autres possibilités/façons de parler des événements.
Je veux pas être à côté de la plaque, je suis même allée relire le chap 2 pour m'assurer qu'il y avait bien ces viols et ils sont là. Et on remarque que ce sujet est ultra tabou dans Kyara. Autant elle parle sans mal des autres formes de violence, autant elle internalise sa souffrance et sa culpabilité pour ce qui est du viol. Et, ajd, dans la vraie vie, c'est un comportement assez "typique" de victime de viol pour qui ça va bouffer tout un pan de sa vie.
Et le déni de grossesse est un truc très marqué là aussi dans ce chapitre. Vraiment, j'ai bien "aimé" en quelque sorte le parallèle que tu fais avec la mère de Kyara, où Kyara se voit elle-même en mauvaise mère, où elle s'en veut et s'accuse d'avoir tué sa fille. C'est si violent, car personne ne lui dit de ne pas s'en vouloir. La seule personne, c'est Yngvar, mais Kyara l'empêche de présenter ses propres torts (car évidemment qu'il est aussi responsable du déni de grossesse mdr). Donc en fin de compte, la responsabilité de Yngvar dans les souffrances de Kyara n'est jamais posé clairement sur table. Mais Kyara n'a pas à porter cette souffrance et cette culpabilité seule. Que ce soit pour les viols ou la mort d'Amali. Et c'est ce qui me gêne, car il se passe vraiment ce qui se passe pour trop de femmes victimes de tout ça. La culpabilisation de la victime, la remise en question de son statut, de ses actes. La culpabilité qu'elles ressentent est bien présente, c'est quelque chose qui ressort énormément dans les témoignages. Mais, justement, elles n'ont pas à se sentir coupables, car les fautives ne sont pas elles.
Je m'égare, mais tout ça pour dire qu'il y a pour moi un décalage entre la gravité de ce qui arrive à Kyara (les viols, le déni de grossesse, la mort de son enfant ; des sujets liés à son corps de femme, son statut de femme, à sa sexualité) et la façon dont c'est traité dans le texte. Je suis vraiment peinée, car c'est à toi Lokinette que ça s'adresse directement et non pas aux personnages, mais voilà, pour moi il y a ce truc qui flotte dans l'air et me met mal à l'aise.
A mes yeux, c'est vraiment l'histoire de chemins qui arrivent au même point d'arrivée mais qui auraient pu trouver d'autres itinéraires qui entretiennent pas la culture du viol....
Si tu veux en parler plus précisément sur Discord un de ces 4, c'est avec plaisir.

Je te fais la bise, j'ai hâte de lire la suite, car je veux voir Kyara en meilleure forme, c'est clair :cry:
vampiredelivres

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Re: Dynasties / Kyara III (2/3)

Message par vampiredelivres »

Alors, je vais répondre en premier au pavé parce que d'une part c'est ce qui est le plus important, et d'autre part j'ai envie d'en parler tout de suite. ^^

Tu sais que je suis une jardinière dans l'âme, que je pars avec zéro plan et avec seulement des vagues idées de suite pour la construction de l'intrigue. Pour Kyara notamment, c'est parti en roue libre parce que j'ai commencé à poster après une soirée débile avec vous et que j'ai fait une ligne droite. Et si, d'habitude, je gère à peu près bien mes évolutions de personnages (je pense, mais corrige-moi si je me trompe), sur celle-ci, j'ai clairement merdé. J'ai surestimé ma capacité à traiter ce genre de sujet.
En fait, à l'origine, je ne savais pas si l'histoire de Kyara allait partir sur une romance ou une vengeance, ou un peu des deux. Le personnage de Kyara s'affinant au fur et à mesure, c'était mal fichu pour être une vengeance, et ça a dévié sur la romance, mais les prémices sont pourris jusqu'à la moelle. Et tu fais très bien de soulever ce point, surtout avec ce chapitre, parce que tu as totalement raison. J'avais déjà considéré de réécrire les premiers chapitres pour justement dégager les viols et les abus sexuels manifestes qui sont à la fois inutiles et très discutables, puis j'ai décidé de le faire dans la correction, mais c'est effectivement trop tard pour faire passer la pilule pour vous, surtout avec ce chapitre.
Je suis totalement consciente de ma connerie, et elle n'a aucune excuse pour le coup. (Et c'est marrant parce que je faisais un reproche très semblable à une série, récemment, quoique sur un autre sujet, donc j'apprécie de me faire renvoyer mon argumentaire en pleine face.) Le décalage de quelques mois suffit, comme tu dis, pour au moins changer la perspective du lecteur sur Yngvar. D'autant que, en rétrospective, ce n'est pas dans le caractère d'Yngvar, même si Eliane pourrait l'exiger de lui. D'ailleurs le fond de la backstory c'était que c'était effectivement Eliane qui l'exigeait, c'est pour ça que je déculpabilise beaucoup Yngvar, totalement à tort.
La thématique de la culpabilité maternelle restera, parce que c'est effectivement quelque chose que je veux toucher et explorer, et qu'on n'en parle pas assez, mais ce sera abordé du coup avec un angle un peu différent vu que le passif sera déjà un peu moins violent entre les deux. Ceci dit, il n'en restera que parce que le choc de l'annonce de la grossesse puis l'accouchement sont aussi traumatiques, pour Kyara, Amali sera morte par sa "faute". Mais là, ça relève plus de la mentalité du personnage et des trop nombreux coups moraux qu'elle a subi.

Plus sérieusement, avant de vous sortir le chap 3 de la partie III, je sortirai la version corrigée des chapitres 2 et 3. Ça ne sauvera certainement pas les meubles, mais ce serait irresponsable et déplacé de ma part de ne pas le faire. Donc considérez que l'entièreté de la P1 et P2 sont actuellement en chantier x)
Merci d'avoir soulevé le point et de me secouer un peu, j'apprécie sincèrement la démarche (et whaou ce pavé est magnifique :lol: ). Très honnêtement, tu touches très juste, je ne peux que te remercier de me l'avoir dit aussi directement.

(Là-dessus, j'ai des chapitres à revoir, tchousss !)
louji

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Re: Dynasties / Kyara III (2/3)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : dim. 14 nov., 2021 4:19 pm Alors, je vais répondre en premier au pavé parce que d'une part c'est ce qui est le plus important, et d'autre part j'ai envie d'en parler tout de suite. ^^

Tu sais que je suis une jardinière dans l'âme, que je pars avec zéro plan et avec seulement des vagues idées de suite pour la construction de l'intrigue. Pour Kyara notamment, c'est parti en roue libre parce que j'ai commencé à poster après une soirée débile avec vous et que j'ai fait une ligne droite. Et si, d'habitude, je gère à peu près bien mes évolutions de personnages (je pense, mais corrige-moi si je me trompe), sur celle-ci, j'ai clairement merdé. J'ai surestimé ma capacité à traiter ce genre de sujet.
En fait, à l'origine, je ne savais pas si l'histoire de Kyara allait partir sur une romance ou une vengeance, ou un peu des deux. Le personnage de Kyara s'affinant au fur et à mesure, c'était mal fichu pour être une vengeance, et ça a dévié sur la romance, mais les prémices sont pourris jusqu'à la moelle. Et tu fais très bien de soulever ce point, surtout avec ce chapitre, parce que tu as totalement raison. J'avais déjà considéré de réécrire les premiers chapitres pour justement dégager les viols et les abus sexuels manifestes qui sont à la fois inutiles et très discutables, puis j'ai décidé de le faire dans la correction, mais c'est effectivement trop tard pour faire passer la pilule pour vous, surtout avec ce chapitre.
Je suis totalement consciente de ma connerie, et elle n'a aucune excuse pour le coup. (Et c'est marrant parce que je faisais un reproche très semblable à une série, récemment, quoique sur un autre sujet, donc j'apprécie de me faire renvoyer mon argumentaire en pleine face.) Le décalage de quelques mois suffit, comme tu dis, pour au moins changer la perspective du lecteur sur Yngvar. D'autant que, en rétrospective, ce n'est pas dans le caractère d'Yngvar, même si Eliane pourrait l'exiger de lui. D'ailleurs le fond de la backstory c'était que c'était effectivement Eliane qui l'exigeait, c'est pour ça que je déculpabilise beaucoup Yngvar, totalement à tort.
La thématique de la culpabilité maternelle restera, parce que c'est effectivement quelque chose que je veux toucher et explorer, et qu'on n'en parle pas assez, mais ce sera abordé du coup avec un angle un peu différent vu que le passif sera déjà un peu moins violent entre les deux. Ceci dit, il n'en restera que parce que le choc de l'annonce de la grossesse puis l'accouchement sont aussi traumatiques, pour Kyara, Amali sera morte par sa "faute". Mais là, ça relève plus de la mentalité du personnage et des trop nombreux coups moraux qu'elle a subi.

Plus sérieusement, avant de vous sortir le chap 3 de la partie III, je sortirai la version corrigée des chapitres 2 et 3. Ça ne sauvera certainement pas les meubles, mais ce serait irresponsable et déplacé de ma part de ne pas le faire. Donc considérez que l'entièreté de la P1 et P2 sont actuellement en chantier x)
Merci d'avoir soulevé le point et de me secouer un peu, j'apprécie sincèrement la démarche (et whaou ce pavé est magnifique :lol: ). Très honnêtement, tu touches très juste, je ne peux que te remercier de me l'avoir dit aussi directement.

(Là-dessus, j'ai des chapitres à revoir, tchousss !)
Hey, je reviens enfin pour te répondre !

Alors, dans l'absolu, je pense surtout que, comme tu t'es retrouvée avec 2 voies possibles pour Kyara, la romance et la vengeance, et que tu as changé de voie en cours de chemin, ça a rendu le début assez bizarre avec la suite. Parce qu'en soi je trouve pas que tu as merdé l'évolution de Kyara ! On ressent bien les différentes étapes qu'elle franchit au cours des chapitres et des événements. C'est simplement qu'effectivement comme on part sur de la romance, les premiers chapitres étaient déviés.
Ensuite, pour ce qui est du sujet du viol (ou des violences sexuelles au sens large) c'est tellement compliqué à écrire que je ne peux pas t'en vouloir d'avoir essayé. C'est déjà super courageux. Ensuite, notre discussion et les modifications que tu as apportées par la suite montrent bien à quel point tu as envie de rectifier tout ça ^^
Et je comprends mieux pourquoi on avait jamais la culpabilité d'Yngvar mise sur le devant (et que je te reprochais j'avoue). Puisque quelque part, tu avais déjà changé les événements mentalement et qu'il ne se passait donc plus les viols au début de l'histoire. Ensuite, parce que tu as rejeté la faute sur Eliane (et si Kyara était bel et bien parti sur une histoire de vengeance, je me serais quand même fait un plaisir de haïr Yngvar pour ses actes, même si sa mère lui a ordonné x) ).
Quant à la culpabilité maternelle, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup, donc avec plaisir si ça reste ! Disons que la culpabilité de Kyara pour la mort d'Amali me semblera moins violente à encaisser (pour moi) s'il n'y a pas les violences du début c'est clair !

Oui, faut que je te fasse mon retour sur le chap 3 maintenant !
Ben je suis vraiment contente et soulagée que tu aies saisi tout de suite où je voulais en venir, car c'est la 1e fois que je t'adresse un message comme ça et c'était pas drôle à faire :? Mais effectivement je regrette pas, car je pense que ça rendra Kyara encore meilleur :)
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Hiello~

Bon, je voulais du drama, me voilà servie ! :'D

Je suis impressionnée par ta capacité à écrire la résilience à travers tes personnages, parce qu'entre Lily, Eliane et Kyara, pfouah, elles ne manquent pas de trauma. J'adore les voire tomber pour mieux se relever, et tu écris ça avec tellement de finesse ! Bravo, c'est incroyable. Surtout quand on sait qu'Eliane et, part extension, Kyara (même si tu avais plus d'idées, j'imagine!), sont des "projets bac à sable". Damn.

Avec la lecture des corrections, j'ai moins de mal à apprécier Yngvar. Je suis 200% d'accord avec ce changement (et les raisons dont tu parles dans ta réponse à Co!), j'avais du mal à rattacher cette image de violeur dur et sans pitié au personnage qu'est Yngvar maintenant, j'avais l'impression de voir deux personnes totalement différentes. Et comme dit Co, c'est super courageux d'avoir voulu explorer ce sujet, donc encore bravo !

Je sentais bien qu'Amali n'allait pas vivre longtemps, mais pfouah, Kyara fait tellement mal au cœur. Elle a même pas le temps de découvrir sa fille qu'elle est déjà partie, c'est terrible. Coline a déjà bien parlé de tout l'aspect culpabilité, j'ai pas grand chose à ajouter ! Avec ce nouvel oeil sur Yngvar, c'est très touchant de les voir se rapprocher encore plus. Du coup j'ai bien envie de lire les corrections que tu vas apporter aux chaps précédents !
Et ça fait un autre point de rapprochement entre Eliane et Kyara, j'ai très hâte de lire ce que ça va pouvoir donner. c:
UMA. JE. T'AIME. SI. FORT. QUE RIEN NE T'ARRIVE, S'IL TE PLAÎT. Je vais faire un rituel pour qu'elle soit saine et sauve.

La bise!
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Re: Dynasties / Kyara III (2/3)

Message par vampiredelivres »

Hiello !
Bon du coup je rep au vrai comm sur le chapitre ^^

louji a écrit : dim. 14 nov., 2021 3:07 pm Je disais donc que la partie III est chill… :ugeek:

L'OUBLIÉE
(2/3)


Jacelynn était une vipère. :arrow: Déjà, je trouve que le prénom est un prénom de vipère :lol: Oui bon, elle est pas gâtée de base. Une vipère qui n’était guère venimeuse, aussi peu versée dans l’art du combat que Kyara, mais qui avait quelques années de pratique de plus que la princesse. En l’affrontant, Kyara avait toujours l’impression que Jacelynn cherchait à la mordre, à la blesser, à l’étouffer… bref, à la faire disparaître. Et tous les coups semblaient permis pour arriver à ce but.
Cela ne dérangeait pas l’instructeur de combat pour autant. Au contraire, il aimait la vivacité de Jacelynn, son dynamisme, ses piques moqueuses et son humour grinçant. Il semblait même s’en inspirer, parfois, pour donner à Kyara davantage d’énergie. Et Kyara avait dû abandonner l’idée de lui expliquer qu’elle ne fonctionnait pas ainsi, parce qu’il ne l’entendait jamais de cette oreille.

La princesse tendit la main vers son épée en bois, se redressa péniblement. Cela faisait une lune et demie qu’elle supportait les cours d’Arelkin, et au début, tant qu’il n’y avait eu qu’eux deux, cela s’était très bien passé. Même si elle ne faisait pas des progrès fulgurants, elle apprenait, ses gestes se précisaient, sa peur s’évanouissait. Mais, un jour, sur une idée lumineusement désespérante, le maître d’armes avait décidé qu’il fallait à Kyara quelqu’un de son niveau pour éviter qu’elle ne se sente surclassée en permanence. Et de toutes les personnes qui séjournaient à la Cour, il avait choisi la cousine d’Yngvar. Une vipère aigrie par son harpie de mère et ses harpies de tantes et sa harpie de grand-mère. :arrow: J'aime beaucoup cette dernière phrase :lol: C'est très "oral" je trouve mais j'aime bien parce que ça témoigne bien du seum intersidéral de Kyara. x)

Dans les gradins, quelques soldats crièrent et applaudirent. Les combats réguliers de Kyara et Jacelynn étaient devenus un petit spectacle privé pour la garde du palais et les hommes des Bataillons, qui venaient souvent les voir. La princesse se doutait bien que, pour eux, c’était comme voir deux chatons s’affronter en prétendant être des lions de montagne, mais elle pouvait comprendre l’attrait du spectacle de deux des plus nobles femmes de la Cour qui se jetaient l’une sur l’autre comme des sauvages. :arrow: Je serais allée voir aussi Pareil x)

Cette fois-ci, Kyara vit clairement Arelkin lever la main sur la jeune femme. Le choc, puis la douleur et les larmes dans les yeux de la cousine d’Yngvar lui parurent bien pâles. Elle savait que Jacelynn s’était emportée. Elle savait qu’elle avait subi un accès de colère, plus féroce qu’elle n’aurait jamais osé lui infliger en retour. Elle savait qu’elle n’était pas en tort elle-même.
Alors elle ferma les yeux, et ne les rouvrit que quand les soldats la sortirent de la salle en la soutenant sous les épaules pour la ramener dans sa suite. Ils l’allongèrent sur son lit, appelèrent un médecin, et Uma et trois autres hommes restèrent à son côté tandis que la femme l’auscultait. Des hématomes commençaient déjà à fleurir sur ses bras, ses épaules et sa poitrine, mais le plus douloureux restait les contractions, qui durant le trajet jusqu’à la chambre s’étaient faites plus fréquentes. :arrow: Ouuuh smells like

utérus occupé

veuillez repasser dans 9 mois
Alors oui mais on n'aura pas trop l'occasion de repasser dans 9 mois parce qu'on est déjà en plein milieu… x)

Dans les brumes du choc qu’elle subissait encore, Kyara vit le froncement sourcils soucieux de la soigneuse, puis sa surprise alors qu’elle palpait doucement son ventre.
— Appelez l’Impératrice, souffla-t-elle d’une voix blanche.
L’un des soldats détala sans poser de questions, pressé par l’urgence dans le ton de la femme. Celle-ci prit doucement la main de Kyara, lui fit respirer des sels pour la ramener à la réalité, et Kyara battit des paupières, l’esprit éclairci.
— Avelke Sen, je vais essayer d’être aussi factuelle que possible en annonçant ceci.
Une contraction, plus forte que les précédentes, fit gémir la princesse, mais elle riva son regard dans les yeux verts :arrow: pourquoi je vois un écho à LCDS Ah tiens, j'avais pas remarqué mais oui :D de la femme.

— On a tendance à associer cette condition à des grossesses résultat d’évènements…
Le médecin chercha ses mots, mais ne parut pas trouver mieux que ce qu’elle avait.
— … traumatiques, on va dire, et le corps de la mère l’oblige à rester caché. Il peut arriver que les saignements lunaires continuent, que le ventre ne grandisse que très peu, que la mère ne se rende pas compte qu’elle est enceinte. En général, elle le réalise vers la sixième ou septième lune de grossesse, mais dans ton cas, Avelke Sen, je crois que tu n’étais plus qu’à quelques décades du terme. Et je crains que le choc n’ait précipité l’accouchement.
:arrow: AH OUAIS PAR CONTRE JE PENSAIS PAS QU'ON EN ETAIT LA.
OSKUR
ALED
PAUVRE KYARA


Nan mais vraiment Lokinette je sais même plus quoi dire :lol:

Entre les fausses couches et les grossesses terribles d'Eliane, voilà le bon gros déni de grossesse
Décidément, la grossesse et la naissance dans tes histoires, c'est savage :cry:

C'est… compliqué chez moi, oui. (Pourtant promis je compense aucun drama personnel ! :lol: ) Des trois, Cassandra est probablement la seule à avoir une grossesse normale dans Dynasties, en vrai. x)


— C’est une petite fille, murmura la soigneuse, l’air soulagé.
— Comment veux-tu l’appeler ? demanda Uma.
Kyara fronça les sourcils. À Helvethras, on ne nommait pas les enfants la première décade, car le risque qu’ils décèdent était trop important. Et cela lui paraissait d’autant plus logique dans le cas de sa fille puisqu’elle n’avait pas grandi correctement, logée à la verticale entre les côtes de sa mère au lieu d’être à l’horizontale dans son ventre. Pourtant, l’Impératrice lui adressa un petit hochement de tête encourageant.
— Et Yngvar ? Est-ce qu’il ne devrait pas…
— Yngvar ne rentrera pas avant au moins quatre jours.
:arrow: Je sais pas si c'est pire qu'Yngvar ait pas été là ou pas. En soi, selon la temporalité et les dires du médecin, c'est au moment où il la violait non ? Franchement, pas sûre qu'elle veule le père de son enfant (non prévue à l'instant T puisque déni, issue d'un viol) à ses côtés à ce moment-là, où t'es en vulnérabilité et faiblesse extrêmes.
D'ailleurs, je me suis posé la question à ce propos y'a pa longtemps. Puisque Kyara et Yngvar étaient destinés à être mariés, pourquoi il lui a imposé des rapports sexuels avant qu'ils arrivent à Avalaën ? Est-ce que la nécessité d'un héritier était si urgente ? Autrement je vois pas de raison particulière et c'est ce qui fait que j'ai toujours ce morceau de haine contre lui, quoi qu'il se soit passé après x')

Bon du coup la réponse est venue avec les corrections, je skip ^^

— Tiens bon ma chérie… tiens bon.
Des mots qui sonnaient davantage comme une supplique que comme un encouragement.
:arrow: Arf, c'est clair que sans la médecine d'aujourd'hui... :vv Puis développée de façon pas "normale" elle est peut-être moins robuste qu'un bébé développé "normalement" :'c C'était vachement plus compliqué qu'à l'époque oui, surtout que d'une le déni de grossesse, et de deux le fait qu'elle est quand même née un peu prématurée.

Assommée par l’épuisement, Kyara entendit les mots juste avant de replonger dans le sommeil. Cette fois-ci, elle dormit comme une souche, et non par intermittence, transpirante de fièvre, comme elle l’avait fait jusque-là, mais elle rêva. Dans ses rêves chaotiques, sa fille, lovée dans les bras d’Yngvar, hurlait en tendant ses petites mains vers elle, mais elle la repoussait, s’en détournait, la chassait. Et les paroles du médecin résonnaient jusque dans ses os par-dessus les hurlements d’Amali.
— L’enfant ne se développe pas correctement. Le corps de la mère l’oblige à rester caché.
Elle l’avait repoussée. Elle l’avait rejetée. :arrow: omg, je veux pas qu'elle se sente coupable, mais en même temps c'est normal qu'elle ressente ça :cry: Bichette, et y'a personne pour lui dire que c'est pas de sa faute.

Elle aurait voulu hurler, mais elle ne parvint qu’à subir quand on lui enleva des bras le petit corps froid et raide.
Amali était morte.
J’ai refusé son existence, songea-t-elle, sous le choc.
Je me suis convaincue que je ne voulais pas qu’elle existe.
J’ai tant nié son existence que j’ai fini par l’empêcher de grandir.
Elle est morte par ma faute.

:arrow: MAIS KYARA NON BICHETTE. MAIS OH BORDEL

JARRIVE EN DM SARAH

Kolïn-agro-pas-contente :lol:


Elle émergea d’un sommeil lourd et trouble aux allures de cauchemar, les joues tirées et asséchées. Elle était seule dans la pièce, même si Yngvar était resté auprès d’elle toute la nuit. Il l’avait consolée, bercée, rassurée, comme si c’était elle l’enfant :arrow: Peut-être parce que t'es encore une enfant quelque part Kyara ? T'as même pas 20 ans non ? x) Oui, c'est encore une gamine. Il n’avait pas beaucoup parlé, mais les rares mots qu’il avait prononcés s’étaient ancrés en elle. Car il s’était excusé. Il avait dit que c’était de sa faute, à lui. Qu’elle avait le droit de souffrir, qu’elle avait raison de souffrir, mais qu’il était bien davantage responsable de cette mort qu’elle. Elle n’était pas certaine d’avoir compris pourquoi, mais les mots lui avaient fait du bien malgré tout. Alors, elle avait continué à pleurer, lovée contre lui, jusqu’à sombrer dans un rêve brumeux et éreintant.

Sans se redresser, mais haussant le ton pour avoir une voix un peu plus ferme, elle dit :
— Je voudrais devenir la femme qui pourra te seconder, la véritable héritière des trônes unis d’Uvrastryn :arrow: Oh c'est le nom du continent ? C'est joli ! Yea. Contente que ça te plaise ! :D . Une épouse digne de siéger à tes côtés. Accepterais-tu de m’apprendre ? M’enseignerais-tu les jeux de pouvoir de la Cour ?

Les femmes, qui jusque-là ne l’avaient guère vues aux soirées en petit comité, parurent surprises de son changement. Bien sûr, aucune d’entre elles n’osa ne serait-ce que murmurer le mot « bébé » autour d’elle, mais elle sut rien qu’en les observant que, d’une manière ou d’une autre, la rumeur s’était propagée. Et ses apparitions de plus en plus fréquentes au bras de son époux, ainsi que la facilité avec laquelle elle parvenait à sourire, soulevaient des milliers de questions muettes auxquelles elle ne répondrait jamais.
Car la vérité était qu’elle en souffrait toujours. :arrow: Ah bah ça va pas partir en une prise de décision et un nouveau départ malheureusement... Déjà quand je vois le temps qu'il me faut pour dépasser une déception amoureuse, alors la perte d'un enfant… :roll: Le souvenir d’Amali restait brûlant et vif dans son esprit, et parfois, juste en serrant les doigts, elle pouvait toujours sentir la petite menotte potelée dans sa paume. Les images rémanentes, quoique troublées par la fièvre, la hantaient toujours dans ses rêves, lui laissaient à son réveil la sensation de suffoquer de larmes alors que ses joues étaient sèches.
Yngvar était souvent là à ses côtés quand elle se réveillait ainsi, et s’il n’était pas là, elle allait le retrouver dans le petit bureau. Mais vint le moment où il dut repartir, reprendre l’affaire qu’il avait abandonnée pour l’accouchement, et elle se retrouva à nouveau seule. Alors elle se laissa emporter dans le tourbillon des longues robes fluides, des danses de salon et des parties de cartes, jusqu’à rentrer si tard le soir qu’elle se laissait tomber habillée sur son lit, et écoutait ses mégères de femmes de chambres pester le lendemain matin quand elles devaient s’occuper des caftans froissés. Elle sortit du palais de plus en plus souvent, toujours encadrée par ses gardes, s’aventura en ville, découvrit les petits marchés et les expressions radieuses des passants quand ils l’apercevaient en plein milieu de la rue, les spectacles de marionnettes et la joie des enfants quand elle rapportait des pâtisseries depuis les cuisines du palais. Elle prit le temps d’apprendre à revivre, pas à pas, instant par instant.
Et enfin, quand elle réalisa qu’elle n’essayait plus d’occuper son esprit pour oublier la blessure, quand le souvenir du poids de l’infante :arrow: infante ? Oui ça se dit, c'est un terme ancien, dérivé du latin, pour dire enfant (au féminin ici du coup) ^^ dans ses bras ne revint plus hanter ses nuits, elle franchit la porte du bureau de l’Impératrice et annonça :
— Je veux apprendre.

◊~◊~◊
louji a écrit : sam. 20 nov., 2021 9:18 am
vampiredelivres a écrit : dim. 14 nov., 2021 4:19 pm Alors, je vais répondre en premier au pavé parce que d'une part c'est ce qui est le plus important, et d'autre part j'ai envie d'en parler tout de suite. ^^

Tu sais que je suis une jardinière dans l'âme, que je pars avec zéro plan et avec seulement des vagues idées de suite pour la construction de l'intrigue. Pour Kyara notamment, c'est parti en roue libre parce que j'ai commencé à poster après une soirée débile avec vous et que j'ai fait une ligne droite. Et si, d'habitude, je gère à peu près bien mes évolutions de personnages (je pense, mais corrige-moi si je me trompe), sur celle-ci, j'ai clairement merdé. J'ai surestimé ma capacité à traiter ce genre de sujet.
En fait, à l'origine, je ne savais pas si l'histoire de Kyara allait partir sur une romance ou une vengeance, ou un peu des deux. Le personnage de Kyara s'affinant au fur et à mesure, c'était mal fichu pour être une vengeance, et ça a dévié sur la romance, mais les prémices sont pourris jusqu'à la moelle. Et tu fais très bien de soulever ce point, surtout avec ce chapitre, parce que tu as totalement raison. J'avais déjà considéré de réécrire les premiers chapitres pour justement dégager les viols et les abus sexuels manifestes qui sont à la fois inutiles et très discutables, puis j'ai décidé de le faire dans la correction, mais c'est effectivement trop tard pour faire passer la pilule pour vous, surtout avec ce chapitre.
Je suis totalement consciente de ma connerie, et elle n'a aucune excuse pour le coup. (Et c'est marrant parce que je faisais un reproche très semblable à une série, récemment, quoique sur un autre sujet, donc j'apprécie de me faire renvoyer mon argumentaire en pleine face.) Le décalage de quelques mois suffit, comme tu dis, pour au moins changer la perspective du lecteur sur Yngvar. D'autant que, en rétrospective, ce n'est pas dans le caractère d'Yngvar, même si Eliane pourrait l'exiger de lui. D'ailleurs le fond de la backstory c'était que c'était effectivement Eliane qui l'exigeait, c'est pour ça que je déculpabilise beaucoup Yngvar, totalement à tort.
La thématique de la culpabilité maternelle restera, parce que c'est effectivement quelque chose que je veux toucher et explorer, et qu'on n'en parle pas assez, mais ce sera abordé du coup avec un angle un peu différent vu que le passif sera déjà un peu moins violent entre les deux. Ceci dit, il n'en restera que parce que le choc de l'annonce de la grossesse puis l'accouchement sont aussi traumatiques, pour Kyara, Amali sera morte par sa "faute". Mais là, ça relève plus de la mentalité du personnage et des trop nombreux coups moraux qu'elle a subi.

Plus sérieusement, avant de vous sortir le chap 3 de la partie III, je sortirai la version corrigée des chapitres 2 et 3. Ça ne sauvera certainement pas les meubles, mais ce serait irresponsable et déplacé de ma part de ne pas le faire. Donc considérez que l'entièreté de la P1 et P2 sont actuellement en chantier x)
Merci d'avoir soulevé le point et de me secouer un peu, j'apprécie sincèrement la démarche (et whaou ce pavé est magnifique :lol: ). Très honnêtement, tu touches très juste, je ne peux que te remercier de me l'avoir dit aussi directement.

(Là-dessus, j'ai des chapitres à revoir, tchousss !)
Hey, je reviens enfin pour te répondre !

Alors, dans l'absolu, je pense surtout que, comme tu t'es retrouvée avec 2 voies possibles pour Kyara, la romance et la vengeance, et que tu as changé de voie en cours de chemin, ça a rendu le début assez bizarre avec la suite. Parce qu'en soi je trouve pas que tu as merdé l'évolution de Kyara ! On ressent bien les différentes étapes qu'elle franchit au cours des chapitres et des événements. C'est simplement qu'effectivement comme on part sur de la romance, les premiers chapitres étaient déviés.
Ensuite, pour ce qui est du sujet du viol (ou des violences sexuelles au sens large) c'est tellement compliqué à écrire que je ne peux pas t'en vouloir d'avoir essayé. C'est déjà super courageux. Ensuite, notre discussion et les modifications que tu as apportées par la suite montrent bien à quel point tu as envie de rectifier tout ça ^^
Et je comprends mieux pourquoi on avait jamais la culpabilité d'Yngvar mise sur le devant (et que je te reprochais j'avoue). Puisque quelque part, tu avais déjà changé les événements mentalement et qu'il ne se passait donc plus les viols au début de l'histoire. Ensuite, parce que tu as rejeté la faute sur Eliane (et si Kyara était bel et bien parti sur une histoire de vengeance, je me serais quand même fait un plaisir de haïr Yngvar pour ses actes, même si sa mère lui a ordonné x) ).
Quant à la culpabilité maternelle, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup, donc avec plaisir si ça reste ! Disons que la culpabilité de Kyara pour la mort d'Amali me semblera moins violente à encaisser (pour moi) s'il n'y a pas les violences du début c'est clair !

Oui, faut que je te fasse mon retour sur le chap 3 maintenant !
Ben je suis vraiment contente et soulagée que tu aies saisi tout de suite où je voulais en venir, car c'est la 1e fois que je t'adresse un message comme ça et c'était pas drôle à faire :? Mais effectivement je regrette pas, car je pense que ça rendra Kyara encore meilleur :)
Oui, clairement, ça a un peu cassé l'ambiance. L'évolution de Kyara est globalement en accord avec ce qu'il y avait dans ma tête, mais pas avec ce qu'il y avait sur le papier x)
L'histoire de vengeance pourra peut-être arriver plutôt vers Xer-Sarak, je me tâte encore mais on verra bien. Par contre, on va anticiper cette fois-ci :lol: Mais si je pars là-dessus, autant avertir tout de suite, tu vas plutôt devoir haïr une femme parce que tu sais bien que j'adore inverser les stéréotypes et casser les lignes droites. :mrgreen:
Ce sera déjà biens moins violent, oui, mais du coup je suis en train de considérer une scène intéressante pour le prochain chap… :ugeek: Avoir quelqu'un de… hum… "qualifié"… pour en parler à Kyara :lol: (ce qui ne sera pas dénué d'ironie :roll: ). Bon je me tais !

TcmA a écrit : dim. 21 nov., 2021 6:24 pm Hiello~

Bon, je voulais du drama, me voilà servie ! :'D

Je suis impressionnée par ta capacité à écrire la résilience à travers tes personnages, parce qu'entre Lily, Eliane et Kyara, pfouah, elles ne manquent pas de trauma. J'adore les voire tomber pour mieux se relever, et tu écris ça avec tellement de finesse ! Bravo, c'est incroyable. Surtout quand on sait qu'Eliane et, part extension, Kyara (même si tu avais plus d'idées, j'imagine!), sont des "projets bac à sable". Damn.

Avec la lecture des corrections, j'ai moins de mal à apprécier Yngvar. Je suis 200% d'accord avec ce changement (et les raisons dont tu parles dans ta réponse à Co!), j'avais du mal à rattacher cette image de violeur dur et sans pitié au personnage qu'est Yngvar maintenant, j'avais l'impression de voir deux personnes totalement différentes. Et comme dit Co, c'est super courageux d'avoir voulu explorer ce sujet, donc encore bravo !

Je sentais bien qu'Amali n'allait pas vivre longtemps, mais pfouah, Kyara fait tellement mal au cœur. Elle a même pas le temps de découvrir sa fille qu'elle est déjà partie, c'est terrible. Coline a déjà bien parlé de tout l'aspect culpabilité, j'ai pas grand chose à ajouter ! Avec ce nouvel oeil sur Yngvar, c'est très touchant de les voir se rapprocher encore plus. Du coup j'ai bien envie de lire les corrections que tu vas apporter aux chaps précédents !
Et ça fait un autre point de rapprochement entre Eliane et Kyara, j'ai très hâte de lire ce que ça va pouvoir donner. c:
UMA. JE. T'AIME. SI. FORT. QUE RIEN NE T'ARRIVE, S'IL TE PLAÎT. Je vais faire un rituel pour qu'elle soit saine et sauve.

La bise!
Hiello !

Tte façon tu veux du drama t'en auras dans Kyara (ça va devenir une catchphrase ça :lol: ).

Tu sais que j'aime bien les personnages qui se font casser les dents de multiples fois jusqu'à toujours trouver un moyen de se relever. Et puis je l'ai déjà dit, mais Kyara en particulier, qui part vraiment de très loin par rapport à Lily et Eliane, a vraiment une progression que j'adore ^^

C'est sûr qu'il clashe un peu avec le connard qu'il aurait pu être s'il été resté à la version d'origine.

Aya, tu me connais, j'aime bien maltraiter mes persos en me raccrochant à tout ce que je peux avoir x) Là j'ai vraiment mis un sale coup à Kyara, je le reconnais, mais honnêtement, je ne sais pas du tout comment elle évoluerait si Amali avait survécu… (Oui je me réfugie derrière mon traditionnel "c'était nécessaire à l'évolution du personnage". Chut. :mrgreen: )
Uma choupette ♥ C'est quoi comme rituel ? Je peux participer ? *-*

La bise !
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Re: Dynasties / Kyara III (2/3)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : lun. 22 nov., 2021 11:08 am

Oui, clairement, ça a un peu cassé l'ambiance. L'évolution de Kyara est globalement en accord avec ce qu'il y avait dans ma tête, mais pas avec ce qu'il y avait sur le papier x)
L'histoire de vengeance pourra peut-être arriver plutôt vers Xer-Sarak, je me tâte encore mais on verra bien. Par contre, on va anticiper cette fois-ci :lol: Mais si je pars là-dessus, autant avertir tout de suite, tu vas plutôt devoir haïr une femme parce que tu sais bien que j'adore inverser les stéréotypes et casser les lignes droites. :mrgreen:
Ce sera déjà biens moins violent, oui, mais du coup je suis en train de considérer une scène intéressante pour le prochain chap… :ugeek: Avoir quelqu'un de… hum… "qualifié"… pour en parler à Kyara :lol: (ce qui ne sera pas dénué d'ironie :roll: ). Bon je me tais !
Franchement, quoi que tu nous prépares avec Xer-Sarak, je sens qu'on va s'amuser 8-)
Oh t'inquiète, homme/femme, jeune/vieux je m'en fous, si j'ai des raisons de haïr, je me ferai plaisir :lol:
Aled, me dis pas que c'est Eliane qui va entrer en scène sur ce sujet ? :roll:
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Dynasties / Kyara III (3/3)

Message par vampiredelivres »

L'OUBLIÉE
(3/3)


Kyara avait fini par apprécier les longues et éreintantes soirées du palais d’ambre. Quelques lunes auparavant, elle s’y était simplement laissée porter, désireuse d’oublier le vide qui s’était creusé dans sa poitrine à la mort de sa fille, et elle avait réussi. Nuit après nuit, poussant ses retranchements toujours plus loin, elle avait veillé, avait ri, dansé et parlé, raconté son enfance et les histoires d’Helvethras que presque personne à Avalaën ne connaissait, jusqu’à ce que la souffrance se réduise à une peine diffuse, à peine perceptible. Elle s’était fait des amies – ou du moins quelque chose qui s’en rapprochait – elle avait rencontré leurs enfants et leurs époux, elle s’était progressivement creusé une petite place à la Cour.
Et puis, quand l’excitation et la folie des premiers soirs était enfin retombée, elle avait commencé ses leçons avec l’Impératrice. Ces soirées mondaines s’étaient alors transformées en leçons de vicieuse politique et d’âpres négociations, mais étrangement, elle avait découvert qu’elle y prenait tout autant de plaisir, ravie d’apprendre à lire derrière les expressions et les regards les véritables motifs d’une personne. C’était devenu un exercice rituel, comme un petit jeu entre la souveraine et elle.
— L’homme au fond, avec les épaulettes d’argent et le monocle.
Ce soir-là, aussi important le dîner puisse-t-il être, ne faisait pas exception à la règle. Kyara plissa les yeux pour repérer l’homme que son Impératrice lui désignait, puis fronça le nez. Évidemment, elle ne le connaissait pas, or c’était la première règle du jeu. Connais tout le monde, au moins par ses origines si ce n’est par son nom. Bien sûr que la souveraine choisirait l’une des seules personnes de la soirée que Kyara n’avait pas encore intégré à sa liste de visages.
Au lieu de se précipiter, néanmoins, elle prit son temps. Elle détailla ses habits, le suivit du regard alors qu’il s’approchait du trône, sourit quand il se fit intercepter par une femme rondelette, un peu trop serrée dans sa robe étroite, au sourire jovial et au regard un peu trouble. Elle, la princesse sut la nommer immédiatement. Elle avait découvert, au cours de ce petits entraînements aux allures de défis, qu’elle avait une excellente mémoire des visages, et que les associer à un nom et à une courte description n’était guère plus compliqué ensuite. Cette femme, par exemple, se nommait Dame Carena. Elle possédait un joli petit manoir cossu dans la péninsule de Carvael, et surtout, elle recherchait activement un parti seyant pour sa jeune fille. Cet homme, donc, au vu de la manière dont elle l’abordait, entrait dans les critères : il était plutôt jeune, apparemment assez riche, et… étranger. Kyara le comprit après un long moment de réflexion, quand elle nota enfin le minuscule carnet de cuir dans sa poche auquel il se référait constamment.
— Il vient de Xer-Sarak, sourit-elle.
— Pourquoi cela ? la poussa l’Impératrice, curieuse mais satisfaite.
— Il ne porte ni chevalière ni écusson, ni insignes sur ses épaulettes. Il a un petit carnet de cuir dans lequel il consulte son vocabulaire.
— Bien. Et qui est-ce exactement ?
Songeuse, Kyara se mordilla discrètement l’intérieur des joues, coula un regard suppliant à Yngvar, qui se contenta de lui sourire. Elle soupira, poussa son raisonnement. Xer-Sarak était un royaume très éloigné, de l’autre côté de l’océan occidental, raison pour laquelle Helvethras n’avait quasiment aucun contact avec lui. Il fallait déjà contourner la totalité du continent d’Uvrastryn, ce qui n’était pas une chose aisée puisqu’Avalaën avait toujours eu une meilleure flotte qu’Helvethras. Ensuite, il fallait naviguer durant près de deux lunes dans des eaux troubles et agitées tout en évitant serpents de mer, maelströms et tempêtes. Et enfin, il fallait réussir à accoster le long des falaises escarpées de l’est du continent d’Arshavik, ou alors choisir de tenter d’entrer dans les baies enclavées aux entrées étroites, au risque de se heurter aux hauts-fonds et de faire naufrage. Parmi tous les navires qui partaient à Xer-Sarak depuis les ports d’Eau, un sur six en moyenne revenait, souvent en piteux état.
Les Avaloniens en revanche maîtrisaient le voyage en haute mer. Ils faisaient le choix de passer davantage par le sud et d’accoster Xer-Sarak sur ses plages sablonneuses, même si cela leur prenait une lune et demie de plus. Ils envoyaient souvent des groupes de navires nombreux qui partaient en début de printemps, et revenaient en fin d’été avec des chargements massifs de cacao, de sucre et de coton dont ils faisaient ensuite commerce avec le royaume voisin. Enfin, c’était ainsi à l’époque où Kyara n’était encore qu’une gamine innocente, parce que depuis la conquête d’Helvethras, le commerce devait avoir bien évolué.
Cet homme, qui venait donc de Xer-Sarak, avait effectué un très long voyage. Au vu de sa manière de se tenir et de converser, malgré ses difficultés avec la rudesse de l’avalarë, il n’était pas qu’un simple marchand. Mais Kyara n’avait plus suffisamment de souvenirs de ses cours d’histoire et de politique pour se rappeler quel était le système hiérarchique de ce royaume lointain. Elle passa une main dans ses cheveux frisés, caressa du pouce la boucle d’oreille ornée d’un rubis, offerte par sa belle-mère quelques jours plus tôt, soupira.
— Aucune idée, admit-elle enfin, s’avouant vaincue.
— Il se nomme Saam-Nil-Serak, de la lignée Sera donc, souffla Yngvar en se penchant vers elle. Au-delà du fait que c’est un négociant redoutable, c’est aussi le petit-cousin du Roi Zer-Xin-Narek et le frère de…
— Aïe. Du calme. Doucement.
La tête déjà bourdonnante, elle poussa un long soupir.
— Et donc, il est là pour… négocier ? Faire du commerce ? Chercher des opportunités ?
— Opportunités, oui, sourit l’Impératrice, mais…
Elle coula un long regard à Dame Carena, qui venait de tendre la main vers sa fille, Irena. Celle-ci s’approcha timidement, et osa un sourire gêné derrière la rougeur de ses joues.
— Il voudrait épouser une femme d’ici ! comprit Kyara brusquement. Mais… pourquoi ?
— Son frère, fit Yngvar en appuyant le mot pour bien lui faire comprendre qu’elle aurait pu l’écouter jusqu’au bout, est une sorte de… collectionneur. Il aime les choses rares, précieuses. Une fille de noble naissance d’un continent étranger est certainement quelque chose de rare et précieux, non ?
— D’accord, j’ai compris… grommela Kyara, boudeuse.
Elle s’enfonça dans son siège après l’avoir gratifié d’un regard exaspéré, mais pourtant amusé. Lui au contraire se redressa, repoussa sa chaise et annonça :
— Je vais aller lui parler également. Évitons que Dame Carena ne s’engage dans quelque chose qui ne nous serait pas profitable, ajouta-t-il à l’intention de sa mère.
— Va donc sauver les Demoiselles en détresse, plutôt, soupira la princesse en désignant du menton Irena, qui commençait clairement à être dépassée par les ambitions conjuguées de sa mère et de l’étranger.
La pique tira un rire à Yngvar, et même un bref sourire à l’Impératrice, il pivota.
— Yngvar ?
Il se tourna à nouveau vers son épouse, se pencha. Elle passa une main derrière sa nuque, l’attira encore davantage vers elle, effleura ses lèvres d’un baiser papillon avant de le laisser partir. Il s’attarda encore un peu, ses phalanges glissant lentement le long de la joue de la jeune femme, avant de sourire et de s’en aller pour de bon. Kyara retomba dans son siège avec un sourire fugace, se mordilla les lèvres.
Elle avait découvert qu’elle aimait le goût qu’il laissait sur sa peau. Au début, cela avait été aussi perturbant que dérangeant, surtout quand elle l’avait embrassé pour la première fois. C’était arrivé une quinzaine de jours après la mort d’Amali, le jour précédant de son départ. Ils étaient allés se promener dans les jardins impériaux, tous deux emmitouflés dans d’épais tissus pour se protéger du froid automnal. Elle aurait même voulu le faire la veille, elle y avait songé, mais la veille, Uma faisait partie de l’escouade de gardes qui les accompagnait, et Kyara avait refusé de lui infliger cela. Uma aurait bien par le savoir, c’était certain, mais elle avait préféré ne pas la mettre devant le fait accompli tout de suite, d’autant qu’elle n’était pas encore elle-même sûre de ses propres émotions.
Alors elle l’avait embrassé le lendemain, sous les branches nues d’un saule qui s’était déjà effeuillé depuis longtemps, curieuse et effrayée de voir comment il réagirait. Jusque là, même dans leurs contacts les plus intimes, jamais il n’avait touché son visage. Il s’était contenté de baisers policés, presque fraternels, sur son front lorsqu’ils étaient en public, il n’avait effleuré ses joues qu’à quelques rares reprises. Au moment où elle avait choisi de franchir le pas, elle avait ressenti un besoin profond, viscéral, de combler la sensation de manque dans sa poitrine. Elle n’aurait su dire, à l’époque, si cette sensation venait de l’absence de sa fille, ou de la douloureuse charge de l’abandon qu’elle portait comme un fardeau depuis la défaite de Ciel, mais un peu de ce vide s’était estompé à son contact.
Il ne l’avait ni repoussée, ni brusquée. Surpris, il l’avait d’abord laissée expérimenter ses propres limites, avant de se détacher et de lui sourire. Elle-même déroutée, elle s’était détournée rapidement, le feu aux joues, le cœur battant. Elle s’était un instant détestée d’avoir apprécié la sensation, puis elle avait repoussé la pensée parasite et lui avait pris la main pour l’entraîner plus loin, étonnée d’avoir soudain l’impression de découvrir dans les décombres d’elle-même une flamme qu’elle avait cru éteinte depuis longtemps.
Avelke ?
— Oui, Aveltia ?
L’Impératrice esquissa un signe de la main destiné aux soldats les plus proches, qui s’écartèrent de quelques pas sans un mot, prit quelques secondes pour réfléchir, comme si elle songeait à aborder un sujet délicat. Kyara commençait à la connaître suffisamment pour deviner qu’elle cherchait une formulation qui lui convenait. Et elle savait, à la manière dont elle venait d’ordonner aux soldats de s’éloigner pour leur laisser de l’intimité, que ce ne serait pas un sujet plaisant.
— Je pensais que le décès d’Amali vous fracturerait définitivement, finit-elle par exprimer, et la princesse se sentit comme toujours soufflée par le froid tranchant des mots soigneusement choisis. Mais il s’avère que tu as su surmonter cette épreuve par toi-même. Alors laisse-moi t’offrir à mon tour une leçon que j’ai eue du mal à apprendre également. Ce n’est pas de ta faute.
Trop médusée pour songer à l’interrompre, Kyara se contenta de battre des paupières, emplie d’incompréhension.
— Je sais ce que c’est de perdre un enfant en si bas âge. Je connais ta douleur, et la culpabilité qui en résulte. J’en suis même partiellement responsable, dans ton cas, admit-elle avec un demi-sourire dénué de tout remords.
Les échos lointains de cris de douleur résonnèrent dans les oreilles de Kyara, elle secoua légèrement la tête pour les chasser. C’était l’une des rares choses qu’elle ne parvenait pas à oublier, d’autant plus que l’Impératrice ne semblait absolument pas se sentir coupable à ce sujet, et c’était certainement la seule chose qui l’empêchait réellement d’apprécier la souveraine. C’était comme un arrière-goût de vin amer qui ne disparaissait jamais tout à fait, au combien elle veuille parfois l’ignorer. Et elle savait que l’Impératrice en était elle aussi consciente, mais qu’elle ne s’en préoccupait pas. Son impitoyable froideur ne pouvait être altérée par la considération de quelques vies qui avaient été perdues au profit de cette totale victoire.
— Que veux-tu me dire, Aveltia ?
— Que je sais que tu continueras à t’en vouloir, malgré tout ce que je pourrais faire pour essayer de te faire comprendre que ce n’est pas de ta faute. Mais qu’il ne faudrait pas que cela agisse à retardement et détruise ce qu’Yngvar et toi avez réussi à construire. Tu m’as prouvé que tu es assez forte pour dépasser cette épreuve, quoi que tu puisses en penser. À toi maintenant de préserver ce que tu as commencé à bâtir.
Sous le choc d’avoir une telle discussion en public, la princesse ne parvint pas à répondre, et l’Impératrice ne poussa pas le sujet plus loin, ayant dit ce qu’elle voulait dire. Elles retombèrent chacune dans la contemplation silencieuse de la salle bondée, et le regard de Kyara se dirigea naturellement vers Yngvar, qui venait de parvenir aux côtés d’Irena. En voyant son Prince arriver, cette dernière rougit, recula d’un pas, et bientôt, elle tirait sa mère loin du dignitaire étranger, ravie qu’il ait été accaparé par quelqu’un d’autre. Kyara se souvenait d’Irena comme d’une jeune femme à peine plus vieille qu’elle, douce et polie, un peu réservée peut-être. L’une de ces nombreuses femmes qui rêvaient du trône comme d’un idéal impossible à atteindre, qui ne réalisaient certainement pas la pression constante de la tiare de princesse, sans même parler de celle d’Impératrice.
— Pour revenir sur un autre sujet…
Elle pivota vers sa souveraine, qui ne la regardait pas, même si elle lui avait adressé la parole.
— À ton avis, quelles sont les motivations de Jacelynn ?
En suivant le regard azurin glacé, Kyara repéra sa cousine par alliance, debout dans un coin de la pièce, clairement ostracisée par le reste de la Cour. Après leur dernier affrontement, elle avait été temporairement chassée du palais, jusqu’à y être réinvitée quelques jours seulement avant la plus importante fête de la saison. Elle avait passé ces quelques quatre lunes et demie dans le petit palais de sa grand-mère Elara, au sud du duché de Boval, dans une région aussi isolée qu’inhospitalière. Elle y avait rongé son frein et sa rage d’avoir été expulsée de la Cour malgré toutes ses plaintes et ses protestations, mais même avec l’intervention de sa mère et de sa grand-mère, rien n’avait convaincu la famille impériale de la réintégrer. Encore aujourd’hui, elle était conviée à la soirée seulement parce qu’il s’agissait d’un évènement trop important, et tous lui faisaient savoir qu’elle n’était guère la bienvenue.
En la voyant là, esseulée et malheureuse, même si elle essayait de faire bonne figure, Kyara ressentit une pointe de pitié à son égard.
— Elle ne veut pas le trône, affirma-t-elle sans trop savoir d’où lui venait cette certitude.
— Exact. Sais-tu pourquoi ?
Kyara secoua la tête, et l’Impératrice sourit en répondant :
— Elle est terrorisée par les responsabilités. Elle voudrait seulement profiter des privilèges, mais Yngvar lui a rapidement fait comprendre que les deux vont de pair.
— Quand ça ?
— Quand ils étaient jeunes, durant les entraînements.
La période de formation des Bataillons Sanglants, comprit l’héritière après un moment de réflexion. Ce qui expliquait que la jeune femme sache se battre, mais pas assez certainement pour avoir intégré les hauts rangs de l’armée. Uma lui avait raconté que, nobles ou pauvres, les enfants de l’âge d’Yngvar avaient tous reçu un entraînement militaire dans leur jeunesse, mais que seuls les meilleurs avaient ensuite été recrutés pour les Bataillons.
— Alors pourquoi se place-t-elle toujours autant en avant ?
— Elara.
— Ah. Mais ne serait-il pas possible de… la soustraire à son influence ? De lui trouver un rôle qui lui convient mieux ?
— Pour l’instant, elle refuse de quitter le cocon. Et elle a trop de peur et de haine envers nous pour nous écouter. Mais peut-être qu’avec toi…
— Ça ne changerait rien, non ?
— Peut-être que si. Après tout, tu ne fais pas partie de la famille depuis bien longtemps… tu peux peut-être la comprendre mieux que nous. Et depuis qu’elle a été chassée, elle est plus fragile qu’elle ne l’était auparavant.
Ce n’était pas un ordre, seulement une suggestion, mais Kyara discerna malgré tout les mots qui étaient cachés derrière le silence. Elle acquiesça, se redressa, adressa une révérence polie à sa belle-mère, qui lui rendit l’un de ses rares et fugaces sourires. Cela faisait quatre lunes qu’elle évoluait à ses côtés, et elle avait appris à apprécier ces éphémères moments d’humanité derrière la façade de glace. Tout comme Yngvar, l’Impératrice n’était pas inaccessible, simplement solidement barricadée derrière une muraille dont elle n’abaissait que rarement le pont-levis. Elle choisissait soigneusement les personnes auxquelles elle accordait sa confiance, et traitait tous les autres avec une impartialité impitoyable.
Désormais, Kyara bénéficiait occasionnellement de ces petites marques de chaleur et d’affection. C’était peu, elle en était consciente, mais cela lui suffisait. Elle savait que, si elle en obtenait, elle avait progressé, ou alors elle évoluait dans la bonne direction. C’était rassurant, et elle trouvait parfois que, si sa véritable mère, aussi physiquement présente que moralement absente, avait pris la peine de la gratifier une fois de temps en temps de ce genre d’encouragement, elle aurait peut-être été une personne totalement différente. Mais après tout, qui pourrait dire, aujourd’hui ?
Elle secoua la tête, songeuse, et s’engagea à son tour dans l’assemblée, traçant un chemin aussi direct que possible vers le coin où elle avait vu Jacelynn pour la dernière fois. Elle fut interpellée, interrogée et interrompue dans sa traversée plus d’une fois, mais elle évita la plupart des discussions avec une élégance acquise au cours des lunes passées, copiée sur l’Impératrice.
En parvenant enfin à la petite table où Jacelynn avait été isolée avant, elle constata que celle-ci n’y était plus. Elle releva la tête vers l’estrade centrale, interrogea sa souveraine du regard, avant de se diriger vers la double porte qui lui avait été désignée. Les gardes lui ouvrirent en grand, trois d’entre eux s’engagèrent immédiatement à sa suite. Quand les battants se refermèrent, emprisonnant la musique et les conversations bruyantes dans la salle de bal, un calme apaisant retomba dans le couloir sombre, et Kyara n’eut pas de mal à entendre les sanglots étouffés qui s’élevaient non loin. Elle intima d’un geste à ses gardes de prendre un peu de distance, s’avança vers l’origine du bruit.
— Jacelynn ? interrogea-t-elle.
Les hoquets s’interrompirent, la jeune femme renifla.
— Tu ne devrais pas perdre ton temps avec moi, Avelke Sen… parvint-elle à proférer d’une voix étranglée.
Kyara hésita, incertaine de la marche à suivre, puis finit par se décider.
— Marche avec moi un peu, veux-tu ?
Elle lui tendit un mouchoir sorti de la poche de sa robe, s’empara de son bras avec gentillesse, elle-même étonnée de l’aisance de ce geste, et l’entraîna dans le couloir sombre sans trop savoir où elle voulait l’emmener. Jacelynn, encore secouée de larmes silencieuses, se laissa diriger sans un mot, trop occupée à sécher ses joues humides. Après quelques longues minutes où elles déambulèrent dans les corridors éclairés par les immenses chandeliers, passant d’une flaque de lumière à l’autre, elle finit par soupirer :
— Avelke Sen ?
Elle tourna la tête vers sa cousine, hocha la tête pour lui signifier qu’elle l’écoutait.
— Pardon pour t’avoir fait du mal à l’entraînement.
Laisse les gens s’excuser, lui avait un jour dit l’Impératrice. N’essaie pas de les interrompre ou d’alléger leur culpabilité. Et ne dénigre pas la gravité de leurs actes, quoi qu’ils aient fait. Les leçons étaient difficiles à appliquer pour Kyara. Elle aurait voulu dire à Jacelynn que ce n’était pas grave, qu’elle n’avait été qu’une infime part d’un rouage destructeur, et qu’elle avait appris à passer outre depuis. Mais d’après l’Impératrice, ce genre de raisonnement favorisait les déviances futures et les incidents répétés.
— C’était il y a longemps, se força-t-elle à dire simplement au lieu d’essayer de la déculpabiliser.
— Tu es plus rapide à oublier que les autres, sourit amèrement Jacelynn en reniflant à nouveau.
— Ma plus grande faiblesse, paraît-il, pouffa Kyara. Mais je m’en sors plutôt bien malgré cela.
Elles prirent un couloir à gauche, un autre tournant à droite, et le silence tomba entre elles. Kyara songea avec une certaine tristesse qu’elle n’avait jamais été douée pour initier le dialogue. Elle savait écouter et apprendre, pour peu que le sujet l’intéresse, mais elle ne savait guère parler.
— Pourquoi me détestes-tu ? finit-elle par demander abruptement.
Les yeux de Jacelynn s’écarquillèrent, son choc se peignit sur son visage et elle laissa échapper un éclat de rire hystérique.
— Je ne te déteste pas, Avelke. Loin de là. Mais je ne…
Elle tourna la tête vers les gardes qui les suivaient, parut évaluer la distance et leur capacité à entendre ce qu’elle diait. Une grimace plissa ses sourcils et son nez, elle hésita sur le choix de ses mots.
— Tu as tout, finit-elle par soupirer. La couronne, la richesse, le meilleur parti de l’Empire… même s’il peut parfois être une brute épaisse. Mais tu n’as pas de devoirs, pas de responsabilités. Tout le monde sait qu’Yngvar endosse tout et ne te demande rien, alors pourquoi…
Incertaine, n’osant probablement formuler la phrase qu’elle pensait, elle s’interrompit, mais Kyara la poussa, presque aussi impitoyable que sa belle-mère :
— Dis-le.
— Pourquoi paraissais-tu aussi malheureuse ? Pourquoi l’étais-tu ? Je ne comprends pas. Tu as tout.
Quand elle insista sur le dernier mot, le cœur de Kyara frémit d’une colère refoulée, d’une rage depuis trop longtemps étouffée. Tout. De cette guerre et de ce mariage, elle avait effectivement tout eu. Les peines comme les joies, les difficultés et les dures leçons apprises dans la douleur et le déchirement. La richesse et le titre qui ne lui seyait encore aujourd’hui pas tout à fait, les bijoux et les chaînes immatérielles qui l’avaient si longtemps entravée. Personne ici ne le comprenait, à part Yngvar, sa mère et son père. Personne ne pouvait se douter combien elle avait souffert, combien elle avait payé pour être aujourd’hui capable de siéger aux côtés de l’Impératrice sans frémir à son contact ou pleurer quand elle croisait ses yeux de glace, assaillie par des visions de sang et de mort. La Cour de l’Empire avait assumé qu’elle désirait ce mariage, que c’était un honneur et une grâce qui lui étaient accordés à elle, la pauvre petite princesse du Royaume vaincu.
Comment expliquer cela à quelqu’un qui n’avait aucune idée des réalités de la guerre ? Comment en parler sans ramener à la surface les souvenirs d’une époque trouble, qu’elle avait réussi à dépasser depuis quelques temps ?
— J’ai effectivement tout ce que tu voudrais avoir… siffla-t-elle d’un ton si venimeux que Jacelynn s’immobilisa, emplie d’incompréhension et de crainte. La richesse, les bijoux, un mariage qui ne m’impose pas de responsabilités… Mais Jacelynn, je voudrais éclaircir quelque chose à tes yeux. Mon mariage avec Yngvar n’était pas un accord. Il n’était pas consenti. On m’a arrachée à l’endroit où je vivais, ramenée ici comme un trophée. J’étais un otage, une prise de guerre, comprends-tu cela ?
L’Avalonienne ouvrit la bouche, mais ne parvint pas à dire un mot, trop choquée par la soudaine brutalité et la violence des mots si crus.
— Alors j’ai appris à me battre, parce que c’était ça ou me laisser dépérir de souffrance et de haine. J’ai choisi de tirer parti de ce que je pouvais obtenir, parce que c’était la seule chose que je pouvais faire. Et j’ai appris à accepter ce qui m’avait amenée ici, mais à ne plus subir ce qui m’arriverait.
— Mais, toi et Yngvar…
— Au début, c’était une mascarade. Ce que nous avons aujourd’hui, c’est réel, mais aucun de nous ne l’avait choisi.
— Je ne… Je suis désolée. Je ne savais pas, je n’avais pas idée…
Kyara soupira, passa une main dans ses cheveux ornés de chaînettes dorées. Depuis quelques décades, elle les laissait frisés, même aux soirées en public. Cela avait été un long combat contre elle-même que d’arrêter de se conformer aux modes locales, mais depuis qu’elle l’avait fait, elle avait gagné en assurance.
— Écoute, permets-moi d’être honnête. Tu as des responsabilités, par ta mère, ta grand-mère ou même par ton simple nom. Tu en auras toujours, et tu ne pourras pas y échapper. Tu ne gagneras rien à essayer de les fuir, même si c’est ce que tu désires le plus au monde.
— Je ne…
— La seule chose que tu peux faire, poursuivit-elle, impitoyable, c’est de choisir la direction dans laquelle tu veux évoluer. Veux-tu être le réceptacle de tous les rêves brisés de ta grand-mère ?
Muette, Jacelynn baissa les yeux vers le sol. Elle avait beau avoir quelques cinq étés de plus que Kyara et avoir été éduquée au palais d’ambre, elle n’en menait soudain pas large face à l’adolescente helvethrienne. Face à son expression perdue, Kyara sentit un petit frisson parcourir son échine. Soudain, il lui sembla entendre l’Impératrice, sa voix froide et posée, son ton inflexible.
— Choisis qui pourra t’amener là où tu veux aller.
Elle se détourna, le cœur battant à tout rompre, une étrange excitation diluant quelque peu son irritation, et elle rebroussa chemin. Elle parcourut d’un pas vif les couloirs qu’elle avait appris à connaître sur le bout des doigts, rabattit une mèche volage derrière une épingle en atteignant la salle de réception, prit une seconde ou deux de plus devant le miroir pour vérifier son allure. Un bref mais lumineux rire lui échappa, malgré la colère qui l’habitait toujours, quand elle songea que, six ou huit lunes plus tôt, elle n’aurait jamais osé parler ainsi à quiconque, même aux serviteurs d’ici.
La frénésie joyeuse de la grande pièce bondée la frappa à l’instant où les portes s’ouvrirent à nouveau devant elle. En entrant, elle fut saluée à droite et à gauche, et elle dut se recomposer une façade policée pour répondre aux courtisans avec un sourire aimable. Elle repéra sans mal la tête d’Yngvar qui dépassait de la masse quelques toises plus loin, et leurs regards se croisèrent un bref instant. Puis, son champ de vision fut voilé par l’apparition d’un homme à la peau sombre qui arborait une expression avenante, quoique anxieuse. Kyara se figea alors qu’il s’immobilisait devant elle et que, par réflexe, les gardes resserraient les rangs à ses côtés.
— Vous.
— Votre Altesse, salua-t-il en s’humectant les lèvres et en s’inclinant bien bas.
Elle le détailla à la volée. Il portait une tunique verte typique de la province d’Eau, bordée du bleu azur de Ciel et des motifs dorés entrelacés des fleurs de Terre, ceinte à la taille par une épaisse lanière de cuir rouge renforcé de mailles polies. En-dessous, il n’avait qu’un pantalon de toile épais rentré dans des bottes de cuir élimées, ornées de quelques rares boucles dorées. Kyara pinça les lèvres en voyant son allure débraillée, préféra se concentrer sur son visage. Il avait au moins pris soin de se tailler la barbe selon les coutumes locales, courte, dégageant les arêtes sèches de sa mâchoire, mais ses cheveux noirs, aussi frisés que ceux de la princesse, bouclaient sauvagement au sommet de son crâne. Il avait des sourcils touffus, un long nez pointu, un regard marron brillant, empreint d’angoisse, et des traits fatigués malgré son âge. Kyara ne lui aurait pas donné plus de trente-cinq hivers, mais avec son expression, il en paraissait cinquante.
— Je suis si heureux de voir que vous allez bien…
Elle haussa un sourcil, perplexe. La dernière fois qu’elle avait vu cet homme, c’était à une réception si lointaine qu’elle en devenait trouble dans sa mémoire. C’était le soir où l’Impératrice était revenue d’Helvethras… enfin, des quatre provinces. Helvethras n’existait plus, déjà à l’époque.
Cet homme, qu’elle associa sans trop savoir pourquoi au presque-enlèvement qu’elle avait subi ce soir-là, avait tenté de lui parler, à l’époque, mais elle n’avait pas eu le temps d’échanger plus de quelques mots avec lui.
— Pardonnez-moi, mais je ne pense pas avoir eu l’occasion d’entendre votre nom. Vous êtes…?
Sur un signe de sa main, les soldats qui l’entouraient rompirent et s’écartèrent de quelques pas pour leur offrir de l’espace.
— Navré, Votre Altesse. Je suis Eran de Terre.
Songeuse, elle le détailla à nouveau. Le vert qui dominait ses vêtements aurait plutôt donné l’impression qu’il venait d’Eau.
— Je suis un cousin issu de germain de Votre Altesse, par feu votre grand-mère Tyrha. Mon grand-père était Kerhan.
Kyara fronça un sourcil, remontant sa lignée pour retrouver le fil de l’arbre généalogique qui aurait pu les lier. Sa grand-mère paternelle, Tyrha de Terre, avait eu quatre frères aînés… dont l’un s’appelait effectivement Kerhan. Néanmoins, que l’homme se sente obligé de mentionner leur lien familial ici la mit étrangement mal à l’aise, d’autant plus qu’il s’adressait à elle en helvetrien alors même qu’ils étaient au cœur de l’empire avalonien. Elle sourit néanmoins :
— Ravie de faire votre connaissance, cher cousin.
— Pareillement.
— Quand êtes-vous arrivé à la Citadelle ? enchaîna-t-elle alors qu’il voulait précipitamment reprendre la parole.
— Oh, il y a… quelques lunes de cela, maintenant, en même temps que l’Impératrice. Je suis un… émissaire, si l’on peut dire ainsi.
Soit le même soir où elle avait failli être entraînée dans une absurde fuite hâtivement préparée. Curieuse coïncidence, ne put-elle s’empêcher de penser. L’affaire de l’enlèvement avait été étouffée, restreinte seulement aux sphères militaires et aux conseillers de confiance, mais elle avait donné lieu à une dératisation sévère dans les rangs de l’armée, de la garde et des Bataillons. Une douzaine de personnes avaient « mystérieusement » disparu, tant dans les hautes sphères que dans le commun des soldats, mais on n’avait jamais retrouvé le commanditaire de cette escapade, les deux imposteurs ne l’ayant jamais rencontré directement.
— Par ailleurs, j’ai pu être en contact avec votre mère récemment, ajouta-t-il, profitant du temps mort qu’elle avait laissé passer. Elle vous envoie ses plus sincères condoléances pour la perte que vous avez subie.
La rage, aussi saugrenue que brutale, prit Kyara à la gorge comme une violente bouffée de chaleur, la laissant pantoise, incapable d’articuler une phrase cohérente. Heureusement, Yngvar arriva à cet exact moment dans la conversation, et le dignitaire se ratatina aussitôt devant le regard glacé du Corbeau.
— Sire Eran, comment allez-vous ? s’enquit-il à son tour dans son helvetrien impeccable.
— Très… très bien, Mon Prince, je vous remercie.
— J’espère que vous appréciez la soirée, en tout cas. On m’a dit que les plus épaisses neiges commencent à fondre dans la plaine, j’ai donc bon espoir que vous puissiez rentrer chez vous bientôt.
— Je… ce serait un plaisir ! Pas que je n’aime pas votre magnifique cité, se défendit-il en pâlissant, mais ma province natale me manque quelque peu…
— Je prendrai soin de penser à vous lorsque je préparerai les convois.
— Merci, Votre Altesse.
Le pauvre homme, nerveux, manquait de chevroter à chaque phrase. Kyara en aurait presque été amusée, s’il n’y avait pas eu la brûlure dans le creux de son ventre, qui avait brutalement ravivé le vide dans sa poitrine. L’évocation de Mara lui était presque aussi douloureuse que le rappel d’Amali, et elle ne savait guère ce qu’elle haïssait le plus dans ces deux idées conjointes. Que sa mère, qui ne s’était plus préoccupée d’elle depuis qu’elle s’était réfugiée à Eau pour échapper à la guerre, lui dise cela maintenant, ou que la remarque vienne au moment où elle pensait enfin avoir pansé la blessure ? Certainement un peu des deux.
— Je vais récupérer mon épouse, si ça ne vous dérange pas, poursuivait déjà Yngvar en posant sa main sur le poignet de Kyara.
Il lui adressa un regard apaisant, paraissant conscient de son trouble même s’il en ignorait la cause, et elle lui retourna un pénible sourire avant d’incliner la tête vers Sire Eran.
— Je vous souhaite une bonne soirée, cousin.
Elle aurait voulu s’éloigner là-dessus, mais la fureur l’en empêcha. Maîtrisant sa voix plus qu’elle ne s’en serait crue capable, elle se pencha vers lui et siffla à son oreille :
— Oh, et s’il vous plaît, transmettez donc un message à ma mère. Dites lui que, après ces douze lunes de silence, je me passerai de ses condoléances.
Le laissant planté là, sous le choc, elle se détourna sèchement, serra la main d’Yngvar et traça un chemin direct jusqu’au balcon le plus proche. Mais, plutôt que de la laisser l’entraîner vers la fenêtre, son époux la tira vers les portes latérales de la pièce, qui s’ouvraient sur une volée de marches. Sur le seuil, il s’arrêta, adressa un hochement de tête à sa mère, et cette dernière se leva.
— Nobles amis, lança-t-elle à travers la salle qui se tut presque immédiatement, je vous propose de…
Kyara n’en entendit pas davantage, ils avaient déjà dévalé les escaliers. Le froid hivernal la gifla en pleine face, refroidissant d’un seul coup ses émotions tumultueuses, elle frissonna dans son long caftan pourtant plutôt épais. Déjà, son prince l’entraînait vers les immenses braseros qui s’allumaient un à un dans la large cour pavée. Cette cour était, en vérité, le toit plat de la salle d’audiences, mais elle avait été convertie en un espace ouvert, dansant, où les courtisans se rassemblaient bien souvent pour assister aux spectacles en plein air donnés par des ménestrels ou des troupes d’artistes itinérants. En quatre lunes, Kyara y avait vu des gymnastes à la souplesse extraordinaires, des envols de rapaces dressés ou encore des démonstrations de combat spectaculaires. Mais elle était toujours venue sur ce toit de jour, ou au moins dans le couchant.
À l’heure actuelle, il faisait nuit noire, et même la clarté rougeoyante des braseros ne parvenait pas à masquer l’éclat de l’infinité des étoiles. La tête renversée en arrière, le dos agréablement réchauffé par les flammes hautes, elle admira en silence la multitude de diamants qui piquetaient la voûte céleste, appréciant l’absence de la lune et de son rayonnement glacial. Ce soir, on fêtait le solstice d’hiver, la nuit la plus courte de la saison, qui coïncidait avec la nouvelle lune. Depuis le toit, elle entendait les chœurs de la ville qui chantaient, les rires qui s’élevaient, portés par le vent. Loin devant elle, derrière les frontières des remparts, l’océan infini, d’une noirceur absolue, se mêlait aux ténèbres du ciel.
Apaisée, elle se laissa aller dans les bras d’Yngvar, appuya sa joue contre son torse.
— C’est si beau… murmura-t-elle.
— Attends, sourit-il en retour, il n’y a là que la moitié du spectacle.
Le toit commençait à se remplir de petits groupes de courtisans qui descendaient les escaliers en bavardant bruyamment. Ils poussaient tous, sans aucune exception, des exclamations d’admiration en parvenant à l’extérieur, puis se dépêchaient d’aller se réfugier autour des flammes pour rester au chaud tout en reprenant leur conversation. Ils ne prêtèrent guère beaucoup d’attention au couple princier, désormais habitués à leur présence, leur familiarité et leurs marques d’affection. Kyara savait que, durant une période, de nombreuses questions et rumeurs avaient fusé à leur sujet, surtout après le décès d’Amali, dont la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Mais finalement, comme tous les murmures de la Cour, ils avaient fini par s’éteindre, faute de réponses et de nouvelles informations, puisqu’Yngvar était reparti et que Kyara avait soigneusement évité le sujet.
— Princesse ?
Un sourire aux lèvres en entendant son surnom, elle leva la tête. À la lueur des flammes, le violet de ses yeux prenait des éclats rougeoyants. Il était vêtu d’un ensemble noir, comme à son habitude, brodé d’un rouge qui se reflétait dans ses iris, harmonieusement assorti à la robe carmin de Kyara, elle ourlée de noir. C’était devenu une sorte d’usage entre eux que de choisir des habits complémentaires dès qu’ils se présentaient en public. Au début, c’était lui qui s’était adapté à la garde-robe de son épouse, mais durant son absence, elle avait pris quelques heures un après-midi pour fouiner dans ses piles de vêtements qu’il avait laissées derrière lui et envoyer une nouvelle liste de demandes à ses couturières, qui s’étaient empressées de se mettre à l’ouvrage.
— J’aurais une proposition à te faire.
— Dis-moi.
Il parut réfléchir un moment, comme s’il cherchait la bonne tournure pour présenter les choses, puis il entama :
— Tu sais que je vais repartir dès la première lune de printemps.
— Pour le camp d’entraînement, oui, opina-t-elle.
Après le décès d’Amali, il était resté quelques temps, mais très vite, le devoir l’avait rappelé à l’ordre. Le jour de son départ, incapable d’accepter de se retrouver à nouveau seule, elle avait glissé un petit bout de parchemin dans l’un de ses uniformes de rechange. L’un des gardes du Bataillon Sanglant, toujours présent dans la suite princière, l’avait vue faire, mais elle lui avait signifié de n’en avertir Yngvar que lorsqu’il serait arrivé, et il avait acquiescé.
Quelques jours plus tard, en réponse à sa demande écrite, elle avait reçu une lettre. Courte mais imagée, dans un style rigoureux et efficace qui correspondait bien au Corbeau, mais qui parvenait malgré tout à véhiculer un peu de sa joie et de sa nostalgie. Elle lui avait répondu le jour même, et une étrange routine s’était installée. Tous les quatre à cinq jours, elle recevait une nouvelle missive, où il lui racontait ses occupations quotidiennes et les progrès des enfants qu’il surveillait et entraînait, et elle lui répondait avec ses petites anecdotes de la Cour, les livres qu’elle lisait ou les bêtises de Kama, qui n’était toujours qu’un jeune chat excité. Leur échange s’était fait régulier, rassurant, elle avait commencé à se projeter dans la vie sauvage et militaire qu’il lui décrivait, elle s’était familiarisée sans même s’en rendre compte avec les noms d’enfants qu’elle n’avait jamais rencontrés.
Qu’il doive y retourner dans seulement quelques décades, elle le savait parfaitement. Ces enfants, elle l’avait compris, étaient destinés à former le nouveau Bataillon Sanglant, le quatorzième. Elle devinait que, au-delà d’une simple armée d’élite, ce qu’Yngvar et sa mère voulaient créer était une tradition, semblable à celle du Royaume d’Ombre, où tous les enfants avaient avant tout une éducation militaire afin de toujours pouvoir se défendre et protéger leurs proches. Il s’agissait de leur fournir les bases, puis de choisir parmi eux les meilleurs éléments pour intégrer les Bataillons perpétuer cet usage au travers des générations.
— Je voulais te proposer de venir avec moi, expliqua-t-il enfin.
Elle releva la tête, sidérée par l’offre.
— Mais… qu’est-ce que je… qu’est-ce que j’y ferais ?
— Je voudrais simplement que tu découvres comment nous y vivons, ce qui s’y fait réellement. Par contre, ajouta-t-il avec un rire, l’aménagement est plutôt spartiate, donc tu serais loin de ton confort habituel.
— Tu veux dire que je pourrais… quitter le palais ? Y vivre avec toi ?
Il approuva d’un hochement de menton, et Kyara sentit un immense sourire étirer son visage. Durant tous ces échanges épistolaires, elle s’était mille fois demandée ce que ce serait d’habiter là-bas, de se lever tous les matins dans une plaine baignée de soleil, dans le froid ou la chaleur, de vivre dans une tente en compagnie d’autres hommes et femmes. Elle avait songé au voyage qui l’avait amenée à la Citadelle Rouge, à la camaraderie et à l’humanité des soldats des Bataillons, qu’elle avait découvert au fil des soirs passés en leur compagnie, à la joie manifeste d’Yngvar quand il parlait de ses compagnons avec qui il avait grandi. Mais elle avait refusé de se projeter dans vie qui ne lui était pas destinée et qui ne serait jamais la sienne, peu désireuse de se perdre dans le désespoir de ce qui aurait pu être si elle n’était pas née Kyara de Ciel, fille du Roi Jesten d’Helvethras.
Aujourd’hui cependant, l’opportunité s’ouvrait soudain comme une porte dérobée qui donnait sur un monde de possibilités et d’incertitudes. Un coup de vent glacé balaya son visage, elle prit une inspiration hachée, incertaine.
— Tu peux refuser, ajouta-t-il comme il n’entendait pas de réponse, rien ne t’y oblige.
— Non, mais… je veux dire… ce ne serait pas… inapproprié ? Puis-je seulement faire ça ?
— Est-ce que tu te souviens de ce que je t’avais dit un jour sur les deux seules personnes qui pourraient te refuser quelque chose ?
Elle fronça les sourcils, puis acquiesça.
— Ta mère et toi.
— Ma mère est d’accord. Et moi, j’ai suggéré l’idée, ce n’est pas pour te la refuser juste après.
Le sourire, qui l’avait quittée durant un moment, revint, plus lent mais plus assuré que la première fois. Elle hocha la tête.
Soudain, un bruit d’explosion retentit du côté du port. Effrayée, Kyara sursauta et pivota, juste à temps pour voir une myriade de particules vertes exploser dans le ciel, scintiller un instant comme des émeraudes au soleil, puis disparaître. L’assemblée poussa un cri de stupéfaction et d’admiration. Déjà, une étoile filante violette décollait depuis un navire, quelque part près des docks, s’élevait dans le ciel. Elle explosa à son tour, projetant autour d’elle un halo d’étoiles éphémères dans un bruit de tonnerre. Fascinée, Kyara se blottit à nouveau contre Yngvar, admirant le spectacle. De nouvelles lumières, toutes plus brillantes les unes que les autres, éclatèrent au-dessus de la mer, projetant leurs éclats colorés sur la houle ténébreuse, générant des exclamations enthousiastes et admiratives, tant dans la petite foule de courtisans que dans les ruelles de la cité. Les fenêtres s’ouvrirent, les gens surgirent sur leurs balcons ou sortirent dans les rues pour contempler les lumières, grimpèrent même précipitamment sur certains toits pour ne pas en manquer une miette du spectacle captivant.
— C’est un divertissement fréquemment utilisé à Xer-Sarak, expliqua Yngvar à son oreille tandis que de nouvelles projections, cette fois-ci plus nombreuses, décollaient des navires xersari. Saam-Nil-Serak nous en a apporté des caisses entières, en plus des fruits et des tissus que ses navires ramènent habituellement.
— C’est magnifique… murmura-t-elle, émerveillée.
Non-loin, le dignitaire étranger et l’Impératrice étaient accoudés aux créneaux des remparts, et malgré la distance, Kyara nota l’éclat enthousiaste dans les yeux de glace de la femme. Elle songea à toutes les leçons qu’elle avait apprises à ses côtés, à tout ce qu’elle pourrait découvrir en sortant enfin de la Citadelle. Elle n’avait aucune idée dans quoi elle s’engageait, où Yngvar l’emmènerait, si ce n’était que c’était quelque part au nord de la capitale, en direction des denses forêts de Wikandil. Cela faisait près de trois saisons qu’elle n’avait pas quitté cette ville, et la pensée de se retrouver à nouveau en territoire inconnu l’effrayait quelque peu.
Mais finalement, l’émerveillement du spectacle et la promesse de l’aventure vainquirent ses craintes et ses doutes. Sous une nouvelle salve d’éclats dorés, elle se blottit contre son époux, glissa sa main dans la sienne, savourant le contact de ses doigts calleux et de sa poigne ferme mais douce.
— Je viendrai, souffla-t-elle.
Sa voix se perdit dans le grondement de l’explosion, mais il comprit. Il passa son bras autour de ses épaules pour la serrer contre lui, et ils demeurèrent ainsi enlacés sous les feux xersari, bercés par les exclamations et les cris d’admiration des spectateurs. Et, quand les dernières lumières s’éteignirent et que le ciel constellé d’étoiles retrouva son inertie apaisante, Kyara songea que, quels que soient les choix qu’elle ferait à l’avenir, elle ne regrettait plus ceux qui l’avaient amenée ici.

◊~◊~◊

ACTE IV (1/4)
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par louji »

Heyoo !

Bon, dernier chapitre de cette partie. Dans la mesure où cette partie était censée être "chill" j'ai un peu peur pour la suite (ce sera la dernière partie ?) :lol:

Mdr yes Kyara dans les traces d'Eliane, je sais pas si je dois flipper ou être contente, car elle va continuer à saisir les rênes de sa vie :ugeek:

"— Il vient de Xer-Sarak, sourit-elle." :arrow: Oooooh 8-)
"long des falaises escarpées de l’est du continent d’Arshavik" :arrow: C'est bon j'ai envie d'y être *-*

" Uma aurait bien par le savoir, " :arrow: manque un petit truc !

Sérieux, toute cette histoire souffle tellement le chaud-froid, mon kokoro est perduuuuu. Entre Yngvar et Kyara où je sais pas encore complètement sur quel pied danser (je suis aussi confuse que Kyara lel) et la discussion avec Eliane à propos d'Amali... Aaah, ce mélange de colère/tendresse envers les personnages c'est dur.

"Elle acquiesça, se redressa, adressa" :arrow: redresser / adresser ça fait un chouïa lourd à la suite ^^

"simplement solidement barricadée derrière une muraille dont elle n’abaissait que rarement le pont-levis." :arrow: Héhé j'aime bien l'image

"— Pourquoi paraissais-tu aussi malheureuse ? Pourquoi l’étais-tu ? Je ne comprends pas. Tu as tout." :arrow: ah oué y'a vraiment des gens pour penser comme ça

"Ce que nous avons aujourd’hui, c’est réel, mais aucun de nous ne l’avait choisi." :arrow: je trouve la tournure un chouïa trop familière ! Je sais qu'on va pas faire parler les persos comme des gens du XVIIIe, mais ça m'a semblé vachement moderne comme phrase :)

"Je suis un cousin issu de germain de Votre Altesse," :arrow: je crois que y'a confusion dans l'ordre des mots non ? :lol:

"Elle vous envoie ses plus sincères condoléances pour la perte que vous avez subie." :arrow: Pfiouah la mère x'')

Bon. Mon petit kokoro est apaisé. Faut dire que tu nous manipules bien avec cette fin de chapitre toute douce et inspirante :evil: J'ai évidemment très hâte de voir Kyara dans un autre environnement que le palais. Je pense que ça peut lui faire un grand bien de s'en éloigner un moment et de passer plus de temps avec Yngvar !
vampiredelivres

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : dim. 05 déc., 2021 11:16 am Heyoo !

Bon, dernier chapitre de cette partie. Dans la mesure où cette partie était censée être "chill" j'ai un peu peur pour la suite (ce sera la dernière partie ?) :lol:

Mdr yes Kyara dans les traces d'Eliane, je sais pas si je dois flipper ou être contente, car elle va continuer à saisir les rênes de sa vie :ugeek:

"— Il vient de Xer-Sarak, sourit-elle." :arrow: Oooooh 8-)
"long des falaises escarpées de l’est du continent d’Arshavik" :arrow: C'est bon j'ai envie d'y être *-*

" Uma aurait bien par le savoir, " :arrow: manque un petit truc !

Sérieux, toute cette histoire souffle tellement le chaud-froid, mon kokoro est perduuuuu. Entre Yngvar et Kyara où je sais pas encore complètement sur quel pied danser (je suis aussi confuse que Kyara lel) et la discussion avec Eliane à propos d'Amali... Aaah, ce mélange de colère/tendresse envers les personnages c'est dur.

"Elle acquiesça, se redressa, adressa" :arrow: redresser / adresser ça fait un chouïa lourd à la suite ^^

"simplement solidement barricadée derrière une muraille dont elle n’abaissait que rarement le pont-levis." :arrow: Héhé j'aime bien l'image

"— Pourquoi paraissais-tu aussi malheureuse ? Pourquoi l’étais-tu ? Je ne comprends pas. Tu as tout." :arrow: ah oué y'a vraiment des gens pour penser comme ça

"Ce que nous avons aujourd’hui, c’est réel, mais aucun de nous ne l’avait choisi." :arrow: je trouve la tournure un chouïa trop familière ! Je sais qu'on va pas faire parler les persos comme des gens du XVIIIe, mais ça m'a semblé vachement moderne comme phrase :)

"Je suis un cousin issu de germain de Votre Altesse," :arrow: je crois que y'a confusion dans l'ordre des mots non ? :lol:

"Elle vous envoie ses plus sincères condoléances pour la perte que vous avez subie." :arrow: Pfiouah la mère x'')

Bon. Mon petit kokoro est apaisé. Faut dire que tu nous manipules bien avec cette fin de chapitre toute douce et inspirante :evil: J'ai évidemment très hâte de voir Kyara dans un autre environnement que le palais. Je pense que ça peut lui faire un grand bien de s'en éloigner un moment et de passer plus de temps avec Yngvar !
Hellyo ~

Mon dieu je suis désolée de te répondre si tard… :cry:

Yes, la IV est la dernière !

Esh, au moins elle progresse. Parce que c'est compliqué de faire avancer l'histoire avec un perso qui veut pas avancer x)

Je sais pas du tout quand Xer-Sarak arrivera, par contre :roll: J'ai fait un peu de worldbuilding aujourd'hui, mais je pense que je vais le laisser mijoter encore un long moment. Puis y'a Cassandra, et tout… :ugeek:

Merci pour la correction !

De toute façon Yngvar et Kyara, ça a toujours été une histoire de chaud-froid (même s'ils ont commencé très froid, hein :lol: )

Jacelynn n'a jamais vraiment compris (comme la plupart des Nobles avaloniens) comment Kyara était vraiment arrivée au palais. Je veux dire, la guerre a été préparée, mais c'était une guerre-éclair, quelques semaines à peine, et peu ou pas de dommages du côté d'Avalaën, donc personne n'a vraiment senti l'impact du côté avalonien. D'où le fait qu'elle ne comprenne pas… parce qu'elle n'a aucune idée de ce que Kyara a enduré.

C'est vrai, je vais réfléchir à une tournure plus adéquate, merci !

Alors si c'est "cousin issu de germain", non, c'est la tournure correcte, mais c'est vrai que la phrase est confuse donc je change en "Je suis votre cousin issu de germain, Altesse", ce sera plus lisible ^^

Mama-glaçon quasi pire qu'Eliane, hein :lol: (On la voit dans la prochaine partie en plus :roll: )

Bon, contente que je réussisse à peu près à faire passer la pilule. Comme promis, l'acte IV fait un "petit" bond temporel, donc on ne verra pas vraiment Kyara hors du palais, mais par contre on verra les résultats de ce temps passé avec Yngvar ^^

Merci pour ton comm et ta patience infinie *-*
louji

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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : jeu. 30 déc., 2021 3:43 pm Hellyo ~

Mon dieu je suis désolée de te répondre si tard… :cry:

Yes, la IV est la dernière !

Esh, au moins elle progresse. Parce que c'est compliqué de faire avancer l'histoire avec un perso qui veut pas avancer x)

Je sais pas du tout quand Xer-Sarak arrivera, par contre :roll: J'ai fait un peu de worldbuilding aujourd'hui, mais je pense que je vais le laisser mijoter encore un long moment. Puis y'a Cassandra, et tout… :ugeek:

Merci pour la correction !

De toute façon Yngvar et Kyara, ça a toujours été une histoire de chaud-froid (même s'ils ont commencé très froid, hein :lol: )

Jacelynn n'a jamais vraiment compris (comme la plupart des Nobles avaloniens) comment Kyara était vraiment arrivée au palais. Je veux dire, la guerre a été préparée, mais c'était une guerre-éclair, quelques semaines à peine, et peu ou pas de dommages du côté d'Avalaën, donc personne n'a vraiment senti l'impact du côté avalonien. D'où le fait qu'elle ne comprenne pas… parce qu'elle n'a aucune idée de ce que Kyara a enduré.

C'est vrai, je vais réfléchir à une tournure plus adéquate, merci !

Alors si c'est "cousin issu de germain", non, c'est la tournure correcte, mais c'est vrai que la phrase est confuse donc je change en "Je suis votre cousin issu de germain, Altesse", ce sera plus lisible ^^

Mama-glaçon quasi pire qu'Eliane, hein :lol: (On la voit dans la prochaine partie en plus :roll: )

Bon, contente que je réussisse à peu près à faire passer la pilule. Comme promis, l'acte IV fait un "petit" bond temporel, donc on ne verra pas vraiment Kyara hors du palais, mais par contre on verra les résultats de ce temps passé avec Yngvar ^^

Merci pour ton comm et ta patience infinie *-*
Hey !

Encore une fois, je comprends, pas de soucis !

Oui, pour Xer-Sarak, on patientera, no worry 8-) Déjà on aura du LCDS et du Cassandra à se mettre sous la dent pour patienter

Ouais, on dirait presque qu'ils se sont imaginé que c'était acté avant même d'arriver et qu'il y aura donc aucun dégâts des deux côtés ? Ahlala...

Ben écoute pour l'histoire du cousin issu de germain, je ne connaissais même pas, 1ère fois que je croise ce terme :lol:

(Eliane ou la mère de Kyara ??)

Ecoute, c'est déjà ça de pris ! On va voir comment ils ont évolué tous les deux ensemble ^^
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Dynasties / Kyara IV (1/4)

Message par vampiredelivres »

Hiello !
L'écriture de Kyara étant enfin terminée, on attaque la p4 avec le traditionnel time jump de Dynasties (oui promis il va être traditionnel !). De quoi (re-)découvrir un environnement, des personnages et des dramas.
Bonne lecture !


ACTE IV : LA PACIFICATRICE
(1/4)


Ils atteignirent l’immense plaine au coucher du soleil. Les rayons bas teintaient les herbes hautes de doré, sublimaient l’éclat des épis de blé blonds qui seraient bientôt récoltés, avant de s’écraser sur les épaisses murailles de la cité dressée au centre de la plaine. Les paysans, qui finissaient leur épuisante journée dans les champs, relevèrent la tête au passage de la cohorte qui pressait ses chevaux au galop pour atteindre les remparts avant la tombée de la nuit. Le fracas de leurs sabots emplit l’air d’un grondement ininterrompu, quelques enfants poussèrent des cris effrayés et s’écartèrent de la terre battue sur laquelle ils jouaient. Un épais nuage de poussière se souleva à leur passage tel une traîne brunâtre, avant d’être soufflé et rabattu par le vent qui agitait les champs.
À la tête de la cohorte, dressée sur ses étriers, Kyara laissa sa monture prendre une allure confortable avant de se rasseoir en selle, un sourire aux lèvres. Une étrange appréhension, mêlée de nostalgie, nouait ses entrailles, faisait battre son cœur un peu plus vite. Il y avait si longtemps qu’elle n’était pas revenue ici.
Elle jeta un bref regard derrière elle, mais dans la poussière et la masse de cavaliers qui la suivaient, impossible de distinguer la haute silhouette d’Yngvar. Pourtant, elle savait qu’il fermait la marche, et qu’il n’avait certainement pas lâché Sëaren ou Isarak du regard plus de quelques secondes. La certitude la rassura, sans pour autant apaiser son anxiété et, inconsciemment, elle appuya ses talons contre les flancs de son cheval, allongeant ses foulées.
— Avelke !
Le cri d’Uma, qui la talonnait de près, la rappela à l’ordre alors qu’elle menaçait de rompre les rangs de la formation et de s’arracher aux Bataillons. Elle tira sur les rênes, réintégra sa place, et ses yeux dérivèrent quelques instants sur les pauvres maisonnettes qui bordaient la grande route. Il lui semblait qu’elles paraissaient un peu plus larges et solides que dans ses souvenirs. En s’attardant sur cette idée, elle remarqua ici un appentis qui avait été dressé, là un pan de mur qui semblait plus neuf que les autres, ailleurs encore une toiture récemment refaite. Elle savait que Saedor et Eliane avaient œuvré d’arrache-pied pour amener des changements qui auraient été dus depuis longtemps, mais ce n’était qu’ici qu’elle le réalisait enfin, et la satisfaction qu’elle en tira parvint à dissiper quelque peu le nœud dans son ventre.
Elle avait quitté la cité en petite princesse esseulée, abandonnée aux mains de ses ravisseurs, mais elle revenait en héritière de l’Empire d’Avalaën, à la tête de trois cent cinquante cavaliers dont deux Bataillons réguliers. Par les arcanes, combien de choses avaient changé en douze hivers…
En parvenant au pied des remparts, elle rabattit sur sa tête la visière de son casque de cuir et de métal, se rendant totalement anonyme parmi la foule de soldats. Elle était vêtue exactement comme eux, d’un pourpoint de soie surmonté d’une cuirasse lustrée, d’un pantalon de la cavalerie couvert de tassettes métalliques, et d’épaisses bottes lacées jusqu’au genou. L’ensemble était d’un noir brillant, poli, à peine affecté par l’épreuve du voyage, et les pièces étaient taillées de manière à ce que rien ne la distingue des autres cavaliers. On pouvait à peine déterminer en la regardant que c’était une femme, sans même parler de reconnaître en elle l’Avelke de l’Empire, mais c’était mieux ainsi, pour elle comme pour Sëaren ou Isarak.
Ils franchirent finalement les portes de la ville au lever de la lune, sous la froide indifférence de son grand œil blanc, et les immenses vantaux se refermèrent derrière eux pour la nuit. Leur cavalcade effrénée résonna comme un bruit de tonnerre sur les pavés sombres, réveillant certainement tous ceux qui auraient eu le malheur de s’être déjà endormis, mais ils ne ralentirent qu’une fois à l’entrée du château. Yngvar avait explicitement demandé à son père que personne ne les attende, aussi la cour était-elle déserte et froide en cette heure tardive, à l’exception des soldats du guet.
Poussant un soupir de soulagement, Kyara démonta souplement, passa une main gantée sur le poitrail couvert d’écume de sa monture épuisée et lui offrit une pomme tirée de sa sacoche de voyage. Ensuite, elle se faufila vers le centre de la troupe, louvoyant entre les cavaliers qui se laissaient glisser de selle, jusqu’à atteindre deux silhouettes toujours à cheval, plus petites que les autres. Elle tendit les bras à l’une tandis qu’Yngvar, arrivé de l’arrière, aidait l’autre à descendre, puis elle lui ôta son casque. Une frimousse épuisée aux grands yeux violets et au nez retroussé apparut, lui sourit, puis bâilla. Elle échangea un bref regard amusé avec son époux, qui ébouriffait gentiment les mèches folles de l’autre enfant, et ils les prirent par la main pour les amener à l’intérieur.
L’organisation minutieuse, parfaitement rodée, du Premier Bataillon sanglant l’aurait effrayée ou mise mal à l’aise autrefois, mais aujourd’hui, elle l’appréciait. Chacun, y compris Yngvar ou elle, y avait sa place, son rôle. Il n’y avait pas de faille, pas de temps mort, pas de doute sur les procédures ou la hiérarchie. Tandis qu’ils s’engageaient vers l’aile ouest du palais, une vingtaine d’hommes se détachèrent du groupe et les encadrèrent, saluant au passage leurs collègues du guet postés ça et là, le long des murs ou sur les remparts. Leur efficacité coutumière avait quelque chose de rassurant, d’immuable. Deux autres hommes, parmi ceux qui montaient la garde, vinrent à leur rencontre pour leur indiquer le chemin et les guidèrent vers une porte dérobée.
Avec une surprise mêlée de fatigue, Kyara pénétra à nouveau, pour la première fois après douze hivers, dans les couloirs qui avaient abrité son enfance. Les murs de pierre, aussi froids et rugueux que dans ses souvenirs, lui semblèrent soudain éternels, pareils à de vieilles âmes glacées qui auraient vu défiler d’innombrables générations. Un sourire nostalgique remonta depuis le fond de son cœur, elle serra un peu plus fermement la main de l’enfant qui commençait à somnoler en marchant.
— Princesse Kyara ?
La voix féminine, aussi sèche que formelle, les arrêta au détour d’une coursive mal éclairée, et Kyara fut parcourue d’un brusque frisson. Sans même réfléchir, elle secoua gentiment le garçonnet pour l’éveiller, confia sa petite main à une soldate à ses côtés.
— Amène-les dans leur chambre. Et ne la laisse pas les approcher en notre absence, ajouta-t-elle dans un murmure.
— Compris, répondit Uma. Division une, avec moi.
L’un des deux gardes qui leur indiquaient le chemin les précéda, tandis que l’autre demeurait avec l’escorte désormais réduite de Kyara et Yngvar. Ce dernier, suivant l’initiative de son épouse, avait également déposé le gamin au sol, et le regardait s’éloigner avec une mine sombre, fermée. Kyara ravala un soupir, força une façade épuisée mais avenante sur son visage.
— Mère.
Mara d’Eau inclina la tête, étrangement oublieuse des conventions qui lui dictaient de s’incliner profondément devant le couple héritier.
— C’étaient tes enfants, je suppose ? s’enquit-elle.
La familiarité poncée et la douceur calculée de sa voix la hérissèrent, mais elle n’en laissa rien transparaître.
— Exact. Le voyage a été long et ils sont épuisés… tout comme nous, d’ailleurs.
Le signal était limpide, mais sa mère l’ignora ostensiblement.
— Je vois. Écoute, j’espérais que nous pourrions parler…
— Pas ce soir, Mère.
Sa voix claqua, plus sèche qu’elle ne l’aurait escompté, mais elle ne le regretta pas. Si la délicatesse et la diplomatie ne suffisaient pas, elle serait plus explicite. Néanmoins, pour adoucir la réponse cassante, elle ajouta :
— Pour le moment, je rêve d’un lit chaud et confortable. Mais demain, nous irons nous promener pour parler, si cela te convient.
— Très bien, fit Mara sans cacher son amère déception. Bonne nuit alors.
— Pareillement.
Ils s’esquivèrent aussi vite qu’ils étaient venus. Dans la montée, Yngvar glissa sa main gantée dans celle de Kyara, et elle la serra fort en retour, agitée par un tourbillon d’émotions contradictoires. Elle savait parfaitement en venant ici qu’elle reverrait sa mère, mais elle ne s’était pas préparée à la peine et à la colère qui lui avaient brutalement enserré le cœur après douze hivers d’absence. Elle aurait cru que, depuis le temps, la sensation d’abandon aurait reflué, mais elle n’en paraissait qu’exacerbée par le contexte.
L’esprit absent, elle se laissa guider dans les couloirs qu’elle aurait pourtant pu parcourir par cœur, sans noter qu’on ne l’emmenait pas vers la suite princière, mais vers les appartements à la jonction entre les ailes sud et ouest, qui avaient par le passé été destinés à l’usage de la Reine. Quand ils y parvinrent enfin, ils découvrirent une petite escouade de gardes, une trentaine au total, plantés devant les grandes portes, attendant patiemment leur venue. À leurs côtés, l’Empereur lui-même, adossé contre un mur les yeux fermés, somnolait, mais il se redressa brusquement en les entendant débouler.
Sans même hésiter, Kyara relâcha la main d’Yngvar et plongea avec soulagement dans l’étreinte paternelle de Saedor, ravie de retrouver la famille avec laquelle elle avait finalement choisi de grandir, plutôt que celle que les arcanes lui avaient donné à la naissance. Lorsqu’elle avait enfin accepté d’oublier et de pardonner, Saedor s’était révélé bien plus qu’un père de substitution. Il avait tour à tour pris le rôle de mentor, de confident, d’ami. Il lui avait donné son temps, son attention et sa patience, n’hésitant pas à la guider sur le chemin tortueux qu’elle avait emprunté, retrouvant certainement en elle l’humanité et l’émotivité qu’il manquait parfois à son propre fils.
— La sale bête va bien ? demanda-t-il en riant lorsqu’elle se détacha de ses bras pour le laisser étreindre son fils.
— Zarina ? Oh, oui, certainement ! Aveltia l’adore, maintenant qu’elle est plus vieille et calme. Elle pourrait passer des heures assise sur le trône avec Zarina sur les genoux.
Zarina était une petite chatte blanche de la même race que Kama, que Kyara avait offerte à l’Impératrice deux hivers auparavant. La jeunesse et l’excitation de la bestiole avaient d’abord provoqué quelques troubles au palais d’ambre, avant qu’elle ne s’assagisse avec l’âge.
— Et les garçons ? Ils sont déjà dans leur chambre, je suppose ? Épuisés ?
Elle acquiesça.
— Je les ai confiés à Uma pour le moment. Nous… nous avons croisé ma mère en montant.
— Ah. Je vois. Écoute, je ne vais pas vous retenir plus longtemps, tous les deux, vous avez eu une longue route. Nous parlerons demain.
Elle déposa un baiser sur sa joue, il donna une dernière accolade familière à Yngvar, puis s’en fut, et ils restèrent dans le couloir avec les soldats.
— Salut, cousin, lâcha celui qui était en tête de la garde de Ciel.
Son regard dévia sur le côté tandis qu’Yngvar souriait.
— Cousine, ajouta-t-il en s’inclinant devant Kyara.
Kyara s’inclina en retour en fermant son poing gauche sur sa poitrine, et il haussa les sourcils face au salut des Bataillons.
— On m’a raconté beaucoup de choses sur toi ces derniers temps, belle Corneille, mais je n’en aurais pas cru la moitié avant de te rencontrer.
Yngvar siffla entre ses dents, et son cousin en revint à lui en riant :
— Quoi, je ne peux même pas saluer l’Avelke ?
— On te voit tous venir avec tes grands sabots, ricana Skara, une femme de l’escouade d’Yngvar.
— Mince, démasqué ! Bonsoir Skara.
— Bonsoir.
Le Prince poussa un long soupir, puis consentit à introduire l’homme formellement.
— Kyara, je te présente Virakram, Virak pour les proches. Fils d’Askar et de Jacelynn – la tante de notre Jacelynn, ajouta-t-il avec un rictus – Duc de Boval – quoi qu’il délègue beaucoup à ses sœurs – et Capitaine du Douzième Bataillon Sanglant, actuellement rattaché au service et à la protection du château.
La Princesse fronça les sourcils, le temps de remonter l’arbre généalogique, dans lequel deux femmes du même nom se confondaient aisément, puis se fendit d’un sourire.
— Ravie.
— De même. Vous nous avez ramené du sang frais, de ce que j’ai compris ? demanda-t-il à Yngvar.
— Le Dix-septième, paré à prendre du service. Le Vingt-Quatrième en revanche n’est pas là pour monter la garde.
— Ah. Les fameux privilégiés ?
Yngvar lui asséna une tape sur le casque, ce à quoi Virak répondit par un rire et une grimace quelque peu sceptique.
— Bah, ça ne nous fera pas de mal. Mais tu es sûr que ça passe avec la population ?
— Il faudra bien.
Peu encline à prolonger cette conversation de couloir qui menaçait de s’éterniser, Kyara finit par tapoter le bras d’Yngvar et lui signifier, gentiment mais fermement, qu’elle avait envie d’aller se coucher. Cela faisait près d’une lune qu’ils étaient à cheval, ils avaient avalé les lieues à un rythme infernal, et la brève accroche qu’elle avait eue avec sa mère venait de la vider de toute force. Elle n’aspirait qu’à se débarrasser de ses vêtements de voyage, au combien confortables puissent-ils être, et de fermer les yeux pour dormir jusqu’à midi. Même si elle savait que le soleil, Jacelynn, une servante ou les garçons, l’éveilleraient certainement avant.
— Allez vous reposer, fit Virak en remarquant leur échange de regards. Et vous aussi, on prend la relève. Nos quartiers sont juste en-dessous, mais ne vous y habituez pas trop, on fait des roulements.
— Ne t’en fais pas, je trouverai bien un moyen d’abuser des lits du château, sourit Skara. Bonne nuit !
Elle esquissa un bref salut formel devant les héritiers, puis détala en direction des escaliers, suivie par les rires de ses compagnons. Kyara et Yngvar s’inclinèrent à leur tour, s’engagèrent dans leur suite, suivis de près par huit des gardes du Douzième qui veilleraient dans le salon, et fermèrent derrière eux les portes de la chambre. Depuis le temps, Kyara s’était totalement accoutumée à la présence des soldats dans certains des lieux qu’elle aurait par le passé considéré comme privés ou intimes. Le séjour, par exemple, était toujours surveillé par au moins trois hommes quand elle était seule, et davantage quand ils étaient tous les deux dans la suite avec le Corbeau.
Cette existence presque communautaire que les soldats partageaient avec la famille impériale lui était désormais familière, elle n’aurait guère su comment vivre autrement. Les seuls endroits où elle avait réellement une intimité étaient dans la chambre, avec Yngvar, et même là, il n’était pas rare que des servantes envahissent l’espace. Mais ils avaient appris à se ménager des fragments de solitude dans leurs journées épuisantes, des moments de tranquillité où ils chassaient tout le monde de la suite pour simplement s’asseoir l’un à côté de l’autre sur le canapé et profiter de l’instant présent.
— Imagine, sourit-elle en délaçant les lanières de la cuirasse d’Yngvar, on n’entendra pas Gadric ronfler cette nuit !
— Ni Arali grincer des dents, approuva-t-il en se tournant pour faire de même pour elle.
Ils défirent les attaches des différents éléments de leurs armures, se débarrassèrent du cuir et le déposèrent sur un trépied près de la fenêtre. Tout au long du voyage, ils avaient tous dormi dans les mêmes pièces, comme lorsqu’elle avait fait son premier aller en direction de la Citadelle Rouge. Ils avaient réquisitionné des salles communes, des granges, parfois même le sol des étables, entassés les uns contre les autres, davantage focalisés sur la durée de leur voyage que sur le confort qu’ils en retireraient.
— Je ne me rappelle même plus du son du silence, ricana-t-elle.
Il leva un sourcil provocateur.
— Es-tu certaine que tu veux dormir avec moi, cette nuit ?
Elle haussa les épaules en enfilant une longue robe de nuit qu’on avait placée sur le lit à son intention.
— Dans le pire des cas, j’irai m’installer avec les petits monstres. Ou sur le divan, il me semble qu’il était confortable fut un temps.
Le tissu était doux et frais, souple comme de la soie même si elle était certaine que ce n’en était pas. Elle y reconnut la marque de fabrique des couturières de l’Impératrice, leurs points souples mais serrés, leur finesse incomparable. Et les servantes l’avaient même parfumé de lavande en préparant sa venue.
Un sourire aux lèvres, elle se glissa dans le lit, rabattit l’édredon épais par-dessus la couverture malgré la tiédeur de la chambre.
— Ah non, pesta Yngvar, tu ne vas pas me dire que tu as froid !
En guise de réponse, elle colla ses orteils glacés contre son tibia, et il grogna. Ils se chamaillèrent encore quelques minutes comme des enfants, puis elle finit par poser sa tête sur son torse et écouter sa respiration qui ralentissait progressivement alors qu’il commençait à sombrer. Le souvenir, fugitif mais blessant, de sa rencontre avec sa mère lui piqua le cœur, elle soupira. Pour le chasser, elle songea à ces longues lunes qu’elle avait passé dans les camps de formation des nouveaux Bataillons. Elle en avait apprécié chaque soirée, chaque interminable entraînement, chaque épreuve à laquelle elle avait participé. Au début timide, peu encline à se mêler à des adolescents qui maîtrisaient l’épée mieux qu’elle alors qu’ils avaient le même âge, elle avait fini par se joindre à eux, galvanisée par l’esprit de groupe et la compétition féroce qui les animaient.
Yngvar et sa mère avaient décidé de perpétuer la tradition instaurée dans la jeunesse du Prince en créant tous les cinq étés trois à cinq nouvelles unités d’élite et en généralisant la formation militaire à l’intégralité de la population. Cependant, dans les camps d’entraînement, Kyara avait vite découvert l’aspect rigoureux et martial se perdait en quelques jours, au profit d’une forte camaraderie et d’amitiés qui perduraient parfois longtemps après que les enfants qui n’étaient pas au niveau soient éliminés. Même parmi la jeune Noblesse du palais d’ambre, il lui était arrivé de croiser deux adolescents qui ne s’étaient pas vus depuis six hivers et qui, soudain, en se croisant dans un couloir, esquissaient le salut des Bataillons avec une indicible fierté.
La population d’Avalaën avait toujours été plus guerrière que celle des quatre provinces, mais avec ces nouveaux groupes de combattants, elle s’unifiait, renforçait ses liens, ne laissant guère de place aux querelles intestines et équilibrant progressivement les rapports entre riches et pauvres. Kyara en avait fait partie. Elle l’avait vécu elle-même, elle avait compris ce que ces enfants ressentaient, elle l’avait perçu à son tour. Elle avait noué quelques amitiés indéfectibles parmi les adolescents du Dix-huitième au Vingt-et-unième.
Elle finit par s’endormir en rêvant d’un temps où la fracture entre l’ancien Helvethras et Avalaën ne serait plus perceptible. Cela passait, actuellement, par la première promotion mixte des Bataillons, dont le Vingt-quatrième, qui était arrivé aujourd’hui avec eux. L’un de leurs objectifs, en venant s’installer à Ciel pour les quelques prochaines saisons, était notamment de démocratiser ce recrutement et de l’étendre aux populations encore récalcitrantes de Ciel, Terre, Eau et Lumière.

Le lendemain, elle fut réveillée – comme elle l’avait escompté – par une volée de pas, accompagnés d’un cri perçant, et d’une petite masse qui se jetait brutalement sur elle. Elle poussa un grognement grincheux, enfouit son nez dans le coussin pour se protéger de l’attaque matinale, mais ne put lutter bien longtemps contre la furie des deux gamins surexcités qui bondissaient sur le lit en faisant grincer les montants de bois. Une plainte lui échappa, couverte par un rire sonore, cristallin, et elle ouvrit les yeux des iris lilas qui plongeaient dans les siens.
— Merake ? Tu dors ?
Elle referma les yeux aussi sec.
— Menteuse, tu dors plus !
Il la secoua par l’épaule, et elle se redressa avec un soupir en se frottant les yeux.
— Non, je ne dors plus.
Les deux petits monstres poussèrent un cri de joie en l’entendant, et détalèrent aussitôt. Elle grogna, bâilla, s’étira, releva la tête pour apercevoir Uma, nonchalamment appuyée contre le chambranle de la porte grande ouverte.
— Désolée, Avelke, ils sont intenables depuis ce matin.
— Quelle heure est-il ? soupira-t-elle en glissant ses pieds hors de la chaleur de la couverture.
— Huit heures et quelques.
Trop tôt, donc, pour compenser le voyage éreintant, et trop tard pour qu’elle arrive à se replonger dans le sommeil.
— Yngvar est déjà levé, je suppose…
Uma ne prit pas la peine de répondre à l’affirmation. Elle coula un bref regard derrière elle, vers le salon dans lequel les gamins se chamaillaient en faisant valdinguer les bibelots soigneusement arrangés par une servante méticuleuse. Elle sourit :
— Je pense qu’il faudrait les garder en voyage en permanence, ils sont beaucoup plus calmes quand ils sont toujours fatigués.
Kyara approuva d’un hochement de tête, enfila une robe de chambre et des pantoufles et se glissa hors de la pièce avec un soupir.
— Isarak. Sëaren. Du calme.
Ils s’immobilisèrent d’un seul coup.
— Jace est levée ? demanda-t-elle encore à Uma.
— Non.
La Princesse se fendit d’un rictus.
— Allez donc réveiller Jacelynn, je suis sûre qu’elle va vouloir petit-déjeuner avec nous.
Les deux garçons fusèrent vers la porte tels des flèches, et Uma soupira.
— C’est vicieux.
— Mais drôle.
— Certes, convint la soldate avec un rire avant de s’élancer à la poursuite des enfants. Je te raconterai sa réaction !
Le calme retomba sur la pièce après leur départ, et dans le soudain silence, Kyara entendit sans mal les rires amusés des soldats du Douzième. Elle pouffa à son tour, tourna les talons pour retourner dans sa chambre et s’habiller hâtivement, puis dévala les escaliers du château en direction d’une petite salle à manger réservée à la famille royale, deux étages plus bas.
Alerte et bien réveillée, elle nota sans mal durant la descente les multiples, parfois insignifiants, mais néanmoins remarquables changements alors qu’elle se faufilait dans les couloirs éclairés. Les immenses fenêtres, qui avaient toujours été sombres et poussiéreuses, avaient été lavées, certaines vitres avaient certainement été changées car leur transparence détonnait avec le reste. Les corridors étaient lumineux, des miroirs avaient été placés à des endroits stratégiques pour refléter la lumière du soleil, tout comme c’était déjà le cas au palais d’ambre. Les serviteurs portaient des livrées impeccables, ils se tenaient plus droits – même s’ils se hâtaient toujours autant – et leurs visages n’étaient plus aussi fatigués que dans ses souvenirs. Le bleu pâle de la dynastie de Ciel avait été remplacé par le pourpre brillant, qui ne contrastait pas autant avec les dorures et les pierres gris-brun des murs. L’intégralité du château semblait avoir pris un souffle nouveau, comme si la charge des hivers qui avaient précédé avait été levée.
À l’instar du reste des lieux, la petite salle à manger avait elle aussi changé. On avait allégé le poids des d’ornements sur la cheminée, dissimulé la pierre brute sous des boiseries claires qui illuminaient et agrandissaient l’espace, retiré quelques vieux tableaux au goût douteux. La grande table ronde en marbre rouge n’avait en revanche pas été retirée, simplement polie à neuf pour lui rendre son lustre. Yngvar et Saedor y étaient déjà attablés, conversant à voix basse mais animée de quelque chose qui semblait concerner la province d’Eau. Peu désireuse de les interrompre, Kyara tira vers elle une chaise à côté d’Yngvar, hocha la tête à leur intention et écouta. Très vite, elle comprit qu’ils parlaient en fait de Mara et de son influence récente qui s’était faite troublante.
Finalement, alors qu’Yngvar finissait de relater la rencontre nocturne, Jacelynn ouvrit à son tour la porte en bâillant largement, Sëaren et Isarak sur ses talons.
— Salutations tout le monde.
— Aksanarë, répondit Kyara, profitant de l’occasion pour saluer poliment elle aussi.
Les autres répétèrent la formule, s’installèrent à la table, Sëaren et Isarak se battant presque pour être le premier à pouvoir s’asseoir à côté de leur grand-père. Quand, finalement, Isarak vainquit d’un vicieux croche-pied qui étala son aîné sur le tapis, il s’installa sur sa place dûment gagnée avec un sourire triomphal. Sëaren, grincheux et dépité, se mit à côté de Jacelynn, piqua d’une fourchette morose la petite motte de beurre posée dans le coin de son assiette. Puis, quand il croisa le regard sévère de sa mère, il se redressa, sourit… et Isarak poussa une plainte. Kyara n’eut pas besoin de plus pour deviner le discret coup de pied qui était parti sur le côté. Elle soupira, jeta un coup d’œil suppliant à Yngvar.
— Hé, vous deux.
Ils se calmèrent aussitôt, sages comme des images, et leur grand-père se fendit d’un rire narquois.
— Vous êtes encore pires que dans mes souvenirs…
— Mais non, ils sont juste surexcités par le nouvel environnement, rétorqua Yngvar. Quelques heures dehors devraient les calmer.
Les garçons échangèrent un regard désespéré, arrachant un sourire à leur mère, qui les détailla avec tendresse alors qu’ils essayaient de se convenir discrètement d’un plan pour échapper à la surveillance de leurs parents et de leurs gardes. Ils avaient tous les deux sa peau sombre, son nez retroussé, ses pommettes fines à la courbe douce. En revanche, ils avaient les yeux de la dynastie Zaor’Vil, d’un violet perçant, assombri en début de matinée, les cheveux raides d’Yngvar qui leur tombaient sur le front, et les sourcils fins et arqués de l’Impératrice. Elle ne pouvait s’empêcher de voir en eux l’union parfaite d’Helvethras et d’Avalaën.
Mais, s’ils se ressemblaient au niveau physique, ils étaient en revanche bien plus disparates au niveau du caractère. Sëaren, l’aîné, avait l’approche directe, parfois un peu brute de décoffrage, de son père. Il ne craignait pas d’user de la force lorsqu’il n’arrivait pas à obtenir ce qu’il voulait, il se vengeait des bêtises de son frère en l’emprisonnant dans une poigne impossible à défaire. Isarak de son côté tirait davantage des femmes de la famille. Il avait la douceur et l’air rêveur de Kyara… et la férocité et la fourberie de l’Impératrice. Il jouait déjà de ses mots alors qu’il n’avait que sept hivers, et il n’hésitait pas à piéger son aîné avec des ruses… qui lui étaient ensuite rendues en chatouilles et en coups au centuple.
Yngvar avait néanmoins promis que les entraînements des Bataillons, à défaut de faire d’eux des commandants, les calmeraient quelque peu. Ils intégreraient tous les deux la prochaine formation, qui débuterait dans quelques saisons, et elle espérait que, sans trop exacerber leur compétitivité, l’entraînement leur apprendrait au moins l’esprit d’équipe. Même si, elle devait l’admettre, imaginer les deux gamins unis dans un même objectif avait aussi quelque chose de terrifiant.
Elle termina son petit-déjeuner sans piper mot, songeuse, écoutant d’une oreille distraite les chamailleries de ses enfants, et de l’autre, plus attentive, la discussion qui avait dérivé sur les audiences de la journée. Une fois qu’ils eurent tous fini de manger, Jacelynn emmena les frères vers les jardins en leur promettant d’explorer avec eux partout où ils voudraient, et Kyara, Yngvar et Saedor se retrouvèrent à nouveau dans un silence apaisant.
— Vous parliez de ma mère avant que je n’arrive, soupira-t-elle, consciente qu’il faudrait aborder le problème un jour.
Le Corbeau acquiesça, la mine soudain fermée.
— On suppose qu’elle favorise – à défaut de l’organiser – la dissidence dans la province d’Eau. Il n’y a pas de preuves tangibles ou directes qui mèneraient droit à elle, mais il va falloir la surveiller. Est-ce que je pourrais te demander…
Il hésita, s’interrompit. Elle grimaça ostensiblement, renversa la tête en arrière pour y réfléchir. Elle savait exactement ce qu’il voulait mais n’osait pas lui demander. La question flotta quelques secondes dans son esprit, volage, soulevant un millier de nuances d’émotions conflictuelles, et Kyara finit par acquiescer.
— J’irai lui parler, voir ce qu’elle est prête à me dire.
— Tu en es certaine ?
Elle sourit avec une certaine tendresse, chassant la peur de faire face à la femme qui avait provoqué chez elle tant de souffrance, de solitude, d’amertume et de colère.
— Ne t’en fais pas, elle ne va pas me convertir en deux discussions.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, répondit Yngvar, l’air buté.
— Je sais…
Il s’adoucit. Saedor, qui avait observé leur échange en silence, prit une gorgée du thé fumant qu’il venait de se servir, et dit à son tour :
— Je conçois sans mal l’effort que ça te demandera. Tu n’y es pas obligée, nous trouverons d’autres moyens. J’ai une piste en ville, je ne…
— Suivez vos pistes tous les deux, et je creuserai de mon côté. Nous aurons davantage de résultats.
Son expression s’était faite farouche, combative. Un sourire fatigué, alourdi par les rides qui grandissaient sous ses yeux et aux commissures de ses lèvres, illumina néanmoins les prunelles de l’Empereur, et il acquiesça. Les hivers écoulés commençaient à gagner du terrain sur son visage, et lui qui avait à une époque ressemblé trait pour trait à Yngvar retrouvait désormais le poids de son véritable âge, mais cela ne l’affectait pas pour autant dans son travail. Il continuait à porter le fardeau de sa couronne avec une élégance et une assurance qui résultaient tant de ses années d’expérience que de son naturel responsable et du support inconditionnel qu’il recevait de son épouse.
Depuis douze hivers, Kyara ne les avait jamais vus ensemble, cloîtrée à l’ouest de l’Empire dans la Citadelle tandis qu’eux allaient et venaient pour alterner la gouvernance entre deux cités majeures. Elle n’avait toujours vu que l’Impératrice ou que Saedor à la Citadelle, étant donné que la règle d’or était de ne jamais laisser un siège de pouvoir vacant. Yngvar et elle s’occupaient depuis longtemps de la politique de la capitale, mais ils n’avaient que récemment intégré ce cycle de rotations qui leur ferait écumer le territoire avalonien en long, en large et en travers, à intervalles réguliers.
Pour autant, elle ne s’en plaignait pas. Les saisons à la Citadelle Rouge lui avaient appris beaucoup, bien plus que tout ce que ses précepteurs auraient essayé de lui inculquer dans sa jeunesse. Elle avait gagné en maturité, en pouvoir de décision, en arbitrarité aussi. Elle était plutôt fière de son évolution, et même si elle savait qu’elle était loin d’avoir parcouru la totalité du chemin, elle prenait plaisir à constater ses progrès et à s’affirmer là où elle aurait autrefois cédé et reculé.
Faire face à sa mère n’était qu’un pas de plus dans cette direction. Cette confrontation était inévitable, elle le savait depuis longtemps, mais si elle pouvait permettre en outre de démanteler une part du soulèvement qui agitait les provinces depuis quelques temps, elle était prête à le faire. Elle avait trop à perdre en évitant le conflit et en laissant les problèmes prendre de l’ampleur. Cela, Mara de Ciel – enfin d’Eau, désormais – ne le comprendrait pas, évidemment, mais c’était peut-être ce qui aiderait Kyara à lui soutirer des informations.
Elle soupira à nouveau, sourit tour à tour à Yngvar puis à l’Empereur, et se redressa pour quitter la table. Son angoisse avait quelque peu reflué, chassée par sa résolution. La dernière fois qu’elle avait vu sa mère, elle n’était qu’une adolescente perdue et désœuvrée qui n’avait aucune idée de ce qu’elle attendait. Cette fois-ci, elle était l’héritière des trônes unis d’Uvrastryn, l’épouse d’Yngvar Zaor’Vil et la mère des princes de l’Empire. Et elle ne laisserait pas qui que ce soit saboter ce qu’elle avait passé tant de temps à construire.

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ACTE IV (2/4)
Dernière modification par vampiredelivres le lun. 10 janv., 2022 1:06 pm, modifié 2 fois.
louji

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Re: Dynasties / Kyara IV (1/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : lun. 03 janv., 2022 2:16 pm Hiello !
L'écriture de Kyara étant enfin terminée, on attaque la p4 avec le traditionnel time jump de Dynasties (oui promis il va être traditionnel !). De quoi (re-)découvrir un environnement, des personnages et des dramas.
Bonne lecture !

:arrow: Yooo, contente de pouvoir lire la suite ! Bon, je croise les doigts pour que le gros du drama soit derrière nous 8-)


ACTE IV : LA PACIFICATRICE
(1/4)


Ils atteignirent l’immense plaine au coucher du soleil. Les rayons bas teintaient les herbes hautes de doré, sublimaient l’éclat des épis de blé blonds qui seraient bientôt récoltés, avant de s’écraser sur les épaisses murailles de la cité dressée au centre de la plaine. Les paysans, qui finissaient leur épuisante journée dans les champs, relevèrent la tête au passage de la cohorte qui pressait ses chevaux au galop pour atteindre les remparts avant la tombée de la nuit. Le fracas de leurs sabots emplit l’air d’un grondement ininterrompu, quelques enfants poussèrent des cris effrayés et s’écartèrent de la terre battue sur laquelle ils jouaient. Un épais nuage de poussière se souleva à leur passage tel une traîne brunâtre, avant d’être soufflé et rabattu par le vent qui agitait les champs.
À la tête de la cohorte, dressée sur ses étriers, Kyara laissa sa monture prendre une allure confortable avant de se rasseoir en selle, un sourire aux lèvres. Une étrange appréhension, mêlée de nostalgie, nouait ses entrailles, faisait battre son cœur un peu plus vite. Il y avait si longtemps qu’elle n’était pas revenue ici.
Elle jeta un bref regard derrière elle, mais dans la poussière et la masse de cavaliers qui la suivaient, impossible de distinguer la haute silhouette d’Yngvar. Pourtant, elle savait qu’il fermait la marche, et qu’il n’avait certainement pas lâché Sëaren ou Isarak :arrow: Leurs petiots ?? :( du regard plus de quelques secondes. La certitude la rassura, sans pour autant apaiser son anxiété et, inconsciemment, elle appuya ses talons contre les flancs de son cheval, allongeant ses foulées.
— Avelke !
Le cri d’Uma, qui la talonnait de près, la rappela à l’ordre alors qu’elle menaçait de rompre les rangs de la formation et de s’arracher aux Bataillons. Elle tira sur les rênes, réintégra sa place, et ses yeux dérivèrent quelques instants sur les pauvres maisonnettes qui bordaient la grande route. Il lui semblait qu’elles paraissaient un peu plus larges et solides que dans ses souvenirs. En s’attardant sur cette idée, elle remarqua ici un appentis qui avait été dressé, là un pan de mur qui semblait plus neuf que les autres, ailleurs encore une toiture récemment refaite. Elle savait que Saedor et Eliane avaient œuvré d’arrache-pied pour amener des changements qui auraient été dus depuis longtemps, mais ce n’était qu’ici qu’elle le réalisait enfin, et la satisfaction qu’elle en tira parvint à dissiper quelque peu le nœud dans son ventre.
Elle avait quitté la cité en petite princesse esseulée, abandonnée aux mains de ses ravisseurs, mais elle revenait en héritière de l’Empire d’Avalaën, à la tête de trois cent cinquante cavaliers dont deux Bataillons réguliers. Par les arcanes, combien de choses avaient changé en douze hivers… :arrow: Ah oué. Damn. Mixed feelings. Elle rentre à la maison, mais ça a tellement changé. Son pays, elle. Nostalgie et appréhension arf.
En parvenant au pied des remparts, elle rabattit sur sa tête la visière de son casque de cuir et de métal, se rendant totalement anonyme parmi la foule de soldats. Elle était vêtue exactement comme eux, d’un pourpoint de soie surmonté d’une cuirasse lustrée, d’un pantalon de la cavalerie couvert de tassettes métalliques, et d’épaisses bottes lacées jusqu’au genou. L’ensemble était d’un noir brillant, poli, à peine affecté par l’épreuve du voyage, et les pièces étaient taillées de manière à ce que rien ne la distingue des autres cavaliers. On pouvait à peine déterminer en la regardant que c’était une femme, sans même parler de reconnaître en elle l’Avelke de l’Empire, mais c’était mieux ainsi, pour elle comme pour Sëaren ou Isarak.
Ils franchirent finalement les portes de la ville au lever de la lune, sous la froide indifférence de son grand œil blanc, et les immenses vantaux se refermèrent derrière eux pour la nuit. Leur cavalcade effrénée résonna comme un bruit de tonnerre sur les pavés sombres, réveillant certainement tous ceux qui auraient eu le malheur de s’être déjà endormis, mais ils ne ralentirent qu’une fois à l’entrée du château. Yngvar avait explicitement demandé à son père que personne ne les attende, aussi la cour était-elle déserte et froide en cette heure tardive, à l’exception des soldats du guet.
Poussant un soupir de soulagement, Kyara démonta souplement, passa une main gantée sur le poitrail couvert d’écume de sa monture épuisée et lui offrit une pomme tirée de sa sacoche de voyage. Ensuite, elle se faufila vers le centre de la troupe, louvoyant entre les cavaliers qui se laissaient glisser de selle, jusqu’à atteindre deux silhouettes toujours à cheval, plus petites que les autres. Elle tendit les bras à l’une tandis qu’Yngvar, arrivé de l’arrière, aidait l’autre à descendre, puis elle lui ôta son casque. Une frimousse épuisée aux grands yeux violets et au nez retroussé apparut, lui sourit, puis bâilla. Elle échangea un bref regard amusé avec son époux, qui ébouriffait gentiment les mèches folles de l’autre enfant, et ils les prirent par la main pour les amener à l’intérieur. :arrow: Bon, t'arrêtes de ramollir mon kokoro avec des trucs choupi comme ça, après je vais pas être d'attaque pour le drama.
L’organisation minutieuse, parfaitement rodée, du Premier Bataillon sanglant l’aurait effrayée ou mise mal à l’aise autrefois, mais aujourd’hui, elle l’appréciait. Chacun, y compris Yngvar ou elle, y avait sa place, son rôle. Il n’y avait pas de faille, pas de temps mort, pas de doute sur les procédures ou la hiérarchie. Tandis qu’ils s’engageaient vers l’aile ouest du palais, une vingtaine d’hommes se détachèrent du groupe et les encadrèrent, saluant au passage leurs collègues du guet postés ça et là, le long des murs ou sur les remparts. Leur efficacité coutumière avait quelque chose de rassurant, d’immuable. Deux autres hommes, parmi ceux qui montaient la garde, vinrent à leur rencontre pour leur indiquer le chemin et les guidèrent vers une porte dérobée.
Avec une surprise mêlée de fatigue, Kyara pénétra à nouveau, pour la première fois après douze hivers, dans les couloirs qui avaient abrité son enfance. Les murs de pierre, aussi froids et rugueux que dans ses souvenirs, lui semblèrent soudain éternels, pareils à de vieilles âmes glacées qui auraient vu défiler d’innombrables générations. Un sourire nostalgique remonta depuis le fond de son cœur, elle serra un peu plus fermement la main de l’enfant qui commençait à somnoler en marchant.
— Princesse Kyara ?
La voix féminine, aussi sèche que formelle, les arrêta au détour d’une coursive mal éclairée, et Kyara fut parcourue d’un brusque frisson. Sans même réfléchir, elle secoua gentiment le garçonnet pour l’éveiller, confia sa petite main à une soldate à ses côtés.
— Amène-les dans leur chambre. Et ne la laisse pas les approcher en notre absence, ajouta-t-elle dans un murmure.
— Compris, répondit Uma. Division une, avec moi.
L’un des deux gardes qui leur indiquaient le chemin les précéda, tandis que l’autre demeurait avec l’escorte désormais réduite de Kyara et Yngvar. Ce dernier, suivant l’initiative de son épouse, avait également déposé le gamin au sol, et le regardait s’éloigner avec une mine sombre, fermée. Kyara ravala un soupir, força une façade épuisée mais avenante sur son visage.
— Mère.
Mara d’Eau inclina la tête, étrangement oublieuse des conventions qui lui dictaient de s’incliner profondément devant le couple héritier.
— C’étaient tes enfants, je suppose ? s’enquit-elle. :arrow: Non, ses grands-parents. Fuuh, je sais que la question est légitime (ça pourrait être des neveux ou que sais-je) mais y'a le seum contre elle après tout le reste de l'histoire :roll:
La familiarité poncée et la douceur calculée de sa voix la hérissèrent, mais elle n’en laissa rien transparaître.
— Exact. Le voyage a été long et ils sont épuisés… tout comme nous, d’ailleurs.
Le signal était limpide, mais sa mère l’ignora ostensiblement.
— Je vois. Écoute, j’espérais que nous pourrions parler…
— Pas ce soir, Mère.
Sa voix claqua, plus sèche qu’elle ne l’aurait escompté, mais elle ne le regretta pas. Si la délicatesse et la diplomatie ne suffisaient pas, elle serait plus explicite. Néanmoins, pour adoucir la réponse cassante, elle ajouta :
— Pour le moment, je rêve d’un lit chaud et confortable. Mais demain, nous irons nous promener pour parler, si cela te convient.
— Très bien, fit Mara sans cacher son amère déception. Bonne nuit alors.
— Pareillement.
Ils s’esquivèrent aussi vite qu’ils étaient venus. Dans la montée, Yngvar glissa sa main gantée dans celle de Kyara, et elle la serra fort en retour, agitée par un tourbillon d’émotions contradictoires. Elle savait parfaitement en venant ici qu’elle reverrait sa mère, mais elle ne s’était pas préparée à la peine et à la colère qui lui avaient brutalement enserré le cœur après douze hivers d’absence. Elle aurait cru que, depuis le temps, la sensation d’abandon aurait reflué, mais elle n’en paraissait qu’exacerbée par le contexte.
L’esprit absent, elle se laissa guider dans les couloirs qu’elle aurait pourtant pu parcourir par cœur, sans noter qu’on ne l’emmenait pas vers la suite princière, mais vers les appartements à la jonction entre les ailes sud et ouest, qui avaient par le passé été destinés à l’usage de la Reine. Quand ils y parvinrent enfin, ils découvrirent une petite escouade de gardes, une trentaine au total, plantés devant les grandes portes, attendant patiemment leur venue. À leurs côtés, l’Empereur lui-même, adossé contre un mur les yeux fermés, somnolait, mais il se redressa brusquement en les entendant débouler.
Sans même hésiter, Kyara relâcha la main d’Yngvar et plongea avec soulagement dans l’étreinte paternelle de Saedor, ravie de retrouver la famille avec laquelle elle avait finalement choisi de grandir, plutôt que celle que les arcanes lui avaient donné à la naissance. :arrow: Aaah, c'est assez logique vis-à-vis des événements et du temps passé, mais ça serre un peu le coeur quand même de voir qu'elle a l'air d'une étrangère chez elle. Lorsqu’elle avait enfin accepté d’oublier et de pardonner, Saedor s’était révélé bien plus qu’un père de substitution. Il avait tour à tour pris le rôle de mentor, de confident, d’ami. Il lui avait donné son temps, son attention et sa patience, n’hésitant pas à la guider sur le chemin tortueux qu’elle avait emprunté, retrouvant certainement en elle l’humanité et l’émotivité qu’il manquait parfois à son propre fils.
— La sale bête va bien ? demanda-t-il en riant lorsqu’elle se détacha de ses bras pour le laisser étreindre son fils.
— Zarina ? Oh, oui, certainement ! Aveltia l’adore, maintenant qu’elle est plus vieille et calme. Elle pourrait passer des heures assise sur le trône avec Zarina sur les genoux.
Zarina était une petite chatte blanche de la même race que Kama, que Kyara avait offerte à l’Impératrice deux hivers auparavant. La jeunesse et l’excitation de la bestiole avaient d’abord provoqué quelques troubles au palais d’ambre, avant qu’elle ne s’assagisse avec l’âge. :arrow: Dynasties, c'est une histoire de chats en fait 8-)
— Et les garçons ? Ils sont déjà dans leur chambre, je suppose ? Épuisés ?
Elle acquiesça.
— Je les ai confiés à Uma pour le moment. Nous… nous avons croisé ma mère en montant.
— Ah. Je vois. Écoute, je ne vais pas vous retenir plus longtemps, tous les deux, vous avez eu une longue route. Nous parlerons demain.
Elle déposa un baiser sur sa joue, il donna une dernière accolade familière à Yngvar, puis s’en fut, et ils restèrent dans le couloir avec les soldats.
— Salut, cousin, lâcha celui qui était en tête de la garde de Ciel.
Son regard dévia sur le côté tandis qu’Yngvar souriait.
— Cousine, ajouta-t-il en s’inclinant devant Kyara.
Kyara s’inclina en retour en fermant son poing gauche sur sa poitrine, et il haussa les sourcils face au salut des Bataillons.
— On m’a raconté beaucoup de choses sur toi ces derniers temps, belle Corneille, mais je n’en aurais pas cru la moitié avant de te rencontrer.
Yngvar siffla entre ses dents, et son cousin en revint à lui en riant :
— Quoi, je ne peux même pas saluer l’Avelke ?
— On te voit tous venir avec tes grands sabots, ricana Skara, une femme de l’escouade d’Yngvar.
— Mince, démasqué ! Bonsoir Skara.
— Bonsoir.
Le Prince poussa un long soupir, puis consentit à introduire l’homme formellement.
— Kyara, je te présente Virakram, Virak pour les proches. Fils d’Askar et de Jacelynn – la tante de notre Jacelynn, ajouta-t-il avec un rictus – Duc de Boval – quoi qu’il délègue beaucoup à ses sœurs – et Capitaine du Douzième Bataillon Sanglant, actuellement rattaché au service et à la protection du château.
La Princesse fronça les sourcils, le temps de remonter l’arbre généalogique, dans lequel deux femmes du même nom se confondaient aisément, puis se fendit d’un sourire.
— Ravie.
— De même. Vous nous avez ramené du sang frais, de ce que j’ai compris ? demanda-t-il à Yngvar.
— Le Dix-septième, paré à prendre du service. Le Vingt-Quatrième en revanche n’est pas là pour monter la garde.
— Ah. Les fameux privilégiés ?
Yngvar lui asséna une tape sur le casque, ce à quoi Virak répondit par un rire et une grimace quelque peu sceptique.
— Bah, ça ne nous fera pas de mal. Mais tu es sûr que ça passe avec la population ?
— Il faudra bien.
Peu encline à prolonger cette conversation de couloir qui menaçait de s’éterniser, Kyara finit par tapoter le bras d’Yngvar et lui signifier, gentiment mais fermement, qu’elle avait envie d’aller se coucher. Cela faisait près d’une lune qu’ils étaient à cheval, ils avaient avalé les lieues à un rythme infernal, et la brève accroche qu’elle avait eue avec sa mère venait de la vider de toute force. Elle n’aspirait qu’à se débarrasser de ses vêtements de voyage, au combien confortables puissent-ils être, et de fermer les yeux pour dormir jusqu’à midi. Même si elle savait que le soleil, Jacelynn, une servante ou les garçons, l’éveilleraient certainement avant.
— Allez vous reposer, fit Virak en remarquant leur échange de regards. Et vous aussi, on prend la relève. Nos quartiers sont juste en-dessous, mais ne vous y habituez pas trop, on fait des roulements.
— Ne t’en fais pas, je trouverai bien un moyen d’abuser des lits du château, sourit Skara. Bonne nuit !
Elle esquissa un bref salut formel devant les héritiers, puis détala en direction des escaliers, suivie par les rires de ses compagnons. Kyara et Yngvar s’inclinèrent à leur tour, s’engagèrent dans leur suite, suivis de près par huit des gardes du Douzième qui veilleraient dans le salon, et fermèrent derrière eux les portes de la chambre. Depuis le temps, Kyara s’était totalement accoutumée à la présence des soldats dans certains des lieux qu’elle aurait par le passé considéré comme privés ou intimes. Le séjour, par exemple, était toujours surveillé par au moins trois hommes quand elle était seule, et davantage quand ils étaient tous les deux dans la suite avec le Corbeau.
Cette existence presque communautaire que les soldats partageaient avec la famille impériale lui était désormais familière, elle n’aurait guère su comment vivre autrement. Les seuls endroits où elle avait réellement une intimité étaient dans la chambre, avec Yngvar, et même là, il n’était pas rare que des servantes envahissent l’espace. Mais ils avaient appris à se ménager des fragments de solitude dans leurs journées épuisantes, des moments de tranquillité où ils chassaient tout le monde de la suite pour simplement s’asseoir l’un à côté de l’autre sur le canapé et profiter de l’instant présent.
— Imagine, sourit-elle en délaçant les lanières de la cuirasse d’Yngvar, on n’entendra pas Gadric ronfler cette nuit !
— Ni Arali grincer des dents, approuva-t-il en se tournant pour faire de même pour elle.
Ils défirent les attaches des différents éléments de leurs armures, se débarrassèrent du cuir et le déposèrent sur un trépied près de la fenêtre. Tout au long du voyage, ils avaient tous dormi dans les mêmes pièces, comme lorsqu’elle avait fait son premier aller en direction de la Citadelle Rouge. Ils avaient réquisitionné des salles communes, des granges, parfois même le sol des étables, entassés les uns contre les autres, davantage focalisés sur la durée de leur voyage que sur le confort qu’ils en retireraient.
— Je ne me rappelle même plus du son du silence, ricana-t-elle.
Il leva un sourcil provocateur.
— Es-tu certaine que tu veux dormir avec moi, cette nuit ? :arrow: Il ronfle mdrr ?
Elle haussa les épaules en enfilant une longue robe de nuit qu’on avait placée sur le lit à son intention.
— Dans le pire des cas, j’irai m’installer avec les petits monstres. Ou sur le divan, il me semble qu’il était confortable fut un temps.
Le tissu était doux et frais, souple comme de la soie même si elle était certaine que ce n’en était pas. Elle y reconnut la marque de fabrique des couturières de l’Impératrice, leurs points souples mais serrés, leur finesse incomparable. Et les servantes l’avaient même parfumé de lavande en préparant sa venue.
Un sourire aux lèvres, elle se glissa dans le lit, rabattit l’édredon épais par-dessus la couverture malgré la tiédeur de la chambre.
— Ah non, pesta Yngvar, tu ne vas pas me dire que tu as froid !
En guise de réponse, elle colla ses orteils glacés contre son tibia, et il grogna. Ils se chamaillèrent encore quelques minutes comme des enfants, puis elle finit par poser sa tête sur son torse et écouter sa respiration qui ralentissait progressivement alors qu’il commençait à sombrer. Le souvenir, fugitif mais blessant, de sa rencontre avec sa mère lui piqua le cœur, elle soupira. Pour le chasser, elle songea à ces longues lunes qu’elle avait passé dans les camps de formation des nouveaux Bataillons. Elle en avait apprécié chaque soirée, chaque interminable entraînement, chaque épreuve à laquelle elle avait participé. Au début timide, peu encline à se mêler à des adolescents qui maîtrisaient l’épée mieux qu’elle alors qu’ils avaient le même âge, elle avait fini par se joindre à eux, galvanisée par l’esprit de groupe et la compétition féroce qui les animaient.
Yngvar et sa mère avaient décidé de perpétuer la tradition instaurée dans la jeunesse du Prince en créant tous les cinq étés trois à cinq nouvelles unités d’élite et en généralisant la formation militaire à l’intégralité de la population. Cependant, dans les camps d’entraînement, Kyara avait vite découvert l’aspect rigoureux et martial se perdait en quelques jours, au profit d’une forte camaraderie et d’amitiés qui perduraient parfois longtemps après que les enfants qui n’étaient pas au niveau soient éliminés. Même parmi la jeune Noblesse du palais d’ambre, il lui était arrivé de croiser deux adolescents qui ne s’étaient pas vus depuis six hivers et qui, soudain, en se croisant dans un couloir, esquissaient le salut des Bataillons avec une indicible fierté.
La population d’Avalaën avait toujours été plus guerrière que celle des quatre provinces, mais avec ces nouveaux groupes de combattants, elle s’unifiait, renforçait ses liens, ne laissant guère de place aux querelles intestines et équilibrant progressivement les rapports entre riches et pauvres. Kyara en avait fait partie. Elle l’avait vécu elle-même, elle avait compris ce que ces enfants ressentaient, elle l’avait perçu à son tour. Elle avait noué quelques amitiés indéfectibles parmi les adolescents du Dix-huitième au Vingt-et-unième.
Elle finit par s’endormir en rêvant d’un temps où la fracture entre l’ancien Helvethras et Avalaën ne serait plus perceptible. Cela passait, actuellement, par la première promotion mixte des Bataillons, dont le Vingt-quatrième, qui était arrivé aujourd’hui avec eux. L’un de leurs objectifs, en venant s’installer à Ciel pour les quelques prochaines saisons, était notamment de démocratiser ce recrutement et de l’étendre aux populations encore récalcitrantes de Ciel, Terre, Eau et Lumière.

Le lendemain, elle fut réveillée – comme elle l’avait escompté – par une volée de pas, accompagnés :arrow: j'aurais dit que c'est la volée qui est accompagnée, mais je suis pas sûre à 100% :geek: d’un cri perçant, et d’une petite masse qui se jetait brutalement sur elle. Elle poussa un grognement grincheux, enfouit son nez dans le coussin pour se protéger de l’attaque matinale, mais ne put lutter bien longtemps contre la furie des deux gamins surexcités qui bondissaient sur le lit en faisant grincer les montants de bois. Une plainte lui échappa, couverte par un rire sonore, cristallin, et elle ouvrit les yeux des iris lilas qui plongeaient dans les siens. :arrow: manque un mot non ? ;)
— Merake :arrow: Mère ? ? Tu dors ?
Elle referma les yeux aussi sec.
— Menteuse, tu dors plus !
Il la secoua par l’épaule, et elle se redressa avec un soupir en se frottant les yeux.
— Non, je ne dors plus.
Les deux petits monstres poussèrent un cri de joie en l’entendant, et détalèrent aussitôt. Elle grogna, bâilla, s’étira, releva la tête pour apercevoir Uma, nonchalamment appuyée contre le chambranle de la porte grande ouverte.
— Désolée, Avelke, ils sont intenables depuis ce matin.
— Quelle heure est-il ? soupira-t-elle en glissant ses pieds hors de la chaleur de la couverture.
— Huit heures et quelques.
Trop tôt, donc, pour compenser le voyage éreintant, et trop tard pour qu’elle arrive à se replonger dans le sommeil.
— Yngvar est déjà levé, je suppose…
Uma ne prit pas la peine de répondre à l’affirmation. Elle coula un bref regard derrière elle, vers le salon dans lequel les gamins se chamaillaient en faisant valdinguer les bibelots soigneusement arrangés par une servante méticuleuse. Elle sourit :
— Je pense qu’il faudrait les garder en voyage en permanence, ils sont beaucoup plus calmes quand ils sont toujours fatigués.
Kyara approuva d’un hochement de tête, enfila une robe de chambre et des pantoufles et se glissa hors de la pièce avec un soupir.
— Isarak. Sëaren. Du calme.
Ils s’immobilisèrent d’un seul coup.
— Jace est levée ? demanda-t-elle encore à Uma.
— Non.
La Princesse se fendit d’un rictus.
— Allez donc réveiller Jacelynn, je suis sûre qu’elle va vouloir petit-déjeuner avec nous.
Les deux garçons fusèrent vers la porte tels des flèches, et Uma soupira.
— C’est vicieux.
— Mais drôle.
— Certes, convint la soldate avec un rire avant de s’élancer à la poursuite des enfants. Je te raconterai sa réaction !
Le calme retomba sur la pièce après leur départ, et dans le soudain silence, Kyara entendit sans mal les rires amusés des soldats du Douzième. Elle pouffa à son tour, tourna les talons pour retourner dans sa chambre et s’habiller hâtivement, puis dévala les escaliers du château en direction d’une petite salle à manger réservée à la famille royale, deux étages plus bas.
Alerte et bien réveillée, elle nota sans mal durant la descente les multiples, parfois insignifiants, mais néanmoins remarquables changements alors qu’elle se faufilait dans les couloirs éclairés. Les immenses fenêtres, qui avaient toujours été sombres et poussiéreuses, avaient été lavées, certaines vitres avaient certainement été changées car leur transparence détonnait avec le reste. Les corridors étaient lumineux, des miroirs avaient été placés à des endroits stratégiques pour refléter la lumière du soleil, tout comme c’était déjà le cas au palais d’ambre. Les serviteurs portaient des livrées impeccables, ils se tenaient plus droits – même s’ils se hâtaient toujours autant – et leurs visages n’étaient plus aussi fatigués que dans ses souvenirs. Le bleu pâle de la dynastie de Ciel avait été remplacé par le pourpre brillant, qui ne contrastait pas autant avec les dorures et les pierres gris-brun des murs. L’intégralité du château semblait avoir pris un souffle nouveau, comme si la charge des hivers qui avaient précédé avait été levée.
À l’instar du reste des lieux, la petite salle à manger avait elle aussi changé. On avait allégé le poids des d’ornements sur la cheminée, dissimulé la pierre brute sous des boiseries claires qui illuminaient et agrandissaient l’espace, retiré quelques vieux tableaux au goût douteux. La grande table ronde en marbre rouge n’avait en revanche pas été retirée, simplement polie à neuf pour lui rendre son lustre. Yngvar et Saedor y étaient déjà attablés, conversant à voix basse mais animée de quelque chose qui semblait concerner la province d’Eau. Peu désireuse de les interrompre, Kyara tira vers elle une chaise à côté d’Yngvar, hocha la tête à leur intention et écouta. Très vite, elle comprit qu’ils parlaient en fait de Mara et de son influence récente qui s’était faite troublante.
Finalement, alors qu’Yngvar finissait de relater la rencontre nocturne, Jacelynn ouvrit à son tour la porte en bâillant largement, Sëaren et Isarak sur ses talons.
— Salutations tout le monde.
— Aksanarë, répondit Kyara, profitant de l’occasion pour saluer poliment elle aussi.
Les autres répétèrent la formule, s’installèrent à la table, Sëaren et Isarak se battant presque pour être le premier à pouvoir s’asseoir à côté de leur grand-père. Quand, finalement, Isarak vainquit d’un vicieux croche-pied qui étala son aîné sur le tapis, il s’installa sur sa place dûment gagnée avec un sourire triomphal. Sëaren, grincheux et dépité, se mit à côté de Jacelynn, piqua d’une fourchette morose la petite motte de beurre posée dans le coin de son assiette. Puis, quand il croisa le regard sévère de sa mère, il se redressa, sourit… et Isarak poussa une plainte. Kyara n’eut pas besoin de plus pour deviner le discret coup de pied qui était parti sur le côté. Elle soupira, jeta un coup d’œil suppliant à Yngvar.
— Hé, vous deux.
Ils se calmèrent aussitôt, sages comme des images, et leur grand-père se fendit d’un rire narquois.
— Vous êtes encore pires que dans mes souvenirs…
— Mais non, ils sont juste surexcités par le nouvel environnement, rétorqua Yngvar. Quelques heures dehors devraient les calmer.
Les garçons échangèrent un regard désespéré, arrachant un sourire à leur mère, qui les détailla avec tendresse alors qu’ils essayaient de se convenir discrètement d’un plan pour échapper à la surveillance de leurs parents et de leurs gardes. Ils avaient tous les deux sa peau sombre, son nez retroussé, ses pommettes fines à la courbe douce. En revanche, ils avaient les yeux de la dynastie Zaor’Vil, d’un violet perçant, assombri en début de matinée, les cheveux raides d’Yngvar qui leur tombaient sur le front, et les sourcils fins et arqués de l’Impératrice. Elle ne pouvait s’empêcher de voir en eux l’union parfaite d’Helvethras et d’Avalaën.
Mais, s’ils se ressemblaient au niveau physique, ils étaient en revanche bien plus disparates au niveau du caractère. Sëaren, l’aîné, avait l’approche directe, parfois un peu brute de décoffrage, de son père. Il ne craignait pas d’user de la force lorsqu’il n’arrivait pas à obtenir ce qu’il voulait, il se vengeait des bêtises de son frère en l’emprisonnant dans une poigne impossible à défaire. Isarak de son côté tirait davantage des femmes de la famille. Il avait la douceur et l’air rêveur de Kyara… et la férocité et la fourberie de l’Impératrice. Il jouait déjà de ses mots alors qu’il n’avait que sept hivers, et il n’hésitait pas à piéger son aîné avec des ruses… qui lui étaient ensuite rendues en chatouilles et en coups au centuple. :arrow: Bon, tu t'en doutes, je les aime déjà ces sales gosses :lol:
Yngvar avait néanmoins promis que les entraînements des Bataillons, à défaut de faire d’eux des commandants, les calmeraient quelque peu. Ils intégreraient tous les deux la prochaine formation, qui débuterait dans quelques saisons, et elle espérait que, sans trop exacerber leur compétitivité, l’entraînement leur apprendrait au moins l’esprit d’équipe. Même si, elle devait l’admettre, imaginer les deux gamins unis dans un même objectif avait aussi quelque chose de terrifiant.
Elle termina son petit-déjeuner sans piper mot, songeuse, écoutant d’une oreille distraite les chamailleries de ses enfants, et de l’autre, plus attentive, la discussion qui avait dérivé sur les audiences de la journée. Une fois qu’ils eurent tous fini de manger, Jacelynn emmena les frères vers les jardins en leur promettant d’explorer avec eux partout où ils voudraient, et Kyara, Yngvar et Saedor se retrouvèrent à nouveau dans un silence apaisant.
— Vous parliez de ma mère avant que je n’arrive, soupira-t-elle, consciente qu’il faudrait aborder le problème un jour.
Le Corbeau acquiesça, la mine soudain fermée.
— On suppose qu’elle favorise – à défaut de l’organiser – la dissidence dans la province d’Eau. Il n’y a pas de preuves tangibles ou directes qui mèneraient droit à elle, mais il va falloir la surveiller. Est-ce que je pourrais te demander…
Il hésita, s’interrompit. Elle grimaça ostensiblement, renversa la tête en arrière pour y réfléchir. Elle savait exactement ce qu’il voulait mais n’osait pas lui demander. La question flotta quelques secondes dans son esprit, volage, soulevant un millier de nuances d’émotions conflictuelles, et Kyara finit par acquiescer.
— J’irai lui parler, voir ce qu’elle est prête à me dire.
— Tu en es certaine ?
Elle sourit avec une certaine tendresse, chassant la peur de faire face à la femme qui avait provoqué chez elle tant de souffrance, de solitude, d’amertume et de colère.
— Ne t’en fais pas, elle ne va pas me convertir en deux discussions.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, répondit Yngvar, l’air buté.
— Je sais…
Il s’adoucit. Saedor, qui avait observé leur échange en silence, prit une gorgée du thé fumant qu’il venait de se servir, et dit à son tour :
— Je conçois sans mal l’effort que ça te demandera. Tu n’y es pas obligée, nous trouverons d’autres moyens. J’ai une piste en ville, je ne…
— Suivez vos pistes tous les deux, et je creuserai de mon côté. Nous aurons davantage de résultats.
Son expression s’était faite farouche, combative. Un sourire fatigué, alourdi par les rides qui grandissaient sous ses yeux et aux commissures de ses lèvres, illumina néanmoins les prunelles de l’Empereur, et il acquiesça. Les hivers écoulés commençaient à gagner du terrain sur son visage, et lui qui avait à une époque ressemblé trait pour trait à Yngvar retrouvait désormais le poids de son véritable âge, mais cela ne l’affectait pas pour autant dans son travail. Il continuait à porter le fardeau de sa couronne avec une élégance et une assurance qui résultaient tant de ses années d’expérience que de son naturel responsable et du support inconditionnel qu’il recevait de son épouse.
Depuis douze hivers, Kyara ne les avait jamais vus ensemble, cloîtrée à l’ouest de l’Empire dans la Citadelle tandis qu’eux allaient et venaient pour alterner la gouvernance entre deux cités majeures. Elle n’avait toujours vu que l’Impératrice ou que Saedor à la Citadelle, étant donné que la règle d’or était de ne jamais laisser un siège de pouvoir vacant. Yngvar et elle s’occupaient depuis longtemps de la politique de la capitale, mais ils n’avaient que récemment intégré ce cycle de rotations qui leur ferait écumer le territoire avalonien en long, en large et en travers, à intervalles réguliers.
Pour autant, elle ne s’en plaignait pas. Les saisons à la Citadelle Rouge lui avaient appris beaucoup, bien plus que tout ce que ses précepteurs auraient essayé de lui inculquer dans sa jeunesse. Elle avait gagné en maturité, en pouvoir de décision, en arbitrarité aussi. Elle était plutôt fière de son évolution, et même si elle savait qu’elle était loin d’avoir parcouru la totalité du chemin, elle prenait plaisir à constater ses progrès et à s’affirmer là où elle aurait autrefois cédé et reculé.
Faire face à sa mère n’était qu’un pas de plus dans cette direction. Cette confrontation était inévitable, elle le savait depuis longtemps, mais si elle pouvait permettre en outre de démanteler une part du soulèvement qui agitait les provinces depuis quelques temps, elle était prête à le faire. Elle avait trop à perdre en évitant le conflit et en laissant les problèmes prendre de l’ampleur. Cela, Mara de Ciel – enfin d’Eau, désormais – ne le comprendrait pas, évidemment, mais c’était peut-être ce qui aiderait Kyara à lui soutirer des informations.
Elle soupira à nouveau, sourit tour à tour à Yngvar puis à l’Empereur, et se redressa pour quitter la table. Son angoisse avait quelque peu reflué, chassée par sa résolution. La dernière fois qu’elle avait vu sa mère, elle n’était qu’une adolescente perdue et désœuvrée qui n’avait aucune idée de ce qu’elle attendait. Cette fois-ci, elle était l’héritière des trônes unis d’Uvrastryn, l’épouse d’Yngvar Zaor’Vil et la mère des princes de l’Empire. Et elle ne laisserait pas qui que ce soit saboter ce qu’elle avait passé tant de temps à construire.

◊~◊~◊
Bon.
Je suis contente, pas de drama immédiat 8-) Au contraire, même, des choses positives. En plus, mes chats se font des léchouilles au moment où j'écris ce commentaire. Tout ne peut que bien aller, hein ?
Hein ?

Bref, la grosse épine qui apparaît dans ce chapitre (Mara, coucou), fait ressortir des choses douloureuses chez Kyara, mais en même temps la stimule. On sent vraiment à quel point elle s'est apaisée et a accepté la destinée de son pays d'origine. Bon, je comprends les révoltes qu'il y a à Eau, se faire envahir et imposer un nouveau système qu'on choisit pas, c'pas fun non plus :lol: Mais bon, là, clairement, y'a pas vraiment d'espoir et comme dit Kyara ça ferait sûrement plus de mal que de bien...
Autrement, j'ai bien aimé le petit focus sur Saedor, c'est pas un personnage qu'on a forcément eu le temps de beaucoup voir dans les chapitres précédents.
Et comme j'ai dit, j'aime bien les p'tits monstres, là :lol:

Question écriture, les descriptions sont toujours chouettes ! Pas trop lourdes, mais suffisamment riches pour qu'on s'immerge bien dans le récit et les décors ^^

Tchuss ~
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Re: Dynasties / Kyara IV (1/4)

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : mer. 05 janv., 2022 12:05 pm Hiello !
L'écriture de Kyara étant enfin terminée, on attaque la p4 avec le traditionnel time jump de Dynasties (oui promis il va être traditionnel !). De quoi (re-)découvrir un environnement, des personnages et des dramas.
Bonne lecture !

:arrow: Yooo, contente de pouvoir lire la suite ! Bon, je croise les doigts pour que le gros du drama soit derrière nous 8-) Franchement on s'en sort pas trop mal !


ACTE IV : LA PACIFICATRICE
(1/4)


Ils atteignirent l’immense plaine au coucher du soleil. Les rayons bas teintaient les herbes hautes de doré, sublimaient l’éclat des épis de blé blonds qui seraient bientôt récoltés, avant de s’écraser sur les épaisses murailles de la cité dressée au centre de la plaine. Les paysans, qui finissaient leur épuisante journée dans les champs, relevèrent la tête au passage de la cohorte qui pressait ses chevaux au galop pour atteindre les remparts avant la tombée de la nuit. Le fracas de leurs sabots emplit l’air d’un grondement ininterrompu, quelques enfants poussèrent des cris effrayés et s’écartèrent de la terre battue sur laquelle ils jouaient. Un épais nuage de poussière se souleva à leur passage tel une traîne brunâtre, avant d’être soufflé et rabattu par le vent qui agitait les champs.
À la tête de la cohorte, dressée sur ses étriers, Kyara laissa sa monture prendre une allure confortable avant de se rasseoir en selle, un sourire aux lèvres. Une étrange appréhension, mêlée de nostalgie, nouait ses entrailles, faisait battre son cœur un peu plus vite. Il y avait si longtemps qu’elle n’était pas revenue ici.
Elle jeta un bref regard derrière elle, mais dans la poussière et la masse de cavaliers qui la suivaient, impossible de distinguer la haute silhouette d’Yngvar. Pourtant, elle savait qu’il fermait la marche, et qu’il n’avait certainement pas lâché Sëaren ou Isarak :arrow: Leurs petiots ?? :( Ui ! du regard plus de quelques secondes. La certitude la rassura, sans pour autant apaiser son anxiété et, inconsciemment, elle appuya ses talons contre les flancs de son cheval, allongeant ses foulées.
— Avelke !
Le cri d’Uma, qui la talonnait de près, la rappela à l’ordre alors qu’elle menaçait de rompre les rangs de la formation et de s’arracher aux Bataillons. Elle tira sur les rênes, réintégra sa place, et ses yeux dérivèrent quelques instants sur les pauvres maisonnettes qui bordaient la grande route. Il lui semblait qu’elles paraissaient un peu plus larges et solides que dans ses souvenirs. En s’attardant sur cette idée, elle remarqua ici un appentis qui avait été dressé, là un pan de mur qui semblait plus neuf que les autres, ailleurs encore une toiture récemment refaite. Elle savait que Saedor et Eliane avaient œuvré d’arrache-pied pour amener des changements qui auraient été dus depuis longtemps, mais ce n’était qu’ici qu’elle le réalisait enfin, et la satisfaction qu’elle en tira parvint à dissiper quelque peu le nœud dans son ventre.
Elle avait quitté la cité en petite princesse esseulée, abandonnée aux mains de ses ravisseurs, mais elle revenait en héritière de l’Empire d’Avalaën, à la tête de trois cent cinquante cavaliers dont deux Bataillons réguliers. Par les arcanes, combien de choses avaient changé en douze hivers… :arrow: Ah oué. Damn. Mixed feelings. Elle rentre à la maison, mais ça a tellement changé. Son pays, elle. Nostalgie et appréhension arf. Ouais nan le retour aux racines est un peu… doux amer…
En parvenant au pied des remparts, elle rabattit sur sa tête la visière de son casque de cuir et de métal, se rendant totalement anonyme parmi la foule de soldats. Elle était vêtue exactement comme eux, d’un pourpoint de soie surmonté d’une cuirasse lustrée, d’un pantalon de la cavalerie couvert de tassettes métalliques, et d’épaisses bottes lacées jusqu’au genou. L’ensemble était d’un noir brillant, poli, à peine affecté par l’épreuve du voyage, et les pièces étaient taillées de manière à ce que rien ne la distingue des autres cavaliers. On pouvait à peine déterminer en la regardant que c’était une femme, sans même parler de reconnaître en elle l’Avelke de l’Empire, mais c’était mieux ainsi, pour elle comme pour Sëaren ou Isarak.
Ils franchirent finalement les portes de la ville au lever de la lune, sous la froide indifférence de son grand œil blanc, et les immenses vantaux se refermèrent derrière eux pour la nuit. Leur cavalcade effrénée résonna comme un bruit de tonnerre sur les pavés sombres, réveillant certainement tous ceux qui auraient eu le malheur de s’être déjà endormis, mais ils ne ralentirent qu’une fois à l’entrée du château. Yngvar avait explicitement demandé à son père que personne ne les attende, aussi la cour était-elle déserte et froide en cette heure tardive, à l’exception des soldats du guet.
Poussant un soupir de soulagement, Kyara démonta souplement, passa une main gantée sur le poitrail couvert d’écume de sa monture épuisée et lui offrit une pomme tirée de sa sacoche de voyage. Ensuite, elle se faufila vers le centre de la troupe, louvoyant entre les cavaliers qui se laissaient glisser de selle, jusqu’à atteindre deux silhouettes toujours à cheval, plus petites que les autres. Elle tendit les bras à l’une tandis qu’Yngvar, arrivé de l’arrière, aidait l’autre à descendre, puis elle lui ôta son casque. Une frimousse épuisée aux grands yeux violets et au nez retroussé apparut, lui sourit, puis bâilla. Elle échangea un bref regard amusé avec son époux, qui ébouriffait gentiment les mèches folles de l’autre enfant, et ils les prirent par la main pour les amener à l’intérieur. :arrow: Bon, t'arrêtes de ramollir mon kokoro avec des trucs choupi comme ça, après je vais pas être d'attaque pour le drama. Ah mais je les aime aussi ♥

— Mère.
Mara d’Eau inclina la tête, étrangement oublieuse des conventions qui lui dictaient de s’incliner profondément devant le couple héritier.
— C’étaient tes enfants, je suppose ? s’enquit-elle. :arrow: Non, ses grands-parents. Fuuh, je sais que la question est légitime (ça pourrait être des neveux ou que sais-je) mais y'a le seum contre elle après tout le reste de l'histoire :roll: C'est clairement pas le perso le plus bienvenu (ni le plus bienveillant, ou du moins présenté comme tel) de l'histoire, donc bon…

Sans même hésiter, Kyara relâcha la main d’Yngvar et plongea avec soulagement dans l’étreinte paternelle de Saedor, ravie de retrouver la famille avec laquelle elle avait finalement choisi de grandir, plutôt que celle que les arcanes lui avaient donné à la naissance. :arrow: Aaah, c'est assez logique vis-à-vis des événements et du temps passé, mais ça serre un peu le coeur quand même de voir qu'elle a l'air d'une étrangère chez elle. Ça pique, mais je t'avoue que je viens de faire le parallèle entre moi qui n'ai vécu que six mois à Séoul et qui reviens brusquement en Europe, ça change beaucoup de choses… donc douze ans… Lorsqu’elle avait enfin accepté d’oublier et de pardonner, Saedor s’était révélé bien plus qu’un père de substitution. Il avait tour à tour pris le rôle de mentor, de confident, d’ami. Il lui avait donné son temps, son attention et sa patience, n’hésitant pas à la guider sur le chemin tortueux qu’elle avait emprunté, retrouvant certainement en elle l’humanité et l’émotivité qu’il manquait parfois à son propre fils.
— La sale bête va bien ? demanda-t-il en riant lorsqu’elle se détacha de ses bras pour le laisser étreindre son fils.
— Zarina ? Oh, oui, certainement ! Aveltia l’adore, maintenant qu’elle est plus vieille et calme. Elle pourrait passer des heures assise sur le trône avec Zarina sur les genoux.
Zarina était une petite chatte blanche de la même race que Kama, que Kyara avait offerte à l’Impératrice deux hivers auparavant. La jeunesse et l’excitation de la bestiole avaient d’abord provoqué quelques troubles au palais d’ambre, avant qu’elle ne s’assagisse avec l’âge. :arrow: Dynasties, c'est une histoire de chats en fait 8-) C'était pas prévu mais du coup je vais caler un chat dans Cassandra :lol:

— Je ne me rappelle même plus du son du silence, ricana-t-elle.
Il leva un sourcil provocateur.
— Es-tu certaine que tu veux dormir avec moi, cette nuit ? :arrow: Il ronfle mdrr ? Ça arrive même aux meilleurs :lol:

Le lendemain, elle fut réveillée – comme elle l’avait escompté – par une volée de pas, accompagnés :arrow: True j'aurais dit que c'est la volée qui est accompagnée, mais je suis pas sûre à 100% :geek: d’un cri perçant, et d’une petite masse qui se jetait brutalement sur elle. Elle poussa un grognement grincheux, enfouit son nez dans le coussin pour se protéger de l’attaque matinale, mais ne put lutter bien longtemps contre la furie des deux gamins surexcités qui bondissaient sur le lit en faisant grincer les montants de bois. Une plainte lui échappa, couverte par un rire sonore, cristallin, et elle ouvrit les yeux des iris lilas qui plongeaient dans les siens. :arrow: manque un mot non ? ;) Un p'tit "sur" qui s'est paumé, merci !
— Merake :arrow: Mère ? Yup ? Tu dors ?

Les garçons échangèrent un regard désespéré, arrachant un sourire à leur mère, qui les détailla avec tendresse alors qu’ils essayaient de se convenir discrètement d’un plan pour échapper à la surveillance de leurs parents et de leurs gardes. Ils avaient tous les deux sa peau sombre, son nez retroussé, ses pommettes fines à la courbe douce. En revanche, ils avaient les yeux de la dynastie Zaor’Vil, d’un violet perçant, assombri en début de matinée, les cheveux raides d’Yngvar qui leur tombaient sur le front, et les sourcils fins et arqués de l’Impératrice. Elle ne pouvait s’empêcher de voir en eux l’union parfaite d’Helvethras et d’Avalaën.
Mais, s’ils se ressemblaient au niveau physique, ils étaient en revanche bien plus disparates au niveau du caractère. Sëaren, l’aîné, avait l’approche directe, parfois un peu brute de décoffrage, de son père. Il ne craignait pas d’user de la force lorsqu’il n’arrivait pas à obtenir ce qu’il voulait, il se vengeait des bêtises de son frère en l’emprisonnant dans une poigne impossible à défaire. Isarak de son côté tirait davantage des femmes de la famille. Il avait la douceur et l’air rêveur de Kyara… et la férocité et la fourberie de l’Impératrice. Il jouait déjà de ses mots alors qu’il n’avait que sept hivers, et il n’hésitait pas à piéger son aîné avec des ruses… qui lui étaient ensuite rendues en chatouilles et en coups au centuple. :arrow: Bon, tu t'en doutes, je les aime déjà ces sales gosses :lol: Je les aime aussi ! *-*

◊~◊~◊


Bon.
Je suis contente, pas de drama immédiat 8-) Au contraire, même, des choses positives. En plus, mes chats se font des léchouilles au moment où j'écris ce commentaire. Tout ne peut que bien aller, hein ?
Hein ?

Bref, la grosse épine qui apparaît dans ce chapitre (Mara, coucou), fait ressortir des choses douloureuses chez Kyara, mais en même temps la stimule. On sent vraiment à quel point elle s'est apaisée et a accepté la destinée de son pays d'origine. Bon, je comprends les révoltes qu'il y a à Eau, se faire envahir et imposer un nouveau système qu'on choisit pas, c'pas fun non plus :lol: Mais bon, là, clairement, y'a pas vraiment d'espoir et comme dit Kyara ça ferait sûrement plus de mal que de bien...
Autrement, j'ai bien aimé le petit focus sur Saedor, c'est pas un personnage qu'on a forcément eu le temps de beaucoup voir dans les chapitres précédents.
Et comme j'ai dit, j'aime bien les p'tits monstres, là :lol:

Question écriture, les descriptions sont toujours chouettes ! Pas trop lourdes, mais suffisamment riches pour qu'on s'immerge bien dans le récit et les décors ^^

Tchuss ~
Bon (-soir) !

J'allais dire un truc sur l'Acte IV, puis j'ai décidé que j'allais me taire. Mais nan en vrai je l'aime bien, donc "tout ne peut que bien aller" comme tu dis :)

Mara… Mara c'est une sale histoire d'abandon, mine de rien, et autant ça a bien plombé Kyara dans les premiers actes, autant maintenant elle en tire la force de changer les choses justement. J'aime beaucoup son parcours de princesse perdue à décisionnaire pour l'Empire qu'elle a appris à aimer. (Oui les conquêtes c'est pas cool. Mais on fait comme on peut.)
On avait pas trop vu Saedor, et c'est dommage… d'autant plus qu'il est marié à Eliane quoi. C'est le jour et la nuit ces deux-là, et ça doit bien être le seul qui arrive à la contrebalancer donc il était temps de lui accorder un peu d'attention. En plus il est apparu puis reparti très vite, et mine de rien, il aura eu un rôle important dans la vie de Kyara ces dernières années.

Les p'tits monstres ♥

Ravie que ça te plaise ! Je trouve mes décors un peu vides en ce moment… je sais pas. Bref.

Merci pour ton passage !
louji

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Re: Dynasties / Kyara IV (1/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : sam. 08 janv., 2022 6:53 pm

ACTE IV : LA PACIFICATRICE
(1/4)



Sans même hésiter, Kyara relâcha la main d’Yngvar et plongea avec soulagement dans l’étreinte paternelle de Saedor, ravie de retrouver la famille avec laquelle elle avait finalement choisi de grandir, plutôt que celle que les arcanes lui avaient donné à la naissance. :arrow: Aaah, c'est assez logique vis-à-vis des événements et du temps passé, mais ça serre un peu le coeur quand même de voir qu'elle a l'air d'une étrangère chez elle. Ça pique, mais je t'avoue que je viens de faire le parallèle entre moi qui n'ai vécu que six mois à Séoul et qui reviens brusquement en Europe, ça change beaucoup de choses… donc douze ans… :arrow: Ptn ouais :") Lorsqu’elle avait enfin accepté d’oublier et de pardonner, Saedor s’était révélé bien plus qu’un père de substitution. Il avait tour à tour pris le rôle de mentor, de confident, d’ami. Il lui avait donné son temps, son attention et sa patience, n’hésitant pas à la guider sur le chemin tortueux qu’elle avait emprunté, retrouvant certainement en elle l’humanité et l’émotivité qu’il manquait parfois à son propre fils.
— La sale bête va bien ? demanda-t-il en riant lorsqu’elle se détacha de ses bras pour le laisser étreindre son fils.
— Zarina ? Oh, oui, certainement ! Aveltia l’adore, maintenant qu’elle est plus vieille et calme. Elle pourrait passer des heures assise sur le trône avec Zarina sur les genoux.
Zarina était une petite chatte blanche de la même race que Kama, que Kyara avait offerte à l’Impératrice deux hivers auparavant. La jeunesse et l’excitation de la bestiole avaient d’abord provoqué quelques troubles au palais d’ambre, avant qu’elle ne s’assagisse avec l’âge. :arrow: Dynasties, c'est une histoire de chats en fait 8-) C'était pas prévu mais du coup je vais caler un chat dans Cassandra :lol: :arrow: Magnifique 8-)

— Je ne me rappelle même plus du son du silence, ricana-t-elle.
Il leva un sourcil provocateur.
— Es-tu certaine que tu veux dormir avec moi, cette nuit ? :arrow: Il ronfle mdrr ? Ça arrive même aux meilleurs :lol: :arrow: mdr c'est juste que j'étais pas certaine de ce qui était sous-entendu par Yngvar :lol:

Bon (-soir) !

J'allais dire un truc sur l'Acte IV, puis j'ai décidé que j'allais me taire. Mais nan en vrai je l'aime bien, donc "tout ne peut que bien aller" comme tu dis :)

Mara… Mara c'est une sale histoire d'abandon, mine de rien, et autant ça a bien plombé Kyara dans les premiers actes, autant maintenant elle en tire la force de changer les choses justement. J'aime beaucoup son parcours de princesse perdue à décisionnaire pour l'Empire qu'elle a appris à aimer. (Oui les conquêtes c'est pas cool. Mais on fait comme on peut.)
On avait pas trop vu Saedor, et c'est dommage… d'autant plus qu'il est marié à Eliane quoi. C'est le jour et la nuit ces deux-là, et ça doit bien être le seul qui arrive à la contrebalancer donc il était temps de lui accorder un peu d'attention. En plus il est apparu puis reparti très vite, et mine de rien, il aura eu un rôle important dans la vie de Kyara ces dernières années.

Les p'tits monstres ♥

Ravie que ça te plaise ! Je trouve mes décors un peu vides en ce moment… je sais pas. Bref.

Merci pour ton passage !



Ne dis rien, je verrai par moi-même (et pleurerai si nécessaire) 8-)

Ah bah clairement, je me rappelle les échos d'abandon avec Amali, c'était pas jojo !
Mdr mais oui, on s'en rend pas compte je crois :lol: Faut clairement un sacré mental pour partager sa vie avec Eliane (surtout la nouvelle Eliane). Mais ouais, ça fait zizir de le voir un peu plus

Pour les descriptions, je comprends le ressenti ! Parfois, j'ai l'impression d'avoir géré et mis assez d'infos et peu après, pour la même scène, j'ai l'impression qu'il manque 1000 descriptions :lol: Les descriptions c'est clairement encore mon point noir perso x)
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Dynasties / Kyara IV (2/4)

Message par vampiredelivres »

Hiello ~

On revient sur un personnage dont on n'avait pas parlé depuis longtemps… et sur une très charmante discussion mère-fille, évidemment, parce que les dramas familiaux hein.

Bonne lecture !


LA PACIFICATRICE
(2/4)


En sortant de la salle à manger, Kyara ne partit pas à la recherche de sa mère. Au contraire, elle voulait la laisser venir à elle lorsque le moment lui paraîtrait approprié, ne pas précipiter leur confrontation. L’idée la rendait certes quelque peu anxieuse, mais c’était une inquiétude qu’elle était capable de maîtriser, un léger poids dans sa poitrine, comme un membre raidi à l’approche de l’orage. Rien d’impossible à canaliser, pas vraiment dérangeant, juste désagréable.
Au lieu donc de remonter vers l’aile ouest, où sa mère avait certainement été logée depuis que la famille impériale avait pris possession de l’aile sud, elle partit en direction des jardins, où elle retrouva Jacelynn et ses deux fils en train de se poursuivre dans un labyrinthe de buissons. Jacelynn, désavantagée par sa haute taille, était clairement visible, tandis que les garçons pouvaient quasiment disparaître derrière la végétation juste en se courbant. Mais au moment où Kyara arriva, c’était Isarak qui essayait d’attraper les deux autres, et sur ses courtes petites jambes, il ne tenait pas le rythme.
Merake ! s’exclama-t-il joyeusement en l’apercevant.
Il ralentit, donnant l’occasion à ses cibles de s’enfuir plus loin dans le labyrinthe. La vision lui arracha un bref soupir, puis il sprinta vers sa mère, tira sur sa chemise. Elle s’accroupit.
— Tu veux bien m’aider ? souffla-t-il à son oreille.
Elle sourit, acquiesça silencieusement.
— Super ! Voilà ce que tu vas faire.
Elle écouta avec attention la stratégie de l’enfant, réfréna un rire amusé en voyant avec quel sérieux il l’exposait. Un bref coup d’œil sur le côté, en direction du château, lui donna l’occasion d’apercevoir des silhouettes qui se massaient derrière les larges fenêtres, certainement des courtisans venus observer leur princesse nouvellement revenue. Autrefois, les vitres sales l’auraient empêchée de discerner leurs visages, mais aujourd’hui, elle pouvait les voir avec clarté. Elle en reconnut quelques uns, mais peu. L’Empereur et l’Impératrice avaient certainement fait le ménage parmi les vautours et les rats.
— Tu m’écoutes ?
— Oui, je t’écoute, pouffa-t-elle en revenant à Isarak. On y va ?
— C’est parti.
Il n’avait pas crié. Ce n’était qu’un souffle, à peine une directive. Kyara se redressa et, affectant le naturel, commença à contourner le labyrinthe. Isarak, lui, se mit à rôder entre les rangées, cherchant clairement son frère qui était parti se cacher dans le centre des broussailles.
— Jace ? appela-t-elle.
Sa cousine par alliance, accroupie derrière une rangée d’arbustes, lui jeta un coup d’œil peu amène, guère enchantée à l’idée qu’elle dévoile sa cachette. Kyara lui rendit un hochement de tête, comme si elle l’invitait à venir la voir, et la femme soupira en se redressant.
— J’arrive.
Elle fit quelques zigzags pour contourner les obstacles, parvint à l’une des sorties du labyrinthe végétal, où Kyara l’attendait.
— Je t’écoute ?
— Regarde derrière toi, lui indiqua la princesse.
Sa cousine pivota, avisa Isarak qui venait d’abandonner sa recherche présumée de son frère, et fusait vers elle de toute la vitesse de ses petites jambes. Le temps qu’elle comprenne, il était trop tard. Kyara la ceintura d’un mouvement souple, fluide, bloqua l’un de ses bras derrière son dos et la mit à genoux en lui fauchant les chevilles. Jacelynn chuta à avec un cri de colère et d’amusement mêlés, se débattit comme une forcenée. Mais Kyara, forte des entraînements des Bataillons, des coups du maître d’armes Arelkin et des enchaînements pratiqués avec Yngvar, ne la laissa pas bouger. Elles avaient plus ou moins la même force, mais en douze hivers, elle avait acquis davantage de technique.
Elle sourit quand Isarak déboula tel une furie, relâcha Jacelynn juste assez longtemps pour qu’elle puisse se redresser et s’élancer, mais trop tard pour qu’elle arrive à fuir le petit monstre. Il se jeta sur elle de tout son poids, la précipita à nouveau dans la terre avec son élan, puis voltigea, se détourna, et bondit hors d’atteinte. Kyara éclata de rire, et Jacelynn jura.
— Traîtresse ! Attends, tu vas voir !
Pressentant la danger, la princesse détala à son tour avec un grand rire, sprintant dans les hautes herbes, poursuivie par les cris de Jacelynn. Elle avait cependant moins d’endurance que sa cousine, qui elle était trop habituée à passer ses journées à courir dans tous les sens avec les deux princes. Elles se coursèrent un moment, poursuivies par les acclamations d’Isarak et de Sëaren, qui avaient abandonné leur labyrinthe pour assister à la galopade, puis ses jambes finirent par l’abandonner. Elle se campa alors sur ses pieds plus fermement pour attendre l’affrontement. Jacelynn se rua sur elle comme une folle furieuse, ses yeux perçants d’un noir profond brûlants d’une audace effrayante, mais un sourire aux lèvres. Elles échangèrent une série de coups, mi-amicaux mi-sérieux, puis Kyara para une attaque du tranchant de la main et parvint à asséner un atémi. Jacelynn l’agrippa dans le mouvement, la déséquilibra d’un coup à l’arrière du genou, et elles roulèrent toutes les deux au sol en riant.
— Merake, attention !
Kyara se redressa au cri d’Isarak, juste à temps pour voir la silhouette de Sëaren foncer sur elle. Elle encaissa le choc de la collision de plein fouet, bascula de nouveau, se cogna le dos contre le sol.
— Attaque surprise ! cria son fils en lui donnant des coups de poing dans les épaules.
Suivant l’exemple de son frère, et profitant du fait que l’attention de Jacelynn était accaparé par l’affrontement entre la mère et le fils, Isarak se rua à son tour sur sa tante et la renversa.
Il fallut un long moment, de grands éclats de rires et quelques cris, pour réussir à apaiser les deux garçons surexcités par la course-poursuite. Quand, enfin, la situation menaça de dégénérer et de réellement faire mal à l’un des quatre – les coups de Sëaren s’étaient faits trop forts pour que cela reste un jeu acceptable – Kyara finit par élever la voix, ramenant le calme en quelques mots. Ses deux fils, légèrement confus, s’excusèrent, puis se redressèrent pour les laisser se relever. En s’époussetant, Kyara nota le regard à la fois perplexe et admiratif de Jacelynn qui allait et venait entre elle et ses enfants.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je suis toujours aussi fascinée par le fait qu’ils sachent se calmer d’un seul coup quand tu commences à crier.
Kyara pouffa.
— Ce n’est pas moi. Enfin pas vraiment. C’est Yngvar.
Isarak approuva à grands hochements de tête.
— C’est Revako qui fait le plus peur quand il s’énerve.
— Mais Revako peut aussi s’énerver quand on écoute pas Merake, compléta Sëaren.
— Toujours Yngvar, décidément… rit Jacelynn. Bon, et sinon, avais-tu vraiment quelque chose à me dire ou était-ce seulement un vil guet-apens ?
Kyara haussa nonchalamment les épaules, s’attirant un regard foudroyant d’une fausse colère qui fit hurler de rire les deux garçons. Puis, d’un seul coup, leurs rires se calmèrent, et ils se tournèrent à nouveau vers leur mère.
— Dis, qu’est-ce que c’est ?
Surprise du soudain calme qui était tombé, Kyara pivota vers l’endroit qu’ils lui désignaient, et une partie de la bonne humeur qui l’avait habitée jusque là déserta son cœur. Elle soupira, s’approcha à pas lents du piquet de bois, surmonté d’une étoile à huit branches, qui avait été profondément enfoncé dans le sol, non-loin d’un bosquet. Jacelynn, qui avait elle aussi compris, même si elle n’était pas helvethrienne, prit les mains des garçons pour les inciter à s’approcher.
— C’est une tombe, répondit lentement la princesse, songeuse.
— C’est quoi…
— Une tombe, compléta-t-elle en devinant la question, c’est un endroit où on laisse le corps d’un homme après sa mort.
— Mais on ne les brûle pas ? releva Sëaren, perplexe.
— Pas ici.
Kyara s’accroupit, déblaya la terre autour du piquet d’un geste précautionneux, à la recherche d’une plaque, d’un nom. Il n’y en avait pas. Seule une épaisse couche de mousse remontait le piquet, l’enveloppant d’un doux manteau verdoyant et spongieux, indiquant que la tombe était là depuis longtemps. Pourtant, curieusement, Kyara ne se rappelait pas l’avoir un jour remarquée dans sa jeunesse.
— Vous savez que, il y a quelques hivers de cela, notre Empire était divisé en deux.
— Et une moitié s’appelait le Helvethras, acquiesça Isarak sentencieusement, fourchant malgré tout sur le nom du royaume. Et c’est toi et Revako qui avez ramené les deux moitiés ensemble.
— Exact, sourit Kyara en le prenant par la main. Mais les deux moitiés avaient beaucoup de traditions différentes. Aujourd’hui, il y a encore des gens qui enterrent les morts du côté des quatre provinces, parce que c’est ainsi que cela se faisait par le passé. Ceci dit…
Elle effleura la mousse du bout des doigts, remonta le long du bois vers les bordures de l’étoile à huit branches. Sa surface était rêche, humide, moisissante.
— J’ai l’impression que cette tombe est plus vieille que moi.
Jacelynn hocha sobrement la tête, mais ne dit rien. Isarak et Sëaren, curieux, considérèrent encore quelques instants le bois mort, rongé par les pousses de verdure, puis Isarak murmura :
— C’est triste…
Touchés par la soudaine solennité des lieux, les deux frères se réfugièrent dans l’étreinte de leur mère, qui les serra fort contre elle, songeuse. Quiconque gisait là devait avoir été important, pour avoir été inhumé dans les jardins du château.

Après l’épisode de la tombe, Isarak, Sëaren et Jacelynn s’installèrent dans un petit kiosque de bois pour la matinée, et Kyara fila chercher des livres dans la bibliothèque royale. Ses deux fils, un peu calmés de l’excitation du nouveau lieu de vie, s’étaient attelés à la rédaction d’un essai – un rapport, comme disait Yngvar – au sujet de leur voyage. Ils pouvaient écrire à propos de ce qu’ils voulaient, tant qu’ils écrivaient. Cela permettait à la fois de les faire travailler et de les maintenir au calme sous la surveillance de Jacelynn. Isarak en particulier aimait beaucoup écrire, et il avait déjà prévu d’envoyer le rapport à sa grand-mère « pour qu’elle ne se sente pas seule à la Citadelle ». Sëaren, moins studieux, s’était attelé à la tâche en regimbant, mais Kyara savait que Jacelynn veillerait au grain.
Il avait fallu de longs hivers, et les naissances successives des fils de Kyara pour que les deux jeunes femmes se rapprochent finalement. Jacelynn, toujours sous la coupe de sa grand-mère Elara et de sa mère Amira, avait longtemps gardé ses distances avec la famille impériale. Puis, Elara était décédée, quelques lunes seulement après la naissance de Sëaren, et progressivement, la cousine d’Yngvar avait commencé à se détacher de la sempiternelle haine qu’elle leur vouait, à lui et à son épouse. Isarak était arrivé ensuite, en même temps que Rena, mais la petite fille de Jacelynn avait été emportée par la fièvre et sa mère avait sombré dans la tristesse.
Kyara, qui connaissait la violence d’une telle épreuve, avait décidé de mettre de côté leur absurde et vaine opposition pour l’aider à remonter la pente. À force de patience, de persuasion, et avec l’appui imparable des grands yeux violets d’Isarak et de ses babillages de nouveau-né, elle avait fini par arracher Jacelynn aux affres du désespoir, et l’amitié qui en était née était l’une des plus solides qu’elle connaisse aujourd’hui.
Le souvenir lui tira un sourire tandis qu’elle se hâtait dans le couloir au rythme des échos des pas de ses gardes. Jace pouvait encore être désagréable parfois, mais il était indéniable qu’elle savait s’y prendre avec les enfants. Quand Kyara se noyait dans le devoir, elle prenait le relais, mais elle n’hésitait pas non plus à la rappeler sèchement à son rôle de mère lorsque c’était nécessaire. Ses critiques pouvaient être venimeuses et acerbes, mais Kyara ne les en appréciait que davantage, secrètement ravie d’avoir quelqu’un pour l’empêcher de délaisser ses enfants comme elle avait elle-même été délaissée.
Le corridor s’élargit à l’approche de la bibliothèque, s’ouvrit sur une immense salle ronde, couverte par un dôme de verre quelques quatre étages plus haut. Des dizaines et des dizaines de portraits s’alignaient le long des murs, dessinant une vertigineuse fresque des souverains d’Helvethras. Parmi ceux qui étaient le plus bas, elle reconnut sans mal Saedor et son épouse, droits et dignes dans le pourpre impérial. Juste à côté, elle vit Jesten et Mara, et son cœur se pinça à la vue de son père. Elle s’approcha lentement, fixant ses yeux sombres douloureux de réalisme. Il paraissait fier et fort sur le portrait, bien loin du pauvre homme affaibli et malade qu’elle avait vu pour la dernière fois. Pourtant, il y avait comme un doute dans son regard noisette inerte, une ombre d’incertitude, une pointe de vulnérabilité.
Elle effleura du bout des ongles la toile craquelée, qui devait bien avoir une vingtaine d’hivers, sourit, s’inclina, lucide quant au ridicule de son geste et pourtant douloureusement consciente de l’émotion qui lui étreignait le cœur.
Père… je suis de retour.
Puis, son regard dériva sur le tableau de ses prédécesseurs, et elle se figea. À gauche, le Roi Vilhelm, un grand homme brun à la peau claire, étrangement couronné d’or blanc au lieu d’or jaune. Cependant, malgré son assurance et son allure royale, ce n’était pas lui qui attirait l’attention sur le portrait. C’était sa femme : Eliane, première du nom. Un peu plus petite que lui, elle avait des traits sévères, secs et anguleux, comme taillés au couteau, un visage fin et pâle, d’une beauté étrange, presque animale. Une tiare agrémentée d’obsidiennes, rappel de ses origines, ceignait son front. Elle paraissait inaccessible, intraitable, presque aussi éthérée qu’une prêtresse du Temple avec ses yeux de glace et ses longs cheveux neige, dotée d’un charme magnétique que le peintre n’avait jamais totalement pu rendre sur sa toile.
Kyara recula de quelques pas, fascinée. La soudaine proximité des deux tableaux ne laissait aucun doute sur la parenté entre les deux femmes. Eliane, seconde du nom, avait beau avoir hérité des cheveux sombres de son père et de ses traits moins sauvages, elle tenait encore tant de sa mère et de son attitude glaciale. Et même si Kyara connaissait les origines de l’Impératrice depuis quelques hivers déjà, elle ne pouvait s’empêcher d’être troublée. Sailentera, l’Oubliée. Après tout, il était presque légitime qu’elle soit aujourd’hui la maîtresse des quatre provinces, elle n’avait fait que récupérer le trône qui lui revenait par droit de naissance.
Appuyée sur ses talons, Kyara renversa progressivement la tête en suivant la spirale de portraits qui s’étirait le long des murs. Il y en avait au moins une cinquantaine, et si on les suivait, on pouvait remonter aux origines du pacte arcanique avec le Temple et de l’alliance entre les provinces. Toute l’histoire d’Helvethras, construite au fil de ces visages qui s’enchaînaient, de ces minuscules maillons qui s’imbriquaient. Elle se demanda si, un jour, elle aurait aussi son portrait dans cette galerie, si elle ferait partie de cette chaîne à son tour.
— Ton père ne méritait pas un tel sort.
Un frisson glacé courut le long de son échine, elle se mordit la lèvre. À l’absence de réaction de ses gardes, elle devina que Mara était là depuis un petit moment.
— Mère, sourit-elle en pivotant. Tu m’as manqué.
Elle s’avança pour la saluer à la manière helvethrienne, pressa son nez contre le sien en réprimant la colère qui commençait à lui brûler la gorge et la peine acide qui faisait un nœud dans sa poitrine.
— On n’aurait pas dit, cette nuit, cingla Mara en retour d’un ton acerbe.
Kyara songea aux dizaines de fois où des discussions pareilles avaient eu lieu par le passé, à la culpabilité qui l’avait toujours étreinte, à la colère muette qui l’avait dévorée sans qu’elle ne comprenne d’où elle venait.
— Tu comprendras aisément que le voyage a été épuisant, rétorqua-t-elle avec verdeur.
La satisfaction d’avoir enfin répliqué, peut-être un peu trop sèchement, dissipa quelque peu les premiers accès de fureur.
— Tiens pour me faire pardonner, viens donc avec moi.
Elle lui indiqua d’un signe de tête les portes de la bibliothèque, mais Mara pinça les lèvres.
— Et tes… molosses ?
Kyara serra les dents, certains des soldats se crispèrent.
— Ils resteront dehors, finit-elle par céder.
Avec un rictus victorieux, sa mère se dirigea vers la bibliothèque. Kyara, la mâchoire contractée, adressa un bref regard au chef de la troupe, esquissa une série de signes du bout des doigts. Il acquiesça imperceptiblement, et ses compagnons se détendirent quelque peu. Elle savait que l’insulte, certainement ni la première, ni la dernière qu’ils entendaient, blessait toujours autant.
En fermant derrière elle le battant, elle vit trois des hommes s’élancer en silence, aussi discrets que des loups, vers un corridor auxiliaire, puisqu’elle leur avait indiqué une porte dérobée à la bibliothèque. Avec un petit sourire satisfait, elle se détourna pour inspirer à pleins poumons l’odeur du cuir vieilli et des parchemins encrés. Le parfum la ramena quelques lunes en arrière, à la Citadelle, durant une longue session d’étude des comptes en compagnie d’Yngvar. Le souvenir, qui n’avait pourtant rien d’enthousiasmant a priori, la radoucit quelque peu, elle s’engagea entre les immenses rayons avec un soupir d’admiration.
Durant le voyage, trop épuisée le soir, elle avait abandonné ses lectures quotidiennes, mais elle prévoyait de s’y remettre dès que possible. L’apaisement qu’elle ressentait quand elle pouvait se poser un soir dans son canapé ou son fauteuil, dans le calme de la nuit noire, avec la clarté des chandelles et le silence d’Yngvar pour toute compagnie, lui manquaient. Parfois, ses soirées s’achevaient sur un traité particulièrement dense et pénible, mais la plupart du temps, elle préférait finir sa journée avec un roman ou un recueil de poèmes. Et puis, elle voulait aussi retrouver un vieux titre archivé depuis très longtemps, qu’elle avait lu plus jeune à la demande de son précepteur, qui traitait de Xer-Sarak. Depuis quelques temps, le commerce avec le continent éloigné était de plus en plus florissant, et si Kyara ne pouvait rêver de s’y rendre un jour, elle aimait malgré tout songer à comment devait être la vie là-bas. Les marins qui revenaient racontaient des histoires fascinantes de créatures gigantesques, semblables à des serpents géants dotés de pattes de lézards, figés dans une sorte de pierre indestructible.
— Que cherches-tu, ma chérie ?
Plus que la voix, ce fut l’emploi du terme familier qui tira Kyara de sa rêverie songeuse. Elle se secoua, le poil hérissé rien qu’en entendant ces quelques mots, mais la politesse de sa réponse lui vint avec une aisance presque déconcertante :
— Un recueil de contes, Mère… celui que Père me lisait parfois quand j’étais jeune.
— Lequel ?
— Celui avec l’histoire des lumières sur le lac Anselve et le conte des premiers arcanistes…
— Mmhm… oui, bien sûr…
Au ton de sa voix, la princesse devina que sa mère n’avait absolument aucune idée de quel livre elle parlait, et cette idée la conforta étrangement dans sa colère. Aujourd’hui, elle pouvait mentionner à l’Impératrice une lointaine discussion qu’elles avaient eue trois étés saisons auparavant au sujet d’Isarak, et Eliane s’en souviendrait. Mara d’Eau n’était pas capable de se rappeler le livre préféré de sa fille, parce qu’elle ne le lui avait jamais lu.
— Je voudrais le donner à Isarak, il commence à apprécier la lecture.
— Ah, le petit monstre…
Instinctivement, Kyara se hérissa. Yngvar et elle appelaient souvent leurs deux fils ainsi, un petit sobriquet de tendresse et d’amusement pour caractériser leur comportement chaotique et surexcité. Mais il n’y avait aucune gentillesse dans le ton sifflant de Mara, seulement une insulte à peine dissimulée.
— Si tu veux mon avis, c’est ta seule véritable erreur.
Oh… ne put-elle que songer, sentant la rage croître dans sa poitrine comme un feu destructeur.
— C’est-à-dire ?
Mara s’était retournée. Dans le contre-jour de la fenêtre derrière elle, Kyara ne pouvait discerner les détails de ses expressions, mais elle reconnaissait sans mal son froncement de sourcils usuel et le pli désapprobateur de ses lèvres. Ses longs cheveux sombres, aussi raides que des épis, étaient seulement retenus en arrière par un simple ruban, puis ramenés sur son épaule gauche comme une cascade brillante. Elle paraissait jeune mais fatiguée, comme affaissée sous le poids des hivers et d’une guerre sans merci qu’elle aurait menée dans l’ombre. Contrairement à l’Impératrice, qui portait son âge avec aisance et dignité, fière de ses premières mèches blanches, Mara, pourtant plus jeune, faisait déjà tout pour cacher les premières ridules avec des poudres.
Quand sa voix résonna, elle était chargée de dépit, mais étrangement dépourvue de son habituel ton accusateur.
— Tu aurais dû partir quand tu pouvais…
Un instant, Kyara ne comprit pas. Puis, elle se souvint de ce fameux soir où deux helvethriens déguisés en soldats des Bataillons avaient failli l’arracher au palais d’ambre, et son sang se glaça dans ses veines. Elle sentit la boule dans sa poitrine grossir, s’alourdir, un sentiment étrange la prit. Ni de la peine ni de la rancœur, ni vraiment de l’indignation… quelque chose de plus profond, qu’elle n’aurait su définir. Sa mère avait tenté de la faire évader de la capitale avalonienne, elle venait de l’admettre à mots couverts.
— Mais c’est d’autant plus intéressant que tu sois restée. Ceci dit, j’espère que les monstres ne sont pas pour toi une attache.
— Mère !
— Quoi ? Ces yeux, cette attitude… Ils l’ont tous dans cette folle famille. Et tu commences à l’avoir aussi. Il est temps que tu t’en éloignes.
— Mère, tu es consciente que tu parles de mon époux et de mes enfants, les héritiers de la famille impériale d’Avalaën ? De nos souverains et futurs souverains.
Si elle n’avait pas pas été attentive, elle aurait peut-être manqué le furtif rictus condescendant de sa mère. Il glissa discrètement sur son visage, aussi éphémère qu’une flammèche, mais Kyara le vit, et un frisson d’appréhension courut le long de sa nuque. C’était le sourire de quelqu’un qui en savait davantage qu’il n’en laissait entendre. Un mouvement nerveux agita ses doigts, sa sensation de malaise s’accrût.
— Nos chers souverains qui laissent la noblesse des provinces pourrir dans les cachots depuis une éternité. Bien sûr, oui.
— De quoi parles-tu, mère ?
— Oh, de quelques personnes mystérieusement disparues… comme Rowan par exemple, tiens.
Kyara fronça les sourcils. Rowan ? Le nom lui était familier, mais elle ne l’avait plus entendu depuis tant de lunes qu’elle eut un mal considérable à l’associer à quelqu’un qu’elle connaissait. Dans son esprit dansaient des centaines de dignitaires, de courtisans, de conseillers et de soldats, si bien que Rowan n’était qu’un écho parmi tant d’autres, lointain et étouffé, et son visage se réduisait à un contour flou et brouillon. Elle resta silencieuse, incapable de répondre, tant bien que Mara fut obligée de la relancer :
— Rowan, ma chérie ? Rowan de Lumière, voyons !
Là encore, il lui fallut quelques instants, mais soudain, elle percuta. Et, immédiatement, ses pensées se figèrent dans l’incompréhension. Rowan de Lumière ? L’héritier de la province ?
Un souvenir lointain, à peine une vague esquisse de scène, remonta soudain à la surface, et elle s’y raccrocha, peinant à retrouver le fil dans sa mémoire. Rowan de Lumière. La salle du trône du château de Ciel, quelques jours après la conquête. L’Impératrice habillée de couleurs sanglantes, avec la couronne qui lui revenait de droit, même si à l’époque, Kyara ne le savait pas. Sa terreur, sa colère, sa peine. Le Corbeau qui saisissait Rowan à la gorge, menaçant de l’étrangler, les enfants qui renonçaient à leurs titres les uns après les autres.
Et soudain, elle se souvint. Ce jour-là, Rowan de Lumière, l’adolescent qu’elle aurait certainement épousé si la guerre n’avait pas eu lieu, avait défié les conquérants. Il avait revendiqué son titre et ses droits, avait été emmené, puis n’était jamais réapparu. Au cours des lunes qui avaient suivi, Kyara s’était quelques fois inquiétée de son sort mais, trop aux prises avec sa propre souffrance, elle avait fini par l’oublier lentement à mesure que ses souvenirs d’Helvehras disparaissaient et qu’elle s’acclimatait à son mariage et à sa nouvelle vie.
— Il est vivant ? murmura-t-elle dans un souffle, stupéfaite.
— Tu ne veux pas savoir dans quel état. J’ai entendu des rumeurs, siffla sa mère avec une soudaine et virulente haine dans la voix. Apparemment, il n’est pas sorti des cachots une seule fois depuis…
Elle ne termina pas, mais Kyara comprit. Rowan de Lumière, emprisonné depuis la conquête d’Helvethras dans les ténèbres. Il y avait quelque chose de cynique et de retors dans ce constat, certainement à dessein. L’Impératrice ne laissait jamais rien au hasard.
— Ils l’ont quasiment oublié, à ce stade. Il n’y a plus que les gardes pour se rappeler de le nourrir. Tu imagines, l’héritier de Lumière, à quoi il doit être réduit ?
Un lourd silence tomba, tandis que les pensées de Kyara tourbillonnaient à toute allure, secouées par une soudaine tempête d’incompréhension et de doutes. Pourquoi Eliane et Saedor auraient-ils laissé Rowan emprisonné aussi longtemps ? Plus de douze hivers étaient passés, le cachot lui avait fait certainement reconsidérer ses prérogatives. Alors pourquoi…?
— D’ailleurs, reprit sa mère, j’espère que tu pourras changer quelques petites choses maintenant que tu es là, j’ai ouï dire que tu as acquis un certain… pouvoir d’action. Les législations qui passent en ce moment sont totalement absurdes, et les nouveaux conseillers sont pour la plupart des roturiers sans aucune éducation. Je ne sais même pas comment ce Royaume se maintient encore !
Cet Empire, corrigea-t-elle en son for intérieur. En outre, contrairement aux années de règne de feu son père, l’Empire avait plutôt tendance à progresser. Jesten, aussi patient et conciliant soit-il, avait laissé l’économie stagner et la population s’enliser dans un travail à perte. Elle avait consulté de nombreux rapports ces derniers hivers, comparé quantité de chiffres et de missives, et les résultats étaient réels. Tangibles. Mais Mara, évidemment trop aveuglée par sa haine d’Avalaën, était incapable de le voir.
— Mmhm, approuva Kyara d’un air sentencieux, troublée. Il faudra que tu me dises ce qui ne va pas.
— Bien sûr. Bon ma chérie, il faut que je file, mais tu nous rejoindras, Helena et moi, pour un thé demain ?
Elle s’avança, l’embrassa sur la joue sans même lui laisser le temps de répondre, puis ses talons résonnèrent sur la pierre brute et d’un seul coup, elle s’était volatilisée. Trop sonnée pour réagir, Kyara s’adossa au rayonnage le plus proche, le souffle étrangement court, assommée par la quantité d’informations que Mara venait de déverser en quelques minutes seulement. Les derniers échos de ses pas finissaient de se réverbérer dans l’immense bibliothèque quand les gardes déboulèrent à leur tour.
— Avelke Sen ?
Il y avait une étrange tonalité dans la voix du chef de l’escouade, mais Kyara était encore sous le choc de la rencontre. Elle hocha distraitement la tête, se frotta le nez dans un geste devenu instinctif depuis quelques temps, puis se redressa et épousseta sa longue robe. Rowan de Lumière, songea-t-elle avec un frisson d’angoisse et d’anticipation mêlées. Le nom venait d’une autre époque, de la période où elle n’était qu’une petite fille sans repères, jetée dans une guerre dans laquelle n’avait jamais eu les moyens de lutter. Elle se souvenait encore de cette adolescente qu’elle avait été, de sa peur paralysante, de son indécision étouffante. C’était ce qu’elle avait été avant de grandir, d’évoluer vers celle qu’elle était aujourd’hui. Elle ne regrettait pas cette ancienne part d’elle, qu’elle avait fini par dépasser, mais elle n’éprouvait pas non plus d’amertume à son égard. Par le passé, elle avait été celle qu’on lui avait permis d’être, incapable de voir plus loin que les carcans qu’on lui imposait. Depuis, les choses avaient changé.
En parcourant les rayonnages à la recherche du recueil de contes, elle laissa ses pensées vagabonder vers son enfance, vers ce qui avait été avant l’unification du Royaume d’Helvethras et de l’Empire d’Avalaën. Des provinces gouvernées par les mêmes familles depuis des générations, croulant sous leurs dettes respectives que le Royaume d’Ombre revenait régulièrement collecter, l’indécision, l’incertitude, les aléas politiques, les unions arrangées pour préserver les lignées dirigeantes. Rowan était un souvenir de cette époque désormais trouble dans ses souvenirs, si lointain qu’elle peinait à se rappeler son visage. Elle comprenait sans mal pourquoi, à l’instar des autres héritiers des grandes familles d’Helvethras, il avait été tenu à l’écart, mais la raison de son emprisonnement perpétuel semait le trouble dans son esprit.
Elle finit par mettre la main sur les ouvrages qu’elle recherchait, elle retourna aux jardins pour donner le recueil à Isarak, puis s’isola dans un petit salon pour se pencher sur les archives de Xer-Sarak. Mais son esprit vagabondait bien trop pour lui permettre de rester concentrée sur plus de quelques lignes, aussi décida-t-elle finalement de trouver une réponse à ses questions. Elle retourna dans sa suite, déserte à cette heure de l’après-midi. Yngvar était certainement en train de faire une inspection des Bataillons en poste ou alors de montrer aux nouveaux arrivants la ville, et Saedor devait être occupé avec les doléances de la journée, s’il n’assistait pas à un quelconque conseil restreint. Dans tous les cas, quand elle ferma les battants de la chambre, Kyara se retrouva soudain totalement seule.
La sensation, étrange après tous ces mois passés en compagnie des soldats, d’Yngvar ou de ses enfants, presque vertigineuse, la cueillit dans la poitrine comme un coup de poing féroce. Elle expira profondément, consciente de faire quelque chose qui allait à l’encontre de toutes les règles de sécurité qu’on lui avait enseignées, mais elle s’y résolut malgré tout. Dédaignant la clochette qui aurait sonné ses femmes de chambre, elle fouina dans la penderie jusqu’à trouver une simple robe de lin brun à capuche, de celles qu’Eliane laissait toujours dans un coin. L’Impératrice aimait parfois se faire oublier, disparaître dans les corridors secrets, devenir une silhouette parmi tous les serviteurs autour.
Kyara s’en vêtit avec la sensation de se couler dans la peau de quelqu’un d’autre, aplatit ses cheveux frisés sur son crâne du mieux qu’elle put avec une bande de tissu, rabattit la capuche sur sa tête, puis s’engagea dans l’un des innombrables corridors secrets du château sans avertir personne. La sensation de se faufiler entre les murs lui donna des frissons d’excitation, elle retomba dans ses jeunes années où, voulant échapper aux précepteurs, elle s’esquivait de la même manière.
Il lui fallut un long moment pour retrouver le chemin des cuisines, et à partir de là s’enfoncer en direction des cachots. Ciel n’avait jamais vraiment eu de prisons, si ce n’était les quelques rares chambres souterraines, caves et celliers transpirants d’humidité, mais elle devinait de par les paroles de sa mère que c’était certainement là qu’on avait enchaîné Rowan. Elle dut rebrousser trois fois chemin pour trouver finalement le bon escalier, et quand elle s’engagea entre les étroits murs de pierre à peine assez larges pour laisser passer un homme en armure de face, son excitation de transgresser les règles se mua en appréhension. À la lumière d’une flamme vacillante, elle descendit, encore et encore, avec la sensation de s’enfoncer dans les profondeurs de la terre, jusqu’à ce qu’un crissement métallique l’alerte d’une autre présence.
— Qui va là ?
La voix n’était guère montée au-delà du murmure, mais dans le silence total des pierres, elle résonna comme si l’homme avait parlé juste à côté d’elle. Kyara rabattit sa capuche en essayant de maîtriser la chair de poule qui commençait à hérisser les poils de ses bras, dévoilant la tiare dans ses cheveux. En face d’elle, une silhouette sombre émergea derrière un angle de mur, la considéra quelques instants en silence, puis s’inclina brièvement.
— Avelke Sen, que fais-tu ici ?
— Je viens voir le prisonnier.
Elle tenta de garder son ton aussi assuré que possible, comme si elle savait exactement de quoi elle parlait, mais le visage de l’homme se fronça malgré tout.
— Lequel ? demanda-t-il toujours sans hausser le ton.
— Rowan de Lumière.
— Ah. Suis-moi, mais laisse ta torche ici.
Il lui indiqua une enclave dans le mur, dans laquelle elle glissa le bâton de bois.
— Mais… hésita-t-elle alors qu’ils commençaient à s’éloigner de la source de lumière.
Ils parvinrent après quelques tournants dans une autre pièce, si on pouvait l’appeler ainsi, elle aussi éclairée par un feu de cheminée. Malgré la température plutôt agréable, l’air empestait d’une humidité étouffante, dense et âcre, et les crépitements du feu peinaient à troubler le silence pesant. Le garde se saisit d’une petite pierre lumineuse dans un coffret et salua son comparse assis près de la cheminée, qui l’attendait ostensiblement pour une partie de dés. Ce dernier, en reconnaissant la princesse, se redressa et salua, un bras dans le dos, à la manière de l’armée régulière avalonienne. Kyara lui retourna le salut, et suivit son guide dans les ténèbres.
— Les prisonniers sont trop accoutumés aux ténèbres pour que nous puissions venir les voir avec des torches, expliqua-t-il à mi-voix en passant devant des portes fermées. La lumière de cette pierre en revanche est suffisante pour nous, et pas trop agressive pour eux.
Kyara acquiesça, songeant au fait qu’il lui en avait beaucoup dit en quelques mots seulement. D’une part, il y avait plusieurs prisonniers, ce qui à l’époque de son père était très inhabituel. Les cellules du château n’étaient quasiment jamais peuplées, la criminalité étant punie par des tâches d’intérêt général ou des sentences à l’exécution immédiate. Le règne d’Avalaën semblait avoir changé la donne. D’autre part, l’Impératrice étant l’une des rares arcanistes qu’elle connaisse, Kyara comprit qu’elle entretenait des contacts réguliers avec les gardes des prisons, ne serait-ce qu’au sujet de l’approvisionnement en pierres lumineuses. L’autre arcaniste que Kyara connaissait était Yngvar, mais elle l’exclut immédiatement de son raisonnement par le simple fait qu’il n’était pas revenu à Ciel depuis aussi longtemps qu’elle, soit douze hivers.
Qui d’autre que Rowan de Lumière était enfermé derrière ces portes qu’ils dépassaient, voué à l’oubli dans ces ténèbres putrides et étouffantes ? Elle se promit d’en toucher un mot à Saedor et Yngvar dès qu’elle remonterait.
Mais déjà, le geôlier tirait vers lui une lourde porte en métal qui grinça désagréablement sur ses gonds, un son pareil au hurlement d’un chat souffrant le martyre, ouvrant sur la noirceur d’une cellule dans laquelle on n’y voyait goutte. Un bref silence tomba quand Kyara s’immobilisa, hésitant à entrer, puis un bref cliquetis de chaînes résonna.

◊~◊~◊

ACTE IV (3/4)
Dernière modification par vampiredelivres le mer. 02 févr., 2022 11:57 am, modifié 1 fois.
louji

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Re: Dynasties / Kyara IV (2/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : lun. 10 janv., 2022 1:03 pm Hiello ~

On revient sur un personnage dont on n'avait pas parlé depuis longtemps… et sur une très charmante discussion mère-fille, évidemment, parce que les dramas familiaux hein.

Bonne lecture !
Yooo, je sens que ça va être sympa la discussion mère-fille tiens :roll:


LA PACIFICATRICE
(2/3)


En sortant de la salle à manger, Kyara ne partit pas à la recherche de sa mère. Au contraire, elle voulait la laisser venir à elle lorsque le moment lui paraîtrait approprié, ne pas précipiter leur confrontation. L’idée la rendait certes quelque peu anxieuse, mais c’était une inquiétude qu’elle était capable de maîtriser, un léger poids dans sa poitrine, comme un membre raidi à l’approche de l’orage. Rien d’impossible à canaliser, pas vraiment dérangeant, juste désagréable.
Au lieu donc de remonter vers l’aile ouest, où sa mère avait certainement été logée depuis que la famille impériale avait pris possession de l’aile sud, elle partit en direction des jardins, où elle retrouva Jacelynn et ses deux fils en train de se poursuivre dans un labyrinthe de buissons. Jacelynn, désavantagée par sa haute taille, était clairement visible, tandis que les garçons pouvaient quasiment disparaître derrière la végétation juste en se courbant. Mais au moment où Kyara arriva, c’était Isarak qui essayait d’attraper les deux autres, et sur ses courtes petites jambes, il ne tenait pas le rythme.
Merake ! s’exclama-t-il joyeusement en l’apercevant.
Il ralentit, donnant l’occasion à ses cibles de s’enfuir plus loin dans le labyrinthe. La vision lui arracha un bref soupir, puis il sprinta vers sa mère, tira sur sa chemise. Elle s’accroupit.
— Tu veux bien m’aider ? souffla-t-il à son oreille.
Elle sourit, acquiesça silencieusement.
— Super ! Voilà ce que tu vas faire.
Elle écouta avec attention la stratégie de l’enfant, réfréna un rire amusé en voyant avec quel sérieux il l’exposait. Un bref coup d’œil sur le côté, en direction du château, lui donna l’occasion d’apercevoir des silhouettes qui se massaient derrière les larges fenêtres, certainement des courtisans venus observer leur princesse nouvellement revenue. Autrefois, les vitres sales l’auraient empêchée de discerner leurs visages, mais aujourd’hui, elle pouvait les voir avec clarté. Elle en reconnut quelques uns, mais peu. L’Empereur et l’Impératrice avaient certainement fait le ménage parmi les vautours et les rats.
— Tu m’écoutes ?
— Oui, je t’écoute, pouffa-t-elle en revenant à Isarak. On y va ?
— C’est parti.
Il n’avait pas crié. Ce n’était qu’un souffle, à peine une directive. Kyara se redressa et, affectant le naturel, commença à contourner le labyrinthe. Isarak, lui, se mit à rôder entre les rangées, cherchant clairement son frère qui était parti se cacher dans le centre des broussailles.
— Jace ? appela-t-elle.
Sa cousine par alliance, accroupie derrière une rangée d’arbustes, lui jeta un coup d’œil peu amène, guère enchantée à l’idée qu’elle dévoile sa cachette. Kyara lui rendit un hochement de tête, comme si elle l’invitait à venir la voir, et la femme soupira en se redressant.
— J’arrive.
Elle fit quelques zigzags pour contourner les obstacles, parvint à l’une des sorties du labyrinthe végétal, où Kyara l’attendait.
— Je t’écoute ?
— Regarde derrière toi, lui indiqua la princesse.
Sa cousine pivota, avisa Isarak qui venait d’abandonner sa recherche présumée de son frère, et fusait vers elle de toute la vitesse de ses petites jambes. Le temps qu’elle comprenne, il était trop tard. Kyara la ceintura d’un mouvement souple, fluide, bloqua l’un de ses bras derrière son dos et la mit à genoux en lui fauchant les chevilles. Jacelynn chuta à avec un cri de colère et d’amusement mêlés, se débattit comme une forcenée. :arrow: La vache ça rigole pas les "jeux d'enfants" ici mdrMais Kyara, forte des entraînements des Bataillons, des coups du maître d’armes Arelkin et des enchaînements pratiqués avec Yngvar, ne la laissa pas bouger. Elles avaient plus ou moins la même force, mais en douze hivers, elle avait acquis davantage de technique.
Elle sourit quand Isarak déboula tel une furie, relâcha Jacelynn juste assez longtemps pour qu’elle puisse se redresser et s’élancer, mais trop tard pour qu’elle arrive à fuir le petit monstre. Il se jeta sur elle de tout son poids, la précipita à nouveau dans la terre avec son élan, puis voltigea, se détourna, et bondit hors d’atteinte. Kyara éclata de rire, et Jacelynn jura.
— Traîtresse ! Attends, tu vas voir !
Pressentant la danger, la princesse détala à son tour avec un grand rire, sprintant dans les hautes herbes, poursuivie par les cris de Jacelynn. Elle avait cependant moins d’endurance que sa cousine, qui elle était trop habituée à passer ses journées à courir dans tous les sens avec les deux princes. Elles se coursèrent un moment, poursuivies par les acclamations d’Isarak et de Sëaren, qui avaient abandonné leur labyrinthe pour assister à la galopade, puis ses jambes finirent par l’abandonner. Elle se campa alors sur ses pieds plus fermement pour attendre l’affrontement. Jacelynn se rua sur elle comme une folle furieuse, ses yeux perçants d’un noir profond brûlants d’une audace effrayante, mais un sourire aux lèvres. Elles échangèrent une série de coups, mi-amicaux mi-sérieux, puis Kyara para une attaque du tranchant de la main et parvint à asséner un atémi. Jacelynn l’agrippa dans le mouvement, la déséquilibra d’un coup à l’arrière du genou, et elles roulèrent toutes les deux au sol en riant.
— Merake, attention !
Kyara se redressa au cri d’Isarak, juste à temps pour voir la silhouette de Sëaren foncer sur elle. Elle encaissa le choc de la collision de plein fouet, bascula de nouveau, se cogna le dos contre le sol.
— Attaque surprise ! cria son fils en lui donnant des coups de poing dans les épaules.
Suivant l’exemple de son frère, et profitant du fait que l’attention de Jacelynn était accaparé :arrow: accaparéE par l’affrontement entre la mère et le fils, Isarak se rua à son tour sur sa tante et la renversa. :arrow: Oh mais ce bordel :lol:
Il fallut un long moment, de grands éclats de rires et quelques cris, pour réussir à apaiser les deux garçons surexcités par la course-poursuite. Quand, enfin, la situation menaça de dégénérer et de réellement faire mal à l’un des quatre – les coups de Sëaren s’étaient faits trop forts pour que cela reste un jeu acceptable – Kyara finit par élever la voix, ramenant le calme en quelques mots. Ses deux fils, légèrement confus, s’excusèrent, puis se redressèrent pour les laisser se relever. En s’époussetant, Kyara nota le regard à la fois perplexe et admiratif de Jacelynn qui allait et venait entre elle et ses enfants.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je suis toujours aussi fascinée par le fait qu’ils sachent se calmer d’un seul coup quand tu commences à crier.
Kyara pouffa.
— Ce n’est pas moi. Enfin pas vraiment. C’est Yngvar.
Isarak approuva à grands hochements de tête.
— C’est Revako qui fait le plus peur quand il s’énerve.
— Mais Revako peut aussi s’énerver quand on écoute pas Merake, compléta Sëaren.
— Toujours Yngvar, décidément… rit Jacelynn. Bon, et sinon, avais-tu vraiment quelque chose à me dire ou était-ce seulement un vil guet-apens ?
Kyara haussa nonchalamment les épaules, s’attirant un regard foudroyant d’une fausse colère qui fit hurler de rire les deux garçons. Puis, d’un seul coup, leurs rires se calmèrent, et ils se tournèrent à nouveau vers leur mère.
— Dis, qu’est-ce que c’est ?
Surprise du soudain calme qui était tombé, Kyara pivota vers l’endroit qu’ils lui désignaient, et une partie de la bonne humeur qui l’avait habitée jusque là déserta son cœur. Elle soupira, s’approcha à pas lents du piquet de bois, surmonté d’une étoile à huit branches, qui avait été profondément enfoncé dans le sol, non-loin d’un bosquet. Jacelynn, qui avait elle aussi compris, même si elle n’était pas helvethrienne, prit les mains des garçons pour les inciter à s’approcher.
— C’est une tombe, répondit lentement la princesse, songeuse.
— C’est quoi…
— Une tombe, compléta-t-elle en devinant la question, c’est un endroit où on laisse le corps d’un homme après sa mort.
— Mais on ne les brûle pas ? releva Sëaren, perplexe.
— Pas ici.
Kyara s’accroupit, déblaya la terre autour du piquet d’un geste précautionneux, à la recherche d’une plaque, d’un nom. Il n’y en avait pas. Seule une épaisse couche de mousse remontait le piquet, l’enveloppant d’un doux manteau verdoyant et spongieux, indiquant que la tombe était là depuis longtemps. Pourtant, curieusement, Kyara ne se rappelait pas l’avoir un jour remarquée dans sa jeunesse.
— Vous savez que, il y a quelques hivers de cela, notre Empire était divisé en deux.
— Et une moitié s’appelait le Helvethras, acquiesça Isarak sentencieusement, fourchant malgré tout sur le nom du royaume. Et c’est toi et Revako qui avez ramené les deux moitiés ensemble.
— Exact, sourit Kyara en le prenant par la main. Mais les deux moitiés avaient beaucoup de traditions différentes. Aujourd’hui, il y a encore des gens qui enterrent les morts du côté des quatre provinces, parce que c’est ainsi que cela se faisait par le passé. Ceci dit…
Elle effleura la mousse du bout des doigts, remonta le long du bois vers les bordures de l’étoile à huit branches. Sa surface était rêche, humide, moisissante.
— J’ai l’impression que cette tombe est plus vieille que moi.
Jacelynn hocha sobrement la tête, mais ne dit rien. Isarak et Sëaren, curieux, considérèrent encore quelques instants le bois mort, rongé par les pousses de verdure, puis Isarak murmura :
— C’est triste…
Touchés par la soudaine solennité des lieux, les deux frères se réfugièrent dans l’étreinte de leur mère, qui les serra fort contre elle, songeuse. Quiconque gisait là devait avoir été important, pour avoir été inhumé dans les jardins du château.

Après l’épisode de la tombe, Isarak, Sëaren et Jacelynn s’installèrent dans un petit kiosque de bois pour la matinée, et Kyara fila chercher des livres dans la bibliothèque royale. Ses deux fils, un peu calmés de l’excitation du nouveau lieu de vie, s’étaient attelés à la rédaction d’un essai – un rapport, comme disait Yngvar – au sujet de leur voyage. Ils pouvaient écrire à propos de ce qu’ils voulaient, tant qu’ils écrivaient. Cela permettait à la fois de les faire travailler et de les maintenir au calme sous la surveillance de Jacelynn. Isarak en particulier aimait beaucoup écrire, et il avait déjà prévu d’envoyer le rapport à sa grand-mère « pour qu’elle ne se sente pas seule à la Citadelle ». Sëaren, moins studieux, s’était attelé à la tâche en regimbant, mais Kyara savait que Jacelynn veillerait au grain.
Il avait fallu de longs hivers, et les naissances successives des fils de Kyara pour que les deux jeunes femmes se rapprochent finalement. Jacelynn, toujours sous la coupe de sa grand-mère Elara et de sa mère Amira, avait longtemps gardé ses distances avec la famille impériale. Puis, Elara était décédée, quelques lunes seulement après la naissance de Sëaren, et progressivement, la cousine d’Yngvar avait commencé à se détacher de la sempiternelle haine qu’elle leur vouait, à lui et à son épouse. Isarak était arrivé ensuite, en même temps que Rena, mais la petite fille de Jacelynn avait été emportée par la fièvre et sa mère avait sombré dans la tristesse.
Kyara, qui connaissait la violence d’une telle épreuve, avait décidé de mettre de côté leur absurde et vaine opposition pour l’aider à remonter la pente. À force de patience, de persuasion, et avec l’appui imparable des grands yeux violets d’Isarak et de ses babillages de nouveau-né, elle avait fini par arracher Jacelynn aux affres du désespoir, et l’amitié qui en était née était l’une des plus solides qu’elle connaisse aujourd’hui.
Le souvenir lui tira un sourire tandis qu’elle se hâtait dans le couloir au rythme des échos des pas de ses gardes. Jace pouvait encore être désagréable parfois, mais il était indéniable qu’elle savait s’y prendre avec les enfants. Quand Kyara se noyait dans le devoir, elle prenait le relais, mais elle n’hésitait pas non plus à la rappeler sèchement à son rôle de mère lorsque c’était nécessaire. Ses critiques pouvaient être venimeuses et acerbes, mais Kyara ne les en appréciait que davantage, secrètement ravie d’avoir quelqu’un pour l’empêcher de délaisser ses enfants comme elle avait elle-même été délaissée. :arrow: Bon c'est cool qu'elles se soient rapprochées ces deux là !
Le corridor s’élargit à l’approche de la bibliothèque, s’ouvrit sur une immense salle ronde, couverte par un dôme de verre quelques quatre étages plus haut. Des dizaines et des dizaines de portraits s’alignaient le long des murs, dessinant une vertigineuse fresque des souverains d’Helvethras. Parmi ceux qui étaient le plus bas, elle reconnut sans mal Saedor et son épouse, droits et dignes dans le pourpre impérial. Juste à côté, elle vit Jesten et Mara, et son cœur se pinça à la vue de son père. Elle s’approcha lentement, fixant ses yeux sombres douloureux de réalisme. Il paraissait fier et fort sur le portrait, bien loin du pauvre homme affaibli et malade qu’elle avait vu pour la dernière fois. Pourtant, il y avait comme un doute dans son regard noisette inerte, une ombre d’incertitude, une pointe de vulnérabilité.
Elle effleura du bout des ongles la toile craquelée, qui devait bien avoir une vingtaine d’hivers, sourit, s’inclina, lucide quant au ridicule de son geste et pourtant douloureusement consciente de l’émotion qui lui étreignait le cœur.
Père… je suis de retour.
Puis, son regard dériva sur le tableau de ses prédécesseurs, et elle se figea. À gauche, le Roi Vilhelm, un grand homme brun à la peau claire, étrangement couronné d’or blanc au lieu d’or jaune. Cependant, malgré son assurance et son allure royale, ce n’était pas lui qui attirait l’attention sur le portrait. C’était sa femme : Eliane, première du nom. Un peu plus petite que lui, elle avait des traits sévères, secs et anguleux, comme taillés au couteau, un visage fin et pâle, d’une beauté étrange, presque animale. Une tiare agrémentée d’obsidiennes, rappel de ses origines, ceignait son front. Elle paraissait inaccessible, intraitable, presque aussi éthérée qu’une prêtresse du Temple avec ses yeux de glace et ses longs cheveux neige, dotée d’un charme magnétique que le peintre n’avait jamais totalement pu rendre sur sa toile.
Kyara recula de quelques pas, fascinée. La soudaine proximité des deux tableaux ne laissait aucun doute sur la parenté entre les deux femmes. Eliane, seconde du nom, avait beau avoir hérité des cheveux sombres de son père et de ses traits moins sauvages, elle tenait encore tant de sa mère et de son attitude glaciale. Et même si Kyara connaissait les origines de l’Impératrice depuis quelques hivers déjà, elle ne pouvait s’empêcher d’être troublée. Sailentera, l’Oubliée. Après tout, il était presque légitime qu’elle soit aujourd’hui la maîtresse des quatre provinces, elle n’avait fait que récupérer le trône qui lui revenait par droit de naissance.
Appuyée sur ses talons, Kyara renversa progressivement la tête en suivant la spirale de portraits qui s’étirait le long des murs. Il y en avait au moins une cinquantaine, et si on les suivait, on pouvait remonter aux origines du pacte arcanique avec le Temple et de l’alliance entre les provinces. Toute l’histoire d’Helvethras, construite au fil de ces visages qui s’enchaînaient, de ces minuscules maillons qui s’imbriquaient. Elle se demanda si, un jour, elle aurait aussi son portrait dans cette galerie, si elle ferait partie de cette chaîne à son tour.
— Ton père ne méritait pas un tel sort.
Un frisson glacé courut le long de son échine, elle se mordit la lèvre. À l’absence de réaction de ses gardes, elle devina que Mara était là depuis un petit moment.
— Mère, sourit-elle en pivotant. Tu m’as manqué.
Elle s’avança pour la saluer à la manière helvethrienne, pressa son nez contre le sien :arrow: ptn le self-control qu'il faut pour saluer quelqu'un avec le nez quand tu l'as dans le nez justement (on est sur de la blague de qualité) en réprimant la colère qui commençait à lui brûler la gorge et la peine acide qui faisait un nœud dans sa poitrine.
— On n’aurait pas dit, cette nuit, cingla Mara en retour d’un ton acerbe.
Kyara songea aux dizaines de fois où des discussions pareilles avaient eu lieu par le passé, à la culpabilité qui l’avait toujours étreinte, à la colère muette qui l’avait dévorée sans qu’elle ne comprenne d’où elle venait.
— Tu comprendras aisément que le voyage a été épuisant, rétorqua-t-elle avec verdeur.
La satisfaction d’avoir enfin répliqué, peut-être un peu trop sèchement, dissipa quelque peu les premiers accès de fureur.
— Tiens pour me faire pardonner, viens donc avec moi.
Elle lui indiqua d’un signe de tête les portes de la bibliothèque, mais Mara pinça les lèvres.
— Et tes… molosses ?
Kyara serra les dents, certains des soldats se crispèrent.
— Ils resteront dehors, finit-elle par céder.
Avec un rictus victorieux, sa mère se dirigea vers la bibliothèque. Kyara, la mâchoire contractée, adressa un bref regard au chef de la troupe, esquissa une série de signes du bout des doigts. Il acquiesça imperceptiblement, et ses compagnons se détendirent quelque peu. Elle savait que l’insulte, certainement ni la première, ni la dernière qu’ils entendaient, blessait toujours autant.
En fermant derrière elle le battant, elle vit trois des hommes s’élancer en silence, aussi discrets que des loups, vers un corridor auxiliaire, puisqu’elle leur avait indiqué une porte dérobée à la bibliothèque. Avec un petit sourire satisfait, elle se détourna pour inspirer à pleins poumons l’odeur du cuir vieilli et des parchemins encrés. Le parfum la ramena quelques lunes en arrière, à la Citadelle, durant une longue session d’étude des comptes en compagnie d’Yngvar. Le souvenir, qui n’avait pourtant rien d’enthousiasmant a priori, la radoucit quelque peu, elle s’engagea entre les immenses rayons avec un soupir d’admiration.
Durant le voyage, trop épuisée le soir, elle avait abandonné ses lectures quotidiennes, mais elle prévoyait de s’y remettre dès que possible. L’apaisement qu’elle ressentait quand elle pouvait se poser un soir dans son canapé ou son fauteuil, dans le calme de la nuit noire, avec la clarté des chandelles et le silence d’Yngvar pour toute compagnie, lui manquaient. Parfois, ses soirées s’achevaient sur un traité particulièrement dense et pénible, mais la plupart du temps, elle préférait finir sa journée avec un roman ou un recueil de poèmes. Et puis, elle voulait aussi retrouver un vieux titre archivé depuis très longtemps, qu’elle avait lu plus jeune à la demande de son précepteur, qui traitait de Xer-Sarak. Depuis quelques temps, le commerce avec le continent éloigné était de plus en plus florissant, et si Kyara ne pouvait rêver de s’y rendre un jour, elle aimait malgré tout songer à comment devait être la vie là-bas. Les marins qui revenaient racontaient des histoires fascinantes de créatures gigantesques, semblables à des serpents géants dotés de pattes de lézards, :arrow: Héhéhéhé 8-) figés dans une sorte de pierre indestructible.
— Que cherches-tu, ma chérie ?
Plus que la voix, ce fut l’emploi du terme familier qui tira Kyara de sa rêverie songeuse. Elle se secoua, le poil hérissé rien qu’en entendant ces quelques mots, mais la politesse de sa réponse lui vint avec une aisance presque déconcertante :
— Un recueil de contes, Mère… celui que Père me lisait parfois quand j’étais jeune.
— Lequel ?
— Celui avec l’histoire des lumières sur le lac Anselve et le conte des premiers arcanistes…
— Mmhm… oui, bien sûr…
Au ton de sa voix, la princesse devina que sa mère n’avait absolument aucune idée de quel livre elle parlait, et cette idée la conforta étrangement dans sa colère. Aujourd’hui, elle pouvait mentionner à l’Impératrice une lointaine discussion qu’elles avaient eue trois étés saisons auparavant au sujet d’Isarak, et Eliane s’en souviendrait. Mara d’Eau n’était pas capable de se rappeler le livre préféré de sa fille, parce qu’elle ne le lui avait jamais lu.
— Je voudrais le donner à Isarak, il commence à apprécier la lecture.
— Ah, le petit monstre…
Instinctivement, Kyara se hérissa. Yngvar et elle appelaient souvent leurs deux fils ainsi, un petit sobriquet de tendresse et d’amusement pour caractériser leur comportement chaotique et surexcité. Mais il n’y avait aucune gentillesse dans le ton sifflant de Mara, seulement une insulte à peine dissimulée.
— Si tu veux mon avis, c’est ta seule véritable erreur. :arrow: L'instinct de survie il est négatif là
Oh… ne put-elle que songer, sentant la rage croître dans sa poitrine comme un feu destructeur.
— C’est-à-dire ?
Mara s’était retournée. Dans le contre-jour de la fenêtre derrière elle, Kyara ne pouvait discerner les détails de ses expressions, mais elle reconnaissait sans mal son froncement de sourcils usuel et le pli désapprobateur de ses lèvres. Ses longs cheveux sombres, aussi raides que des épis, étaient seulement retenus en arrière par un simple ruban, puis ramenés sur son épaule gauche comme une cascade brillante. Elle paraissait jeune mais fatiguée, comme affaissée sous le poids des hivers et d’une guerre sans merci qu’elle aurait menée dans l’ombre. Contrairement à l’Impératrice, qui portait son âge avec aisance et dignité, fière de ses premières mèches blanches, Mara, pourtant plus jeune, faisait déjà tout pour cacher les premières ridules avec des poudres.
Quand sa voix résonna, elle était chargée de dépit, mais étrangement dépourvue de son habituel ton accusateur.
— Tu aurais dû partir quand tu pouvais…
Un instant, Kyara ne comprit pas. Puis, elle se souvint de ce fameux soir où deux helvethriens :arrow: majuscule ? déguisés en soldats des Bataillons avaient failli l’arracher au palais d’ambre, et son sang se glaça dans ses veines. Elle sentit la boule dans sa poitrine grossir, s’alourdir, un sentiment étrange la prit. Ni de la peine ni de la rancœur, ni vraiment de l’indignation… quelque chose de plus profond, qu’elle n’aurait su définir. Sa mère avait tenté de la faire évader de la capitale avalonienne, elle venait de l’admettre à mots couverts.
— Mais c’est d’autant plus intéressant que tu sois restée. Ceci dit, j’espère que les monstres ne sont pas pour toi une attache.
— Mère !
— Quoi ? Ces yeux, cette attitude… Ils l’ont tous dans cette folle famille. Et tu commences à l’avoir aussi. Il est temps que tu t’en éloignes.
— Mère, tu es consciente que tu parles de mon époux et de mes enfants, les héritiers de la famille impériale d’Avalaën ? De nos souverains et futurs souverains.
Si elle n’avait pas pas été attentive, elle aurait peut-être manqué le furtif rictus condescendant de sa mère. Il glissa discrètement sur son visage, aussi éphémère qu’une flammèche, mais Kyara le vit, et un frisson d’appréhension courut le long de sa nuque. C’était le sourire de quelqu’un qui en savait davantage qu’il n’en laissait entendre. Un mouvement nerveux agita ses doigts, sa sensation de malaise s’accrût.
— Nos chers souverains qui laissent la noblesse des provinces pourrir dans les cachots depuis une éternité. Bien sûr, oui.
— De quoi parles-tu, mère ?
— Oh, de quelques personnes mystérieusement disparues… comme Rowan par exemple, tiens.
Kyara fronça les sourcils. Rowan ? Le nom lui était familier, mais elle ne l’avait plus entendu depuis tant de lunes qu’elle eut un mal considérable à l’associer à quelqu’un qu’elle connaissait. Dans son esprit dansaient des centaines de dignitaires, de courtisans, de conseillers et de soldats, si bien que Rowan n’était qu’un écho parmi tant d’autres, lointain et étouffé, et son visage se réduisait à un contour flou et brouillon. Elle resta silencieuse, incapable de répondre, tant bien que Mara fut obligée de la relancer :
— Rowan, ma chérie ? Rowan de Lumière, voyons !
Là encore, il lui fallut quelques instants, mais soudain, elle percuta. Et, immédiatement, ses pensées se figèrent dans l’incompréhension. Rowan de Lumière ? L’héritier de la province ? :arrow: Celui qui joue les rebelles dans l'acte 1 ?
Un souvenir lointain, à peine une vague esquisse de scène, remonta soudain à la surface, et elle s’y raccrocha, peinant à retrouver le fil dans sa mémoire. Rowan de Lumière. La salle du trône du château de Ciel, quelques jours après la conquête. L’Impératrice habillée de couleurs sanglantes, avec la couronne qui lui revenait de droit, même si à l’époque, Kyara ne le savait pas. Sa terreur, sa colère, sa peine. Le Corbeau qui saisissait Rowan à la gorge, menaçant de l’étrangler, les enfants qui renonçaient à leurs titres les uns après les autres.
Et soudain, elle se souvint. Ce jour-là, Rowan de Lumière, l’adolescent qu’elle aurait certainement épousé si la guerre n’avait pas eu lieu, avait défié les conquérants. :arrow: Ui, lui. Il avait revendiqué son titre et ses droits, avait été emmené, puis n’était jamais réapparu. Au cours des lunes qui avaient suivi, Kyara s’était quelques fois inquiétée de son sort mais, trop aux prises avec sa propre souffrance, elle avait fini par l’oublier lentement à mesure que ses souvenirs d’Helvehras disparaissaient et qu’elle s’acclimatait à son mariage et à sa nouvelle vie.
— Il est vivant ? murmura-t-elle dans un souffle, stupéfaite.
— Tu ne veux pas savoir dans quel état. J’ai entendu des rumeurs, siffla sa mère avec une soudaine et virulente haine dans la voix. Apparemment, il n’est pas sorti des cachots une seule fois depuis…
Elle ne termina pas, mais Kyara comprit. Rowan de Lumière, emprisonné depuis la conquête d’Helvethras dans les ténèbres. Il y avait quelque chose de cynique et de retors dans ce constat, certainement à dessein. L’Impératrice ne laissait jamais rien au hasard.
— Ils l’ont quasiment oublié, à ce stade. Il n’y a plus que les gardes pour se rappeler de le nourrir. Tu imagines, l’héritier de Lumière, à quoi il doit être réduit ?
Un lourd silence tomba, tandis que les pensées de Kyara tourbillonnaient à toute allure, secouées par une soudaine tempête d’incompréhension et de doutes. Pourquoi Eliane et Saedor auraient-ils laissé Rowan emprisonné aussi longtemps ? Plus de douze hivers étaient passés, le cachot lui avait fait certainement reconsidérer ses prérogatives. Alors pourquoi…?
— D’ailleurs, reprit sa mère, j’espère que tu pourras changer quelques petites choses maintenant que tu es là, j’ai ouï dire que tu as acquis un certain… pouvoir d’action. Les législations qui passent en ce moment sont totalement absurdes, et les nouveaux conseillers sont pour la plupart des roturiers sans aucune éducation. Je ne sais même pas comment ce Royaume se maintient encore !
Cet Empire, corrigea-t-elle en son for intérieur. En outre, contrairement aux années de règne de feu son père, l’Empire avait plutôt tendance à progresser. Jesten, aussi patient et conciliant soit-il, avait laissé l’économie stagner et la population s’enliser dans un travail à perte. Elle avait consulté de nombreux rapports ces derniers hivers, comparé quantité de chiffres et de missives, et les résultats étaient réels. Tangibles. Mais Mara, évidemment trop aveuglée par sa haine d’Avalaën, était incapable de le voir.
— Mmhm, approuva Kyara d’un air sentencieux, troublée. Il faudra que tu me dises ce qui ne va pas.
— Bien sûr. Bon ma chérie, il faut que je file, mais tu nous rejoindras, Helena et moi, pour un thé demain ?
Elle s’avança, l’embrassa sur la joue sans même lui laisser le temps de répondre, puis ses talons résonnèrent sur la pierre brute et d’un seul coup, elle s’était volatilisée. Trop sonnée pour réagir, Kyara s’adossa au rayonnage le plus proche, le souffle étrangement court, assommée par la quantité d’informations que Mara venait de déverser en quelques minutes seulement. Les derniers échos de ses pas finissaient de se réverbérer dans l’immense bibliothèque quand les gardes déboulèrent à leur tour.
— Avelke Sen ?
Il y avait une étrange tonalité dans la voix du chef de l’escouade, mais Kyara était encore sous le choc de la rencontre. Elle hocha distraitement la tête, se frotta le nez dans un geste devenu instinctif depuis quelques temps, puis se redressa et épousseta sa longue robe. Rowan de Lumière, songea-t-elle avec un frisson d’angoisse et d’anticipation mêlées. Le nom venait d’une autre époque, de la période où elle n’était qu’une petite fille sans repères, jetée dans une guerre dans laquelle n’avait jamais eu les moyens de lutter. Elle se souvenait encore de cette adolescente qu’elle avait été, de sa peur paralysante, de son indécision étouffante. C’était ce qu’elle avait été avant de grandir, d’évoluer vers celle qu’elle était aujourd’hui. Elle ne regrettait pas cette ancienne part d’elle, qu’elle avait fini par dépasser, mais elle n’éprouvait pas non plus d’amertume à son égard. Par le passé, elle avait été celle qu’on lui avait permis d’être, incapable de voir plus loin que les carcans qu’on lui imposait. Depuis, les choses avaient changé.
En parcourant les rayonnages à la recherche du recueil de contes, elle laissa ses pensées vagabonder vers son enfance, vers ce qui avait été avant l’unification du Royaume d’Helvethras et de l’Empire d’Avalaën. Des provinces gouvernées par les mêmes familles depuis des générations, croulant sous leurs dettes respectives que le Royaume d’Ombre revenait régulièrement collecter, l’indécision, l’incertitude, les aléas politiques, les unions arrangées pour préserver les lignées dirigeantes. Rowan était un souvenir de cette époque désormais trouble dans ses souvenirs, si lointain qu’elle peinait à se rappeler son visage. Elle comprenait sans mal pourquoi, à l’instar des autres héritiers des grandes familles d’Helvethras, il avait été tenu à l’écart, mais la raison de son emprisonnement perpétuel semait le trouble dans son esprit.
Elle finit par mettre la main sur les ouvrages qu’elle recherchait, elle retourna aux jardins pour donner le recueil à Isarak, puis s’isola dans un petit salon pour se pencher sur les archives de Xer-Sarak. Mais son esprit vagabondait bien trop pour lui permettre de rester concentrée sur plus de quelques lignes, aussi décida-t-elle finalement de trouver une réponse à ses questions. Elle retourna dans sa suite, déserte à cette heure de l’après-midi. Yngvar était certainement en train de faire une inspection des Bataillons en poste ou alors de montrer aux nouveaux arrivants la ville, et Saedor devait être occupé avec les doléances de la journée, s’il n’assistait pas à un quelconque conseil restreint. Dans tous les cas, quand elle ferma les battants de la chambre, Kyara se retrouva soudain totalement seule.
La sensation, étrange après tous ces mois passés en compagnie des soldats, d’Yngvar ou de ses enfants, presque vertigineuse, la cueillit dans la poitrine comme un coup de poing féroce. Elle expira profondément, consciente de faire quelque chose qui allait à l’encontre de toutes les règles de sécurité qu’on lui avait enseignées, mais elle s’y résolut malgré tout. Dédaignant la clochette qui aurait sonné ses femmes de chambre, elle fouina dans la penderie jusqu’à trouver une simple robe de lin brun à capuche, de celles qu’Eliane laissait toujours dans un coin. L’Impératrice aimait parfois se faire oublier, disparaître dans les corridors secrets, devenir une silhouette parmi tous les serviteurs autour.
Kyara s’en vêtit avec la sensation de se couler dans la peau de quelqu’un d’autre, aplatit ses cheveux frisés sur son crâne du mieux qu’elle put avec une bande de tissu, rabattit la capuche sur sa tête, puis s’engagea dans l’un des innombrables corridors secrets du château sans avertir personne. La sensation de se faufiler entre les murs lui donna des frissons d’excitation, elle retomba dans ses jeunes années où, voulant échapper aux précepteurs, elle s’esquivait de la même manière.
Il lui fallut un long moment pour retrouver le chemin des cuisines, et à partir de là s’enfoncer en direction des cachots. Ciel n’avait jamais vraiment eu de prisons, si ce n’était les quelques rares chambres souterraines, caves et celliers transpirants d’humidité, mais elle devinait de par les paroles de sa mère que c’était certainement là qu’on avait enchaîné Rowan. Elle dut rebrousser trois fois chemin pour trouver finalement le bon escalier, et quand elle s’engagea entre les étroits murs de pierre à peine assez larges pour laisser passer un homme en armure de face, son excitation de transgresser les règles se mua en appréhension. À la lumière d’une flamme vacillante, elle descendit, encore et encore, avec la sensation de s’enfoncer dans les profondeurs de la terre, jusqu’à ce qu’un crissement métallique l’alerte d’une autre présence.
— Qui va là ?
La voix n’était guère montée au-delà du murmure, mais dans le silence total des pierres, elle résonna comme si l’homme avait parlé juste à côté d’elle. Kyara rabattit sa capuche en essayant de maîtriser la chair de poule qui commençait à hérisser les poils de ses bras, dévoilant la tiare dans ses cheveux. En face d’elle, une silhouette sombre émergea derrière un angle de mur, la considéra quelques instants en silence, puis s’inclina brièvement.
— Avelke Sen, que fais-tu ici ?
— Je viens voir le prisonnier.
Elle tenta de garder son ton aussi assuré que possible, comme si elle savait exactement de quoi elle parlait, mais le visage de l’homme se fronça malgré tout.
— Lequel ? demanda-t-il toujours sans hausser le ton.
— Rowan de Lumière.
— Ah. Suis-moi, mais laisse ta torche ici.
Il lui indiqua une enclave dans le mur, dans laquelle elle glissa le bâton de bois.
— Mais… hésita-t-elle alors qu’ils commençaient à s’éloigner de la source de lumière.
Ils parvinrent après quelques tournants dans une autre pièce, si on pouvait l’appeler ainsi, elle aussi éclairée par un feu de cheminée. Malgré la température plutôt agréable, l’air empestait d’une humidité étouffante, dense et âcre, et les crépitements du feu peinaient à troubler le silence pesant. Le garde se saisit d’une petite pierre lumineuse dans un coffret et salua son comparse assis près de la cheminée, qui l’attendait ostensiblement pour une partie de dés. Ce dernier, en reconnaissant la princesse, se redressa et salua, un bras dans le dos, à la manière de l’armée régulière avalonienne. Kyara lui retourna le salut, et suivit son guide dans les ténèbres.
— Les prisonniers sont trop accoutumés aux ténèbres pour que nous puissions venir les voir avec des torches, expliqua-t-il à mi-voix en passant devant des portes fermées. La lumière de cette pierre en revanche est suffisante pour nous, et pas trop agressive pour eux.
Kyara acquiesça, songeant au fait qu’il lui en avait beaucoup dit en quelques mots seulement. D’une part, il y avait plusieurs prisonniers, ce qui à l’époque de son père était très inhabituel. Les cellules du château n’étaient quasiment jamais peuplées, la criminalité étant punie par des tâches d’intérêt général ou des sentences à l’exécution immédiate. Le règne d’Avalaën semblait avoir changé la donne. D’autre part, l’Impératrice étant l’une des rares arcanistes qu’elle connaisse, Kyara comprit qu’elle entretenait des contacts réguliers avec les gardes des prisons, ne serait-ce qu’au sujet de l’approvisionnement en pierres lumineuses. L’autre arcaniste que Kyara connaissait était Yngvar, mais elle l’exclut immédiatement de son raisonnement par le simple fait qu’il n’était pas revenu à Ciel depuis aussi longtemps qu’elle, soit douze hivers.
Qui d’autre que Rowan de Lumière était enfermé derrière ces portes qu’ils dépassaient, voué à l’oubli dans ces ténèbres putrides et étouffantes ? Elle se promit d’en toucher un mot à Saedor et Yngvar dès qu’elle remonterait.
Mais déjà, le geôlier tirait vers lui une lourde porte en métal qui grinça désagréablement sur ses gonds, un son pareil au hurlement d’un chat souffrant le martyre, ouvrant sur la noirceur d’une cellule dans laquelle on n’y voyait goutte. Un bref silence tomba quand Kyara s’immobilisa, hésitant à entrer, puis un bref cliquetis de chaînes résonna.

◊~◊~◊
Bon, va y avoir des tensions je sens :lol:

Comme prévu, la conversation entre Mara et Kyara était très désagréable =)))
Vraiment, sa mère avec son passif-agressif là fioouh On sent la femme qui voulait pas avoir d'enfant, a dû en avoir un suite à son mariage et lui fait payer... Bonne ambiance.
Bref, en dehors de ça, les infos qu'apporte Mara sont intéressantes. Pour être honnête j'avais complètement oublié Rowan :lol: Et clairement s'il vient (et d'autres éventuellement) de passer 12 ans dans le noir enfermé... y'a de quoi être amer. Autant les prisonniers que leurs proches. Je comprends mieux les sources des révoltes aussi. Forcément ça m'amène à me poser des questions : bon je me doute qu'Eliane et Saedor étaient au courant, mais j'imagine qu'Yngvar aussi ? Je le vois mal ne pas être au courant de ça. Donc à voir pourquoi ils sont gardés prisonniers et quelles vont être les incidences.
Maintenant, suite aux actions de Kyara et au titre de l'acte, je la vois bien secouer la fourmilière pour remettre tout en question. Clairement y'a un oeil à garder sur la noblesse de Helvethras en termes de rancœur et de rébellion si leurs potos sont enfermés en-dessous du château :roll: Mais ouais je me projette bien dans une suite où Kyara essaie de concilier les nouveautés d'Avalaën et ce qui reste d'héritage de Helvethras. Mais pour ça va falloir se pencher sur la question des emprisonnements.
On verra bien dans la suite 8-)
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Hiello~

Bon ! Il m'en a fallu, du temps, mais j'ai enfin lu les chaps que j'avais en retard x)

Franchement, j'ai été happée et j'ai eu aucun mal à rerentrer dans le récit. Pfouah, à chaque fois, c'est une sacré claque ! Je me suis dit à plusieurs reprises que j'adorerais avoir le livre Dynastie entre les mains pour me replonger dedans depuis le début. Damn !

J'adore l'évolution de Kyara dans ces trois chaps (L'oubliée 3/3, La pacificatrice 1 et 2/3), c'est très plaisant à lire! On est si loin de la pauvre princesse arrachée à son royaume. Les relations qu'elle développe sont très agréables à lire aussi, je trouve celle avec Yngvar très belle, celle avec Saedor très attendrissante, et la façon dont elle s'est rapprochée de Jacelyne... Waw ;w; J'aime Sëaren et Isarak du plus profond de mon cœur, et savoir qu'Uma s'occupe d'eux, j'ai des étoiles dans les yeux !
Mention spéciale à Zarina, parce que les chats >> tout.
Evidemment, on adoooore une mère harpie fouille/touille-merde, c'est un plaisir. Certes, elle apporte le drama, et on aime le drama, mais on aime pas la messagère :c
J'ai adoré le passage avec le tableau d'Eliane I, c'est tellement satisfaisant.

Niveau style d'écriture, c'est toujours aussi bon et je trouve même que c'est meilleur ! Vraiment, bravo, j'adore.
J'ai teeeeeellement hâte de voir ce que tu vas faire avec Xer-Sarak, les petits détails que tu mentionnes me font de l'oeil ! Bien évidemment, chaque chose en son temps, il nous reste encore des choses à découvrir sur ce continent avant de passer à un autre x)
MAIS J'AI SI HÂTE.

Allez, en espérant que je sois plus régulière à partir de maintenant,

La bise~
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Re: Dynasties / Kyara IV (2/4)

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : sam. 22 janv., 2022 5:20 pm
vampiredelivres a écrit : lun. 10 janv., 2022 1:03 pm Hiello ~

On revient sur un personnage dont on n'avait pas parlé depuis longtemps… et sur une très charmante discussion mère-fille, évidemment, parce que les dramas familiaux hein.

Bonne lecture !
Yooo, je sens que ça va être sympa la discussion mère-fille tiens :roll:
Trop d'amour entre ces persos :roll:


LA PACIFICATRICE
(2/3)



Sa cousine pivota, avisa Isarak qui venait d’abandonner sa recherche présumée de son frère, et fusait vers elle de toute la vitesse de ses petites jambes. Le temps qu’elle comprenne, il était trop tard. Kyara la ceintura d’un mouvement souple, fluide, bloqua l’un de ses bras derrière son dos et la mit à genoux en lui fauchant les chevilles. Jacelynn chuta à avec un cri de colère et d’amusement mêlés, se débattit comme une forcenée. :arrow: La vache ça rigole pas les "jeux d'enfants" ici mdr Ben Jace et Kyara ne sont plus trop des enfants… mais elles agissent comme des gamines, à plus grande échelle x) Mais Kyara, forte des entraînements des Bataillons, des coups du maître d’armes Arelkin et des enchaînements pratiqués avec Yngvar, ne la laissa pas bouger. Elles avaient plus ou moins la même force, mais en douze hivers, elle avait acquis davantage de technique.

Suivant l’exemple de son frère, et profitant du fait que l’attention de Jacelynn était accaparé :arrow: accaparéE Merci ! par l’affrontement entre la mère et le fils, Isarak se rua à son tour sur sa tante et la renversa. :arrow: Oh mais ce bordel :lol: Wi :D


Kyara, qui connaissait la violence d’une telle épreuve, avait décidé de mettre de côté leur absurde et vaine opposition pour l’aider à remonter la pente. À force de patience, de persuasion, et avec l’appui imparable des grands yeux violets d’Isarak et de ses babillages de nouveau-né, elle avait fini par arracher Jacelynn aux affres du désespoir, et l’amitié qui en était née était l’une des plus solides qu’elle connaisse aujourd’hui.
Le souvenir lui tira un sourire tandis qu’elle se hâtait dans le couloir au rythme des échos des pas de ses gardes. Jace pouvait encore être désagréable parfois, mais il était indéniable qu’elle savait s’y prendre avec les enfants. Quand Kyara se noyait dans le devoir, elle prenait le relais, mais elle n’hésitait pas non plus à la rappeler sèchement à son rôle de mère lorsque c’était nécessaire. Ses critiques pouvaient être venimeuses et acerbes, mais Kyara ne les en appréciait que davantage, secrètement ravie d’avoir quelqu’un pour l’empêcher de délaisser ses enfants comme elle avait elle-même été délaissée. :arrow: Bon c'est cool qu'elles se soient rapprochées ces deux là ! Comme quoi les années peuvent tout arranger… (ou tout casser tiens :lol: )

— Mère, sourit-elle en pivotant. Tu m’as manqué.
Elle s’avança pour la saluer à la manière helvethrienne, pressa son nez contre le sien :arrow: ptn le self-control qu'il faut pour saluer quelqu'un avec le nez quand tu l'as dans le nez justement (on est sur de la blague de qualité) J'te jure (et blague de qualité supérieure :mrgreen: ) en réprimant la colère qui commençait à lui brûler la gorge et la peine acide qui faisait un nœud dans sa poitrine.

Avec un rictus victorieux, sa mère se dirigea vers la bibliothèque. Kyara, la mâchoire contractée, adressa un bref regard au chef de la troupe, esquissa une série de signes du bout des doigts. Il acquiesça imperceptiblement, et ses compagnons se détendirent quelque peu. Elle savait que l’insulte, certainement ni la première, ni la dernière qu’ils entendaient, blessait toujours autant.
En fermant derrière elle le battant, elle vit trois des hommes s’élancer en silence, aussi discrets que des loups, vers un corridor auxiliaire, puisqu’elle leur avait indiqué une porte dérobée à la bibliothèque. Avec un petit sourire satisfait, elle se détourna pour inspirer à pleins poumons l’odeur du cuir vieilli et des parchemins encrés. Le parfum la ramena quelques lunes en arrière, à la Citadelle, durant une longue session d’étude des comptes en compagnie d’Yngvar. Le souvenir, qui n’avait pourtant rien d’enthousiasmant a priori, la radoucit quelque peu, elle s’engagea entre les immenses rayons avec un soupir d’admiration.
Durant le voyage, trop épuisée le soir, elle avait abandonné ses lectures quotidiennes, mais elle prévoyait de s’y remettre dès que possible. L’apaisement qu’elle ressentait quand elle pouvait se poser un soir dans son canapé ou son fauteuil, dans le calme de la nuit noire, avec la clarté des chandelles et le silence d’Yngvar pour toute compagnie, lui manquaient. Parfois, ses soirées s’achevaient sur un traité particulièrement dense et pénible, mais la plupart du temps, elle préférait finir sa journée avec un roman ou un recueil de poèmes. Et puis, elle voulait aussi retrouver un vieux titre archivé depuis très longtemps, qu’elle avait lu plus jeune à la demande de son précepteur, qui traitait de Xer-Sarak. Depuis quelques temps, le commerce avec le continent éloigné était de plus en plus florissant, et si Kyara ne pouvait rêver de s’y rendre un jour, elle aimait malgré tout songer à comment devait être la vie là-bas. Les marins qui revenaient racontaient des histoires fascinantes de créatures gigantesques, semblables à des serpents géants dotés de pattes de lézards, :arrow: Héhéhéhé 8-) Helloooooo :D figés dans une sorte de pierre indestructible.

— Je voudrais le donner à Isarak, il commence à apprécier la lecture.
— Ah, le petit monstre…
Instinctivement, Kyara se hérissa. Yngvar et elle appelaient souvent leurs deux fils ainsi, un petit sobriquet de tendresse et d’amusement pour caractériser leur comportement chaotique et surexcité. Mais il n’y avait aucune gentillesse dans le ton sifflant de Mara, seulement une insulte à peine dissimulée.
— Si tu veux mon avis, c’est ta seule véritable erreur. :arrow: L'instinct de survie il est négatif là Nan mais elle a pas compris dans quel bordel elle est en train de se fourrer en fait x)
Oh… ne put-elle que songer, sentant la rage croître dans sa poitrine comme un feu destructeur.
— C’est-à-dire ?
Mara s’était retournée. Dans le contre-jour de la fenêtre derrière elle, Kyara ne pouvait discerner les détails de ses expressions, mais elle reconnaissait sans mal son froncement de sourcils usuel et le pli désapprobateur de ses lèvres. Ses longs cheveux sombres, aussi raides que des épis, étaient seulement retenus en arrière par un simple ruban, puis ramenés sur son épaule gauche comme une cascade brillante. Elle paraissait jeune mais fatiguée, comme affaissée sous le poids des hivers et d’une guerre sans merci qu’elle aurait menée dans l’ombre. Contrairement à l’Impératrice, qui portait son âge avec aisance et dignité, fière de ses premières mèches blanches, Mara, pourtant plus jeune, faisait déjà tout pour cacher les premières ridules avec des poudres.
Quand sa voix résonna, elle était chargée de dépit, mais étrangement dépourvue de son habituel ton accusateur.
— Tu aurais dû partir quand tu pouvais…
Un instant, Kyara ne comprit pas. Puis, elle se souvint de ce fameux soir où deux helvethriens :arrow: majuscule ? Je les oublie toujours, décidément ! déguisés en soldats des Bataillons avaient failli l’arracher au palais d’ambre, et son sang se glaça dans ses veines. Elle sentit la boule dans sa poitrine grossir, s’alourdir, un sentiment étrange la prit. Ni de la peine ni de la rancœur, ni vraiment de l’indignation… quelque chose de plus profond, qu’elle n’aurait su définir. Sa mère avait tenté de la faire évader de la capitale avalonienne, elle venait de l’admettre à mots couverts.

— Rowan, ma chérie ? Rowan de Lumière, voyons !
Là encore, il lui fallut quelques instants, mais soudain, elle percuta. Et, immédiatement, ses pensées se figèrent dans l’incompréhension. Rowan de Lumière ? L’héritier de la province ? :arrow: Celui qui joue les rebelles dans l'acte 1 ? Lui-même. Il a pris un peu cher.
Un souvenir lointain, à peine une vague esquisse de scène, remonta soudain à la surface, et elle s’y raccrocha, peinant à retrouver le fil dans sa mémoire. Rowan de Lumière. La salle du trône du château de Ciel, quelques jours après la conquête. L’Impératrice habillée de couleurs sanglantes, avec la couronne qui lui revenait de droit, même si à l’époque, Kyara ne le savait pas. Sa terreur, sa colère, sa peine. Le Corbeau qui saisissait Rowan à la gorge, menaçant de l’étrangler, les enfants qui renonçaient à leurs titres les uns après les autres.
Et soudain, elle se souvint. Ce jour-là, Rowan de Lumière, l’adolescent qu’elle aurait certainement épousé si la guerre n’avait pas eu lieu, avait défié les conquérants. :arrow: Ui, lui. Il avait revendiqué son titre et ses droits, avait été emmené, puis n’était jamais réapparu. Au cours des lunes qui avaient suivi, Kyara s’était quelques fois inquiétée de son sort mais, trop aux prises avec sa propre souffrance, elle avait fini par l’oublier lentement à mesure que ses souvenirs d’Helvehras disparaissaient et qu’elle s’acclimatait à son mariage et à sa nouvelle vie.

◊~◊~◊
Bon, va y avoir des tensions je sens :lol:

Comme prévu, la conversation entre Mara et Kyara était très désagréable =)))
Vraiment, sa mère avec son passif-agressif là fioouh On sent la femme qui voulait pas avoir d'enfant, a dû en avoir un suite à son mariage et lui fait payer... Bonne ambiance.
Bref, en dehors de ça, les infos qu'apporte Mara sont intéressantes. Pour être honnête j'avais complètement oublié Rowan :lol: Et clairement s'il vient (et d'autres éventuellement) de passer 12 ans dans le noir enfermé... y'a de quoi être amer. Autant les prisonniers que leurs proches. Je comprends mieux les sources des révoltes aussi. Forcément ça m'amène à me poser des questions : bon je me doute qu'Eliane et Saedor étaient au courant, mais j'imagine qu'Yngvar aussi ? Je le vois mal ne pas être au courant de ça. Donc à voir pourquoi ils sont gardés prisonniers et quelles vont être les incidences.
Maintenant, suite aux actions de Kyara et au titre de l'acte, je la vois bien secouer la fourmilière pour remettre tout en question. Clairement y'a un oeil à garder sur la noblesse de Helvethras en termes de rancœur et de rébellion si leurs potos sont enfermés en-dessous du château :roll: Mais ouais je me projette bien dans une suite où Kyara essaie de concilier les nouveautés d'Avalaën et ce qui reste d'héritage de Helvethras. Mais pour ça va falloir se pencher sur la question des emprisonnements.
On verra bien dans la suite 8-)
Bon, la discussion mère-fille est pas la plus agréable qu'on puisse avoir oui. Et oui, Mara a pas exactement choisi d'avoir des enfants (Kyara en l'occurrence), mais bon, elle se comporte vraiment comme une sale… Bref.
Spoiler : tout le monde avait oublié Rowan, moi comprise. :lol: J'ai relu l'Acte I et j'ai fait "ah tiennns… qu'est-ce que je vais faire de toi ?" :roll: Mais oui, il aura pris un peu cher après douze ans dans les ténèbres. Pour le reste, les réponses viendront !
J'aime bien le titre de l'acte parce que même s'il contraste un peu avec les dramas, il donne une bonne idée de ce que Kyara va en tout cas essayer de concilier son passé helvethrien avec sa nouvelle éducation d'Avalaën. Mais c'est pas encore gagné.
Merci pour ton passage et ton commentaire !

TcmA a écrit : mer. 26 janv., 2022 7:55 pm Hiello~

Bon ! Il m'en a fallu, du temps, mais j'ai enfin lu les chaps que j'avais en retard x)

Franchement, j'ai été happée et j'ai eu aucun mal à rerentrer dans le récit. Pfouah, à chaque fois, c'est une sacré claque ! Je me suis dit à plusieurs reprises que j'adorerais avoir le livre Dynastie entre les mains pour me replonger dedans depuis le début. Damn !

J'adore l'évolution de Kyara dans ces trois chaps (L'oubliée 3/3, La pacificatrice 1 et 2/3), c'est très plaisant à lire! On est si loin de la pauvre princesse arrachée à son royaume. Les relations qu'elle développe sont très agréables à lire aussi, je trouve celle avec Yngvar très belle, celle avec Saedor très attendrissante, et la façon dont elle s'est rapprochée de Jacelyne... Waw ;w; J'aime Sëaren et Isarak du plus profond de mon cœur, et savoir qu'Uma s'occupe d'eux, j'ai des étoiles dans les yeux !
Mention spéciale à Zarina, parce que les chats >> tout.
Evidemment, on adoooore une mère harpie fouille/touille-merde, c'est un plaisir. Certes, elle apporte le drama, et on aime le drama, mais on aime pas la messagère :c
J'ai adoré le passage avec le tableau d'Eliane I, c'est tellement satisfaisant.

Niveau style d'écriture, c'est toujours aussi bon et je trouve même que c'est meilleur ! Vraiment, bravo, j'adore.
J'ai teeeeeellement hâte de voir ce que tu vas faire avec Xer-Sarak, les petits détails que tu mentionnes me font de l'oeil ! Bien évidemment, chaque chose en son temps, il nous reste encore des choses à découvrir sur ce continent avant de passer à un autre x)
MAIS J'AI SI HÂTE.

Allez, en espérant que je sois plus régulière à partir de maintenant,

La bise~
Hiello ~

Contente que ça te plaise toujours autant ! (Le livre papier viendra, promis ^^)
D'ailleurs je viens de me rendre compte que je suis une débilus et que j'ai mis 2/3 alors que c'est 2/4 pour la Pacificatrice… Bon en tout cas y'a 4 parties au total. Et un épilogue ^^

L'évolution de Kyara est un bonheur à suivre franchement, surtout mise en parallèle avec les autres personnages. Et Isarak et Seären, c'est mes choupis d'amour ♥
(Zarinaaaa !)
La maman du bonheur comme on l'appelle, parce que du drama, elle va en ramener tout plein.

Je t'avoue que je remets en doute le style parfois, mais bon, si ça plaît ça ne doit pas être si mauvais non ? (c'est faux, y'a des trucs de merde trop populaires) De toute façon y'aura une solide correction derrière quand j'aurai un peu sorti la tête du guidon.
Bon par contre j'ai hâte aussi pour Xer-Sarak 8-) J'ai tellement pas avancé le worldbuilding mais j'ai trop d'idées !

T'inquiète, même si tu n'es pas régulière, c'est pas un problème :)
Merci beaucoup pour ton passage déjà, ça fait très plaisir !

La bise ~
vampiredelivres

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Dynasties / Kyara IV (3/4)

Message par vampiredelivres »

LA PACIFICATRICE
(3/4)


En pénétrant dans la cellule, Kyara fut frappée par l’absence totale de lumière, la noirceur oppressante et visqueuse qui l’enveloppait. Elle avait glissé la pierre dans la poche de sa robe, avec pour consigne de ne la sortir que progressivement, pour laisser le temps à Rowan de s’accoutumer à sa brillance. La seconde chose qui la frappa, une fois que ses yeux et son esprit se furent accoutumés à ne voir aucune différence, qu’elle ouvre ou qu’elle ferme les paupières, fut la puanteur. Un mélange capiteux d’urine, de sueur et de moisissure, saturé d’un parfum âcre qu’elle associa au désespoir et à la résignation. Et enfin, ce fut la fraîcheur moite des lieux, qui fit courir des frissons sur sa peau habituée aux couloirs chauffés de Ciel. Le froid était étrangement piquant, comme décuplé par l’ambiance sordide du lieu. Elle rabattit les pans de ses larges manches autour d’elle dans une vaine tentative de se protéger contre le froid, et dans le silence total, le froissement du lin résonna comme un murmure incompréhensible.
En réponse, une chaîne cliqueta à nouveau, mais le mutisme persista. Réticente à se déplacer dans les ténèbres absolues, Kyara prit une brève inspiration, et l’air glacé et humide parut cristalliser dans sa poitrine. Elle glissa sa main dans sa poche pour attraper la pierre lumineuse, sentit sa surface polie et tiède contre ses doigts, la tira précautionneusement dehors en la couvrant du mieux qu’elle pouvait de sa main pour en étouffer la radiation. Malgré tout, le faible éclat fut dans le noir pareil à la lumière d’une flamme.
En réponse, un gémissement sourd et plaintif s’éleva de sa droite. Elle tourna la tête brusquement, avisa ce qui ressemblait vaguement à une silhouette humaine roulée en boule, emmitouflée dans une couverture trop fine pour la protéger du froid.
Inconsciemment, elle avait dévoilé la gemme. Face à l’afflux de lumière, la silhouette se recroquevilla sur elle-même, se tapit encore davantage dans l’angle de mur dans lequel elle s’était réfugiée. Les chaînes émirent un crissement aigu en se frottant les unes contre les autres pour accompagner son geste, Kyara distingua vaguement un bras décharné, d’un blanc presque translucide, qui émergeait entre deux plis de tissu. La paille moite sur laquelle la silhouette se roula crépita à peine malgré le mouvement. Terrifiée par le membre grêle qu’elle venait de voir, Kyara s’était figée, trop choquée pour penser à protéger le prisonnier du rayonnement agressif.
— Rowan, murmura-t-elle.
Il ne répondit pas, ne réagit pas à l’appel de son nom. Sonnée, Kyara dissimula enfin la pierre entre ses paumes, refermant ses mains autour comme une huitre autour d’une perle.
— Rowan, répéta-t-elle dans un souffle effaré.
— C’était mon nom…
La voix venait d’outre-tombe. Éraillée, étranglée et gutturale, c’était celle d’un homme qui n’avait plus parlé depuis des jours, si ce n’était des décades. Elle donna à Kyara la sensation d’avoir été frappée en plein visage tant elle était dénuée d’émotions. Cette voix ne pouvait pas appartenir à Rowan.
Des souvenirs lointains, d’une époque trop reculée, affleurèrent dans son esprit. Elle n’avait guère eu l’occasion de fréquenter Rowan dans son enfance, étant donné qu’ils vivaient respectivement à Ciel et Lumière, et qu’ils étaient chacun sous la tutelle de précepteurs sévères, chargés de faire d’eux des héritiers convenables. Néanmoins, elle se souvenait de quelques rares visites où il avait été un petit garçon joyeux, turbulent mais suffisamment discret pour rarement se faire réprimander. Puis, les étés avaient passé et ils avaient grandi. Il était devenu un jeune homme convenable, un parti souhaitable pour la future souveraine d’Helvethras, une union d’intérêt à la fois politique et social puisque les liens avec Aymeric de Lumière se délitaient vite. Kyara ne se souvenait guère des enjeux qu’on lui avait exposés à l’époque, mais elle se souvenait qu’elle s’était progressivement confortée dans l’idée qu’elle épouserait Rowan à sa majorité.
La guerre, puis Yngvar et l’Impératrice, avaient déchiré cette bulle de certitudes. Mais elle s’en était tirée, elle avait appris à remonter la pente et à construire son propre destin. Cet homme qu’elle avait en face d’elle… c’était un cadavre qui respirait encore. Un animal en cage depuis si longtemps qu’il avait oublié la chaleur de la lumière du jour. Il n’y avait plus de vie dans ses prunelles vides qui se tournaient parfois furtivement vers elle, plus la moindre énergie dans ses gestes.
Un sentiment de peine et de solitude submergea Kyara. Ce n’était pas de la culpabilité, car elle savait qu’elle n’aurait rien pu faire jusque là, mais voir cette créature décharnée, squelettique, qui se mouvait comme un insecte devant elle, repliée sur elle-même, fuyant la lumière, lui fit éprouver la solitude que Rowan avait certainement dû ressentir pendant ces interminables saisons d’emprisonnement.
Elle s’assit à même la roche détrempée, glissa ses doigts dans les rigoles entre les blocs de pierre, ses ongles raclant contre la surface rugueuse. Elle s’éclaircit la voix.
— Je ne sais pas si tu te souviens encore de moi. Je m’appelle Kyara.
Un silence, une inspiration, une hésitation.
— Je t’avoue que je n’aurais jamais imaginé te retrouver ici. Je…
— Je connaissais une Kyara, avant.
Le choc de l’entendre parler fit immédiatement taire la princesse. Elle se mordit les lèvres, attendit quelques secondes en espérant avoir une suite. Le ton de Rowan faisait toujours courir un picotement glacé sur sa nuque et nouait son estomac, mais elle voulait l’entendre parler.
— Qu’est-elle devenue ? relança-t-elle finalement en n’obtenant rien.
— Un fantôme. Un mirage. Un espoir trop vain pour qu’on puisse s’y raccrocher.
— Espoir de quoi ?
À cela, elle n’obtint aucune réponse, mais elle devina le mot qu’il avait trop longtemps étouffé, au point de refuser son existence. Liberté. Son cœur se pinça.
— Et si elle était là, tu voudrais lui dire quelque chose ?
Un spasme secoua le corps frêle, pareil au mouvement d’un animal agonisant, se termina sur un long frisson convulsif qui le laissa pantelant. Il prit une inspiration haletante, râpeuse.
— Qu’elle s’en aille, cracha-t-il finalement. Qu’elle me laisse dans l’oubli.
Étrangement, plutôt que de se sentir blessée, Kyara sentit quelque peu encouragée. Ses hivers d’entraînement avec Eliane lui avaient appris bien des choses. Ici, elle plutôt que de se focaliser sur le rejet, elle se concentra sur la soudaine émotion qui avait émané des mots. La haine et la colère qui avaient transpiré un bref instant, comme un assaut désespéré, une attaque aussi brève que brutale, destinée à se déverser en une unique fois. Il y avait encore un fond de vie quelque part dans les entrailles de Rowan, quelque chose qui l’avait maintenu debout malgré tout ce temps. Quelle que soit cette émotion, elle pouvait être utilisée pour le ramener vers le monde des vivants.
Mais pour cela, il fallait lui donner un peu de grain à moudre, alimenter cette flammèche mourante.
N’appréciant guère le geste, mais sachant qu’il était nécessaire, elle se redressa, lissa les pans de sa robe de lin.
— Très bien, je m’en vais alors. Mais je reviendrai.

Le fragment de rencontre se rejoua dans son esprit durant tout le reste de la soirée, effilochant son attention, la coupant des réalités du dîner et des débats qui se déroulaient autour d’elle. Malgré les conversations, les activités, et même une partie d’échecs particulièrement vicieuse avec Isarak, elle ne parvint pas réellement à détourner ses pensées de la silhouette squelettique qui croupissait dans le cachot ténébreux.
Le lendemain, elle accepta de prendre en charge les doléances de l’après-midi pour soulager Saedor de sa charge, pour peu qu’on lui laisse sa matinée de libre. Avant midi, elle partit donc chevaucher dans les vergers au nord de la cité, accompagnée de son habituel escouade de gardes, même si elle leur demanda de garder leurs distances pour profiter d’un moment de tranquilité. La nostalgie de son enfance lui brûla la poitrine durant toute sa cavalcade solitaire, le son des sabots du cheval de son père sur le gravier lui manquant soudain cruellement. S’il n’y avait eu le portrait de la bibliothèque, elle en aurait presque oublié les traits de son visage et la douceur qui émanait de lui. Il n’avait jamais eu beaucoup de temps à lui accorder, mais du peu qu’elle avait pu obtenir elle gardait les meilleurs souvenirs. Ces moments étaient ceux qu’elle chérissait le plus précieusement de toute son enfance.
Elle galopa longtemps, jusqu’à ce que les flancs et le poitrail de son cheval soient couverts de mousse et qu’il ne puisse presque plus avancer sans renâcler. Son parcours l’avait menée au sommet de la plus haute colline des environs, à peine plus basse que celle sur laquelle avait été bâtie le château de Ciel. De là où elle était, elle avait une magnifique vue sur les toitures en biseau de la ville, ses arêtes sèches et son fouillis de ruelles animées. Par rapport à la Citadelle Rouge, Ciel paraissait chaotique, désordonnée, bien loin de l’union et de l’ordre de la capitale, de ses angles droits et nets, des tuiles identiques sur tous les toits.
La morosité menaçant de la gagner, elle secoua la tête, admira une dernière fois les rayons du soleil qui tombaient entre les nuages cotonneux en lignes droites et brillantes. Il risquait de pleuvoir durant la prochaine nuit, et les tempêtes automnales dues aux chutes des températures menaçaient également.
— Je préfère la vue sur la Citadelle, grommela Uma quand Kyara rejoignit enfin les soldats.
Kyara opina, amusée de voir qu’elles s’étaient fait exactement la même réflexion. Elles menèrent leurs chevaux au pas dans la descente, précautionneuses, conscientes de la dangerosité du terrain accidenté, puis, une fois que les montures eurent repris leur souffle, les relancèrent au trot sur le chemin du retour. Kyara, qui reconnaissait les lieux malgré les hivers écoulés, les mena sur des chemins de campagne, entre les prés, jusqu’à la porte nord, puis dans les dédales de la cité jusqu’au palais, veillant à ne jamais emprunter des chemins qui auraient rendu une embuscade possible. Elle savait trop bien que, si elle s’avisait de se mettre en danger, on doublerait sa sécurité ; or elle avait suffisamment insisté pour alléger son escorte pour le regretter maintenant. Et en outre, elle n’oubliait pas l’expression de sa mère, cette inquiétante assurance qui était fugacement passée sur son visage. Quelque chose se tramait dans les tréfonds de la cité, elle en était certaine.
De retour au château, elle fila se changer, déjeuna avec ses enfants, Yngvar étant parti inspecter les casernes de la ville, puis elle se rendit dans la salle du trône. Cette dernière, auparavant vide et austère, à peine éclairée même en plein jour par les larges braséros et les fenêtres étroites au ras de la toiture, avait désormais pris quelques couleurs. Les deux trônes centraux avaient été conservés, mais la dureté de leurs angles avait été adoucie par des épaisses fourrures et des draps teints et jetés par-dessus les accoudoirs et les montants du dossier. En outre, le trône de gauche avait été mis en avant par rapport à l’autre, certainement parce qu’il n’y avait jamais plus d’un régent à Ciel depuis la conquête. Les lois arcaniques qui exigeaient que ce soit toujours un couple au pouvoir avaient été préservées, puisqu’Eliane et Saedor régnaient conjointement, mais ils n’étaient que rarement ensemble.
Un autre changement notable était les jeux de lumière entre les colonnades de pierre qui soutenaient la voûte. Des miroirs, disposés à des endroits stratégiques, reflétaient la lumière de l’extérieur et créaient un effet de profondeur additionnelle dans l’espace déja démesuré. Depuis l’estrade sur laquelle étaient situés les trônes, Kyara songea que, malgré qu’elle ait grandi, les lieux lui paraissaient plus immenses encore que dans son enfance.
Elle effleura du bout des doigts l’épaisse fourrure, douce mais étrangement piquante, qui ressemblait à celle d’un chamois des montagnes d’Ombre, s’assit dessus en lissant les pans de son long caftan rouge et or. Pour cette première séance, elle avait sciemment choisi d’affirmer haut et fort sa position au sein de la famille impériale. Ciel ne l’avait plus vue depuis des saisons, et elle n’escomptait pas passer pour la princesse perdue qu’elle avait été en partant d’ici. Elle fit un signe de la main, et Derak, le conseiller principal de Saedor, se posta derrière elle pour pouvoir la conseiller dès que ce serait nécessaire.
— Ouvrez les portes, commanda-t-elle une fois qu’elle eut fait un bref point avec lui sur les affaires les plus urgentes qui risqueraient d’être mentionnées.
Elle n’était guère au fait des récentes nouvelles locales, mais elle gardait de bons souvenirs de ce dont ils avaient débattu avec Yngvar avant et pendant le voyage. Cependant, elle était aussi consciente que, aujourd’hui du moins, elle devrait se débrouiller avec le peu qu’elle savait. Le reste viendrait au fur et à mesure du séjour.
Les grands battants de bois, chacun tiré par trois hommes, raclèrent contre la pierre, laissant entrer un nouveau flot de lumière qui se réverbéra sur les miroirs, emplissant la pièce d’une clarté que Kyara ne lui avait jamais connue. Fascinée, elle admira quelques secondes les reflets dansants, puis se focalisa à nouveau quand les premières personnes passèrent le seuil. La salle du trône donnait sur la cour, qui s’ouvrait elle-même directement sur la ville. Dans les escaliers, une petite foule s’était déjà amassée en attendant le début de la séance. Kyara, qui gardait un souvenir plutôt pénible des audiences interminables de la Citadelle Rouge, s’enfonça plus confortablement dans son siège en regardant la file s’étirer vers elle telle un long serpent dont la fin qui se perdait à l’extérieur. La journée présageait d’être longue.
Elle soupira mais s’attela à la tâche avec autant d’ardeur qu’elle pouvait en rassembler. Les premiers problèmes furent des tracas de bétail, de voisins bruyants et quelques incidents de voisinage qu’elle put déléguer sans trop de mal à la garde de la ville, tout en prenant le temps de rassurer chacun sur le fait que le problème ne serait certainement pas oublié ou enterré sous une pile de paperasse administrative.
Au fur et à mesure que les requêtes se succédaient, elle sentit la tension dans sa poitrine se dissiper et un certain calme routinier s’instiller en elle. Il n’y avait là rien de nouveau. La région géographique avait beau avoir changé, les problèmes du commun du peuple étaient la plupart du temps les mêmes. Il y avait là quelque chose d’étrangement rassurant, comme si sa crainte de ce pays qu’elle ne connaissait plus était effacée par la familiarité de la tâche.
L’aide de Derak était inestimable. L’homme était un puits de connaissances ; à lui tout seul, il remplaçait un conseil entier. Comment il mémorisait toutes les affaires en cours, gardait une trace des nouvelles, établissait des connexions entre des évènements a priori totalement indépendants, échappait à toute raison. Elle se référait à lui dès qu’elle avait le moindre doute sur un élément – ce qui lui arrivait souvent – et chaque fois, sa réponse était claire comme de l’eau de roche, brute de simplicité, et pourtant toujours assez détaillée pour lui permettre de tout saisir en une fois. Ravie de sa présence, elle n’hésitait donc pas à mettre son incommensurable savoir à profit.

Trois bonnes heures s’étaient écoulées depuis le début des audiences lorsque Virakram, capitaine du Douzième Bataillon, apparut aux côtés de Derak. Kyara ne nota d’abord sa présence que du coin de l’œil, puis quand elle réalisa qu’il murmurait quelque chose à l’oreille du principal conseiller de Saedor avec une mine fermée annonciatrice de mauvaises nouvelles, un frisson courut le long de son échine.
Elle pinça les lèvres, luttant pour se focaliser sur les dires de l’enfant qui lui faisait face et qui parlait de la disparition de son père dans un étrange « tunnel ». La gamine, une petite fille maigrichonne aux cheveux pareils à de la paille, n’était guère convaincante. Elle parlait à mots décousus d’une taverne et d’une soirée arrosée et d’un affrontement, mais elle était bien trop impressionnée par le château et la princesse pour ne pas bégayer et oublier des éléments auxquels elle revenait plus tard. Et Kyara avait beau avoir l’habitude désormais de traiter ce genre de cas, son esprit était trop accaparé par la nouvelle qu’elle n’avait pas encore entendue pour prendre le temps de traiter l’affaire avec patience.
— Iza, c’est ça ? finit-elle par demander.
La gamine s’interrompit dans son récit et acquiesça hâtivement.
— Dis-moi, où est ta mère ?
Son expression se décomposa d’un seul coup. Kyara la détailla à la volée, essayant de deviner son âge. Douze hivers peut-être ? Moins ? Elle n’aurait su le dire avec précision. Elle était petite, maigre, et l’immense salle la faisait paraître encore plus minuscule.
— Partie… finit-elle par murmurer.
— Partie où ?
Blême, la petite fille détourna le menton, refusant de répondre. Kyara réprima une grimace, pressentant les troubles, lui fit un signe de la main pour qu’elle approche. Iza franchit d’un pas hésitant la toise qui la séparait de l’estrade, monta les marches quand les gardes s’écartèrent devant elle. Et, même si elle capta le regard d’avertissement que l’un de ses protecteurs lui lançait, elle l’ignora.
— Tu n’es pas obligée de me dire, mais cela pourra peut-être m’aider à retrouver ton père.
— Elle est…
Iza se tordit les mains.
— P’pa m’a dit qu’elle nous a laissés tomber… murmura-t-elle finalement, si proche de la princesse que personne d’autre ne pouvait l’entendre. Qu’elle nous aimait plus, qu’elle voulait m’abandonner. Mais moi elle m’a dit qu’elle voulait une meilleure vie pour elle et moi. Que j’suis trop p’tite pour le voyage mais qu’elle reviendra me chercher.
— Et où est-elle partie ? interrogea Kyara, devinant déjà la réponse.
L’Ouest. Avalaën.
— Le pays des corbeaux… Avalaën. Enfin, je sais qu’on est aussi Avalaën, mais…
— Ne t’en fais pas. Quel âge as-tu, Iza ?
— Sept étés.
Si jeune. Elle n’était même pas née lors de la conquête. Elle n’avait connu que les trônes unis, mais ses parents avaient connu la guerre. D’ailleurs, son père avait survécu aux combats. Et sa mère venait de déserter l’Est pour chercher une vie meilleure dans les terres de l’Empire conquérant. Son père s’était certainement soûlé dans cette taverne dont elle parlait avant de s’effondrer, inconscient, dans une ruelle étroite, abandonnant sa fille avec ses mots cruels et la solitude du départ de sa mère.
— Écoute, je vais lancer les recherches. En attendant, je te propose de rester ici, au château. Il y a une dizaine d’enfants de Ciel qui vivent ici actuellement, tu peux passer un peu de temps avec eux, et quand on retrouvera ton père, tu pourras retourner avec lui.
— Mais… vous pouvez aussi… retrouver ma maman ? J’voudrais rester avec elle… même si elle va au pays des corbeaux…
Kyara esquissa un sourire peiné.
— Je vais essayer. Quel est le nom de ta mère ? Et son travail ?
— Elle s’appelle Darina. Elle fait des gâteaux pour tout le quartier.
Elle le nota sur le parchemin qu’elle gardait à portée de main. La piste était faible, mais peut-être qu’avec un peu de chance, on pourrait retrouver la trace de la femme. Pour peu qu’elle s’installe dans un duché avalonien, elle devrait en principe se faire recenser auprès de l’administration du duché. Le système existait à Avalaën depuis très longtemps – Kyara n’imaginait même pas le temps qu’il avait fallu pour le mettre en place – mais quelques personnes passaient occasionnellement entre les mailles du filet.
— Je te promets que je ferai de mon mieux pour retrouver ta mère.
Elle fit un signe à l’un des soldats.
— Emmène-la auprès des pupilles impériaux, demande aux précepteurs de lui trouver une place dans les chambres. Les arcanes seules savent combien de temps cela prendra de retrouver l’un des parents… ajouta-t-elle davantage pour elle-même tandis que l’homme et la petite fille s’éloignaient.
Puis, levant une main pour faire signe qu’elle interrompait les audiences, elle se tourna vers Derak et Virakram et haussa les sourcils.
— Cousin ? lança-t-elle en avalarë.
— Tu vas devoir écourter les audiences, Avelke Sen.
Son ton solannel présageait, davantage que des mauvaises nouvelles, de sérieux ennuis. Elle se redressa, contourna le trône et leva le menton quand les deux hommes se placèrent en face d’elle.
— Parle.
— L’Empereur a disparu. Enlevé.
On lui aurait versé un seau d’eau glacée sur la tête qu’elle n’aurait pas été davantage stupéfaite.
— Je te demande pardon ?
— Kidnappé.
— Mais comment…?
— Il faut que tu parles avec Kaleko au plus vite. Je ne peux pas vraiment t’en dire plus.
Elle se tourna vers Derak, soudain incertaine.
— Prendras-tu en charge les audiences ?
Il acquiesça sans un mot. Elle inclina la tête en le remerciant, passa une main dans ses cheveux avec un frisson d’appréhension, et s’élança dans les couloirs à la suite de Virakram, encadrée par sa solide escorte. Le soldat, cousin d’Yngvar, ne parlait pas, trop consicent du risque qu’ils encouraient si l’information s’ébruitait. Pour le moment, la nouvelle était certainement compartimentée, restreinte au seul Bataillon qui était censé s’occuper de la protection de Saedor – et qui avait donc échoué à sa mission – et au couple héritier.
Saedor, kidnappé. Par qui ? Où ? Comment ? Qu’avait-il bien pu se passer pour que le Bataillon faillisse à ce point. Et qui était responsable ?
Les questions lui donnaient le tournis. Incapable de se concentrer, elle s’attela à simplement respirer profondément en espérant qu’Yngvar détienne au moins une partie des réponses. Les couloirs défilèrent sans qu’elle ne prête pour une fois attention au ballet incessant des serviteurs, qu’elle avait pourtant appris à repérer, et bien vite, elle se retrouva dans la suite qu’elle partageait avec son époux. D’emblée, certainement parce qu’elle cherchait à tout comprendre en une seule fois, elle nota une multitude d’éléments qui n’avaient a priori aucun lien les uns avec les autres. Isarak et Seären, ainsi qu’Olar, le page d’Yngvar, étaient assis côte à côte sur le divan et murmuraient à voix basse. Le salon était envahi par la garde personnelle du couple héritier, le Premier Bataillon Sanglant, à tel point qu’il était difficile de distinguer les murs derrière les soldats armés jusqu’aux dents. Mais surtout, Yngvar faisait les cent pas près de la fenêtre, et quand il se retourna, son regard était aussi glacé que celui de sa mère. Instinctivement, alors même qu’elle ne savait encore rien de ce qui allait se dire, Kyara se tendit quand les portes se fermèrent derrière elle. Le cliquetis, discret mais audible, du loquet, fit battre son cœur un peu plus vite.
— Yngvar, entama-t-elle néanmoins. Virakram m’a dit quelque chose mais… que s’est-il passé au juste ?
Silencieusement, elle faisait le calcul. Il y avait une trentaine de gardes dans la pièce actuellement, et s’il n’y en avait pas plus, c’était certainement pour permettre au moins une liberté de mouvement minimale aux personnes présentes. C’était trois fois plus que ce qu’ils avaient en temps normal pour protéger leur suite, mais avec ses enfants également présents et la situation globale, c’était presque étonnant qu’il n’y en ait pas davantage.
Mais il y avait également autre chose. Une sorte de parfum de menace, une tension électrique qui, elle en était certaine, n’était pas directement liée à la situation. Elle inspira profondément pour garder son calme, riva ses yeux sombres dans le regard lilas de son mari.
— Oh je ne sais pas, mais tu pourras peut-être m’expliquer ?
Elle tressaillit en entendant son ton agressif, la fureur maîtrisée qui ne transparaissait pas ailleurs que dans sa voix. Alors seulement, elle nota ses épaules crispées, sa main qu’il gardait dans son dos, près des reins, là où il pouvait tirer l’un de ses couteaux favoris, la méfiance qui exsudait de son attitude.
En une fraction de seconde, elle comprit. Pourquoi ses enfants étaient là, pourquoi il n’y avait pas plus de gardes, pourquoi on l’avait amenée là directement. Pourquoi Yngvar la regardait avec cet air d’animal blessé, pourquoi il ne l’approchait pas alors même que cela aurait été le moment où elle aurait trouvé du réconfort dans ses bras.
Elle éclata d’un rire rauque, nerveux, s’appuya contre un fauteuil et fixa ses deux fils, qui n’osaient pas la regarder. Elle aurait davantage escompté ce genre de raisonnement de la part d’Eliane qui, elle se doutait, ne lui avait jamais totalement fait confiance. Mais Yngvar n’était pas son fils pour rien, il n’avait pas fallu longtemps pour qu’il remette en question tout ce qu’ils avaient bâti depuis qu’ils avaient choisi de prendre un nouveau départ ensemble.
Étrangement, Kyara ne se sentait pas vraiment blessée. D’une certaine manière, aussi dérangeante qu’irritante, elle comprenait le raisonnement qui pouvait l’avoir amené là. Cela n’en demeurait pas moins frustrant, au contraire même, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir de n’avoir éliminé aucune possibilité, aussi blessante puisse-t-elle être.
Elle ferma les yeux, songeant à l’Impératrice, et une crainte insidieuse s’instilla en elle quand elle réalisa qu’elle pouvait tout perdre. Ici et maintenant, tout pouvait basculer si elle ne prenait pas garde à la manière dont elle gérait cette crise. Yngvar était déjà sur un fil précaire, incertain quant à la confiance qu’il lui accordait. Il ne l’avait pas directement faite isoler et enfermer, preuve qu’il cherchait avant tout le dialogue, mais elle savait à quel point cela pouvait être difficile de trouver les mots justes avec lui lorsqu’il devenait cet être impitoyable.
En écartant à nouveau les paupières, elle regarda Seären et Isarak, et son cœur se gonfla d’un amour presque plus effrayant encore que l’idée qu’elle puisse les perdre. Ses deux petits monstres. Les deux êtres pour qui elle aurait tué si cela avait été nécessaire. Elle n’avait jamais été violente, quoi qu’elle avait appris à le devenir avec le camp d’entraînement des Bataillons, mais la simple idée qu’il puisse leur arriver quoi que ce soit l’avait toujours mise dans une fureur noire. Elle n’avait jamais oublié la souffrance du deuil d’Amali, elle n’était certainement pas prête à la revivre.
Et pourtant, c’était ce qu’elle risquait. Si elle ne prenait pas garde, elle les perdrait aujourd’hui, simplement parce qu’Yngvar avait été trop prompt à la suspecter.
Ce fut cette idée qui la mit sur la voie. Plutôt que de laisser le temps s’écouler, de le laisser douter, réfléchir, essayer de réagencer les évènements dans un ordre qui lui semblerait cohérent, elle choisit de lui couper l’herbe sous le pied.
— Yngvar ?
Elle tendit une main en avant, franchit en quelques pas la distance qui les séparait, se plaça face à lui en levant le menton. Elle avait toujours été plus petite que lui de près d’une tête.
— Je comprends ta peur. Mais ce n’était pas moi.
— La coïncidence des évènements est tout de même troublante… grinça-t-il en la regardant droit dans les yeux.
Alors qu’elle haussait les sourcils, il poursuivit :
— Le jour où tu acceptes de prendre les audiences et que mon père et moi sommes en ville, l’un de nous disparaît. Et curieusement, cela arrive le lendemain d’une discussion que tu as eue avec ta mère au sujet de l’héritage de l’Empire.
Elle ne s’étonna même pas que leur conversation dans la bibliothèque ait été écoutée, ou que les propos aient été rapportés au Corbeau. Au lieu de cela, elle sourit, d’un sourire amer et froid, si grinçant qu’il parvint un instant à briser la colère d’Yngvar et à semer le doute dans ses yeux.
— Dis-moi donc comment je l’aurais organisé. Je vis comme toi, en permanence avec les Bataillons, que ce soit ici ou à la Citadelle. Les seuls moments de solitude que j’ai, c’est avec toi ou avec les garçons. J’ai eu deux minutes de face à face avec ma mère hier, et encore, il semblerait que nous ayons été écoutées à mon insu.
Elle prit une brève inspiration, et il voulut parler, mais elle leva la main devant son visage pour l’en empêcher. Son ton se fit aussi vicieux que son rictus lorsqu’elle reprit :
— Les seules personnes avec qui j’échange par courrier en-dehors des affaires politiques sont Thaïs et Illen, les autres héritiers des provinces… et toi. Mais ne t’en fais pas, je sais que mon courrier est lu avant qu’il ne me soit apporté. Si ce n’est pas directement par toi, alors probablement par l’Impératrice, et sinon… Uma certainement ? À qui d’autre ferais-tu confiance ?
Du coin de l’œil, Kyara nota la soudaine pâleur d’Uma, debout près de la fenêtre. Elle semblait s’être pris un coup de poing dans la gorge.
— À qui d’autre ferais-je confiance, sinon celle qui est mon amie, quand les seules lettres qu’elle ne m’apporte pas décachetées sont celles qui portent le sceau impérial ?
L’emploi du présent parut briser la soldate encore davantage que la révélation que Kyara était depuis longtemps au courant de la manigance. Elle pinça les lèvres, détourna la tête tandis que l’attention de la garde impériale, qui avait jusque là été focalisée sur Kyara, déviait sur elle. Mais rien n’aurait pu dissimuler la blancheur de la honte sur son visage et son expression coupable.
— Je suis désolée… murmura-t-elle dans le lourd silence qui régnait.
— Il n’y a pas de mal, répondit Kyara avec une ombre de sourire, sa voix claire et douce. J’ai appris à vivre avec votre méfiance paranoïaque, raison pour laquelle je comprends ce qui se passe aujourd’hui.
Elle poussa un soupir, passa la main tendue qu’Yngvar n’avait pas saisie dans ses cheveux frisés.
— Dis-moi Yngvar, reprit-elle, ramenant l’attention sur elle. Qu’est-ce que je risque si j’ai effectivement pris part dans ce complot ?
Il ne répondit rien, et elle esquissa un sourire triste.
— Tout. Ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait avoir lieu. Douze hivers à tes côtés, presque la moitié de ma vie. Et qu’est-ce que j’y gagnerais ? Un trône vide à ma droite, un royaume qui m’a presque oubliée, et que je ne reconnais plus. Penses-tu vraiment que, même par la plus pure des haines, je risquerais une telle folie ?
Le doute avait envahi son regard. Elle le sentit vaciller, hésiter, serrer les dents et s’entêter dans son mutisme analytique qu’elle devait réussir à rompre. Mais elle sentait également qu’elle était proche, qu’il basculait de son côté.
— Pour Seären et Isarak, je n’aurais jamais osé, asséna-t-elle sèchement.
La digue qu’elle avait entrepris d’ébrécher se fractura. Yngvar sourit à son tour, d’un sourire doux et désolé, qui lui fit presque autant de peine qu’il lui apporta de joie. Il rompit à son tour la distance, la serra dans ses bras.
— Je suis navré d’avoir douté de toi… souffla-t-il à son oreille. Je me devais de le faire.
— Je sais… soupira-t-elle en chassant une larme vagabonde de soulagement. Ceci dit, tu n’as certainement pas tort sur un point, ma mère trempe dans cette affaire jusqu’au cou.

◊~◊~◊

ACTE IV (4/4)
Dernière modification par vampiredelivres le mer. 09 mars, 2022 11:29 pm, modifié 2 fois.
louji

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Re: Dynasties / Kyara IV (3/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : mer. 02 févr., 2022 11:57 am
LA PACIFICATRICE
(3/4)


En pénétrant dans la cellule, Kyara fut frappée par l’absence totale de lumière, la noirceur oppressante et visqueuse qui l’enveloppait. Elle avait glissé la pierre dans la poche de sa robe, avec pour consigne de ne la sortir que progressivement, pour laisser le temps à Rowan de s’accoutumer à sa brillance. La seconde chose qui la frappa, une fois que ses yeux et son esprit se furent accoutumés à ne voir aucune différence, qu’elle ouvre ou qu’elle ferme les paupières, fut la puanteur. Un mélange capiteux d’urine, de sueur et de moisissure, saturé d’un parfum âcre qu’elle associa au désespoir et à la résignation. Et enfin, ce fut la fraîcheur moite des lieux, qui fit courir des frissons sur sa peau habituée aux couloirs chauffés de Ciel. Le froid était étrangement piquant, comme décuplé par l’ambiance sordide du lieu. Elle rabattit les pans de ses larges manches autour d’elle dans une vaine tentative de se protéger contre le froid, et dans le silence total, le froissement du lin résonna comme un murmure incompréhensible.
En réponse, une chaîne cliqueta à nouveau, mais le mutisme persista. Réticente à se déplacer dans les ténèbres absolues, Kyara prit une brève inspiration, et l’air glacé et humide parut cristalliser dans sa poitrine. Elle glissa sa main dans sa poche pour attraper la pierre lumineuse, sentit sa surface polie et tiède contre ses doigts, la tira précautionneusement dehors en la couvrant du mieux qu’elle pouvait de sa main pour en étouffer la radiation. Malgré tout, le faible éclat fut dans le noir pareil à la lumière d’une flamme.
En réponse, un gémissement sourd et plaintif s’éleva de sa droite. Elle tourna la tête brusquement, avisa ce qui ressemblait vaguement à une silhouette humaine roulée en boule, emmitouflée dans une couverture trop fine pour la protéger du froid.
Inconsciemment, elle avait dévoilé la gemme. Face à l’afflux de lumière, la silhouette se recroquevilla sur elle-même, se tapit encore davantage dans l’angle de mur dans lequel elle s’était réfugiée. Les chaînes émirent un crissement aigu en se frottant les unes contre les autres pour accompagner son geste, Kyara distingua vaguement un bras décharné, d’un blanc presque translucide, qui émergeait entre deux plis de tissu. La paille moite sur laquelle la silhouette se roula crépita à peine malgré le mouvement. Terrifiée par le membre grêle qu’elle venait de voir, Kyara s’était figée, trop choquée pour penser à protéger le prisonnier du rayonnement agressif.
— Rowan, murmura-t-elle.
Il ne répondit pas, ne réagit pas à l’appel de son nom. Sonnée, Kyara dissimula enfin la pierre entre ses paumes, refermant ses mains autour comme une huitre autour d’une perle. :arrow: L'image est très jolie mais les 2 "autour" me font un peu bizarre ;)
— Rowan, répéta-t-elle dans un souffle effaré.
— C’était mon nom…
La voix venait d’outre-tombe. Éraillée, étranglée et gutturale, c’était celle d’un homme qui n’avait plus parlé depuis des jours, si ce n’était des décades. Elle donna à Kyara la sensation d’avoir été frappée en plein visage tant elle était dénuée d’émotions. Cette voix ne pouvait pas appartenir à Rowan.
Des souvenirs lointains, d’une époque trop reculée, affleurèrent dans son esprit. Elle n’avait guère eu l’occasion de fréquenter Rowan dans son enfance, étant donné qu’ils vivaient respectivement à Ciel et Lumière, et qu’ils étaient chacun sous la tutelle de précepteurs sévères, chargés de faire d’eux des héritiers convenables. Néanmoins, elle se souvenait de quelques rares visites où il avait été un petit garçon joyeux, turbulent mais suffisamment discret pour rarement se faire réprimander. Puis, les étés avaient passé et ils avaient grandi. Il était devenu un jeune homme convenable, un parti souhaitable pour la future souveraine d’Helvethras, une union d’intérêt à la fois politique et social puisque les liens avec Aymeric de Lumière se délitaient vite. Kyara ne se souvenait guère des enjeux qu’on lui avait exposés à l’époque, mais elle se souvenait qu’elle s’était progressivement confortée dans l’idée qu’elle épouserait Rowan à sa majorité.
La guerre, puis Yngvar et l’Impératrice, avaient déchiré cette bulle de certitudes. Mais elle s’en était tirée, elle avait appris à remonter la pente et à construire son propre destin. Cet homme qu’elle avait en face d’elle… c’était un cadavre qui respirait encore. Un animal en cage depuis si longtemps qu’il avait oublié la chaleur de la lumière du jour. Il n’y avait plus de vie dans ses prunelles vides qui se tournaient parfois furtivement vers elle, plus la moindre énergie dans ses gestes.
Un sentiment de peine et de solitude submergea Kyara. Ce n’était pas de la culpabilité, car elle savait qu’elle n’aurait rien pu faire jusque là, mais voir cette créature décharnée, squelettique, qui se mouvait comme un insecte devant elle, repliée sur elle-même, fuyant la lumière, lui fit éprouver la solitude que Rowan avait certainement dû ressentir pendant ces interminables saisons d’emprisonnement.
Elle s’assit à même la roche détrempée, glissa ses doigts dans les rigoles entre les blocs de pierre, ses ongles raclant contre la surface rugueuse. Elle s’éclaircit la voix.
— Je ne sais pas si tu te souviens encore de moi. Je m’appelle Kyara.
Un silence, une inspiration, une hésitation.
— Je t’avoue que je n’aurais jamais imaginé te retrouver ici. Je…
— Je connaissais une Kyara, avant. :arrow: Ouch, je sais pas ce qui va suivre :lol:
Le choc de l’entendre parler fit immédiatement taire la princesse. Elle se mordit les lèvres, attendit quelques secondes en espérant avoir une suite. Le ton de Rowan faisait toujours courir un picotement glacé sur sa nuque et nouait son estomac, mais elle voulait l’entendre parler.
— Qu’est-elle devenue ? relança-t-elle finalement en n’obtenant rien.
— Un fantôme. Un mirage. Un espoir trop vain pour qu’on puisse s’y raccrocher.
— Espoir de quoi ?
À cela, elle n’obtint aucune réponse, mais elle devina le mot qu’il avait trop longtemps étouffé, au point de refuser son existence. Liberté. Son cœur se pinça.
— Et si elle était là, tu voudrais lui dire quelque chose ?
Un spasme secoua le corps frêle, pareil au mouvement d’un animal agonisant, se termina sur un long frisson convulsif qui le laissa pantelant. Il prit une inspiration haletante, râpeuse.
— Qu’elle s’en aille, cracha-t-il finalement. Qu’elle me laisse dans l’oubli.
Étrangement, plutôt que de se sentir blessée, Kyara sentit quelque peu encouragée. Ses hivers d’entraînement avec Eliane lui avaient appris bien des choses. Ici, elle plutôt que de se focaliser sur le rejet, elle se concentra sur la soudaine émotion qui avait émané des mots. La haine et la colère qui avaient transpiré un bref instant, comme un assaut désespéré, une attaque aussi brève que brutale, destinée à se déverser en une unique fois. Il y avait encore un fond de vie quelque part dans les entrailles de Rowan, quelque chose qui l’avait maintenu debout malgré tout ce temps. Quelle que soit cette émotion, elle pouvait être utilisée pour le ramener vers le monde des vivants.
Mais pour cela, il fallait lui donner un peu de grain à moudre, alimenter cette flammèche mourante.
N’appréciant guère le geste, mais sachant qu’il était nécessaire, elle se redressa, lissa les pans de sa robe de lin.
— Très bien, je m’en vais alors. Mais je reviendrai.

Le fragment de rencontre se rejoua dans son esprit durant tout le reste de la soirée, effilochant son attention, la coupant des réalités du dîner et des débats qui se déroulaient autour d’elle. Malgré les conversations, les activités, et même une partie d’échecs particulièrement vicieuse avec Isarak, elle ne parvint pas réellement à détourner ses pensées de la silhouette squelettique qui croupissait dans le cachot ténébreux.
Le lendemain, elle accepta de prendre en charge les doléances de l’après-midi pour soulager Saedor de sa charge, pour peu qu’on lui laisse sa matinée de libre. Avant midi, elle partit donc chevaucher dans les vergers au nord de la cité, accompagnée de son habituel escouade de gardes, même si elle leur demanda de garder leurs distances pour profiter d’un moment de tranquilité. La nostalgie de son enfance lui brûla la poitrine durant toute sa cavalcade solitaire, le son des sabots du cheval de son père sur le gravier lui manquant soudain cruellement. S’il n’y avait eu le portrait de la bibliothèque, elle en aurait presque oublié les traits de son visage et la douceur qui émanait de lui. Il n’avait jamais eu beaucoup de temps à lui accorder, mais du peu qu’elle avait pu obtenir elle gardait les meilleurs souvenirs. Ces moments étaient ceux qu’elle chérissait le plus précieusement de toute son enfance.
Elle galopa longtemps, jusqu’à ce que les flancs et le poitrail de son cheval soient couverts de mousse et qu’il ne puisse presque plus avancer sans renâcler. Son parcours l’avait menée au sommet de la plus haute colline des environs, à peine plus basse que celle sur laquelle avait été bâtie le château de Ciel. De là où elle était, elle avait une magnifique vue sur les toitures en biseau de la ville, ses arêtes sèches et son fouillis de ruelles animées. Par rapport à la Citadelle Rouge, Ciel paraissait chaotique, désordonnée, bien loin de l’union et de l’ordre de la capitale, de ses angles droits et nets, des tuiles identiques sur tous les toits.
La morosité menaçant de la gagner, elle secoua la tête, admira une dernière fois les rayons du soleil qui tombaient entre les nuages cotonneux en lignes droites et brillantes. Il risquait de pleuvoir durant la prochaine nuit, et les tempêtes automnales dues aux chutes des températures menaçaient également.
— Je préfère la vue sur la Citadelle, grommela Uma quand Kyara rejoignit enfin les soldats.
Kyara opina, amusée de voir qu’elles s’étaient fait exactement la même réflexion. Elles menèrent leurs chevaux au pas dans la descente, précautionneuses, conscientes de la dangerosité du terrain accidenté, puis, une fois que les montures eurent repris leur souffle, les relancèrent au trot sur le chemin du retour. Kyara, qui reconnaissait les lieux malgré les hivers écoulés, les mena sur des chemins de campagne, entre les prés, jusqu’à la porte nord, puis dans les dédales de la cité jusqu’au palais, veillant à ne jamais emprunter des chemins qui auraient rendu une embuscade possible. Elle savait trop bien que, si elle s’avisait de se mettre en danger, on doublerait sa sécurité ; or elle avait suffisamment insisté pour alléger son escorte pour le regretter maintenant. Et en outre, elle n’oubliait pas l’expression de sa mère, cette inquiétante assurance qui était fugacement passée sur son visage. Quelque chose se tramait dans les tréfonds de la cité, elle en était certaine.
De retour au château, elle fila se changer, déjeuna avec ses enfants, Yngvar étant parti inspecter les casernes de la ville, puis elle se rendit dans la salle du trône. Cette dernière, auparavant vide et austère, à peine éclairée même en plein jour par les larges braséros et les fenêtres étroites au ras de la toiture, avait désormais pris quelques couleurs. Les deux trônes centraux avaient été conservés, mais la dureté de leurs angles avait été adoucie par des épaisses fourrures et des draps teints et jetés par-dessus les accoudoirs et les montants du dossier. En outre, le trône de gauche avait été mis en avant par rapport à l’autre, certainement parce qu’il n’y avait jamais plus d’un régent à Ciel depuis la conquête. Les lois arcaniques qui exigeaient que ce soit toujours un couple au pouvoir avaient été préservées, puisqu’Eliane et Saedor régnaient conjointement, mais ils n’étaient que rarement ensemble.
Un autre changement notable était les jeux de lumière entre les colonnades de pierre qui soutenaient la voûte. Des miroirs, disposés à des endroits stratégiques, reflétaient la lumière de l’extérieur et créaient un effet de profondeur additionnelle dans l’espace déja démesuré. Depuis l’estrade sur laquelle étaient situés les trônes, Kyara songea que, malgré qu’elle ait grandi, les lieux lui paraissaient plus immenses encore que dans son enfance.
Elle effleura du bout des doigts l’épaisse fourrure, douce mais étrangement piquante, qui ressemblait à celle d’un chamois des montagnes d’Ombre, s’assit dessus en lissant les pans de son long caftan rouge et or. Pour cette première séance, elle avait sciemment choisi d’affirmer haut et fort sa position au sein de la famille impériale. Ciel ne l’avait plus vue depuis des saisons, et elle n’escomptait pas passer pour la princesse perdue qu’elle avait été en partant d’ici. Elle fit un signe de la main, et Derak, le conseiller principal de Saedor, se posta derrière elle pour pouvoir la conseiller dès que ce serait nécessaire.
— Ouvrez les portes, commanda-t-elle une fois qu’elle eut fait un bref point avec lui sur les affaires les plus urgentes qui risqueraient d’être mentionnées.
Elle n’était guère au fait des récentes nouvelles locales, mais elle gardait de bons souvenirs de ce dont ils avaient débattu avec Yngvar avant et pendant le voyage. Cependant, elle était aussi consciente que, aujourd’hui du moins, elle devrait se débrouiller avec le peu qu’elle savait. Le reste viendrait au fur et à mesure du séjour.
Les grands battants de bois, chacun tiré par trois hommes, raclèrent contre la pierre, laissant entrer un nouveau flot de lumière qui se réverbéra sur les miroirs, emplissant la pièce d’une clarté que Kyara ne lui avait jamais connue. Fascinée, elle admira quelques secondes les reflets dansants, puis se focalisa à nouveau quand les premières personnes passèrent le seuil. La salle du trône donnait sur la cour, qui s’ouvrait elle-même directement sur la ville. Dans les escaliers, une petite foule s’était déjà amassée en attendant le début de la séance. Kyara, qui gardait un souvenir plutôt pénible des audiences interminables de la Citadelle Rouge, s’enfonça plus confortablement dans son siège en regardant la file s’étirer vers elle telle un long serpent dont la fin qui se perdait à l’extérieur. La journée présageait d’être longue.
Elle soupira mais s’attela à la tâche avec autant d’ardeur qu’elle pouvait en rassembler. Les premiers problèmes furent des tracas de bétail, de voisins bruyants et quelques incidents de voisinage qu’elle put déléguer sans trop de mal à la garde de la ville, tout en prenant le temps de rassurer chacun sur le fait que le problème ne serait certainement pas oublié ou enterré sous une pile de paperasse administrative.
Au fur et à mesure que les requêtes se succédaient, elle sentit la tension dans sa poitrine se dissiper et un certain calme routinier s’instiller en elle. Il n’y avait là rien de nouveau. La région géographique avait beau avoir changé, les problèmes du commun du peuple étaient la plupart du temps les mêmes. Il y avait là quelque chose d’étrangement rassurant, comme si sa crainte de ce pays qu’elle ne connaissait plus était effacée par la familiarité de la tâche.
L’aide de Derak était inestimable. L’homme était un puits de connaissances ; à lui tout seul, il remplaçait un conseil entier. Comment il mémorisait toutes les affaires en cours, gardait une trace des nouvelles, établissait des connexions entre des évènements a priori totalement indépendants, échappait à toute raison. Elle se référait à lui dès qu’elle avait le moindre doute sur un élément – ce qui lui arrivait souvent – et chaque fois, sa réponse était claire comme de l’eau de roche, brute de simplicité, et pourtant toujours assez détaillée pour lui permettre de tout saisir en une fois. Ravie de sa présence, elle n’hésitait donc pas à mettre son incommensurable savoir à profit.

Trois bonnes heures s’étaient écoulées depuis le début des audiences lorsque Virakram, capitaine du Douzième Bataillon, apparut aux côtés de Derak. Kyara ne nota d’abord sa présence que du coin de l’œil, puis quand elle réalisa qu’il murmurait quelque chose à l’oreille du principal conseiller de Saedor avec une mine fermée annonciatrice de mauvaises nouvelles, un frisson courut le long de son échine.
Elle pinça les lèvres, luttant pour se focaliser sur les dires de l’enfant qui lui faisait face et qui parlait de la disparition de son père dans un étrange « tunnel ». La gamine, une petite fille maigrichonne aux cheveux pareils à de la paille, n’était guère convaincante. Elle parlait à mots décousus d’une taverne et d’une soirée arrosée et d’un affrontement, mais elle était bien trop impressionnée par le château et la princesse pour ne pas bégayer et oublier des éléments auxquels elle revenait plus tard. Et Kyara avait beau avoir l’habitude désormais de traiter ce genre de cas, son esprit était trop accaparé par la nouvelle qu’elle n’avait pas encore entendue pour prendre le temps de traiter l’affaire avec patience.
— Iza, c’est ça ? finit-elle par demander.
La gamine s’interrompit dans son récit et acquiesça hâtivement.
— Dis-moi, où est ta mère ?
Son expression se décomposa d’un seul coup. Kyara la détailla à la volée, essayant de deviner son âge. Douze hivers peut-être ? Moins ? Elle n’aurait su le dire avec précision. Elle était petite, maigre, et l’immense salle la faisait paraître encore plus minuscule.
— Partie… finit-elle par murmurer.
— Partie où ?
Blême, la petite fille détourna le menton, refusant de répondre. Kyara réprima une grimace, pressentant les troubles, lui fit un signe de la main pour qu’elle approche. Iza franchit d’un pas hésitant la toise qui la séparait de l’estrade, monta les marches quand les gardes s’écartèrent devant elle. Et, même si elle capta le regard d’avertissement que l’un de ses protecteurs lui lançait, elle l’ignora.
— Tu n’es pas obligée de me dire, mais cela pourra peut-être m’aider à retrouver ton père.
— Elle est…
Iza se tordit les mains.
— P’pa m’a dit qu’elle nous a laissés tomber… murmura-t-elle finalement, si proche de la princesse que personne d’autre ne pouvait l’entendre. Qu’elle nous aimait plus, qu’elle voulait m’abandonner. Mais moi elle m’a dit qu’elle voulait une meilleure vie pour elle et moi. Que j’suis trop p’tite pour le voyage mais qu’elle reviendra me chercher.
— Et où est-elle partie ? interrogea Kyara, devinant déjà la réponse.
L’Ouest. Avalaën.
— Le pays des corbeaux… Avalaën. Enfin, je sais qu’on est aussi Avalaën, mais…
— Ne t’en fais pas. Quel âge as-tu, Iza ?
— Sept étés.
Si jeune. Elle n’était même pas née lors de la conquête. Elle n’avait connu que les trônes unis, mais ses parents avaient connu la guerre. D’ailleurs, son père avait survécu aux combats. Et sa mère venait de déserter l’Est pour chercher une vie meilleure dans les terres de l’Empire conquérant. Son père s’était certainement soûlé dans cette taverne dont elle parlait avant de s’effondrer, inconscient, dans une ruelle étroite, abandonnant sa fille avec ses mots cruels et la solitude du départ de sa mère.
— Écoute, je vais lancer les recherches. En attendant, je te propose de rester ici, au château. Il y a une dizaine d’enfants de Ciel qui vivent ici actuellement, tu peux passer un peu de temps avec eux, et quand on retrouvera ton père, tu pourras retourner avec lui.
— Mais… vous pouvez aussi… retrouver ma maman ? J’voudrais rester avec elle… même si elle va au pays des corbeaux…
Kyara esquissa un sourire peiné.
— Je vais essayer. Quel est le nom de ta mère ? Et son travail ?
— Elle s’appelle Darina. Elle fait des gâteaux pour tout le quartier.
Elle le nota sur le parchemin qu’elle gardait à portée de main. La piste était faible, mais peut-être qu’avec un peu de chance, on pourrait retrouver la trace de la femme. Pour peu qu’elle s’installe dans un duché avalonien, elle devrait en principe se faire recenser auprès de l’administration du duché. Le système existait à Avalaën depuis très longtemps – Kyara n’imaginait même pas le temps qu’il avait fallu pour le mettre en place – mais quelques personnes passaient occasionnellement entre les mailles du filet.
— Je te promets que je ferai de mon mieux pour retrouver ta mère.
Elle fit un signe à l’un des soldats.
— Emmène-la auprès des pupilles impériaux, demande aux précepteurs de lui trouver une place dans les chambres. Les arcanes seules savent combien de temps cela prendra de retrouver l’un des parents… ajouta-t-elle davantage pour elle-même tandis que l’homme et la petite fille s’éloignaient.
Puis, levant une main pour faire signe qu’elle interrompait les audiences, elle se tourna vers Derak et Virakram et haussa les sourcils.
— Cousin ? lança-t-elle en avalarë.
— Tu vas devoir écourter les audiences, Avelke Sen.
Son ton solannel présageait, davantage que des mauvaises nouvelles, de sérieux ennuis. Elle se redressa, contourna le trône et leva le menton quand les deux hommes se placèrent en face d’elle.
— Parle.
— L’Empereur a disparu. Enlevé. :arrow: Ah oué. Je m'y attendais pas :lol:
On lui aurait versé un seau d’eau glacée sur la tête qu’elle n’aurait pas été davantage stupéfaite.
— Je te demande pardon ?
— Kidnappé.
— Mais comment…?
— Il faut que tu parles avec Kaleko au plus vite. Je ne peux pas vraiment t’en dire plus.
Elle se tourna vers Derak, soudain incertaine.
— Prendras-tu en charge les audiences ?
Il acquiesça sans un mot. Elle inclina la tête en le remerciant, passa une main dans ses cheveux avec un frisson d’appréhension, et s’élança dans les couloirs à la suite de Virakram, encadrée par sa solide escorte. Le soldat, cousin d’Yngvar, ne parlait pas, trop consicent du risque qu’ils encouraient si l’information s’ébruitait. Pour le moment, la nouvelle était certainement compartimentée, restreinte au seul Bataillon qui était censé s’occuper de la protection de Saedor – et qui avait donc échoué à sa mission – et au couple héritier.
Saedor, kidnappé. Par qui ? Où ? Comment ? Qu’avait-il bien pu se passer pour que le Bataillon faillisse à ce point. Et qui était responsable ?
Les questions lui donnaient le tournis. Incapable de se concentrer, elle s’attela à simplement respirer profondément en espérant qu’Yngvar détienne au moins une partie des réponses. Les couloirs défilèrent sans qu’elle ne prête pour une fois attention au ballet incessant des serviteurs, qu’elle avait pourtant appris à repérer, et bien vite, elle se retrouva dans la suite qu’elle partageait avec son époux. D’emblée, certainement parce qu’elle cherchait à tout comprendre en une seule fois, elle nota une multitude d’éléments qui n’avaient a priori aucun lien les uns avec les autres. Isarak et Seären, ainsi qu’Olar, le page d’Yngvar, étaient assis côte à côte sur le divan et murmuraient à voix basse. Le salon était envahi par la garde personnelle du couple héritier, le Premier Bataillon Sanglant, à tel point qu’il était difficile de distinguer les murs derrière les soldats armés jusqu’aux dents. Mais surtout, Yngvar faisait les cent pas près de la fenêtre, et quand il se retourna, son regard était aussi glacé que celui de sa mère. Instinctivement, alors même qu’elle ne savait encore rien de ce qui allait se dire, Kyara se tendit quand les portes se fermèrent derrière elle. Le cliquetis, discret mais audible, du loquet, fit battre son cœur un peu plus vite.
— Yngvar, entama-t-elle néanmoins. Virakram m’a dit quelque chose mais… que s’est-il passé au juste ?
Silencieusement, elle faisait le calcul. Il y avait une trentaine de gardes dans la pièce actuellement, et s’il n’y en avait pas plus, c’était certainement pour permettre au moins une liberté de mouvement minimale aux personnes présentes. C’était trois fois plus que ce qu’ils avaient en temps normal pour protéger leur suite, mais avec ses enfants également présents et la situation globale, c’était presque étonnant qu’il n’y en ait pas davantage.
Mais il y avait également autre chose. Une sorte de parfum de menace, une tension électrique qui, elle en était certaine, n’était pas directement liée à la situation. Elle inspira profondément pour garder son calme, riva ses yeux sombres dans le regard lilas de son mari.
— Oh je ne sais pas, mais tu pourras peut-être m’expliquer ?
Elle tressaillit en entendant son ton agressif, la fureur maîtrisée qui ne transparaissait pas ailleurs que dans sa voix. Alors seulement, elle nota ses épaules crispées, sa main qu’il gardait dans son dos, près des reins, là où il pouvait tirer l’un de ses couteaux favoris, la méfiance qui exsudait de son attitude.
En une fraction de seconde, elle comprit. Pourquoi ses enfants étaient là, pourquoi il n’y avait pas plus de gardes, pourquoi on l’avait amenée là directement. Pourquoi Yngvar la regardait avec cet air d’animal blessé, pourquoi il ne l’approchait pas alors même que cela aurait été le moment où elle aurait trouvé du réconfort dans ses bras.
Elle éclata d’un rire rauque, nerveux, s’appuya contre un fauteuil et fixa ses deux fils, qui n’osaient pas la regarder. Elle aurait davantage escompté ce genre de raisonnement de la part d’Eliane qui, elle se doutait, ne lui avait jamais totalement fait confiance. Mais Yngvar n’était pas son fils pour rien, il n’avait pas fallu longtemps pour qu’il remette en question tout ce qu’ils avaient bâti depuis qu’ils avaient choisi de prendre un nouveau départ ensemble. :arrow: Ah oué chaud la méfiance d'Yngvar. Bon, c'est douloureusement logique qu'il soupçonne Kyara en partie, mais c'est pas fun à lire :'c Ca fait mal au kokoro
Étrangement, Kyara ne se sentait pas vraiment blessée. D’une certaine manière, aussi dérangeante qu’irritante, elle comprenait le raisonnement qui pouvait l’avoir amené là. Cela n’en demeurait pas moins frustrant, au contraire même, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir de n’avoir éliminé aucune possibilité, aussi blessante puisse-t-elle être.
Elle ferma les yeux, songeant à l’Impératrice, et une crainte insidieuse s’instilla en elle quand elle réalisa qu’elle pouvait tout perdre. Ici et maintenant, tout pouvait basculer si elle ne prenait pas garde à la manière dont elle gérait cette crise. Yngvar était déjà sur un fil précaire, incertain quant à la confiance qu’il lui accordait. Il ne l’avait pas directement faite isoler et enfermer, preuve qu’il cherchait avant tout le dialogue, mais elle savait à quel point cela pouvait être difficile de trouver les mots justes avec lui lorsqu’il devenait cet être impitoyable.
En écartant à nouveau les paupières, elle regarda Seären et Isarak, et son cœur se gonfla d’un amour presque plus effrayant encore que l’idée qu’elle puisse les perdre. Ses deux petits monstres. Les deux êtres pour qui elle aurait tué si cela avait été nécessaire. Elle n’avait jamais été violente, quoi qu’elle avait appris à le devenir avec le camp d’entraînement des Bataillons, mais la simple idée qu’il puisse leur arriver quoi que ce soit l’avait toujours mise dans une fureur noire. Elle n’avait jamais oublié la souffrance du deuil d’Amali, elle n’était certainement pas prête à la revivre.
Et pourtant, c’était ce qu’elle risquait. Si elle ne prenait pas garde, elle les perdrait aujourd’hui, simplement parce qu’Yngvar avait été trop prompt à la suspecter.
Ce fut cette idée qui la mit sur la voie. Plutôt que de laisser le temps s’écouler, de le laisser douter, réfléchir, essayer de réagencer les évènements dans un ordre qui lui semblerait cohérent, elle choisit de lui couper l’herbe sous le pied.
— Yngvar ?
Elle tendit une main en avant, franchit en quelques pas la distance qui les séparait, se plaça face à lui en levant le menton. Elle avait toujours été plus petite que lui de près d’une tête.
— Je comprends ta peur. Mais ce n’était pas moi.
— La coïncidence des évènements est tout de même troublante… grinça-t-il en la regardant droit dans les yeux.
Alors qu’elle haussait les sourcils, il poursuivit :
— Le jour où tu acceptes de prendre les audiences et que mon père et moi sommes en ville, l’un de nous disparaît. Et curieusement, cela arrive le lendemain d’une discussion que tu as eue avec ta mère au sujet de l’héritage de l’Empire.
Elle ne s’étonna même pas que leur conversation dans la bibliothèque ait été écoutée, ou que les propos aient été rapportés au Corbeau. Au lieu de cela, elle sourit, d’un sourire amer et froid, si grinçant qu’il parvint un instant à briser la colère d’Yngvar et à semer le doute dans ses yeux.
— Dis-moi donc comment je l’aurais organisé. Je vis comme toi, en permanence avec les Bataillons, que ce soit ici ou à la Citadelle. Les seuls moments de solitude que j’ai, c’est avec toi ou avec les garçons. J’ai eu deux minutes de face à face avec ma mère hier, et encore, il semblerait que nous ayons été écoutées à mon insu.
Elle prit une brève inspiration, et il voulut parler, mais elle leva la main devant son visage pour l’en empêcher. Son ton se fit aussi vicieux que son rictus lorsqu’elle reprit :
— Les seules personnes avec qui j’échange par courrier en-dehors des affaires politiques sont Thaïs et Illen, les autres héritiers des provinces… et toi. Mais ne t’en fais pas, je sais que mon courrier est lu avant qu’il ne me soit apporté. Si ce n’est pas directement par toi, alors probablement par l’Impératrice, et sinon… Uma certainement ? À qui d’autre ferais-tu confiance ?
Du coin de l’œil, Kyara nota la soudaine pâleur d’Uma, debout près de la fenêtre. Elle semblait s’être pris un coup de poing dans la gorge.
— À qui d’autre ferais-je confiance, sinon celle qui est mon amie, quand les seules lettres qu’elle ne m’apporte pas décachetées sont celles qui portent le sceau impérial ?
L’emploi du présent parut briser la soldate encore davantage que la révélation que Kyara était depuis longtemps au courant de la manigance. Elle pinça les lèvres, détourna la tête tandis que l’attention de la garde impériale, qui avait jusque là été focalisée sur Kyara, déviait sur elle. Mais rien n’aurait pu dissimuler la blancheur de la honte sur son visage et son expression coupable.
— Je suis désolée… murmura-t-elle dans le lourd silence qui régnait.
— Il n’y a pas de mal, répondit Kyara avec une ombre de sourire, sa voix claire et douce. J’ai appris à vivre avec votre méfiance paranoïaque, raison pour laquelle je comprends ce qui se passe aujourd’hui.
Elle poussa un soupir, passa la main tendue qu’Yngvar n’avait pas saisie dans ses cheveux frisés.
— Dis-moi Yngvar, reprit-elle, ramenant l’attention sur elle. Qu’est-ce que je risque si j’ai effectivement pris part dans ce complot ?
Il ne répondit rien, et elle esquissa un sourire triste.
— Tout. Ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait avoir lieu. Douze hivers à tes côtés, presque la moitié de ma vie. Et qu’est-ce que j’y gagnerais ? Un trône vide à ma droite, un royaume qui m’a presque oubliée, et que je ne reconnais plus. Penses-tu vraiment que, même par la plus pure des haines, je risquerais une telle folie ?
Le doute avait envahi son regard. Elle le sentit vaciller, hésiter, serrer les dents et s’entêter dans son mutisme analytique qu’elle devait réussir à rompre. Mais elle sentait également qu’elle était proche, qu’il basculait de son côté.
— Pour Seären et Isarak, je n’aurais jamais osé, asséna-t-elle sèchement.
La digue qu’elle avait entrepris d’ébrécher se fractura. Yngvar sourit à son tour, d’un sourire doux et désolé, qui lui fit presque autant de peine qu’il lui apporta de joie. Il rompit à son tour la distance, la serra dans ses bras.
— Je suis navré d’avoir douté de toi… souffla-t-il à son oreille. Je me devais de le faire.
— Je sais… soupira-t-elle en chassant une larme vagabonde de soulagement. Ceci dit, tu n’as certainement pas tort sur un point, ma mère trempe dans cette affaire jusqu’au cou.

◊~◊~◊
Booon, ça va, on s'en sort bien :lol: À 2 chapitres de la fin je me doutais qu'il pouvait pas se passer une fracture aussu importante entre Kyara et Yngvar (surtout avec le nom de l'Acte) mais le doute s'est instillé et c'est bien joué de ta part ! Ce chapitre est riche en rebondissements et c'est pas pour me déplaire =D
Maintenant, effectivement Mara pue à 100% mais je suis curieuse de connaître les tenants et aboutissants de cette histoire ^^ Quel était son objectif avec l'enlèvement ? Comment Kyara va gérer ça, est-ce que Mara va être condamnée, etc... Je verrai bien au prochain chapitre :twisted:

Sinon, écriture toujours au top ! J'aime toujours autant tes descriptions et la façon dont tu mets en avant les émotions ^^
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Hello~

PFIOUH. Damn, cette tension.

Encore un très très bon chapitre et, purée, qu'est-ce que j'aime Kyara.

On sentait bien que la merde allait revenir au galop, merci Mara, mais j'imaginais pas que Saedor allait être enlevé. (Surtout, je me demande, comment? La suite au prochain épisode nyéhé 8-) )

Et quelle fin de chapitre ! Je comprends qu'Yngvar soit méfiant et qu'il réagisse comme ça. On est jamais trop prudent, et prudence est mère de sureté, surtout dans un monde avec Eliane 2.0 et encore plus si on est son fils. Mais ouchie, frère ;w; Kyara a tout à perdre et rien à gagner, elle a une vie avec lui. Mais bon. Je comprends.

Kyara, marry me parce que wow. Quel aplomb, quel raisonnement, quel force. Je suis toute chose.

J'ai bien hâte de voir ce que tu nous réserves (surtout avec les répercussions des merdes de Mara, possiblement sur Kyara (mais là, franchement, je vois pas comment ils pourraient la tenir comme responsable. Enfin, je vois, parce qu'il y a toujours une raison tordue "ah gneu gneu gneu c'est ta mère, c'est ton royaume" etc. Ugh.) Bref, la bonne mouise, merci Mara) avec la suite !

La bise~
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Re: Dynasties / Kyara IV (3/4)

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : sam. 05 févr., 2022 7:14 pm
vampiredelivres a écrit : mer. 02 févr., 2022 11:57 am
LA PACIFICATRICE
(3/4)



Il ne répondit pas, ne réagit pas à l’appel de son nom. Sonnée, Kyara dissimula enfin la pierre entre ses paumes, refermant ses mains autour comme une huitre autour d’une perle. :arrow: L'image est très jolie mais les 2 "autour" me font un peu bizarre ;) Effectivement, c'est un peu lourd, je changerai. Merci ^^

— Je t’avoue que je n’aurais jamais imaginé te retrouver ici. Je…
— Je connaissais une Kyara, avant. :arrow: Ouch, je sais pas ce qui va suivre :lol: C'était une discussion… difficile on va dire. Surtout après tant d'années.

Puis, levant une main pour faire signe qu’elle interrompait les audiences, elle se tourna vers Derak et Virakram et haussa les sourcils.
— Cousin ? lança-t-elle en avalarë.
— Tu vas devoir écourter les audiences, Avelke Sen.
Son ton solannel présageait, davantage que des mauvaises nouvelles, de sérieux ennuis. Elle se redressa, contourna le trône et leva le menton quand les deux hommes se placèrent en face d’elle.
— Parle.
— L’Empereur a disparu. Enlevé. :arrow: Ah oué. Je m'y attendais pas :lol: Même moi je ne m'y attendais pas quand je l'ai écrit :lol:

En une fraction de seconde, elle comprit. Pourquoi ses enfants étaient là, pourquoi il n’y avait pas plus de gardes, pourquoi on l’avait amenée là directement. Pourquoi Yngvar la regardait avec cet air d’animal blessé, pourquoi il ne l’approchait pas alors même que cela aurait été le moment où elle aurait trouvé du réconfort dans ses bras.
Elle éclata d’un rire rauque, nerveux, s’appuya contre un fauteuil et fixa ses deux fils, qui n’osaient pas la regarder. Elle aurait davantage escompté ce genre de raisonnement de la part d’Eliane qui, elle se doutait, ne lui avait jamais totalement fait confiance. Mais Yngvar n’était pas son fils pour rien, il n’avait pas fallu longtemps pour qu’il remette en question tout ce qu’ils avaient bâti depuis qu’ils avaient choisi de prendre un nouveau départ ensemble. :arrow: Ah oué chaud la méfiance d'Yngvar. Bon, c'est douloureusement logique qu'il soupçonne Kyara en partie, mais c'est pas fun à lire :'c Ca fait mal au kokoro Ça picote oui, mais c'est dans l'âme et l'essence du personnage. Après, ça ne dure pas trop longtemps, donc ça va ^^

◊~◊~◊
Booon, ça va, on s'en sort bien :lol: À 2 chapitres de la fin je me doutais qu'il pouvait pas se passer une fracture aussu importante entre Kyara et Yngvar (surtout avec le nom de l'Acte) mais le doute s'est instillé et c'est bien joué de ta part ! Ce chapitre est riche en rebondissements et c'est pas pour me déplaire =D
Maintenant, effectivement Mara pue à 100% mais je suis curieuse de connaître les tenants et aboutissants de cette histoire ^^ Quel était son objectif avec l'enlèvement ? Comment Kyara va gérer ça, est-ce que Mara va être condamnée, etc... Je verrai bien au prochain chapitre :twisted:

Sinon, écriture toujours au top ! J'aime toujours autant tes descriptions et la façon dont tu mets en avant les émotions ^^
Eh, en douze ans, ils auront appris à dialoguer. C'est sûr que gérer une telle fracture à un "chapitre" (6k words, but still) de la fin, c'est… compliqué. Mais ça aurait été fun :lol:
Je me rends compte qu'il y a une question notamment que tu soulèves qui n'est pas exactement répondue… même s'il y a une suggestion de réponse. Bref. J'y reviendrai certainement.

See you soon, merci pour ton retour !

TcmA a écrit : sam. 19 févr., 2022 4:27 pm Hello~

PFIOUH. Damn, cette tension.

Encore un très très bon chapitre et, purée, qu'est-ce que j'aime Kyara.

On sentait bien que la merde allait revenir au galop, merci Mara, mais j'imaginais pas que Saedor allait être enlevé. (Surtout, je me demande, comment? La suite au prochain épisode nyéhé 8-) )

Et quelle fin de chapitre ! Je comprends qu'Yngvar soit méfiant et qu'il réagisse comme ça. On est jamais trop prudent, et prudence est mère de sureté, surtout dans un monde avec Eliane 2.0 et encore plus si on est son fils. Mais ouchie, frère ;w; Kyara a tout à perdre et rien à gagner, elle a une vie avec lui. Mais bon. Je comprends.

Kyara, marry me parce que wow. Quel aplomb, quel raisonnement, quel force. Je suis toute chose.

J'ai bien hâte de voir ce que tu nous réserves (surtout avec les répercussions des merdes de Mara, possiblement sur Kyara (mais là, franchement, je vois pas comment ils pourraient la tenir comme responsable. Enfin, je vois, parce qu'il y a toujours une raison tordue "ah gneu gneu gneu c'est ta mère, c'est ton royaume" etc. Ugh.) Bref, la bonne mouise, merci Mara) avec la suite !

La bise~
Heyo ~

Ah c'était évident que le bordel allait revenir, mais j'avoue que l'enlèvement de Saedor n'était pas totalement prévu. (Mouahaha.)
Ouais mais la première question à soulever dans ce genre de situations, et il a raison de le faire. Et puis, si ce n'était pas lui qui le faisait, ce serait Eliane… or tu n'as pas nécessairement envie de gérer ce genre de cas avec Eliane… x)

Kyara choupette qui gère sa race mine de rien ! Elle a franchement évolué, et ça se voit déjà beaucoup dans ce chapitre (et encore un peu plus dans le prochain), et… ouais ça fait plaisir. La lente évolution des premiers actes était déjà bien, mais là tu vois clairement le changement et… Ouais. Voilà. ♥

J'allais mettre u deuxième "mouahaha" mais je me suis dit qu'il faudrait que je me calme. C'est une raison bien tordue, mais là elle a validé le check de confiance d'Yngvar, donc c'est déjà beaucoup plus simple de gérer le reste des suspicions. Et puis elle commence à être bien stable sur ses appuis de future reine (pardon impératrice) ! Tkt, ça va bien se passer ^^

La bise ~~
louji

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Re: Dynasties / Kyara IV (3/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : dim. 20 févr., 2022 9:35 pm
Eh, en douze ans, ils auront appris à dialoguer. C'est sûr que gérer une telle fracture à un "chapitre" (6k words, but still) de la fin, c'est… compliqué. Mais ça aurait été fun :lol:
Je me rends compte qu'il y a une question notamment que tu soulèves qui n'est pas exactement répondue… même s'il y a une suggestion de réponse. Bref. J'y reviendrai certainement.

See you soon, merci pour ton retour !

Yes, ça aurait légèrement complexe :lol: Mais ils vont y aller main dans la main, on y croit 8-)
Hehe, ça te laisse l'occasion d'y réfléchir oui !

Tchouss
vampiredelivres

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Dynasties / Kyara IV (4/4)

Message par vampiredelivres »

LA PACIFICATRICE
(4/4)


Malgré la chaleur de l’été, une brise froide soufflait sur les jardins quand Kyara sortit du château au coucher du soleil. Elle fut parcourue d’un frisson, mais il était davantage dû à la silhouette solitaire qui l’attendait qu’à l’air frais qui caressait ses bras nus. Elle se demanda un instant pourquoi sa mère avait choisi, de tout lieu dans le jardin, cette tombe sans nom, puis elle songea que cela n’aurait de toute manière guère d’importance.
Parvenue à quelques pas de sa mère, juste assez loin pour ne pas encore être à portée d’oreille, elle prit une profonde inspiration, rassembla toute la colère, l’anxiété et les doutes qui l’avaient hantée durant ces longues heures d’inaction. Les Bataillons étaient en train de se démener pour essayer de retrouver une trace de l’Empereur, le calme d’Yngvar était une façade dangereusement trouble qui menaçait de s’effondrer à tout instant, et elle s’étonnait encore que l’Impératrice, à qui ils avaient parlé grâce à un cristal enchanté par magie arcanique, ne leur ait pas déjà ordonné de mettre la ville à feu et à sang. La totalité des troupes impériales frémissaient d’une tension électrique, qui menaçait d’exploser à tout instant, et la seule solution viable était de faire admettre à Mara où avait été emmené Saedor.
— Ma chérie, sourit Mara en la voyant approcher.
Elle arborait désormais fièrement ce sourire que Kyara avait vu glisser sur ses lèvres à la bibliothèque, un mélange de satisfaction et de mépris, une grimace grinçante qui trahissait sa culpabilité et son arrogance. L’ancienne Reine était certaine d’avoir vaincu sans combattre, d’avoir les armes pour forcer l’Empire à ployer. Et Kyara devait admettre qu’elle avait joué ses cartes correctement.
— Mère ! C’est une folie…
Elle plongea néanmoins dans les bras ouverts avec la sensation qu’elle se laissait étrangler par un serpent. Même les froides étreintes de l’Impératrice la glaçaient moins que ces bras chauds qui ne faisaient que feindre l’affection.
— C’est une folie qui fonctionne bien, comme tu auras pu le réaliser.
— Mais comment…
— Tu n’as pas besoin de savoir. Personne ne te suspecte, je suppose ?
Intérieurement, Kyara grimaça un sourire sans joie. Mara avait bien joué ses cartes, mais elle n’avait aucune idée de ce à quoi elle s’exposait. Elle n’avait jamais vu le déferlement des Bataillons sur Ciel, les plaines gorgées de sang, les massacres. Quand le danger s’était faite trop pesant, elle avait fui. Et elle essaierait certainement de faire la même chose aujourd’hui.
— Absolument pas ! répondit-elle néanmoins. Ils ont parlé devant moi de conduits secrets entre les maisons… ils vont fouiller la ville dans la nuit.
— Les imbéciles, ricana Mara. Ils peuvent toujours continuer de chercher à la surface, ils n’y trouveront rien.
Kyara sentit un frisson glacé courir le long de son échine. Ces derniers mots étaient un aveu, celui qu’elle avait escompté. Mara trempait dans cet enlèvement jusqu’au cou… et elle en subirait les conséquences. Elle inspira à pleins poumons l’air chargé de parfums floraux, fronça le nez en sentant une odeur de charbon, âcre et irritante, piquer son nez.
— En tout cas, tu as parfaitement joué ton rôle, chérie.
Kyara enlaça sa mère plus fort, s’autorisa un tremblement dans la voix en murmurant :
— Mère… j’ai peur pour moi… Si Yngvar apprend…
— Il a le choix entre baisser les armes, ou perdre son père. Je pense qu’il saura prendre une décision raisonnable. Mais viens donc prendre le thé avec Helena, nous pourrons en parler plus au calme. Je doute que l’on requière ta présence ailleurs, de toute manière, non ?
Luttant pour sourire et acquiescer malgré la colère qu’elle éprouvait, Kyara s’arracha à l’étreinte du serpent et prit sa mère par le bras. Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête, fulgurantes, essayant de créer un lien entre tout ce qu’elle avait entendu. Helena était au courant. Étant donné qu’elle était la meilleure amie de Mara, Kyara n’était pas vraiment surprise, mais une sensation inédite était née dans sa poitrine. Une appréhension qu’elle assimila au frisson de la chasse à courre, l’excitation de remonter une piste. Elle avait oublié de relever quelque chose, elle en était certaine.
Sur les quelques dizaines de toises qui les ramenaient au château, elle rembobina la conversation en silence, la déroula à nouveau, se figea soudain.
— Kyara, chérie ?
En surface.
Soudain, une association d’idées improbable se fit dans son esprit, éliminant toutes les pensées parasites. La gamine des audiences, quelques heures plus tôt, dont le père avait disparu. La reconquête de Ciel, quelques quatre-vingts hivers auparavant. Rowan, prisonnier des ténèbres.
Elle comprit où était Saedor. Et, plus que cela, elle sut aussi comment ils pourraient peut-être le ramener.
— Tout va bien, mère. Un simple vertige.
Elle se remit en marche, un léger sourire caustique aux lèvres. Arrivée aux portes de l’aile sud, elle s’immobilisa cependant à nouveau, prit une quelques secondes pour se concerter avec elle-même, évaluant les conséquences de sa décision, comme Eliane le lui avait appris. Une éternité auparavant, un soir où on avait tenté de la faire évader, elle avait choisi Avalaën. Elle avait choisi sa propre sécurité, une vie plus simple et stable, mais aussi un équilibre plus sain, tant pour ses enfants que pour l’Empire. Elle avait refusé de plonger ce qui restait à l’époque du Royaume d’Helvethras dans un nouveau bain de feu et de sang.
— Mère ?
Le souvenir lointain des remparts de Ciel dans le coucher de soleil rougeoyant, des armures salies et des corps sans vie, l’effleura.
— Qu’y a-t-il, ma chérie ? Tu sembles troublée.
— As-tu déjà vu un homme mort ?
Mara se figea. Un frémissement visible parcourut ses épaules, elle pivota lentement. Kyara lui sourit avec une douceur calculée, enfin en paix avec elle-même. Elle ne ressentait plus de peur en voyant le visage sévère de sa mère. Il n’y avait plus d’amertume dans sa gorge lorsqu’elle songeait aux années qu’elle avait passées à essayer de se faire aimer pour ce qu’elle était, et pas pour ce qu’elle pouvait devenir. Car elle aimait celle qu’elle était devenue sans sa mère.
— Je ne…
— J’avais dix-sept hivers quand j’ai vu une plaine de cadavres. Le lendemain, Père a été décapité, et oncle Aidan a été égorgé devant mes yeux.
Mara battit des paupières sans comprendre où sa fille voulait en venir. À son expression, Kyara sut qu’elle sentait que la discussion lui échappait.
— Et c’est pour ça que…
— Non, Mère. C’est pour ça que je choisis Avalaën, asséna-t-elle. Ce que tu promets, c’est un nouveau massacre. Et c’est absolument hors de question. J’ai vu les ravages de la guerre, contrairement à toi, j’en ai expérimenté les conséquences.
Elle vit Mara se décomposer, ne lui laissa pas le temps d’intervenir.
— Je te laisse une chance d’accepter la situation et de me dire exactement où Saedor a été emmené.
Un lourd silence tomba, à peine rompu par les sifflements du vent dans les feuillages lointains. Les yeux rivés dans ceux de sa mère, Kyara ne flancha pas, même quand cette dernière cingla, soudain aussi venimeuse qu’une vipère :
— Tu es folle. Après tout ce que tu as subi entre leurs mains, tu veux les soutenir ? Les protéger ? Tu ne sais plus qui tu es. Tu étais ma fille, mais tu n’es plus…
Kyara ne lui laissa pas le temps de finir. L’agrippant par les cheveux, elle lui renversa la tête en arrière, lui tordit un bras dans le dos. Mara poussa une plainte de douleur, mais Kyara ne s’en préoccupa pas. Un instant, elle eut même peur de sa propre indifférence quand elle ne sentit ni rage ni colère en se penchant pour siffler à son oreille :
— Je sais qui je suis. Je suis la fille de Jesten de Ciel. J’ai renoncé au trône d’un Royaume pour la paix, et c’est en maintenant la paix que je règnerai sur cet Empire. Tu as eu ta chance, Mère, mais tu as préféré fuir quand il aurait fallu faire face. Maintenant, dis-moi ou est l’Empereur, ou subis les conséquences.
— Kyara, s’il te plaît, réfléchis… Ce n’est pas ce que tu veux…
L’accent de terreur dans le ton de l’ancienne souveraine était impossible à manquer, mais il n’émut pas Kyara. Au contraire même, il renforça son assurance, la conforta dans ses certitudes. Elle utilisa sa main libre pour faire un signe de la main en direction de la fenêtre, poussa un soupir en tirant sèchement sur les cheveux lissés de sa mère, lui arrachant un nouveau gémissement.
— Après treize hivers d’absence, tu as perdu le droit de penser savoir ce que je veux.
— Vas-tu vraiment me blâmer de cela alors que j’ai essayé de te faire évader de la Citadelle ? gronda Mara, toujours aussi effrayée, cherchant le moindre appui pour se défendre.
Les soldats, qui s’étaient déversés par les portes grandes ouvertes, pilèrent net en entendant les derniers mots, s’entre-regardèrent, soudain incertains.
— Évader ? C’est gentil, mais tu m’as en vérité confortée dans ma décision de rester. Que serais-je devenue, une vagabonde hagarde cherchant désespérément à recouvrer un trône avec une armée inexistante, dans les ruines d’un Royaume dont tu ne t’es jamais préoccupée ? Une vaine promesse d’espoir pour ceux qui auraient encore osé lutter, la responsable de nouvelles morts inutiles ?
— Kyara, tu as perdu la raison… Je t’assure que tout ce que j’ai fait, c’était dans l’unique but de te protéger…
Elle frémit en entendant le trémolo dans la voix, nota un sillon brillant sur la peau sombre de la femme, trace éphémère d’une larme qui s’était perdue dans son cou. Un instant, elle eut envie de croire que malgré tout ce qu’elle avait fait de travers, sans comprendre combien de tort elle causait, Mara l’avait fait avec une bonne volonté. Puis, elle songea à Saedor, à l’enfer qu’il devait traverser en ce moment même, prisonnier dans les noires galeries qui couraient sous la ville, aux mains d’hommes qui ne lui vouaient certainement pas de l’affection, et son cœur se glaça d’une froide résolution.
— J’ai appris à me protéger seule. Maintenant, Mère, il est temps que tu apprennes à ton tour. Dis-moi où est Saedor, et je pourrai t’épargner une mort douloureuse. Mais crois-moi, si tu te tais, rien ne pourra te sauver.
Elle donna ses ordres par langage codé, en brefs mouvements de main et de poignet. Puis, elle précipita brusquement Mara dans les bras des soldats, qui la maîtrisèrent en un battement de cils, lui lièrent solidement les poignets dans le dos avec une cordelette, et la firent pivoter à nouveau face à Kyara. Désormais, le visage sombre et sévère, dont elle avait toujours regretté l’impassibilité et la froideur, était tordu de rage et de peur.
— Où est l’Empereur ? asséna-t-elle encore une fois.
Comme chez Yngvar à peine une heure plus tôt, elle vit une ombre de doute obscurcir son regard, sentit la brèche. Puisant dans les tréfonds de ce qu’Eliane lui avait enseigné pour rompre la digue, elle laissa toute familiarité déserter sa propre expression, ferma son cœur à la moindre compassion.
— Ultime chance, Mara.
Après une dernière révolte, une dernière tentative désespérée de lever le menton et de serrer les dents, Mara s’affaissa dans les bras de ses bourreaux, secouée de sanglots.
— Dans le quartier du Temple… une galerie oubliée débouche derrière une taverne…
Kyara écouta attentivement, nota mentalement tout ce que la femme lui disait, elle-même fascinée par le détachement dont elle parvenait à faire preuve. Et quand, finalement, elle pensa avoir toutes les informations dont elle avait besoin, elle se fendit d’un sourire, un rictus ceux et froid, comme celui qu’elle avait esquissé quand elle avait perdu Amali. Le sourire du deuil.
— Gadric, fais-la enfermer dans sa suite. Surveillée par le Douzième.
— À tes ordres, Avelke Sen.
Le titre familier parvint à dissoudre un instant l’amertume du rictus de Kyara, elle hocha la tête.
— Et, Mara ?
Sa mère, qui avait fixé les dalles de pierre grise depuis qu’elle avait cessé de parler, releva les yeux mais n’osa pas proférer un mot.
— Si j’ai besoin d’autre chose, je reviendrai te voir. Et je te prie de te rappeler que, si tu décides de reconsidérer ta collaboration, je réviserai également ma position à ton sujet.
— Je ne veux pas mourir… Avelke Sen… finit-elle par murmurer.
Kyara faillit admettre que la décision ne dépendait pas vraiment d’elle, puis elle songea que, si c’était nécessaire, elle saurait raisonner Yngvar. Pour l’Impératrice, en revanche, ce serait une autre paire de manches. Et, en vérité, cela dépendrait seulement de la bonne volonté de Mara à démanteler tout le réseau de résistance qu’elle avait bâti ces derniers hivers, jusqu’à ce qu’il n’en reste que cendre et poussière.

Au coucher du soleil, ils se tenaient dans un mutisme mortuaire au centre d’une petite place, les yeux rivés sur l’impasse qui menait à la Taverne de l’Âne Bossu. La taverne en question n’était qu’une chaumière miteuse, branlante, tenant seulement debout par la puissance des arcanes, mais elle était défendue. Comment avaient-ils su que les Bataillons viendraient, Kyara n’en avait aucune idée, mais toujours était-il qu’une foule s’était rassemblée pour bloquer le passage. Dans la ruelle étroite, les citadins étaient si proches les uns des autres qu’ils formaient un rempart, plus solide certainement que les murs de la bâtisse qu’ils protégeaient. Ils étaient armés, pour certains, de couteaux ébréchés, de marteaux rouillés, ou simplement de bâtons et de poings, mais leurs yeux étaient incandescents, aussi brillants que des flammes fraîchement ravivées. Une colère muette, étouffée, alourdissait l’ambiance, échauffait la pièce, dévorait les cœurs. Kyara la sentait jusque dans ses veines, comme une pulsation dans l’air tiède, une main glacée pesant sur sa nuque, étreignant son cœur d’appréhension. Elle lisait leur haine dans leurs yeux à tous, comme un reflet de la rage qui l’avait habitée par le passé. Mais elle avait tenu à être présente, sachant parfaitement que, si elle n’était pas là, personne ne convaincrait Rowan.
Au moment même où elle songeait à lui, un claquement de sabots ferrés emplit le silence, résonna entre les murs de pierre. Elle tourna la tête, juste à temps pour voir la calèche s’arrêter à une trentaine de pas de là, derrière les rangées du Premier Bataillon.
Durant de longues secondes, rien ne se passa. La tension électrique qui régnait sur la foule semblait se propager dans l’air comme une odeur d’orage, crépiter entre les corps, menaçante, destructrice. La chaleur se fit étouffante, le silence assourdissant. Yngvar, qui lui tenait la main, la serra doucement, et elle lui rendit la pression, les paumes moites, frissonnante. Des chuchotements commençaient à s’élever.
Murmure après murmure, un chant enfla, une litanie enfiévrée s’éleva des gorges serrées par la peur et la colère. Elle monta en puissance, tumultueuse, haineuse, portée par la résonance, jusqu’à devenir un rugissement de fureur et de haine, un vent de tempête qui aurait forci au fil des ans jusqu’à être capable de renverser un palais.
— À BAS L’USURPATEUR !
— MORT AUX CORBEAUX !
Les soldats se crispèrent, les mains serrées sur leurs armes, l’un des capitaine leva la tête vers Yngvar, attendant les ordres. Kyara discerna la peur dans leurs yeux autant que dans ceux de ses sujets. Ils savaient pertinemment que si un combat devait s’engager, l’espace clos jouerait en leur défaveur.
Elle lâcha la main d’Yngvar, s’en libéra comme un souffle d’air, se releva. Après avoir adressé un geste qui signifiait la patience au capitaine Erald, elle s’avança d’un pas, et riva son regard sur un homme. Un seul, au deuxième rang, un petit homme tout rabougri, asséché par les étés, affaissé sous la charge de son labeur. Elle ne voyait de ses vêtements qu’une tunique de lin élimée, qui ne devait guère le protéger des vents froids, elle voyait sur sa joue et son cou une trace de suie noire. Il devait être un mineur de l’ouest de Terre. Il paraissait vieux, fatigué, et las de porter chaque jour des sacs de charbon sur son dos ou de pousser des wagons dans des tunnels étroits et escarpés. Comment ou pourquoi il était venu à Ciel, elle n’en avait aucune idée, mais il était là ce soir pour lui hurler sa rage au visage.
La colère des deux premiers rangs s’apaisa au fur et à mesure que les gens se tournaient vers cet homme sur qui elle concentrait toute son attention. Elle le fixa intensément, d’un air calme et neutre qui ne laissait pas transparaître son cœur battant à un rythme effréné et ses paumes toujours aussi moites. Puis, quand la paix revint dans les premiers rangs, elle chercha une autre silhouette un peu plus loin. Ses yeux tombèrent sur une femme qui haranguait les autres autour d’elle. Jeune, mince, des cheveux d’un blond aussi clair que les blés, une rage destructrice dévorant ses traits doux, elle ressemblait à une princesse qu’on aurait arrachée à son conte pour en faire une servante. Elle était trop loin pour que Kyara puisse déterminer d’où elle venait, mais elle ne la lâcha pas du regard pour autant. Quand elle sentit que l’attention se focalisait sur elle, la femme releva la tête d’un air de défi et fixa Kyara la tête haute, tout en continuant à scander sa colère. Kyara haussa les sourcils, refusant de détourner les yeux, et la femme continua de crier.
Mais à mesure que leur affrontement silencieux se poursuivait, sa colère se fit moins virulente, les hurlements autour d’elle décrurent en intensité. Bientôt, elle était presque la seule à bouger les lèvres, à l’exception de quelques rares personnes autour d’elle qui semblaient être ses amis ou sa famille. La princesse inclina lentement la tête, laissa un bref sourire éclairer ses lèvres, et les mots de la femme moururent à leur tour, entraînant ceux des personnes autour.
Elle répéta son manège encore deux fois, une fois au centre de la foule, où elle s’arrima à une tête hérissée de cheveux bruns en épis, qui baissa les yeux après quelques secondes seulement, puis enfin au fond, si loin qu’elle ne discerna qu’une forme vague, où elle dut fixer un unique point en se convainquant qu’il y avait bien quelqu’un à cet endroit. Là, le calme fut plus lent à revenir, mais il gagna progressivement en force au fur et à mesure que les gens se lassaient de hurler et imitaient leurs pairs des rangs de devant.
Lorsque le silence revint enfin, Kyara avait l’impression d’avoir mené une bataille. Elle souffla profondément, inspira le calme qui s’était installé, aussi fragile que du cristal, rouvrit les yeux pour se fixer à nouveau sur cette femme, au centre.
— Quand j’ai quitté Ciel, il y a douze étés de cela, entama-t-elle aussi fort que sa voix le lui permettait sans crier, je me sentais seule et démunie. Désespérée, même. Nous venions de perdre la guerre, et j’étais celle qui s’était inclinée. J’avais vendu la liberté de mon royaume, et la mienne au passage, contre un semblant de sécurité.
Elle s’interrompit, le cœur battant. La sensation aiguë de l’attention d’Yngvar qui pesait sur ses épaules lui donna envie de pivoter vers lui, de chercher du soutien dans ses yeux lilas et sa façade froide et composée, mais elle s’en abstint. Les mots qu’elle aurait voulu proférer quittèrent son esprit, remplacés par un flot plus sincère, plus pur, que tous les discours qu’elle aurait pu écrire ou envisager jusque-là.
— En temps de guerre, le plus difficile et le plus destructeur est de faire notre mieux en sachant que cela ne suffit pas, n’est-ce pas ?
La femme qu’elle regardait toujours, droit dans les yeux, s’agita, l’air gênée.
— Je suis partie en sacrifiant ce que j’avais de plus cher, en abandonnant tous les liens qui me retenaient ici. C’était pour éviter les massacres qui auraient pu suivre. Mais je ne veux ni ne mérite votre pitié, car je sais que j’ai fait de mon mieux, défia-t-elle. Même si j’avais peur. Qui d’entre vous n’a pas peur, ici, ce soir ?
Un vent de murmures secoua l’assemblée, les personnes s’entre-regardèrent, soudain nerveuses. Quelques rares, discrètes, mains se levèrent, et plusieurs d’entre elles s’abaissèrent à nouveau un instant plus tard. Kyara sourit, fixa la dizaine de cœurs vaillants un à un, et admit avec un léger rire attristé :
— J’aurais aimé être l’une de vous.
Les mains se baissèrent, le murmure enfla, mais elle le rompit en quelques mots.
— Au lieu de cela, j’ai passé des lunes à avoir peur. À nier que j’avais peur. À enrager en silence contre mon incapacité à changer les choses.
Elle songea aux longues soirées qu’elle avait passées à fixer le plafond en rêvant d’être ailleurs, à la colère qui l’avait habitée durant une éternité, qui l’avait dévorée, empoisonnée. Elle se rappela la sensation des petites mains d’Amali dans les siennes, et la sensation fantôme du poids dans ses bras revint la hanter comme un vieil amour jamais vraiment oublié. L’envie de serrer ses mains contre sa poitrine lui comprima la gorge, elle lutta pour la réfréner de son mieux, esquissa quelques pas sur le côté pour s’en débarrasser, occuper son esprit à autre chose. La foule la suivit du regard, s’orienta dans sa direction. La colère n’avait pas quitté leurs visages, mais ils écoutaient.
— Je comprends votre colère, admit-elle sans mal. Je l’ai ressentie. Par les arcanes, je la ressens encore parfois !
Un rire anxieux lui échappa. Il se propagea dans l’assemblée par petites vagues successives, nerveuses, qui retombèrent l’une après l’autre.
— Mais j’ai choisi de changer, finalement. J’ai accepté l’idée que ce qui était n’est plus, et que je dois saisir les opportunités qui s’offrent à moi. Helvethras n’est plus, asséna-t-elle, et ne sera plus jamais car je refuse d’être celle qui nous précipitera à nouveau dans la guerre.
Le silence fut bref, stupéfait, puis les dissidents explosèrent en cris tonitruants et en hurlements de colère et d’injustice. Seules quelques rares personnes, notamment celles que Kyara avait silencieusement pris à parti la première fois, demeurèrent immobiles, figées par l’étonnement et l’incompréhension. Kyara, quelque peu démunie, se permit de couler un regard interrogateur à Yngvar, qui lui rendit un bref sourire, accompagné d’un hochement de tête. Il fit un signe de la main à son capitaine, qui s’approcha d’un pas vif, lui souffla quelques mots à l’oreille. L’homme grimaça, mais acquiesça, et tira son épée. Le crissement de la lame contre son fourreau déchira les oreilles de la masse, qui se remit à hurler, de peur cette fois.
Du côté de la place, partiellement dégagée, une rangée de soldats se mit d’un seul mouvement en position de combat, boucliers dressés, épées dégainées, les hallebardes de leurs compagnons pointant par-dessus leurs épaules pour protéger les creux de leur défense. Dans l’impasse, les gens se mirent à se bousculer, paniqués, pour s’éloigner des premiers rangs. Kyara capta ici un visage blême de terreur, là un regard empli d’effroi à la vue du fer de lance qui se dressait en face de lui. Quelques hommes tentèrent de se frayer un chemin à coups de poings entre les soldats, mais sur les côtés, le reste du Bataillon déferlait comme une marée, prenait possession de l’espace, couvrait les angles morts, se déployant avec l’aisance des années d’entraînement.
— LAISSEZ-NOUS PASSER ET IL NE VOUS SERA FAIT AUCUN MAL, tonna Yngvar.
Sa voix porta aisément par-dessus le tollé ambiant, ricochant contre les murs de pierre, faisant trembler la place elle-même. Un calme incertain retomba.
— Partez maintenant, plaida Kyara. Je vous en prie.
Une douzaine de personnes laissèrent tomber leurs armes improvisées, et pour eux, un chemin fut dégagé le long des murs de la place. Aucun soldat du Premier ne tenta de les intercepter, sachant pertinemment que, plus loin, le Vingt-quatrième, le Neuvième et une bonne partie de l’armée impériale stationnée à Ciel, se chargerait d’arrêter les fugitifs et de les questionner. Et c’était sans compter sur le quart du Vingt-quatrième, qui patientait non loin. Yngvar n’avait pas tenu à prendre le moindre risque pour la sécurité de son père, raison pour laquelle la nouvelle de l’intervention militaire s’était certainement propagée. Mais Kyara savait que, si elle avait eu à décider, elle aurait probablement fait le même choix.
Les plus sains d’esprit étant partis, les résistants s’entre-regardèrent, soudain hésitants. Ils savaient bien qu’ils ne faisaient pas le poids face aux cent hommes du Premier Bataillon Sanglant, mais la rage était encore trop fraîche et la tension trop forte pour qu’ils se résignent à baisser les armes.
— Gadric, appui à la sortie, commanda le Corbeau. Sylvar, défense latérale. Isa, Arali, poussée au centre.
Fascinée par la fluidité mécanique de leurs mouvements, Kyara recula de quelques pas, et les bras d’Yngvar l’enveloppèrent. Elle se figea.
— Pas de morts, s’il te plaît.
Il hocha la tête, l’air sombre, le visage fermé.
— Dans la mesure du possible.
Ses yeux violets furetèrent dans l’espace, analysant les positions, guettant les failles.
— Zeracsar, le flanc gauche ! aboya-t-il. Skara, couvre-le !
Non-loin, un guerrier se replaça d’un pas vif dans une ouverture qui s’était créée, bloquant des fuites intempestives. La femme à ses côtés, impossible à différencier d’un homme dans son armure de métal, para de son gantelet un coup de poing qui aurait été destiné à Zeracsar. Au centre, la poussée se poursuivait dans la panique de la foule, pareille à un troupeau de moutons à l’approche d’une meute de loups. Les lames édentées semblaient soudain bien fragiles face aux fils aiguisés du Bataillon, et la crainte gagnait sur la défiance. À l’arrière, les hommes se pressaient les uns contre les autres tandis que ceux à l’avant battaient en retraite sous la pression. Yngvar prit une profonde inspiration, que Kyara sentit résonner jusque dans ses os.
— TENEZ LA POSITION !
Les hommes du Bataillon cessèrent d’avancer, s’immobilisèrent, et fixèrent la populace paniquée dans le un silence menaçant. L’un des rebelles, voulant certainement profiter d’une accalmie, eut la folle idée de se ruer en avant, couteau levé haut. Une lance lui transperça l’épaule, dangereusement proche de son cou, et il poussa un hurlement de douleur. Dans le soudain silence, le tintement aigu de la lame qui cognait contre les pavés fit frissonner les civils.
— Déposez vos armes, répéta Kyara d’une voix forte, commandant plutôt qu’implorant.
Depuis le fond, ceux qui avaient été comprimés, suffoqués par le poids des corps qui les pressaient contre les murs, se mirent à jouer des coudes pour se sortir de la nasse, malgré les harangues de leurs camarades. Ils défilèrent le long des boucliers, tremblants pour la plupart, la tête baissée, trop effarés pour oser lever les yeux. Quand ils eurent disparu, Yngvar agrippa sa dague, serra une dernière fois la main de son épouse. Elle frémit en devinant ce qu’il s’apprêtait à faire, mais n’eut pas le cœur à tenter vainement de le dissuader. Elle savait très bien ce qu’il aurait répondu. Qu’ils avaient eu leur chance. Qu’ils perdaient du temps. Que son père était certainement par là, non loin.
— Ne fais rien de stupide, soupira-t-elle en se hissant sur la pointe des pieds.
Elle crocheta sa nuque, l’attira contre elle, frotta son nez contre le sien, et il se fendit d’un sourire. Puis, elle se retrancha derrière une autre rangée de soldats, cédant sa place à Uma, et les regarda rabattre la visière de leurs heaumes.
— Avancez, ordonna Yngvar simplement.

Les derniers blessés furent évacués le long d’une colonne de gardes, deux lacets minces mais menaçants, un cordon de métal paré à étrangler toute velléité de rébellion. Même s’il n’en subsistait plus beaucoup. Les rares qui avaient tenu tête jusqu’au bout repartirent portés par les hommes de l’armée régulière, quasiment inconscients. Seuls deux rebelles ne repartirent pas, un homme et une femme, dont Kyara enjamba précautionneusement les corps inertes en s’avançant dans l’impasse. L’odeur de sang lui tournait la tête, mais elle se focalisa sur la montagne près de la taverne, qui finissait de sangler son fourreau dans son dos.
Un verrou métallique avait été posé sur la porte de la taverne, du côté extérieur. Yngvar le fit sauter avec un simple marteau ramassé par terre, mais la porte ne s’ouvrit pas pour autant. Avec un soupir, il leva la main.
— Premier, contrôle du secteur. Uma, fais remonter au Neuvième qu’ils élargissent le périmètre de patrouille. Pas de mauvaise surprise. Et ramène-moi des nouvelles de Sylvar et Isa. Vingt-quatrième, à moi ! aboya-t-il alors qu’elle s’éloignait déjà au pas de course.
Le fracas des bottes cloutées emplit l’espace, le Bataillon appelé s’aligna en colonne dans la ruelle. Vingt-cinq hommes et femmes, plus jeunes que Kyara de quelques hivers seulement, qui considérèrent la bâtisse en silence, attendant les ordres. La taverne, dernier bâtiment de l’impasse, n’avait pas de vitre sur sa façade, seulement une porte en bois, moisissante mais encore solide.
— Ouvrez-moi ça.
Deux soldates s’avancèrent, se concertèrent un moment en chuchotant, puis l’une posa une main sur la porte, et l’autre sur le mur à côté. Kyara s’approcha à pas mesurés, fascinée de les voir enfin en action. Mais, à son grand dépit, rien ne se passa.
Durant une longue minute, les soldats patientèrent dans un silence total, mutiques, focalisés. Puis, soudain, l’une des deux femmes releva la tête vers l’autre, hocha le menton. Un craquement lugubre retentit. Le battant se fendit en deux, fissuré en son centre, bombé vers l’intérieur comme s’il avait été compressé entre deux enclumes, ou comme si les murs avaient soudain fait pression sur la porte. Un autre homme du premier rang, profitant de la faille, s’avança, donna un violent coup de pied, et le bois vola en éclats. Kyara ouvrit la bouche, mais ne parvint pas à prononcer un mot.
Yngvar en revanche se contenta d’un hochement de tête satisfait, et d’un sourire approbateur en voyant les arcs dégainés et les flèches encochées qui pointaient déjà vers l’intérieur de la taverne. Il tira à nouveau sa dague, fit un signe de la main, et s’engouffra dans la salle à l’aveuglette. Mais il n’eut pas à attendre dans le noir bien longtemps car, en passant la porte, un soldat sur quatre faisait apparaître au bout de ses doigts une lumière dorée, solaire, qui bougeait en même temps que sa main et suivait le rythme de ses mouvements.
Kyara demeura dehors le temps qu’ils vérifient que la taverne était vide, un poignard en main, parée à arrêter quiconque tenterait une fuite désespérée, mais personne ne vint. Quand ils annoncèrent que le rez-de-chaussée, l’étage et la cave étaient sécurisés, elle se permit de respirer un peu plus librement, rengaina son poignard, et cria à l’intention de la place principale :
— Amenez la malle !
Puis, elle entra à son tour. D’emblée, son regard fut attiré par les lumières dansantes dans les mains des arcanistes, et un semblant de sourire étira ses lèvres. Le Vingt-quatrième Bataillon Sanglant, le premier à être partiellement composé d’enfants d’Helvethras, porteurs de la magie arcanique. Les premiers soldats de ce qu’on espérait être une longue lignée d’unités d’élite, qui réintroduiraient peut-être même la magie des arcanes sur les terres avaloniennes abandonnées par le Temple depuis des siècles. Des enfants de ce qui avait été Helvethras, élevés avec la rage et la passion de servir l’Empire d’Avalaën.
— C’était ta première bataille, sourit Yngvar en lui tendant la main pour la guider vers les escaliers qui menaient à la cave. Et tu l’as remportée.
Elle entrelaça ses doigts aux siens avec un sourire, soulagée de voir qu’il n’avait rien et qu’il ne perdait pas son calme, malgré la tension omniprésente.
— C’est loin d’être ma première bataille à mes yeux, mais c’est peut-être la première où j’aurai l’impression d’avoir remporté la guerre.
— Mais pour ça, nous devons faire confiance à…
— Je sais, trancha-t-elle plus fermement. Fais-moi confiance, veux-tu ?
Il soupira, mais ne protesta pas, et ils s’installèrent côte à côte sur une caisse de bois qui semblait avoir, une éternité plus tôt, contenu du vin. D’un signe de la main, il désigna une sorte d’épais tapis de chanvre, étrangement posé au centre de la cave, et elle comprit que c’était probablement ce qui dissimulait la trappe. Elle pinça les lèvres, prise d’un soudain doute.
Après les aveux de Mara, Yngvar et elle avaient passé la fin de l’après-midi à étudier les archives de la première guerre d’Helvethras, à la recherche de toutes les mentions de galeries, tunnels et passages secrets. En recoupant cela avec les dires de la fillette qui s’était présentée aux audiences le même jour, Iza, ils avaient fini par déterminer que quatre de ces tunnels, célèbres pour avoir permis quatre-vingts hivers plus tôt la libération de Ciel, n’avaient pas été comblés. L’un d’entre eux débouchait dans cette taverne, et le père d’Iza était certainement l’un des hommes qui s’étaient retranchés sous terre au moment de l’enlèvement de l’Empereur, ou quelques heures auparavant.
Selon Mara, il n’y avait pas plus d’une trentaine de rebelles sous terre. Néanmoins, l’idée d’envoyer vingt-cinq hommes et femmes dans les ténèbres absolues, sur la parole d’une femme qui avait comploté depuis des hivers pour faire renaître Helvethras… Et avec pour seule assurance…
Elle redressa la tête en entendant des grognements dans les escaliers. Aux bruits de pas et de respirations, trois hommes qui ahanaient en transportant quelque chose de lourd. Elle inspira profondément, ferma les yeux, chassa ses doutes. Il était trop tard pour cela. Le Vingt-quatrième avait été divisé en quatre groupes, chacun posté à l’une des entrées des souterrains. Tandis que les autres avaient simplement pour but de bloquer la retraite des rebelles, celui qui était ici avait pour mission de récupérer Saedor. Mais, plutôt que de se fier à leurs capacités d’arcanistes et de les faire entrer avec de la lumière, Kyara avait choisi de faire confiance aux ténèbres. À tort ou à raison, elle ne le savait pas encore.
— Éteignez, commanda-t-elle quand la large malle fut enfin déposée sur le sol de la cave.
Elle sortir de sa poche une pierre lumineuse, la même que celle qu’elle avait utilisée dans la noirceur des cachots, et une faible aura de clarté troubla l’obscurité, juste assez pour lui permettre de soulever avec précaution le couvercle du coffre pendant qu’Yngvar tirait le tapis pour dévoiler la trappe.
— Rowan ? appela-t-elle doucement.
Un craquement. Un choc. Une inspiration un peu brusque, celle de quelqu’un qui n’avait pas fait d’effort physique depuis trop longtemps. Un mort qui retrouvait le souffle de la vie.
— Kyara… murmura-t-il. Tu as dit au moins une partie de la vérité, ce n’est plus ma prison.
Il détailla la cave vide de ses yeux blanchis par les ténèbres, et à l’acuité de ses mouvements de tête, Kyara comprit qu’il voyait bien mieux qu’elle dans le noir quasiment absolu. La pierre lumineuse, pour elle, n’éclairait même pas assez pour qu’elle puisse discerner Yngvar à moins de deux pas, mais Rowan prenait déjà ses marques, repérant l’espace à la manière d’une chouette, triangulant par brefs mouvements de tête. Elle tendit lentement, précautionneusement, une main vers lui.
— Tu sais pourquoi je t’ai fait venir.
Pour que tu nous aides. Pour que tu pardonnes. Pour que tu puisses revenir parmi les vivants.
— Je sais.
Sa voix était moins rauque, son ton un peu plus ferme. Elle s’était assurée, la veille déjà, qu’il ait suffisamment à manger, et qu’on lui donne des vêtements plus chauds. Mais, lorsqu’il prit sa main tendue, ses doigts étaient aussi glacés que ceux d’un mort et, en fermant les doigts, elle pouvait faire le tour de l’os de son poignet. Car il n’y avait rien d’autre que peau et os dans son corps pour le moment.
Elle aurait voulu lui donner davantage de temps pour récupérer, mais la situation pressait trop pour qu’elle se permette de patienter, pour le laisser s’accoutumer à une existence plus humaine. Elle l’aida à se redresser, effarée de sentir qu’il pesait à peu près autant que son fils de dix hivers.
— Je ne leur pardonne pas. Si je le fais, c’est uniquement pour toi… grommela-t-il enfin.
Parce que tu es la seule personne pour qui j’aurais donné ma vie, avant, avait-il dit quelques heures plus tôt, dans les prisons, quand elle l’avait supplié d’aider. Et parce que tu es le seul rai d’espoir dans une éternité de ténèbres, et que je damnerais mon âme pour cet espoir.
— Rowan, insista-t-elle, si tu les guides, tu pourras revenir à la surface.
— Et je reverrai la lumière du soleil ?
— Je te le promets.
Il grinça des dents, mais finit par approuver d’un grommellement. D’un pas incertain, vacillant, il s’engagea hors de la malle. Elle glissa la pierre dans sa poche, pressa sa main en priant pour ne pas la casser, hésita. Le Vingt-quatrième avait des instructions très claires quant à la conduite à tenir si Rowan changeait de bord ou si un incident survenait.
— Reviens, d’accord ?
Dans les ténèbres, elle ne vit pas le mince sourire qu’il esquissait. Le sourire d’un naufragé qui apercevait l’ombre de la terre ferme.

◊~◊~◊

ÉPILOGUE
Dernière modification par vampiredelivres le mer. 09 mars, 2022 11:27 pm, modifié 1 fois.
louji

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Re: Dynasties / Kyara IV (4/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : lun. 28 févr., 2022 3:59 pm
LA PACIFICATRICE
(4/4)


Malgré la chaleur de l’été, une brise froide soufflait sur les jardins quand Kyara sortit du château au coucher du soleil. Elle fut parcourue d’un frisson, mais il était davantage dû à la silhouette solitaire qui l’attendait qu’à l’air frais qui caressait ses bras nus. Elle se demanda un instant pourquoi sa mère avait choisi, de tout lieu dans le jardin, cette tombe sans nom, puis elle songea que cela n’aurait de toute manière guère d’importance.
Parvenue à quelques pas de sa mère, juste assez loin pour ne pas encore être à portée d’oreille, elle prit une profonde inspiration, rassembla toute la colère, l’anxiété et les doutes qui l’avaient hantée durant ces longues heures d’inaction. Les Bataillons étaient en train de se démener pour essayer de retrouver une trace de l’Empereur, le calme d’Yngvar était une façade dangereusement trouble qui menaçait de s’effondrer à tout instant, et elle s’étonnait encore que l’Impératrice, à qui ils avaient parlé grâce à un cristal enchanté par magie arcanique, ne leur ait pas déjà ordonné de mettre la ville à feu et à sang. La totalité des troupes impériales frémissaient d’une tension électrique, qui menaçait d’exploser à tout instant, et la seule solution viable était de faire admettre à Mara où avait été emmené Saedor.
— Ma chérie, sourit Mara en la voyant approcher. :arrow: mdr oh le culot
Elle arborait désormais fièrement ce sourire que Kyara avait vu glisser sur ses lèvres à la bibliothèque, un mélange de satisfaction et de mépris, une grimace grinçante qui trahissait sa culpabilité et son arrogance. L’ancienne Reine était certaine d’avoir vaincu sans combattre, d’avoir les armes pour forcer l’Empire à ployer. Et Kyara devait admettre qu’elle avait joué ses cartes correctement.
— Mère ! C’est une folie…
Elle plongea néanmoins dans les bras ouverts avec la sensation qu’elle se laissait étrangler par un serpent. Même les froides étreintes de l’Impératrice la glaçaient moins que ces bras chauds qui ne faisaient que feindre l’affection.
— C’est une folie qui fonctionne bien, comme tu auras pu le réaliser.
— Mais comment…
— Tu n’as pas besoin de savoir. Personne ne te suspecte, je suppose ?
Intérieurement, Kyara grimaça un sourire sans joie. Mara avait bien joué ses cartes, mais elle n’avait aucune idée de ce à quoi elle s’exposait. Elle n’avait jamais vu le déferlement des Bataillons sur Ciel, les plaines gorgées de sang, les massacres. Quand le danger s’était faite trop pesant, elle avait fui. Et elle essaierait certainement de faire la même chose aujourd’hui.
— Absolument pas ! répondit-elle néanmoins. Ils ont parlé devant moi de conduits secrets entre les maisons… ils vont fouiller la ville dans la nuit.
— Les imbéciles, ricana Mara. Ils peuvent toujours continuer de chercher à la surface, ils n’y trouveront rien.
Kyara sentit un frisson glacé courir le long de son échine. Ces derniers mots étaient un aveu, celui qu’elle avait escompté. Mara trempait dans cet enlèvement jusqu’au cou… et elle en subirait les conséquences. Elle inspira à pleins poumons l’air chargé de parfums floraux, fronça le nez en sentant une odeur de charbon, âcre et irritante, piquer son nez.
— En tout cas, tu as parfaitement joué ton rôle, chérie.
Kyara enlaça sa mère plus fort, s’autorisa un tremblement dans la voix en murmurant :
— Mère… j’ai peur pour moi… Si Yngvar apprend…
— Il a le choix entre baisser les armes, ou perdre son père. Je pense qu’il saura prendre une décision raisonnable. Mais viens donc prendre le thé avec Helena, nous pourrons en parler plus au calme. Je doute que l’on requière ta présence ailleurs, de toute manière, non ?
Luttant pour sourire et acquiescer malgré la colère qu’elle éprouvait, Kyara s’arracha à l’étreinte du serpent et prit sa mère par le bras. Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête, fulgurantes, essayant de créer un lien entre tout ce qu’elle avait entendu. Helena était au courant. Étant donné qu’elle était la meilleure amie de Mara, Kyara n’était pas vraiment surprise, mais une sensation inédite était née dans sa poitrine. Une appréhension qu’elle assimila au frisson de la chasse à courre, l’excitation de remonter une piste. Elle avait oublié de relever quelque chose, elle en était certaine.
Sur les quelques dizaines de toises qui les ramenaient au château, elle rembobina la conversation en silence, la déroula à nouveau, se figea soudain.
— Kyara, chérie ?
En surface.
Soudain, une association d’idées improbable se fit dans son esprit, éliminant toutes les pensées parasites. La gamine des audiences, quelques heures plus tôt, dont le père avait disparu. La reconquête de Ciel, quelques quatre-vingts hivers auparavant. Rowan, prisonnier des ténèbres.
Elle comprit où était Saedor. Et, plus que cela, elle sut aussi comment ils pourraient peut-être le ramener.
— Tout va bien, mère. Un simple vertige.
Elle se remit en marche, un léger sourire caustique aux lèvres. Arrivée aux portes de l’aile sud, elle s’immobilisa cependant à nouveau, prit une quelques secondes pour se concerter avec elle-même, évaluant les conséquences de sa décision, comme Eliane le lui avait appris. Une éternité auparavant, un soir où on avait tenté de la faire évader, elle avait choisi Avalaën. Elle avait choisi sa propre sécurité, une vie plus simple et stable, mais aussi un équilibre plus sain, tant pour ses enfants que pour l’Empire. Elle avait refusé de plonger ce qui restait à l’époque du Royaume d’Helvethras dans un nouveau bain de feu et de sang.
— Mère ?
Le souvenir lointain des remparts de Ciel dans le coucher de soleil rougeoyant, des armures salies et des corps sans vie, l’effleura.
— Qu’y a-t-il, ma chérie ? Tu sembles troublée.
— As-tu déjà vu un homme mort ?
Mara se figea. Un frémissement visible parcourut ses épaules, elle pivota lentement. Kyara lui sourit avec une douceur calculée, enfin en paix avec elle-même. Elle ne ressentait plus de peur en voyant le visage sévère de sa mère. Il n’y avait plus d’amertume dans sa gorge lorsqu’elle songeait aux années qu’elle avait passées à essayer de se faire aimer pour ce qu’elle était, et pas pour ce qu’elle pouvait devenir. Car elle aimait celle qu’elle était devenue sans sa mère.
— Je ne…
— J’avais dix-sept hivers quand j’ai vu une plaine de cadavres. Le lendemain, Père a été décapité, et oncle Aidan a été égorgé devant mes yeux.
Mara battit des paupières sans comprendre où sa fille voulait en venir. À son expression, Kyara sut qu’elle sentait que la discussion lui échappait.
— Et c’est pour ça que…
— Non, Mère. C’est pour ça que je choisis Avalaën, asséna-t-elle. Ce que tu promets, c’est un nouveau massacre. Et c’est absolument hors de question. J’ai vu les ravages de la guerre, contrairement à toi, j’en ai expérimenté les conséquences.
Elle vit Mara se décomposer, ne lui laissa pas le temps d’intervenir.
— Je te laisse une chance d’accepter la situation et de me dire exactement où Saedor a été emmené.
Un lourd silence tomba, à peine rompu par les sifflements du vent dans les feuillages lointains. Les yeux rivés dans ceux de sa mère, Kyara ne flancha pas, même quand cette dernière cingla, soudain aussi venimeuse qu’une vipère :
— Tu es folle. Après tout ce que tu as subi entre leurs mains, tu veux les soutenir ? Les protéger ? Tu ne sais plus qui tu es. Tu étais ma fille, mais tu n’es plus…
Kyara ne lui laissa pas le temps de finir. L’agrippant par les cheveux, elle lui renversa la tête en arrière, lui tordit un bras dans le dos. Mara poussa une plainte de douleur, mais Kyara ne s’en préoccupa pas. Un instant, elle eut même peur de sa propre indifférence quand elle ne sentit ni rage ni colère en se penchant pour siffler à son oreille :
— Je sais qui je suis. Je suis la fille de Jesten de Ciel. J’ai renoncé au trône d’un Royaume pour la paix, et c’est en maintenant la paix que je règnerai sur cet Empire. Tu as eu ta chance, Mère, mais tu as préféré fuir quand il aurait fallu faire face. Maintenant, dis-moi ou :arrow: est l’Empereur, ou subis les conséquences.
— Kyara, s’il te plaît, réfléchis… Ce n’est pas ce que tu veux…
L’accent de terreur dans le ton de l’ancienne souveraine était impossible à manquer, mais il n’émut pas Kyara. Au contraire même, il renforça son assurance, la conforta dans ses certitudes. Elle utilisa sa main libre pour faire un signe de la main en direction de la fenêtre, poussa un soupir en tirant sèchement sur les cheveux lissés de sa mère, lui arrachant un nouveau gémissement.
— Après treize hivers d’absence, tu as perdu le droit de penser savoir ce que je veux.
— Vas-tu vraiment me blâmer de cela alors que j’ai essayé de te faire évader de la Citadelle ? gronda Mara, toujours aussi effrayée, cherchant le moindre appui pour se défendre.
Les soldats, qui s’étaient déversés par les portes grandes ouvertes, pilèrent net en entendant les derniers mots, s’entre-regardèrent, soudain incertains.
— Évader ? C’est gentil, mais tu m’as en vérité confortée dans ma décision de rester. Que serais-je devenue, une vagabonde hagarde cherchant désespérément à recouvrer un trône avec une armée inexistante, dans les ruines d’un Royaume dont tu ne t’es jamais préoccupée ? Une vaine promesse d’espoir pour ceux qui auraient encore osé lutter, la responsable de nouvelles morts inutiles ?
— Kyara, tu as perdu la raison… Je t’assure que tout ce que j’ai fait, c’était dans l’unique but de te protéger…
Elle frémit en entendant le trémolo dans la voix, nota un sillon brillant sur la peau sombre de la femme, trace éphémère d’une larme qui s’était perdue dans son cou. Un instant, elle eut envie de croire que malgré tout ce qu’elle avait fait de travers, sans comprendre combien de tort elle causait, Mara l’avait fait avec une bonne volonté. Puis, elle songea à Saedor, à l’enfer qu’il devait traverser en ce moment même, prisonnier dans les noires galeries qui couraient sous la ville, aux mains d’hommes qui ne lui vouaient certainement pas de l’affection, et son cœur se glaça d’une froide résolution.
— J’ai appris à me protéger seule. Maintenant, Mère, il est temps que tu apprennes à ton tour. Dis-moi où est Saedor, et je pourrai t’épargner une mort douloureuse. Mais crois-moi, si tu te tais, rien ne pourra te sauver.
Elle donna ses ordres par langage codé, en brefs mouvements de main et de poignet. Puis, elle précipita brusquement Mara dans les bras des soldats, qui la maîtrisèrent en un battement de cils, lui lièrent solidement les poignets dans le dos avec une cordelette, et la firent pivoter à nouveau face à Kyara. Désormais, le visage sombre et sévère, dont elle avait toujours regretté l’impassibilité et la froideur, était tordu de rage et de peur.
— Où est l’Empereur ? asséna-t-elle encore une fois.
Comme chez Yngvar à peine une heure plus tôt, elle vit une ombre de doute obscurcir son regard, sentit la brèche. Puisant dans les tréfonds de ce qu’Eliane lui avait enseigné pour rompre la digue, elle laissa toute familiarité déserter sa propre expression, ferma son cœur à la moindre compassion.
— Ultime chance, Mara.
Après une dernière révolte, une dernière tentative désespérée de lever le menton et de serrer les dents, Mara s’affaissa dans les bras de ses bourreaux, secouée de sanglots.
— Dans le quartier du Temple… une galerie oubliée débouche derrière une taverne…
Kyara écouta attentivement, nota mentalement tout ce que la femme lui disait, elle-même fascinée par le détachement dont elle parvenait à faire preuve. Et quand, finalement, elle pensa avoir toutes les informations dont elle avait besoin, elle se fendit d’un sourire, un rictus ceux et froid, comme celui qu’elle avait esquissé quand elle avait perdu Amali. Le sourire du deuil.
— Gadric, fais-la enfermer dans sa suite. Surveillée par le Douzième.
— À tes ordres, Avelke Sen.
Le titre familier parvint à dissoudre un instant l’amertume du rictus de Kyara, elle hocha la tête.
— Et, Mara ?
Sa mère, qui avait fixé les dalles de pierre grise depuis qu’elle avait cessé de parler, releva les yeux mais n’osa pas proférer un mot.
— Si j’ai besoin d’autre chose, je reviendrai te voir. Et je te prie de te rappeler que, si tu décides de reconsidérer ta collaboration, je réviserai également ma position à ton sujet.
— Je ne veux pas mourir… Avelke Sen… finit-elle par murmurer.
Kyara faillit admettre que la décision ne dépendait pas vraiment d’elle, puis elle songea que, si c’était nécessaire, elle saurait raisonner Yngvar. Pour l’Impératrice, en revanche, ce serait une autre paire de manches. Et, en vérité, cela dépendrait seulement de la bonne volonté de Mara à démanteler tout le réseau de résistance qu’elle avait bâti ces derniers hivers, jusqu’à ce qu’il n’en reste que cendre et poussière.

Au coucher du soleil, ils se tenaient dans un mutisme mortuaire au centre d’une petite place, les yeux rivés sur l’impasse qui menait à la Taverne de l’Âne Bossu. La taverne en question n’était qu’une chaumière miteuse, branlante, tenant seulement debout par la puissance des arcanes, mais elle était défendue. Comment avaient-ils su que les Bataillons viendraient, Kyara n’en avait aucune idée, mais toujours était-il qu’une foule s’était rassemblée pour bloquer le passage. Dans la ruelle étroite, les citadins étaient si proches les uns des autres qu’ils formaient un rempart, plus solide certainement que les murs de la bâtisse qu’ils protégeaient. Ils étaient armés, pour certains, de couteaux ébréchés, de marteaux rouillés, ou simplement de bâtons et de poings, mais leurs yeux étaient incandescents, aussi brillants que des flammes fraîchement ravivées. Une colère muette, étouffée, alourdissait l’ambiance, échauffait la pièce, dévorait les cœurs. Kyara la sentait jusque dans ses veines, comme une pulsation dans l’air tiède, une main glacée pesant sur sa nuque, étreignant son cœur d’appréhension. Elle lisait leur haine dans leurs yeux à tous, comme un reflet de la rage qui l’avait habitée par le passé. Mais elle avait tenu à être présente, sachant parfaitement que, si elle n’était pas là, personne ne convaincrait Rowan.
Au moment même où elle songeait à lui, un claquement de sabots ferrés emplit le silence, résonna entre les murs de pierre. Elle tourna la tête, juste à temps pour voir la calèche s’arrêter à une trentaine de pas de là, derrière les rangées du Premier Bataillon.
Durant de longues secondes, rien ne se passa. La tension électrique qui régnait sur la foule semblait se propager dans l’air comme une odeur d’orage, crépiter entre les corps, menaçante, destructrice. La chaleur se fit étouffante, le silence assourdissant. Yngvar, qui lui tenait la main, la serra doucement, et elle lui rendit la pression, les paumes moites, frissonnante. Des chuchotements commençaient à s’élever.
Murmure après murmure, un chant enfla, une litanie enfiévrée s’éleva des gorges serrées par la peur et la colère. Elle monta en puissance, tumultueuse, haineuse, portée par la résonance, jusqu’à devenir un rugissement de fureur et de haine, un vent de tempête qui aurait forci au fil des ans jusqu’à être capable de renverser un palais.
— À BAS L’USURPATEUR !
— MORT AUX CORBEAUX !
Les soldats se crispèrent, les mains serrées sur leurs armes, l’un des capitaine leva la tête vers Yngvar, attendant les ordres. Kyara discerna la peur dans leurs yeux autant que dans ceux de ses sujets. Ils savaient pertinemment que si un combat devait s’engager, l’espace clos jouerait en leur défaveur.
Elle lâcha la main d’Yngvar, s’en libéra comme un souffle d’air, se releva. Après avoir adressé un geste qui signifiait la patience au capitaine Erald, elle s’avança d’un pas, et riva son regard sur un homme. Un seul, au deuxième rang, un petit homme tout rabougri, asséché par les étés, affaissé sous la charge de son labeur. Elle ne voyait de ses vêtements qu’une tunique de lin élimée, qui ne devait guère le protéger des vents froids, elle voyait sur sa joue et son cou une trace de suie noire. Il devait être un mineur de l’ouest de Terre. Il paraissait vieux, fatigué, et las de porter chaque jour des sacs de charbon sur son dos ou de pousser des wagons dans des tunnels étroits et escarpés. Comment ou pourquoi il était venu à Ciel, elle n’en avait aucune idée, mais il était là ce soir pour lui hurler sa rage au visage.
La colère des deux premiers rangs s’apaisa au fur et à mesure que les gens se tournaient vers cet homme sur qui elle concentrait toute son attention. Elle le fixa intensément, d’un air calme et neutre qui ne laissait pas transparaître son cœur battant à un rythme effréné et ses paumes toujours aussi moites. Puis, quand la paix revint dans les premiers rangs, elle chercha une autre silhouette un peu plus loin. Ses yeux tombèrent sur une femme qui haranguait les autres autour d’elle. Jeune, mince, des cheveux d’un blond aussi clair que les blés, une rage destructrice dévorant ses traits doux, elle ressemblait à une princesse qu’on aurait arrachée à son conte pour en faire une servante. Elle était trop loin pour que Kyara puisse déterminer d’où elle venait, mais elle ne la lâcha pas du regard pour autant. Quand elle sentit que l’attention se focalisait sur elle, la femme releva la tête d’un air de défi et fixa Kyara la tête haute, tout en continuant à scander sa colère. Kyara haussa les sourcils, refusant de détourner les yeux, et la femme continua de crier.
Mais à mesure que leur affrontement silencieux se poursuivait, sa colère se fit moins virulente, les hurlements autour d’elle décrurent en intensité. Bientôt, elle était presque la seule à bouger les lèvres, à l’exception de quelques rares personnes autour d’elle qui semblaient être ses amis ou sa famille. La princesse inclina lentement la tête, laissa un bref sourire éclairer ses lèvres, et les mots de la femme moururent à leur tour, entraînant ceux des personnes autour.
Elle répéta son manège encore deux fois, une fois au centre de la foule, où elle s’arrima à une tête hérissée de cheveux bruns en épis, qui baissa les yeux après quelques secondes seulement, puis enfin au fond, si loin qu’elle ne discerna qu’une forme vague, où elle dut fixer un unique point en se convainquant qu’il y avait bien quelqu’un à cet endroit. Là, le calme fut plus lent à revenir, mais il gagna progressivement en force au fur et à mesure que les gens se lassaient de hurler et imitaient leurs pairs des rangs de devant.
Lorsque le silence revint enfin, Kyara avait l’impression d’avoir mené une bataille. Elle souffla profondément, inspira le calme qui s’était installé, aussi fragile que du cristal, rouvrit les yeux pour se fixer à nouveau sur cette femme, au centre.
— Quand j’ai quitté Ciel, il y a douze étés de cela, entama-t-elle aussi fort que sa voix le lui permettait sans crier, je me sentais seule et démunie. Désespérée, même. Nous venions de perdre la guerre, et j’étais celle qui s’était inclinée. J’avais vendu la liberté de mon royaume, et la mienne au passage, contre un semblant de sécurité.
Elle s’interrompit, le cœur battant. La sensation aiguë de l’attention d’Yngvar qui pesait sur ses épaules lui donna envie de pivoter vers lui, de chercher du soutien dans ses yeux lilas et sa façade froide et composée, mais elle s’en abstint. Les mots qu’elle aurait voulu proférer quittèrent son esprit, remplacés par un flot plus sincère, plus pur, que tous les discours qu’elle aurait pu écrire ou envisager jusque-là.
— En temps de guerre, le plus difficile et le plus destructeur est de faire notre mieux en sachant que cela ne suffit pas, n’est-ce pas ?
La femme qu’elle regardait toujours, droit dans les yeux, s’agita, l’air gênée.
— Je suis partie en sacrifiant ce que j’avais de plus cher, en abandonnant tous les liens qui me retenaient ici. C’était pour éviter les massacres qui auraient pu suivre. Mais je ne veux ni ne mérite votre pitié, car je sais que j’ai fait de mon mieux, défia-t-elle. Même si j’avais peur. Qui d’entre vous n’a pas peur, ici, ce soir ?
Un vent de murmures secoua l’assemblée, les personnes s’entre-regardèrent, soudain nerveuses. Quelques rares, discrètes, mains se levèrent, et plusieurs d’entre elles s’abaissèrent à nouveau un instant plus tard. Kyara sourit, fixa la dizaine de cœurs vaillants un à un, et admit avec un léger rire attristé :
— J’aurais aimé être l’une de vous.
Les mains se baissèrent, le murmure enfla, mais elle le rompit en quelques mots.
— Au lieu de cela, j’ai passé des lunes à avoir peur. À nier que j’avais peur. À enrager en silence contre mon incapacité à changer les choses.
Elle songea aux longues soirées qu’elle avait passées à fixer le plafond en rêvant d’être ailleurs, à la colère qui l’avait habitée durant une éternité, qui l’avait dévorée, empoisonnée. Elle se rappela la sensation des petites mains d’Amali dans les siennes, et la sensation fantôme du poids dans ses bras revint la hanter comme un vieil amour jamais vraiment oublié. L’envie de serrer ses mains contre sa poitrine lui comprima la gorge, elle lutta pour la réfréner de son mieux, esquissa quelques pas sur le côté pour s’en débarrasser, occuper son esprit à autre chose. La foule la suivit du regard, s’orienta dans sa direction. La colère n’avait pas quitté leurs visages, mais ils écoutaient.
— Je comprends votre colère, admit-elle sans mal. Je l’ai ressentie. Par les arcanes, je la ressens encore parfois !
Un rire anxieux lui échappa. Il se propagea dans l’assemblée par petites vagues successives, nerveuses, qui retombèrent l’une après l’autre.
— Mais j’ai choisi de changer, finalement. J’ai accepté l’idée que ce qui était n’est plus, et que je dois saisir les opportunités qui s’offrent à moi. Helvethras n’est plus, asséna-t-elle, et ne sera plus jamais car je refuse d’être celle qui nous précipitera à nouveau dans la guerre.
Le silence fut bref, stupéfait, puis les dissidents explosèrent en cris tonitruants et en hurlements de colère et d’injustice. Seules quelques rares personnes, notamment celles que Kyara avait silencieusement pris à parti la première fois, demeurèrent immobiles, figées par l’étonnement et l’incompréhension. Kyara, quelque peu démunie, se permit de couler un regard interrogateur à Yngvar, qui lui rendit un bref sourire, accompagné d’un hochement de tête. Il fit un signe de la main à son capitaine, qui s’approcha d’un pas vif, lui souffla quelques mots à l’oreille. L’homme grimaça, mais acquiesça, et tira son épée. Le crissement de la lame contre son fourreau déchira les oreilles de la masse, qui se remit à hurler, de peur cette fois.
Du côté de la place, partiellement dégagée, une rangée de soldats se mit d’un seul mouvement en position de combat, boucliers dressés, épées dégainées, les hallebardes de leurs compagnons pointant par-dessus leurs épaules pour protéger les creux de leur défense. Dans l’impasse, les gens se mirent à se bousculer, paniqués, pour s’éloigner des premiers rangs. Kyara capta ici un visage blême de terreur, là un regard empli d’effroi à la vue du fer de lance qui se dressait en face de lui. Quelques hommes tentèrent de se frayer un chemin à coups de poings entre les soldats, mais sur les côtés, le reste du Bataillon déferlait comme une marée, prenait possession de l’espace, couvrait les angles morts, se déployant avec l’aisance des années d’entraînement.
— LAISSEZ-NOUS PASSER ET IL NE VOUS SERA FAIT AUCUN MAL, tonna Yngvar.
Sa voix porta aisément par-dessus le tollé ambiant, ricochant contre les murs de pierre, faisant trembler la place elle-même. Un calme incertain retomba.
— Partez maintenant, plaida Kyara. Je vous en prie.
Une douzaine de personnes laissèrent tomber leurs armes improvisées, et pour eux, un chemin fut dégagé le long des murs de la place. Aucun soldat du Premier ne tenta de les intercepter, sachant pertinemment que, plus loin, le Vingt-quatrième, le Neuvième et une bonne partie de l’armée impériale stationnée à Ciel, se chargerait d’arrêter les fugitifs et de les questionner. Et c’était sans compter sur le quart du Vingt-quatrième, qui patientait non loin. Yngvar n’avait pas tenu à prendre le moindre risque pour la sécurité de son père, raison pour laquelle la nouvelle de l’intervention militaire s’était certainement propagée. Mais Kyara savait que, si elle avait eu à décider, elle aurait probablement fait le même choix.
Les plus sains d’esprit étant partis, les résistants s’entre-regardèrent, soudain hésitants. Ils savaient bien qu’ils ne faisaient pas le poids face aux cent hommes du Premier Bataillon Sanglant, mais la rage était encore trop fraîche et la tension trop forte pour qu’ils se résignent à baisser les armes.
— Gadric, appui à la sortie, commanda le Corbeau. Sylvar, défense latérale. Isa, Arali, poussée au centre.
Fascinée par la fluidité mécanique de leurs mouvements, Kyara recula de quelques pas, et les bras d’Yngvar l’enveloppèrent. Elle se figea.
— Pas de morts, s’il te plaît.
Il hocha la tête, l’air sombre, le visage fermé.
— Dans la mesure du possible.
Ses yeux violets furetèrent dans l’espace, analysant les positions, guettant les failles.
— Zeracsar, le flanc gauche ! aboya-t-il. Skara, couvre-le !
Non-loin, un guerrier se replaça d’un pas vif dans une ouverture qui s’était créée, bloquant des fuites intempestives. La femme à ses côtés, impossible à différencier d’un homme dans son armure de métal, para de son gantelet un coup de poing qui aurait été destiné à Zeracsar. Au centre, la poussée se poursuivait dans la panique de la foule, pareille à un troupeau de moutons à l’approche d’une meute de loups. Les lames édentées semblaient soudain bien fragiles face aux fils aiguisés du Bataillon, et la crainte gagnait sur la défiance. À l’arrière, les hommes se pressaient les uns contre les autres tandis que ceux à l’avant battaient en retraite sous la pression. Yngvar prit une profonde inspiration, que Kyara sentit résonner jusque dans ses os.
— TENEZ LA POSITION !
Les hommes du Bataillon cessèrent d’avancer, s’immobilisèrent, et fixèrent la populace paniquée dans le un silence menaçant. L’un des rebelles, voulant certainement profiter d’une accalmie, eut la folle idée de se ruer en avant, couteau levé haut. Une lance lui transperça l’épaule, dangereusement proche de son cou, et il poussa un hurlement de douleur. Dans le soudain silence, le tintement aigu de la lame qui cognait contre les pavés fit frissonner les civils.
— Déposez vos armes, répéta Kyara d’une voix forte, commandant plutôt qu’implorant.
Depuis le fond, ceux qui avaient été comprimés, suffoqués par le poids des corps qui les pressaient contre les murs, se mirent à jouer des coudes pour se sortir de la nasse, malgré les harangues de leurs camarades. Ils défilèrent le long des boucliers, tremblants pour la plupart, la tête baissée, trop effarés pour oser lever les yeux. Quand ils eurent disparu, Yngvar agrippa sa dague, serra une dernière fois la main de son épouse. Elle frémit en devinant ce qu’il s’apprêtait à faire, mais n’eut pas le cœur à tenter vainement de le dissuader. Elle savait très bien ce qu’il aurait répondu. Qu’ils avaient eu leur chance. Qu’ils perdaient du temps. Que son père était certainement par là, non loin.
— Ne fais rien de stupide, soupira-t-elle en se hissant sur la pointe des pieds.
Elle crocheta sa nuque, l’attira contre elle, frotta son nez contre le sien, et il se fendit d’un sourire. Puis, elle se retrancha derrière une autre rangée de soldats, cédant sa place à Uma, et les regarda rabattre la visière de leurs heaumes.
— Avancez, ordonna Yngvar simplement.

Les derniers blessés furent évacués le long d’une colonne de gardes, deux lacets minces mais menaçants, un cordon de métal paré à étrangler toute velléité de rébellion. Même s’il n’en subsistait plus beaucoup. Les rares qui avaient tenu tête jusqu’au bout repartirent portés par les hommes de l’armée régulière, quasiment inconscients. Seuls deux rebelles ne repartirent pas, un homme et une femme, dont Kyara enjamba précautionneusement les corps inertes en s’avançant dans l’impasse. L’odeur de sang lui tournait la tête, mais elle se focalisa sur la montagne près de la taverne, qui finissait de sangler son fourreau dans son dos.
Un verrou métallique avait été posé sur la porte de la taverne, du côté extérieur. Yngvar le fit sauter avec un simple marteau ramassé par terre, mais la porte ne s’ouvrit pas pour autant. Avec un soupir, il leva la main.
— Premier, contrôle du secteur. Uma, fais remonter au Neuvième qu’ils élargissent le périmètre de patrouille. Pas de mauvaise surprise. Et ramène-moi des nouvelles de Sylvar et Isa. Vingt-quatrième, à moi ! aboya-t-il alors qu’elle s’éloignait déjà au pas de course.
Le fracas des bottes cloutées emplit l’espace, le Bataillon appelé s’aligna en colonne dans la ruelle. Vingt-cinq hommes et femmes, plus jeunes que Kyara de quelques hivers seulement, qui considérèrent la bâtisse en silence, attendant les ordres. La taverne, dernier bâtiment de l’impasse, n’avait pas de vitre sur sa façade, seulement une porte en bois, moisissante mais encore solide.
— Ouvrez-moi ça.
Deux soldates s’avancèrent, se concertèrent un moment en chuchotant, puis l’une posa une main sur la porte, et l’autre sur le mur à côté. Kyara s’approcha à pas mesurés, fascinée de les voir enfin en action. Mais, à son grand dépit, rien ne se passa.
Durant une longue minute, les soldats patientèrent dans un silence total, mutiques, focalisés. Puis, soudain, l’une des deux femmes releva la tête vers l’autre, hocha le menton. Un craquement lugubre retentit. Le battant se fendit en deux, fissuré en son centre, bombé vers l’intérieur comme s’il avait été compressé entre deux enclumes, ou comme si les murs avaient soudain fait pression sur la porte. Un autre homme du premier rang, profitant de la faille, s’avança, donna un violent coup de pied, et le bois vola en éclats. Kyara ouvrit la bouche, mais ne parvint pas à prononcer un mot.
Yngvar en revanche se contenta d’un hochement de tête satisfait, et d’un sourire approbateur en voyant les arcs dégainés et les flèches encochées qui pointaient déjà vers l’intérieur de la taverne. Il tira à nouveau sa dague, fit un signe de la main, et s’engouffra dans la salle à l’aveuglette. Mais il n’eut pas à attendre dans le noir bien longtemps car, en passant la porte, un soldat sur quatre faisait apparaître au bout de ses doigts une lumière dorée, solaire, qui bougeait en même temps que sa main et suivait le rythme de ses mouvements.
Kyara demeura dehors le temps qu’ils vérifient que la taverne était vide, un poignard en main, parée à arrêter quiconque tenterait une fuite désespérée, mais personne ne vint. Quand ils annoncèrent que le rez-de-chaussée, l’étage et la cave étaient sécurisés, elle se permit de respirer un peu plus librement, rengaina son poignard, et cria à l’intention de la place principale :
— Amenez la malle !
Puis, elle entra à son tour. D’emblée, son regard fut attiré par les lumières dansantes dans les mains des arcanistes, et un semblant de sourire étira ses lèvres. Le Vingt-quatrième Bataillon Sanglant, le premier à être partiellement composé d’enfants d’Helvethras, porteurs de la magie arcanique. Les premiers soldats de ce qu’on espérait être une longue lignée d’unités d’élite, qui réintroduiraient peut-être même la magie des arcanes sur les terres avaloniennes abandonnées par le Temple depuis des siècles. Des enfants de ce qui avait été Helvethras, élevés avec la rage et la passion de servir l’Empire d’Avalaën.
— C’était ta première bataille, sourit Yngvar en lui tendant la main pour la guider vers les escaliers qui menaient à la cave. Et tu l’as remportée.
Elle entrelaça ses doigts aux siens avec un sourire, soulagée de voir qu’il n’avait rien et qu’il ne perdait pas son calme, malgré la tension omniprésente.
— C’est loin d’être ma première bataille à mes yeux, mais c’est peut-être la première où j’aurai l’impression d’avoir remporté la guerre.
— Mais pour ça, nous devons faire confiance à…
— Je sais, trancha-t-elle plus fermement. Fais-moi confiance, veux-tu ?
Il soupira, mais ne protesta pas, et ils s’installèrent côte à côte sur une caisse de bois qui semblait avoir, une éternité plus tôt, contenu du vin. D’un signe de la main, il désigna une sorte d’épais tapis de chanvre, étrangement posé au centre de la cave, et elle comprit que c’était probablement ce qui dissimulait la trappe. Elle pinça les lèvres, prise d’un soudain doute.
Après les aveux de Mara, Yngvar et elle avaient passé la fin de l’après-midi à étudier les archives de la première guerre d’Helvethras, à la recherche de toutes les mentions de galeries, tunnels et passages secrets. En recoupant cela avec les dires de la fillette qui s’était présentée aux audiences le même jour, Iza, ils avaient fini par déterminer que quatre de ces tunnels, célèbres pour avoir permis quatre-vingts hivers plus tôt la libération de Ciel, n’avaient pas été comblés. L’un d’entre eux débouchait dans cette taverne, et le père d’Iza était certainement l’un des hommes qui s’étaient retranchés sous terre au moment de l’enlèvement de l’Empereur, ou quelques heures auparavant.
Selon Mara, il n’y avait pas plus d’une trentaine de rebelles sous terre. Néanmoins, l’idée d’envoyer vingt-cinq hommes et femmes dans les ténèbres absolues, sur la parole d’une femme qui avait comploté depuis des hivers pour faire renaître Helvethras… Et avec pour seule assurance…
Elle redressa la tête en entendant des grognements dans les escaliers. Aux bruits de pas et de respirations, trois hommes qui ahanaient en transportant quelque chose de lourd. Elle inspira profondément, ferma les yeux, chassa ses doutes. Il était trop tard pour cela. Le Vingt-quatrième avait été divisé en quatre groupes, chacun posté à l’une des entrées des souterrains. Tandis que les autres avaient simplement pour but de bloquer la retraite des rebelles, celui qui était ici avait pour mission de récupérer Saedor. Mais, plutôt que de se fier à leurs capacités d’arcanistes et de les faire entrer avec de la lumière, Kyara avait choisi de faire confiance aux ténèbres. À tort ou à raison, elle ne le savait pas encore.
— Éteignez, commanda-t-elle quand la large malle fut enfin déposée sur le sol de la cave.
Elle sortir :arrow: sortit de sa poche une pierre lumineuse, la même que celle qu’elle avait utilisée dans la noirceur des cachots, et une faible aura de clarté troubla l’obscurité, juste assez pour lui permettre de soulever avec précaution le couvercle du coffre pendant qu’Yngvar tirait le tapis pour dévoiler la trappe.
— Rowan ? appela-t-elle doucement.
Un craquement. Un choc. Une inspiration un peu brusque, celle de quelqu’un qui n’avait pas fait d’effort physique depuis trop longtemps. Un mort qui retrouvait le souffle de la vie.
— Kyara… murmura-t-il. Tu as dit au moins une partie de la vérité, ce n’est plus ma prison.
Il détailla la cave vide de ses yeux blanchis par les ténèbres, et à l’acuité de ses mouvements de tête, Kyara comprit qu’il voyait bien mieux qu’elle dans le noir quasiment absolu. La pierre lumineuse, pour elle, n’éclairait même pas assez pour qu’elle puisse discerner Yngvar à moins de deux pas, mais Rowan prenait déjà ses marques, repérant l’espace à la manière d’une chouette, triangulant par brefs mouvements de tête. Elle tendit lentement, précautionneusement, une main vers lui.
— Tu sais pourquoi je t’ai fait venir.
Pour que tu nous aides. Pour que tu pardonnes. Pour que tu puisses revenir parmi les vivants.
— Je sais.
Sa voix était moins rauque, son ton un peu plus ferme. Elle s’était assurée, la veille déjà, qu’il ait suffisamment à manger, et qu’on lui donne des vêtements plus chauds. Mais, lorsqu’il prit sa main tendue, ses doigts étaient aussi glacés que ceux d’un mort et, en fermant les doigts, elle pouvait faire le tour de l’os de son poignet. Car il n’y avait rien d’autre que peau et os dans son corps pour le moment.
Elle aurait voulu lui donner davantage de temps pour récupérer, mais la situation pressait trop pour qu’elle se permette de patienter, pour le laisser s’accoutumer à une existence plus humaine. Elle l’aida à se redresser, effarée de sentir qu’il pesait à peu près autant que son fils de dix hivers.
— Je ne leur pardonne pas. Si je le fais, c’est uniquement pour toi… grommela-t-il enfin.
Parce que tu es la seule personne pour qui j’aurais donné ma vie, avant, avait-il dit quelques heures plus tôt, dans les prisons, quand elle l’avait supplié d’aider. Et parce que tu es le seul rai d’espoir dans une éternité de ténèbres, et que je damnerais mon âme pour cet espoir.
— Rowan, insista-t-elle, si tu les guides, tu pourras revenir à la surface.
— Et je reverrai la lumière du soleil ?
— Je te le promets.
Il grinça des dents, mais finit par approuver d’un grommellement. D’un pas incertain, vacillant, il s’engagea hors de la malle. Elle glissa la pierre dans sa poche, pressa sa main en priant pour ne pas la casser, hésita. Le Vingt-quatrième avait des instructions très claires quant à la conduite à tenir si Rowan changeait de bord ou si un incident survenait.
— Reviens, d’accord ?
Dans les ténèbres, elle ne vit pas le mince sourire qu’il esquissait. Le sourire d’un naufragé qui apercevait l’ombre de la terre ferme.

◊~◊~◊
Y'a un épilogue bruh ??? Tu peux pas finir comme ça ?? Je veux la suite :lol:

Pour de vrai, c'était assez dense, car il se passe pas mal de choses et que tout converge, mais pas spécialement "lourd" pour autant ! Comme les scènes un peu plus intenses sont compensées par des dialogues ou des descriptions, ça équilibre bien avec les scènes d'action ^^
Sinon, bon pour Mara, voilà, c'était couru d'avance, mais je suis agréablement surprise de l'intervention de Rowan ! C'est malin de le faire apparaître dans cette scène, ça marque à la fois la fin et le début (trop deep) de cette union plus solide entre Avalaën et Helvethras. Par contre, je veux le fin mot de l'histoire :mrgreen:
Sinon, pour la bataille à proprement parler, j'ai bien aimé le début où Kyara se présente vulnérable pour calmer les tensions. Bon, ça n'a pas suffi (c'est plutôt logique) mais ça montre quand même que le peuple ne l'a pas oubliée et qu'ils ont de l'espoir et de la confiance vis-à-vis d'elle (bon, avec son annonce de l'unification des deux pays, m'étonnerait qu'elle ait le soutien de tout le monde et ça se comprend). La progression entre cette Kyara et celle du début est nette et marquée.

Bon j'attends un p'tit épilogue maintenant non ? 8-)
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Re: Dynasties / Kyara IV (4/4)

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : dim. 06 mars, 2022 3:57 pm
vampiredelivres a écrit : lun. 28 févr., 2022 3:59 pm
LA PACIFICATRICE
(4/4)


— Ma chérie, sourit Mara en la voyant approcher. :arrow: mdr oh le culot Nan mais elle ose tout :lol:

— Je sais qui je suis. Je suis la fille de Jesten de Ciel. J’ai renoncé au trône d’un Royaume pour la paix, et c’est en maintenant la paix que je règnerai sur cet Empire. Tu as eu ta chance, Mère, mais tu as préféré fuir quand il aurait fallu faire face. Maintenant, dis-moi ou :arrow: Merci ! est l’Empereur, ou subis les conséquences.

— Éteignez, commanda-t-elle quand la large malle fut enfin déposée sur le sol de la cave.
Elle sortir :arrow: sortit Thx ! de sa poche une pierre lumineuse, la même que celle qu’elle avait utilisée dans la noirceur des cachots, et une faible aura de clarté troubla l’obscurité, juste assez pour lui permettre de soulever avec précaution le couvercle du coffre pendant qu’Yngvar tirait le tapis pour dévoiler la trappe.

◊~◊~◊
Y'a un épilogue bruh ??? Tu peux pas finir comme ça ?? Je veux la suite :lol:

Pour de vrai, c'était assez dense, car il se passe pas mal de choses et que tout converge, mais pas spécialement "lourd" pour autant ! Comme les scènes un peu plus intenses sont compensées par des dialogues ou des descriptions, ça équilibre bien avec les scènes d'action ^^
Sinon, bon pour Mara, voilà, c'était couru d'avance, mais je suis agréablement surprise de l'intervention de Rowan ! C'est malin de le faire apparaître dans cette scène, ça marque à la fois la fin et le début (trop deep) de cette union plus solide entre Avalaën et Helvethras. Par contre, je veux le fin mot de l'histoire :mrgreen:
Sinon, pour la bataille à proprement parler, j'ai bien aimé le début où Kyara se présente vulnérable pour calmer les tensions. Bon, ça n'a pas suffi (c'est plutôt logique) mais ça montre quand même que le peuple ne l'a pas oubliée et qu'ils ont de l'espoir et de la confiance vis-à-vis d'elle (bon, avec son annonce de l'unification des deux pays, m'étonnerait qu'elle ait le soutien de tout le monde et ça se comprend). La progression entre cette Kyara et celle du début est nette et marquée.

Bon j'attends un p'tit épilogue maintenant non ? 8-)
Oui y'a un épilogue :lol: Ce serait quand même vache (même à mon niveau) de s'arrêter là-dessus :mrgreen:

Contente que ça plaise, c'était un peu "le" gros chapitre de cette partie, avec la résolution de la plupart des intrigues qui avaient été amorcées jusqu'à maintenant, donc ça me rassure qu'il ne pèse pas trop.
Mara c'était cramé d'avance x) Rowan j'avoue que je l'ai ressorti un peu de nulle part, mais il m'arrangeait bien parce qu'au moins, ça permet justement de donner un nouveau départ à Avalaën et Helvethras comme tu dis.
C'est surtout ici qu'on voit ses progrès, oui, combien elle a changé entre le moment où elle arrivait à peine à porter la couronne qu'on avait forcée sur sa tête. Et je sais pas toi, mais moi j'aime beaucoup le changement ^^

Merci pour ton comm !
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Re: Dynasties / Kyara IV (4/4)

Message par louji »

vampiredelivres a écrit : lun. 07 mars, 2022 11:44 am
Oui y'a un épilogue :lol: Ce serait quand même vache (même à mon niveau) de s'arrêter là-dessus :mrgreen:

Contente que ça plaise, c'était un peu "le" gros chapitre de cette partie, avec la résolution de la plupart des intrigues qui avaient été amorcées jusqu'à maintenant, donc ça me rassure qu'il ne pèse pas trop.
Mara c'était cramé d'avance x) Rowan j'avoue que je l'ai ressorti un peu de nulle part, mais il m'arrangeait bien parce qu'au moins, ça permet justement de donner un nouveau départ à Avalaën et Helvethras comme tu dis.
C'est surtout ici qu'on voit ses progrès, oui, combien elle a changé entre le moment où elle arrivait à peine à porter la couronne qu'on avait forcée sur sa tête. Et je sais pas toi, mais moi j'aime beaucoup le changement ^^

Merci pour ton comm !
D'acc tu me rassures :mrgreen:

Franchement, oui, c'est dense, mais j'ai pas trouvé ça désagrément long ou interminable quoi ! On sent qu'on arrive à la descente finale ^^ donc logique que ce soit assez concentré.
Tout à fait, Rowan c'est vraiment une bonne idée, il est fort en symboliques (et pas en chocolat)
Oui j'aime bien son changement ! J'aurais été aussi intéressée de voir une Kyara en fin de compte pas vraiment capable d'accepter tout ça, de s'intéresser aux bataillons et à la couronne (c'est un sujet qui est rarement abordé en vrai !) mais ça aurait pas été dans ta veine donc peut-être bizarre :lol: Ce que je craignais c'était de voir une femme complètement différente à la fin de celle initiale (en termes de valeur et de caractère profond) mais en fin de compte on la retrouve assez facilement donc ça va =)
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Re: Dynasties / Kyara IV (4/4)

Message par vampiredelivres »

louji a écrit : mer. 09 mars, 2022 6:31 pm D'acc tu me rassures :mrgreen:

Franchement, oui, c'est dense, mais j'ai pas trouvé ça désagrément long ou interminable quoi ! On sent qu'on arrive à la descente finale ^^ donc logique que ce soit assez concentré.
Tout à fait, Rowan c'est vraiment une bonne idée, il est fort en symboliques (et pas en chocolat)
Oui j'aime bien son changement ! J'aurais été aussi intéressée de voir une Kyara en fin de compte pas vraiment capable d'accepter tout ça, de s'intéresser aux bataillons et à la couronne (c'est un sujet qui est rarement abordé en vrai !) mais ça aurait pas été dans ta veine donc peut-être bizarre :lol: Ce que je craignais c'était de voir une femme complètement différente à la fin de celle initiale (en termes de valeur et de caractère profond) mais en fin de compte on la retrouve assez facilement donc ça va =)
Ce n'était pas trop dans la veine effectivement… disons que j'aurais aimé aborder la question des bataillons plus en profondeur, j'en avais parlé avec Sasa en plus pendant un moment… mais ça ne s'y prête tellement pas avec le perso de Kyara… (Aled je viens de penser à un spin-off centré sur Uma… aled :lol: ) Mais non, au bout du compte, on retrouve Kyara, elle a changé mais elle reste elle-même dans le fond ^^
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Dynasties / Kyara (Epilogue)

Message par vampiredelivres »

EPILOGUE


La nuit s’était levée depuis longtemps quand Kyara se décida finalement à sortir du lit pour aller prendre l’air dans les couloirs. Trop agitée par les émotions de la journée, le choc, la tension, les difficultés et les réussites, elle n’avait pas réussi à s’endormir malgré de longues heures passées à se retourner dans les draps. Yngvar n’était jamais venu se coucher, ayant décidé de passer la nuit auprès des blessés du Premier Bataillon. Songeuse, elle se redressa en silence dans les ténèbres, tendit la main sur le côté pour attraper sa robe de chambre à tâtons. Puis, après avoir chaussé une paire d’épaisses pantoufles, elle sortit dans le petit salon à pas de souris.
Dans la salle commune, une douzaine d’hommes veillaient dans la nuit, et seuls les crépitements des flammes de l’âtre et les crissements de leurs cartes troublaient le silence. Quatre montaient la garde avec une vigilance totale, les huit autres jouaient aux cartes. En la voyant se diriger vers la sortie, ils se redressèrent des canapés sur lequels ils s’étaient installés, tout à fait à leur aise dans la suite princière, et s’engagèrent à sa suite, abandonnant sans sourciller la partie de cartes au beau milieu d’un développement qui semblait pourtant prometteur.
La fraicheur des couloirs fit du bien à l’esprit embrumé de Kyara. Elle inspira l’air doux et tiède, rabatit les pans de sa robe de chambre sur sa poitrine pour couvrir ses épaules, réprima un frisson de fatigue. Elle était épuisée… ou du moins son corps l’était. Quand ils avaient enfin récupéré un Saedor vacillant, roué de coups, couvert de sang, transi de froid et de fatigue, la lune était déjà haute dans le ciel. Yngvar et elle avaient attendu, comptant les minutes en compagnie du Premier Bataillon dans cette taverne miteuse, jusqu’à ce que les minutes deviennent une heure, puis deux, puis quatre. La tension les avait rongés à petit feu, minant leur moral et leurs espoirs au fur et à mesure que le temps s’écoulait sans nouvelles. Vingt fois Yngvar s’était levé pour s’engager à son tour dans le conduit, et vingt fois elle l’avait retenu, arguant avec lui, bloquant de son corps mince le passage lorsque c’était nécessaire.
Et puis, alors qu’ils n’y croyaient plus, alors qu’ils débattaient de la possibilité d’envoyer le Premier dans les ténèbres à son tour, des bruits de pas précipités avaient résonné, portés par la pierre. Quelques cris, des injures, un brouhaha qui avait fait croire à tout le monde que le Vingt-quatrième était poursuivi.
Les soldats avaient commencé à émerger, les uns après les autres, s’arrachant à l’obscurité comme s’ils avaient failli s’y noyer. Un homme, puis deux, puis cinq, puis dix, puis vingt… puis trente, et quarante, et plus d’une soixantaine finalement. Lorsqu’ils avaient raconté la situation, sur le chemin du retour, ils avaient expliqué que la quasi totalité du Vingt-quatrième s’était en fait retrouvée dans une sorte d’immense chambre, qui avait dû être le centre de commandement rebelle. Un bref affrontement s’était engagé, mais mis à part quelques blessures légères, les arcanistes avaient triomphé sans difficulté, leurs pouvoirs effrayant davantage leurs adversaires que des armes conventionnelles.
Puis, comme l’avait exigé Yngvar, ceux qui maîtrisaient la terre avaient provoqué des éboulements souterrains pour sceller définitivement les galeries, et à part la quatrième division, ils étaient tous remontés par la taverne.
Après l’angoisse, le soulagement de revoir Saedor avait été de courte durée. Sévèrement blessé, il avait été ramené au château en catastrophe, et si l’alchimiste avait pu assurer que son état était stabilisé, il ne pouvait rien faire pour accélérer la guérison des os brisés et des muscles déchirés.
Tout en marchant, Kyara songea que c’était certainement la visite qu’elle lui avait rendue avant d’aller se coucher qui l’empêchait désormais de dormir. Saedor lui avait adressé son habituel sourire, bienveillant et paternel, mais elle avait vu la fracture derrière ses yeux lilas, la fissure qui s’était ouverte. Elle était certaine qu’il était loin d’être vaincu ou hors-course, et qu’il se battrait contre les traumatismes endurés, mais sur le coup, il avait eu l’air d’un homme abattu, détruit de l’intérieur, et cette idée l’avait dévorée de l’intérieur jusqu’à l’empêcher de trouver le sommeil.

Ses pas finirent par la guider jusqu’à une porte latérale de la salle du trône. Elle en poussa le battant en s’attendant à entrer dans une halle vide, mais dès qu’elle franchit le seuil, son regard tomba sur deux silhouettes assises au bas de l’estrade, illuminées par les rayons d’un croissant de lune qui se reflétaient dans les miroirs. L’une, frêle, presque squelettique, aurait pu passer pour celle d’un enfant s’il n’y avait eu sa maigreur alarmante. L’autre, bien plus massive, ressemblait encore davantage à une montagne que d’habitude, par contraste. En la voyant entrer, ils s’interrompirent dans leur discussion, et Yngvar se tourna vers elle.
— Tu ne dors pas non plus.
— Impossible, admit-elle en se grattant la nuque.
Elle s’avança à petits pas, curieuse de savoir de quoi ils avaient bien pu parler jusqu’alors, mais en entendant sa voix, Rowan s’était redressé. Dans l’éclat argenté de la lune, sa peau était plus diaphane qu’il ne semblait humainement possible, et ses longs cheveux n’étaient que des fils blancs, presque translucides. Il avait encore la tête enveloppée dans d’épais tissus noirs, les yeux solidement bandés. L’alchimiste avait préconisé une rééducation progressive, au risque de l’aveugler définitivement s’ils brusquaient le processus. Il ne sortirait donc pas en journée durant des décades encore, et porterait les bandeaux durant de longues nuits, mais il apprendrait progressivement à voir de nouveau.
— Tu t’en vas ? lui demanda-t-elle quand il fit mine de s’éloigner, guidé par un garde silencieux.
— Je vais vous laisser, oui. Mais… merci, Ma Princesse.
Elle ne put s’empêcher de se sentir coupable en entendant la gratitude dans sa voix d’outre-tombe, mais elle n’en montra rien.
— Et, Kaleko ? Merci à toi aussi, ajouta Rowan dans un avalarë aux sonorités approximatives et instables.
Stupéfaite, Kyara ne releva pas. Ce ne fut que bien longtemps après qu’il soit parti qu’elle finit par demander :
— De quoi parliez-vous ?
— De toi, sourit-il. De moi. De nous deux.
Il ouvrit les bras et elle se blottit sur ses genoux comme elle le faisait lorsqu’elle était plus jeune, cala son front dans le creux de son cou. L’écho de sa respiration, profonde et apaisante, ralentit presque immédiatement les battements de son cœur.
— C’est à dire ?
— De l’héritage que nous laisserons.
— Un héritage de sang et d’acier, répondit-elle sans réfléchir.
Elle sentit ses doigts chauds remonter le long de son bras, glisser de son épaule à son cou, se perdre dans ses cheveux. Elle se serra plus fort contre lui, savourant le silence du calme après la tempête.
— As-tu douté d’avoir fait le bon choix aujourd’hui ? osa-t-il enfin demander.
Il n’y avait aucune accusation dans sa voix, et elle devina que, s’il posait la question, c’était qu’il s’était demandé la même chose auparavant.
— Une centaine de fois, admit-elle sans honte.
Même si elle ne le vit pas, elle le sentit sourire. Ils restèrent enlacés longtemps, jusqu’à ce que la lune se couche et que les premiers rayons de l’aube rosissent le bleu de la nuit. Alors, Yngvar se redressa, et elle se dégagea en frissonnant de la chaleur de ses bras, mais elle ne l’accompagna pas quand il fit mine de se diriger vers les corridors.
— J’arrive, éluda-t-elle lorsqu’il l’interrogea d’un haussement de sourcils.
Il ne posa pas de question, se contenta d’un sourire, et s’en-alla.

Demeurée seule, debout dans l’immense halle, elle pivota sur ses talons, esquissa quelques pas dansants sur le carrelage, recula jusqu’aux trônes. Le silence total, auquel elle n’était plus habituée depuis de longues saisons, lui parut après l’appréhension de ces dernières heures et la tension de ces dernières heures, étrangement apaisant. Même les gardes étaient sortis pour la laisser seule.
Du bout des doigts, elle effleura le dossier en bois, glissa le long de l’accoudoir, s’assit lentement, et s’appropria d’un regard la grandeur de l’espace vide. Un sourire lui échappa lorsqu’elle réalisa que le poids familier de la tiare, laissée dans sa chambre, lui manquait quelque peu.
Un héritage de sang et d’acier, avait-elle dit. Elle songea à Amali, cette fille qui n’avait jamais vraiment vécu, puis à Isarak et à Seären, ses deux fils. À Saedor et à Eliane, à tous ceux qui l’avaient précédée dans ce siège. À son père et à la manière dont il lui avait offert cet héritage, qu’elle venait enfin de se réapproprier. De sang et d’acier, oui. C’étaient le sang et l’acier qui l’avaient amenée sur ce trône, ce serait donc ce qui l’y maintiendrait.

◊~◊~◊


« Au moment où j’écris ces remerciements, je n’ai pas encore l’impression d’avoir fini Eliane. Probablement parce que je ne peux pas lâcher l’univers comme ça quand j’ai teasé un crossover avec Avalaën, m’enfin on en reparlera un jour. Mais ce ne sera pas un gros projet, plutôt une petite surprise. » ai-je dit dans les remerciements d’Eliane.

Alors. Comment dire qu’on a (encore) dérivé… x)
En fait j’ai l’impression que je ne peux pas commencer une histoire de royauté sans partir nécessairement dans tous les sens. Kyara était partie pour être un OS, mais eh, le concept même de Dynasties m’empêchait de ne pas en faire une histoire complète :lol:

Plus sérieusement though, Dynasties a toujours été pensé comme un projet assez fun et pas prise de tête, mais Kyara en particulier m’a ouvert des portes, tant en termes de concepts que d’univers. Je l’avais dit, l’une de mes grandes appréhensions en démarrant, c’était le personnage principal qui est assez éloigné de mes héroïnes habituelles. En général, elles sont déjà bien solides et construites au démarrage du récit… avec Kyara, il restait tout à faire. Mais ça fait que j’ai d’autant plus apprécié son évolution au fur et à mesure de l’histoire.
Il y aura eu quelques ratées en cours de route (merci encore Coline pour m’avoir bien remis les yeux en face des trous avec ton magnifique pavé, c’était à la fois nécessaire et bienvenu), mais on a fini par s’en sortir. Kyara n’était pas vouée à être une histoire avec beaucoup de prétention, il y avait pas mal de crash-tests de concepts et beaucoup de références aux textes précédents. (D’ailleurs, la tombe dans les jardins de Ciel qui est évoquée dans les derniers chapitres est la tombe de Melvin d’Ombre… qui est du coup le grand-père de Kyara, même si elle ne le sait pas :) ) Bref c’était conçu pour être chaotique x)

Le projet Dynasties n’est pas encore terminé. Il reste Cassandra à écrire (oh boy), et il m’a permis d’ouvrir sur Xer-Sarak. Donc merci de m’avoir suivie jusque là, et j’espère que la suite continuera à vous plaire tout autant. De mon côté, je continue à expérimenter avec le premier tome de Xer-Sarak en ce moment, je ne sais pas encore quand est-ce que je vais attaquer Cassandra. (J’avoue que XS1 me motive le plus en ce moment, bien plus que Dynasties ou LCDS… C’est les rushs des nouveaux concepts, avec plein d’idées qui partent dans tous les sens !)
Bref. Merci et à bientôt ! ♥
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Re: Dynasties / Kyara [High Fantasy / Royauté / Intrigues politiques]

Message par TcmA »

Holà~

"Kyara était partie pour être un OS" : quatre actes de 3 à 4 parties chacun + un épilogue plus tard, nous voici. :lol:

C'est quand même assez fou d'assister à la création d'un univers entier, avec ses continents (Xer Sarak, I see u gurl 8-)), ses saisons, ses lois, ses personnages, leur histoire... C'est surtout très impressionnant, surtout quand je repense au fameux "Eliane, c'est mon bac à sable". Et ça l'est encore plus quand on termine Kyara, parce que tu t'es vraiment posé un challenge (parmi d'autres), avec un personnage brisé à construire au fil du récit, et autant dire que c'est réussi.

Tu sais mon amour profond pour Kyara, mais en reparler ne fera pas de mal héhé.
Si c'était un peu désarçonnant de passer d'une Eliane, pilier en béton armé qui fait face à tout, même à la mort, à une Kyara, fragile et brisée (pas étonnant, bonjour le trauma), c'était plus qu'un bonheur de la voir se relever, trouver sa force, sa voix et sa place au sein de ce monde. La dernière partie de la Pacificatrice, gahd, le moment où Kyara fait plier sa mère ("Mara" gahd) ou lorsqu'elle ne fait que regarder la foule, JE DECEDE.
Vraiment, ce que j'ai apprécié avec elle, c'est que Kyara est humaine, pleine d'émotions et imparfaite, elle ne gagne pas tout le temps, elle perd beaucoup et souffre, mais bon sang de mouise qu'elle est forte. Et elle n'est pas forte seule : Yngvar (merci de t'être rendue compte que ça n'allait pas, leur relation 1.0 ! Ils sont si apaisants, dans l'épilogue), Uma (JE T'AIME), Eliane (quel mentor ! Et Kyara arrive à tourner ce qu'elle a appris à sa sauce : yes please, can I have some more), Isarak et Saëren, Saedor, et tant d'autres que j'ai oublié (mauvaise mémoire quand tu nous tiens...).
Je l'avais déjà dit, mais toutes tes personnages (oui, c'est moche, mais je m'essuie le derrière avec la langue française, j'ai envie de parler des FEMMES dans l'Ellana-verse) sont géniales et si bien construites, qualités comme défauts. Je les aime d'amour.

Bref, tout ça pour dire que faire partie de l'aventure Dynastie est un plaisir que j'ai hâte de continuer à vivre avec Cassandra et Xer Sarak ! (Pour rappel : XS, extra small mais méga trauma, je n'attends que ça 8-))

Hâte de voir ce que ton jardin (qui te bully un peu, quand même :lol: ) nous réserve !

La bise~
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