Elle était malheureuse. Angoissée. Sous le soleil ou sous le ciel gris, elle sentait le regard des autres, condescendants et plein de mépris. Elle s’était pourtant installée à l’écart, près de la barrière, pour éviter de déranger ses voisines. Comme elle ne voulait pas gêner leur chemin, elle s’était retranchée dans un petit coin où même la pluie peinait à l’atteindre.
Malgré sa discrétion et la place risible qu’elle occupait, les autres ne cessaient de la dévisager et de se moquer. Elles l’écrasaient sous leurs pieds immenses, elles l’étouffaient avec leurs longs bras. Pourquoi étaient-elles donc si virulentes et méchantes envers elle ? Elle qui n’avait rien fait, qui avait été amenée ici contre son gré… C’était vrai, elle n’était pas originaire d’ici, et les autres lui faisaient bien comprendre.
Ses terres natales lui manquaient terriblement. Elle se rappelait le soleil tiède à travers les feuilles des grands arbres centenaires, l’odeur de la mousse à l’aube et celui de l’humus au crépuscule, quand la chaleur quittait le sol pour retrouver l’air. Elle était née dans un lieu paisible et délicat, entourée de sa famille aimante. L’air était alors pur et la terre riche.
Maintenant, elle respirait un air vicié qui la faisait suffoquer et le sol n’offrait rien d’aussi bon qu’autrefois. Les espèces qui l’entouraient étaient étranges, loin de ce qu’elle avait pu connaître jusque-là. Ou, plutôt, c’était elle l’intruse, l’étrangère. Les autres la méprisaient pour sa petite taille, pour son aspect trapu et sa peau plus sombre que celle de ses voisines.
Elle ne comprenait pas pourquoi sa différence les rendait aigris. Elle était pourtant de la même espèce, avait la même forme et le même fonctionnement. Malgré cela, ses voisines faisaient tout pour la surpasser, mettant en valeur la générosité de leurs rondeurs et l’éclat de leurs couleurs.
Dépassée par leurs médisances, elle préférait rester le plus loin possible d’elles, tout en ruminant le destin qui l’avait amenée ici. On l’avait arrachée à sa famille depuis un temps qu’elle n’arrivait plus à compter. Si encore elle avait eu des frères et sœurs pour l’accompagner… Mais ils étaient morts sur le chemin, assoiffés ou égarés par les viles mains qui les avaient déracinés de leurs terres.
Elle se demandait si ses voisines n’étaient pas jalouses. Une simple différence physique lui semblait trop peu pour être à l’origine de tant de bassesses de leur part. Depuis qu’elle était arrivée, les choses semblaient avoir changé… Ses voisines avaient l’air d’être ignorées par leurs propriétaires.
Soudain, elle se gonfla d’orgueil. Oui, elle en était sûre, à présent, ses voisines étaient jalouses. Elle était peut-être petite, trapue et moins jolie, mais elle avait meilleur goût.
— Myriam, où est-ce que tu as planté les fraises des bois qu’on a cueillies l’autre jour en forêt ?