Mellifluence a écrit : ↑ven. 16 sept., 2022 1:04 pm
Bonjour,
C'est la première fois que je participe à ce sujet : je ne suis pas sur Booknode depuis très longtemps. J'aime beaucoup écrire, tout comme vous, ce qui explique ma présence.
Vanget, je découvre ta plume, très élégante, aux mots toujours bien choisis, avec grand plaisir. J'ai beaucoup aimé ce texte, qu'on pourrait aisément qualifier de poème en prose étant donné les jeux sur les sons et les rythmes, ainsi que le vocabulaire poétique. L'écriture donne une grande force à ce souvenir, que tu fais revivre sous nos yeux avant de l'éteindre au dernier paragraphe, terrible, mais incroyablement beau.
Je ne sais pas si je peux me permettre quelques remarques qui relèvent du détail ; si jamais cela te dérange, n'hésite pas à m'en faire part. En tout cas, cela ne retire rien à la poésie de ton texte.
Dans la deuxième phrase, j'aurais plutôt écrit "d'autres écoutent, impassibles..." car il m'a fallu un peu de temps pour cerner le sens. Mais il ne s'agit que d'une virgule et c'est plutôt subjectif.
"Impatientes de nouveaux rivages" : j'ai la sensation qu'il manque un verbe, comme découvrir, mais c'était peut-être voulu pour donner un sentiment d'immédiateté ?
Il me semble qu'il manque peut-être une virgule après "l'épicière". Mais cela relève encore du détail !
Je me permets également de mettre en avant une tournure que j'ai trouvé sublimement formulée : "un brin de l'été finissant". J'adore !
Ce thème m'a également inspiré un petit texte, que je laisse là si jamais il vous prend l'envie de le lire. Auquel cas, je vous souhaite une bonne lecture. N'hésitez pas à me faire des remarques, je dois admettre que je me suis relue rapidement. J'ai conscience que ce n'est pas parfait, loin de là, alors vos commentaires m'aideront sans doute à tirer ce texte vers le haut.
Pensée ondoyante
Une longue et épaisse ligne blanche s’étalait au sol, plus ou moins effacée par endroits, mais toujours bien visible malgré les années. Elle séparait deux mondes dans lesquels nous évoluions tour à tour, résolument irréconciliables : l’école et la ville. Pourtant, on ne cessait de nous répéter que la première nous permettrait d’avoir un bon travail, qu’il fallait donc se montrer sérieux, que c’était une chance dont nous devions jouir. Mais à quinze heures cinquante-sept, ces considérations s’envolaient, et nous ne songions plus qu’à nous échapper pour vaquer à la vie.
Les surveillants retenaient les plus hardis qui tâchaient de percer cette mince défense sous nos yeux impressionnés ou scandalisés. J’étais plutôt de ces derniers : j’aimais les règles, synonymes de sécurité, mais surtout de routine. Je ne pouvais comprendre qu’on s’en délestât sans état d’âme. Mais une part de moi enviait ces enfants libres, qui riaient aux éclats tout en étant repoussés derrière notre barrière métaphorique.
Nous étions tous attroupés bêtement derrière cette limite, prêts à surgir au premier retentissement de la cloche, tout en sachant pertinemment que nous perdrions du temps au moment de passer le portail engorgé. Nous discutions pour tromper les minutes, mais nous étions tous tournés vers l’extérieur : ces groupes privatifs en forme de cercle que l’on retrouvait volontiers lors de la récréation ne nous semblaient plus si tentants. Il nous fallait voir le but que l’on rêvait pour le concevoir en esprit avant même de l’atteindre : la délivrance aurait dès lors un goût d’autant plus savoureux que l’on en connaissait le prix. Personne ne souhaitait présenter son dos à l’extérieur, pas même moi qui appréciais l’école.
Dans ces moments-là, nous nous plaignions volontiers de la quantité de devoirs que nous devrions évacuer à vitesse grand V pour sortir tout à fait de notre établissement, qui nous poursuivait encore sa ligne franchie. Mais une fois cette corvée expédiée, nous pourrions manger, jouer, lire, chanter, crier, exulter ; vivre, enfin ! et peut-être oublier le lendemain qui nous ramènerait inexorablement vers ce lieu et cet instant interminable, comme la mer capture un ballon imprudent avant de le rejeter sur le sable une fois lassée de lui, puis le reprend dans un sursaut d’inconsistance, ne pouvant échapper à sa nature profonde et aux lois qui la régissent. (la Lune s'écarte de la Terre, sois patiente
)
L’attente s’acheva si soudainement que j’oubliais qu’elle avait seulement existé, régentant momentanément ma vie. La cloche résonna par vagues, créant un nouveau mouvement, mais de foule cette fois. Je me sentis poussée par des bras innombrables, agressée par un chœur aigu de voix juvéniles qui m’atteignit bientôt jusqu’aux tréfonds ; primitivement, mon cri vint se joindre à la cohue sans que je me rappelasse l’avoir émis. Je cherchais des yeux mes amies pour leur partager mon euphorie, mais je les avais perdues dans la mêlée. Je m’échouais, rompue tel un naufragé malmené par les éléments, sur le bitume à l’entrée de l’école. Sans un regard en arrière, je traversais le parking, sachant que ma mère y garerait la voiture. Je la cherchais un instant des yeux, pleine d’espoir, mais compris que j’allais encore devoir patienter en ne l’apercevant pas.
Une autre forme de torture commença alors : mon attente se fit solitaire, je voyais passer mes camarades sous mes yeux et ne savais quelle posture adopter. Je portais mon poids d’une jambe à l’autre, mal à l’aise, n’osant regarder les autres, mais n’ayant guère d’autre choix lorsque l’on me frôlait presque. Je voulais fermer les yeux pour ne plus voir et éviter cette gêne ; toutefois, c’est moi qu’on regarderait alors, on s’interrogerait sur cette fille curieuse dormant debout, et peut-être même me poserait-on des questions. En outre, je raterais l’arrivée salvatrice du véhicule familial, qui m’extirperait de ce lieu inconfortable pour me mener au cocon de ma maison.
Quand la voiture pointa le bout de ses phares emplis d’une intime connivence, j’oubliais toutes ces considérations : le bonheur avait le pouvoir de faire disparaître le reste, jusqu’au moment fatal où il s’échapperait à nouveau, aussi inconsistant que la foule ou la mer dans sa manière de se poser sur vous, à la différence près qu’on ne pouvait effectivement pas le palper ; sans doute était-il, de ce fait, plus terrible encore, puisqu’il demeurait à jamais un étranger.