Le regard partagé - Inspiré

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Meynie

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Le regard partagé - Inspiré

Message par Meynie »

Texte écrit ce soir.

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Je la vis. Dans ce musée, entourée de visiteurs qui allaient et venaient entre les galeries illuminées par les rayons gris du soleil parisien, se promenant devant les tableaux aux couleurs prononcées attachés sur les murs et dont le passage était seulement marqué par les échos de chaussures sur le parquet de bois laqué. Elle se tenait au centre de la salle, le visage et le corps tourné vers la peinture d’une femme nue allongée sur un rocher. Son regard caramel semblait caresser les formes de la femme tout en s’imprégnant de la profondeur de la technique de l’œuvre et d’engager une discussion avec le peintre.

Dès que mes yeux frôlèrent sa silhouette, j’haltai tout mouvement. Le flot de touristes me contourna instinctivement, créant une ondulation naturelle dans la progression de la marée humaine qui se succédait dans la salle. Je restai là, à l’observer dans le silence de la galerie du musée, comme je l’avais fait tant de fois auparavant avec pour modèle un figement de mon imagination. Sa présence relevait d’un mystère singulier et une partie de moi était convaincue qu’il ne s’agissait pas de sa version originale, mais bien d’une nouvelle apparition provoquée par mon inconscient. Puis elle inspira et porta ses doigts à ses lèvres dans une expression contemplative et je sus qu’elle se tenait bel et bien devant moi. Un violent frisson secoua soudainement mon corps. Il remonta ma colonne vertébrale et se propagea en laissant derrière lui une fièvre glacée, comme si je pouvais sentir la traînée du bout de ses doigts sur chaque parcelle de ma peau mais que son passage était si bref qu’il allumait un désir maladif qui me figeait sur place. Un bruit sourd sonna à mes oreilles. Je sentis le sol trembler, instable sous mes genoux, et je serai resté silencieux à frémir tant bien même qu’une éruption s’était déclarée au beau milieu de Paris, car un volcan s’ébranlait en ma frêle personne et je luttai pour en sortir intacte. C’est avec difficulté que je déglutis afin de soulager ma gorge sèche et que je portai une main chancelante à mon front, sursautant quand je le trouvai brûlant.

Je me savais un fantôme. Dans mes rêves et dans les visions de mon imagination, je m’étais toujours su un fantôme. Je la regardais souvent, de près ou de loin, immobile ou pleine de vie, mais quel que soit le cadre, elle ne donnait jamais signe de remarquer mon existence. J’avais bien sûr déjà essayé d’imaginer nos retrouvailles ou de donner vie à des scènes qui n’avaient jamais existé mais mes tentatives étaient toujours restées vaines ; je demeurais invisible à ses yeux, qui passaient parfois sur moi sans s’arrêter. Condamné à la considérer derrière une vitre transparente faite de mes souvenirs et d’un temps passé et révolu aux couleurs chatoyantes de nostalgie.

J’ignorais combien de temps nous restâmes ainsi, à quelques mètres l’un de l’autre, elle noyée dans la contemplation du tableau et moi dans sa contemplation, mais son regard trouva éventuellement le mien. Et je me sentis vu. Je ne regardais plus, j’étais regardé, je ne contemplais plus, j’étais contemplé. Ses yeux me rendirent avec surprise ma propre intensité et je ne pus que bouger dans un sursaut de vie et d’énergie, de renouveau, je ne pus que faire un saut vers elle comme si mes jambes, ayant assez tremblé, avaient eu l’audace de décider de bondir. Je comblai ainsi sans m’en rendre compte l’écart entre nous de manière si rapide que ma respiration se bloqua soudainement de sentir son attention de si près. Sans briser notre silencieux échange visuel, je remarquai du coin de l’œil l’ombre d’un sourire éclatant jouer au coin de ses lèvres, qui se répliqua spontanément sur les miennes. Puis les larmes d’être vu s’écroulèrent de mes joues rouges tandis qu’un seul soupir soulagé tomba finalement de mes lèvres écartées :

« Eurydice ».



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Inspiré de « Si vous me regardez, qui je regarde, moi ? ».
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