Je ne comptais pas lire Circé à la base, mais après l'immense coup de coeur qu'a été Le Chant d'Achille, je ne pouvais pas m'arrêter là. Il fallait que je teste un autre livre de Madeline Miller, et je ne regrette pas de l'avoir fait.
Une fois encore, la plume de l'auteure est envoûtante, magique, teintée de poésie et pourtant très fluide et accessible. Madeline Miller a un talent de conteuse indéniable. Chaque fois que je me plonge dans un de ses romans, je suis happée dans le monde qu'elle nous décrit, je me sens complètement immergée dans l'histoire, dans la Grèce antique et dans l'univers enchanteur que constitue la mythologie grecque. Et chaque fois, j'en viens à oublier qu'un écrivain se cache derrière les pages. J'ai rarement cette impression en lisant un roman, et la plume de Madeline Miller fait incontestablement partie de mes favorites.
Pour ce qui est du récit en lui-même, je l'ai trouvé plus mouvementé que ce que je craignais. En sachant que Circé serait rapidement exilée sur une île déserte, j'avais quelques appréhensions quant au rythme de l'histoire et aux événements qui s'y dérouleraient. Mais j'ai en fait été agréablement surprise par le nombre de personnages que rencontre Circé sur son île, et les multiples mythes auxquels elle participe de près ou de loin. On n'entend pas seulement parler d'Ulysse et de l'Odyssée, mais aussi de Jason et la toison d'or, de Thésée et le Minotaure, de Scylla, de Prométhée, de Pénélope et Télémaque, etc. Comme dans Le Chant d'Achille, on voit que Madeline Miller connaît son sujet sur le bout des doigts et elle n'hésite pas à s'en servir pour agrémenter son récit et nous faire découvrir ou redécouvrir plusieurs mythes. Le séjour d'Ulysse sur l'île de Circé permet également de connaître le destin de certains personnages ayant participé à la guerre de Troie, et surtout, d'entendre parler d'Achille et de Patrocle ! Quel bonheur de les retrouver, même si ce n'est que l'espace de quelques pages, et seulement par le biais d'Ulysse.
En ce qui concerne les personnages, je ne connaissais Circé que pour le rôle qu'elle joue dans l'Odyssée, c'est-à-dire un rôle assez limité et plutôt négatif. À vrai dire, je n'avais pas de réelle opinion à son sujet. Mais en lisant ce roman, j'ai découvert de nombreuses facettes d'elle que j'ignorais, et je peux dire qu'elle n'a rien à voir avec la sorcière malfaisante qu'on nous dépeint parfois dans l'étude de l'Odyssée. Son passé et ses liens familiaux plus que toxiques la rendent très attachante, et tout au long des mésaventures qui se dressent sur sa route, on ne souhaite qu'une chose : qu'elle rencontre enfin les bonnes personnes, celles qui sauront l'aimer pour ce qu'elle est, et qui sauront surtout lui rendre l'amour dont elle déborde malgré toutes les déceptions qu'elle a subi. En fin de compte, Circé, malgré son statut de nymphe, est plus humaine que certains hommes. Elle est aussi forte que faible, courageuse que craintive, aimante que redoutable. Mais au fond, ce n'est qu'une fille qui demande à être aimée et qui n'a eu de cesse d'être rejetée.
Je ne m'attarderais pas sur toutes les personnes qui l'ont déçue, blessée ou qui se sont acharnées sur elle tout au long du récit, mais ses parents et ses frères et soeur sont sans l'ombre d'un doute les pires du lot.
Après Circé, les deux personnages que je retiens de ce roman ne sont autres que Télémaque et Télégonos. Leur arrivée rend l'histoire encore plus attrayante, et je crois bien que le passage qui leur est consacré constitue ma partie préférée du livre. Télégonos est un fils adorable, fougueux, loyal et sincère. Il est jeune, innocent, plein d'espoir et de rêves, et son lien avec sa mère est très touchant. Quant à Télémaque, il représente l'opposé de ce à quoi je m'attendais en le voyant débarquer sur l'île. Réfléchi, respectueux, torturé par son passé et manquant cruellement de confiance en lui, il est très attachant et diffère totalement de son père. Je le préfère d'ailleurs largement à Ulysse. Comme pour Circé, on espère qu'il trouvera quelqu'un qui l'aidera à se rendre compte de sa propre valeur et à surmonter les dégâts psychologiques causés par son père.
Je suis d'ailleurs ravie des rapprochements qui ont fini par s'effectuer entre Circé et lui. J'avais bien l'impression qu'il s'intéressait à elle, mais je craignais qu'elle ne le repousse à cause des liens un peu délicats qui les unissent, et j'ai été rassurée de voir que ça n'a pas été le cas. De tous les hommes que Circé a fréquenté, Télémaque est bien mon favori, et c'est à mon avis celui qui saura le mieux la rendre heureuse.
Ulysse, en revanche, m'a considérablement déçue dans ce livre. Si j'avais beaucoup aimé son ambiguité, sa sagesse et son sarcasme dans Le Chant d'Achille, je n'ai pas retrouvé le même personnage dans Circé. J'avais pourtant hâte de le retrouver, mais la fin de la guerre l'a changé, et sa romance avec Circé ne m'a fait ni chaud ni froid. En fait, je trouve que cette histoire d'amour gâche la vision que l'on se fait de ce personnage dans Le Chant d'Achille. Il parle constamment de sa femme, semble impatient de la retrouver, et c'est justement ce qui le rend touchant, ce qui prouve que derrière ses ruses et ses piques se dissimule un homme aimant et fidèle. Mais au final, il n'hésite pas à tromper sa femme à peine arrivé sur l'île de Circé... La relation qu'il entretient avec cette dernière le rend également trop mièvre à mon goût. Il revient de la guerre de Troie qui l'a obligé à faire couler le sang pendant dix ans, il se montre dur et parfois violent avec ses hommes, mais il s'avère doux comme un agneau avec Circé... J'ai trouvé ça peu crédible, surtout quand on apprend plus tard qu'à son retour à Ithaque, il se montre virulent avec son fils, sanguinaire avec les prétendants de Pénélope, et constamment contrarié, que ce soit avec sa famille ou ses sujets. Ces dernières informations m'ont d'ailleurs tout autant déplues, et même s'il est tout à fait réaliste que la guerre et son voyage interminable l'aient transformé et le hantent encore des années après, je préfère ne conserver que le souvenir de l'homme qu'il était dans Le Chant d'Achille.
Pour finir, j'avais beaucoup de craintes quant au dénouement, mais il s'est avéré bien mieux que ce que je croyais.
Le fait que Circé devienne humaine et puisse ainsi vieillir aux côtés de Télégonos, de Pénélope et de Télémaque a clairement dépassé toutes mes espérances. Après avoir lu Le Chant d'Achille, j'appréhendais la fin de Circé, mais on a ici le droit à une fin heureuse qui m'a réchauffé le coeur et qui est même parvenue à m'arracher une larme d'émotion. Circé mérite de connaître le bonheur, et je suis contente qu'elle y ait enfin le droit à la fin.
Pour conclure, je suis ravie d'avoir laissé sa chance à Circé, car il a frôlé le coup de coeur et m'a permis de découvrir en profondeur un personnage de la mythologie grecque que je ne connaissais que vaguement. Retrouver la plume de Madeline Miller a été un réel plaisir, et j'attends avec impatience sa prochaine sortie en espérant qu'elle me comblera autant que ses deux premiers romans.