J'irais en Enfer ( Terminé )

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Elie_Saurceucos

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Re: J'irais en Enfer

Message par Elie_Saurceucos »

Wiiii ils sont tellement mignons!! Trop hâte de voir ce qu'il lui réserve comme surprise! ^^
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Elie_Saurceucos a écrit : jeu. 12 janv., 2023 6:09 pm Wiiii ils sont tellement mignons!! Trop hâte de voir ce qu'il lui réserve comme surprise! ^^
:D Merci pour ton commentaire
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 13 :

Il est minuit. Julian et moi avançons sur le chemin caillouteux, seules silhouettes mouvantes dans la nuit. Le vent est froid, je regrette de ne pas avoir pris de pull. La nuit est calme, paisible. C’est comme si l’étendue sombre de ciel enveloppait le monde dans un petit cocon douillet. J’aime la nuit, plus que le jour.
La nuit, tout le monde dort, et je peux enfin être seul.

Mais pas cette nuit. Pas que je m’en plaigne, au contraire. Mon cœur bat d’excitation dans ma poitrine. Nous marchons côtes à côtes, nos mains se touchent presque. J’aime me dire que si je me rapprochais encore un peu, sans que ça ait l’air d’avoir été fait exprés, je pourrais le frôler. Mais je ne le ferais pas, parce que je n’en ait tout simplement pas le courage.
Je lui lance un regard. Même si il fait nuit noire, la lune nous éclaire et il connait le chemin par cœur. Il est comme d’habitude magnifique, son sourire déclenche le mien.
- Tu ne veux toujours pas me dire ou nous allons ?
- Je pensais que tu étais patient, me taquine t-il en bifurquant de la route, ce qui nous amène vers la forêt.
Les arbres ici sont géants et nous surplombent avec grandeur. Même si d’habitude traverser cette forêt immense pendant la nuit devrait m’inquiéter, je me sens en sécurité.

- Je le suis.
- Tant mieux, car tu vas devoir encore attendre.
Je pousse un soupir dans le seul but de l’agacer, sans vraiment être sérieux. Je sais qu’il ne le prendra pas mal. Je le vois esquisser un sourire.
- Je suis content que tu aies accepté de venir, dit – il en me regardant dans les yeux.
- Je ne crois pas pouvoir te refuser quoi que ce soit…
J’ai lâché ça comme ça, sans vraiment y réfléchir, et ce n’est qu’après coup que je me rends compte que cela est très bizarre. Je prie pour qu’il ne le prenne pas mal et ne se fâche pas.
Je ne veux pas qu’il… me trouve dégoûtant.
Car c’est ce que je suis sûrement quand je pense à Julian d’une manière différente des autres. Plus… intime.
- Ho, ce devrait être à mon avantage ce soir, soupire t-il sans avoir l’air en colère le moins du monde.
Je sens mes joues s’empourprer – heureusement qu’il fait sombre – et je ne peux que me demander ce que cela signifie.
Nous continuons à marcher encore quelques minutes dans un silence rassurant. Il marche plus vite que moi mais fais un effort pour s’adapter à ma vitesse pitoyable, même lorsque je trébuche dans un buisson.
- On y est presque, souffle t-il tout prés.
Je souris, content que la marche s’achève bientôt, je suis déjà trop essoufflé.
Il a un regard malicieux que je ne lui connais que trop bien et se glisse derrière moi pour mettre ses deux mains devant mes yeux.
- Tu ne vois plus rien ?

- Evidemment que non, je soupire en espérant que mes joues ne sont pas brûlantes.
On continue à avancer comme ça. Il veut entretenir le secret jusqu’au bout et me guide simplement en indiquant lorsque nous tournant ou devons nous baisser pour éviter de s’assomer contre une branche. Ses paumes touchent mes paupières et c’est le seul contact que nous avons depuis longtemps. Je sens son souffle silencieux derrière moi et je suis presque sur que les poils de ma nuque se sont hérissés ; pas dans le mauvais sens cependant.
On marche encore un peu, je dois sauter à un moment et heureusement il m’aide quand il y a des obstacles trop gros.
Il finit par retirer ses mains au bout d’un moment et je rouvre les yeux lentement.
La nuit est toujours aussi obscure et le vent toujours aussi froid. La neige a fondu autour du pensionnat mais j’avais oublié que dans les environs elle persiste toujours, et le sol est revouvert de l’épaisse matière blanche semblable à des morceaux de nuages ; c’est beau.
Devant nous se tient une haute batisse, une de ces maisons traditionnelles qui ont été abandonnées depuis longtemps, et dont les murs sont tapissés de plantes grimpantes. Le toit est complètement enneigé et les murs sont faits en briques rouges. Son aspect n’est pas autant insalubre qu’une maison inhabitée en plein milieu de la campagne devrait l’être. Je ne discerne qu’une seule fenêtre, minuscule.
- Qu’est ce que c’est ?
Julian s’écarte, allant vers la porte d’entrée en bois rongé par les mites.
- C’est une vieille maison que j’ai découvert un jour en m’aventurant loin du pensionnat. Le vieil homme qui y habitait est partit et personne n’est venu récupérer la propriété : Il n’avait aucuns descendants et sûrement qu’il n’y a aucuns acheteurs. Personne ne serait interessé par une maison minuscule isolée au cœur d’une forêt. Heureusement pour moi, car j’y passe le plus clair de mon temps, en toute clandestinité bien sur.
- Et si on le découvrait ?!, je lâche entre mes dents, apeuré.
Il hausse les sourcils.
- Alex, tu es si agaçant parfois. Pourquoi vois tu toujours l’aspect négatif des choses ? Je suis en train de te dire que nous pouvons aller et venir dans cette maison à notre guise. Viens, je vais te montrer l’intérieur.
Il pousse la porte de bois qui ne proteste pas, et s’ouvre dans un grincement de films d’horreurs. L’intérieur est sombre, petit mais pas aussi sale que je m’y attendais. J’entre et referme la porte tandis que Julian s’affaire à allumer une bougie qui se trouvait déjà dans la pièce, sur une commode en bois vieille de cent mille ans.
- Ou as-tu trouvé des allumettes ? Je lui demande tout en observant l’endroit ou je me trouve, hésitant entre être désapprobateur ou enchanté.

- Je trouve tout ce que je veux facilement, élude t-il en éclairant la pièce grace à la flamme vacillante de la bougie.
Les murs à l’intérieur ont été autrefois recouverts d’une belle tapisserie à fleur à présent tombée en lambeaux. Contre le mur de droite se trouve une armoire sans portes, vide, petite et sans aucun charme. Pareil pour la commode dans le coin et la bibliothèque mince de livres à ma gauche. Au centre de la pièce trone une table et trois chaises qui semblent pouvoir tomber en un tas de poussière si je les touches. Et, reculé dans le mur du centre, un lit une place recouvert d’un drap miteux. Le sommier est troué de toute part par le passage d’insectes suspects, sûrement.
Il n’y a en somme qu’une seule pièce. La seule chose notable est le plafond particulièrement haut, assez pour rajouter un deuxième étage.
- C’est… moins pire que ce que je pensais, dis – je en un murmure.
Aux murs se dessinent les ombres créées par la lumière de la bougie, et l’atmosphère en est un peu plus réchauffée, mais je continue de grelotter silencieusement. Je déteste le froid. Pourtant je ne regrette pas d’être venu.
- C’est génial, rétorque Julian en s’asseyant sur une des chaises. C’est moi qui ait apporté le vase, le jeu de carte et les chiffons, dit – il en montrant du doigt quelques affaires laissées sur la commode ou l’armoire.
J’hoche la tête, mais je ne pense déjà plus à cet endroit. Julian me regarde, ses yeux brillent et j’ai du mal à articuler quoi que ce soit d’autre.
Nous jouons aux cartes silencieusement. Il l’emporte à la première partie puis je gagne deux fois de suite. L’ambiance est étrange, presque électrique. J’ai conscience que Julian le ressens aussi et je me demande ce qu’il en pense. Nos respirations viennent alléger le silence brûlant, retentissant à l’unisson. J’oublie vite le froid et la matinée qui avait mal démarrée. La réalité de l’instant même me parvient brutalement, je suis presque figé sur place par la puissance des frissons que je ressens lorsque je croise son regard.
Le contraste entre nous deux est encore frappant, il se tient de manière nonchalante sur sa chaise, coudes sur la table alors que je suis immobile et droit sur la mienne. Mais j’aime étrangement la différence qu’il y entre nous, ce soir.
- Il est une heure. On devrait rentrer, dit il sans la désinvolture qui est dans son ton normalement.
Je fais oui de la tête, je le suivrais de toute façon. Il se lève, je fais de même avec regret. Si j’étais courageux, je me pencherais vers son oreille pour lui dire que je souhaite que l’on reste ici encore.
Le problème est sûrement là, dans le fait que je ne suis pas courageux. Ou alors le problème est moins profond, moins subtile, plus évident. Deux garçons ne peuvent pas être comme lui et moi je nous imagine. Il souffle sur la bougie.
On sors et il referme la porte, on marche en silence. Je me retourne, jette un regard à la batisse, qui sait quand il m’invitera à y retourner ? Son mutisme m’inquiète. Est-ce qu’il remet en question tout ce que nous avons vécu jusque là, de la baignade dans l’étang à cette nuit ? Pense t-il, après les regards qu’il y a eu lorsque nous jouions aux cartes et nos respirations unis, que tout cela dépasse les relations qu’il veut avoir ? Et si il me détestait à présent ? Est-ce que je supporterais sa haine… Je suis sûrement trop égoiste pour m’éloigner de quelqu’un.
Mes pensées me torturent, je fais plus attention à mes pas, et il fait si noir.
Je pousse un cri de surprise lorsque le sol se dérobe sous mes pas et que je tombe dans l’immensité de l’eau.
Je coule à pic, et bien trop hébété pour battre des pieds comme n’importe qui de sensé le ferait pour remonter à la surface, je reste immobile dans la mare. Mon esprit est d’ailleurs bien trop calme, c’est anormal. Je ne suis pas inquiet d’être tombé, je songe simplement au fait que j’ignorais qu’une mare pouvait être si profonde – et si froide, putain ! – surtout aussi sombre. Je n’y vois rien, et ma peur des profondeurs prend le dessus : j’imagine qu’une créature va surgir de sous mes pieds et m’avaler, ce qui est faux bien sur…

C’est ça, mon inquiétude de me faire avaler tout rond, qui me convainc de remonter à la surface. Je nage jusqu’à pouvoir respirer de nouveau, et crache toute l’eau que j’ai ingérée accidentellement. La lune est toujours aussi lumineuse, et je distingue Julian, à genoux sur le bord, qui semble abasourdi et perdu. Il est tellement affolé qu’il ne pense même pas à m’aider et j’arrive à remonter seul en m’agrippant à des feuilles.
Une fois sur la terre ferme, je me laisse tomber sur le sol, épuisé et gelé.
- Que… Alex ?! Est-ce que tu vas bien ? Je ne comprends pas, j’ignorais qu’il y avait une mare ici.
Il s’approche de moi et enlève de devant mes yeux mes mèches blondes mouillées. Je ne peux pas lui répondre, mes dents claquent trop fort ce qui ne me laisse pas le répit de parler. Il semble comprendre à quel point j’ai froid et il reprend ses esprits.
- Viens, retournons là bas. Tu ne peux pas rentrer au pensionnat comme ça. Il y a des vêtements de rechange dans la commode.
Mon uniforme est trempé et dégouline toute l’eau absorbée sur ma peau glacée. J’essaie de me frictionner pour me réchauffer mais mes mains refusent d’opérer, rendues douloureuses par le froid. Julian doit me soutenir à moitié sur le chemin inverse. Il pousse une nouvelle fois la porte de bois, allume la bougie pour la seconde fois et prends dans la commode une chemise et un pantalon, ainsi que des chaussettes.
- Je n’ai pas de chaussures… Oh, attends si !
Il va de l’autre côté de la pièce et prends de grosses bottes dans l’armoire qui ne sont sûrement pas à ma pointure. Mais je n’ai pas le choix, j’ai déjà de la chance de ne pas devoir rentrer en chaussettes avec les dix bons centimètres de neige.
- Ce sont tes vêtements ? Je demande en montrant du doigt la chemise et le pantalon posés sur le meuble.
Il acquiesce et j’en suis bizarrement content. J’espère qu’il ne m’en voudra pas de tremper le sol ; toute les gouttes d’eau lâchées par mes cheveux et mes vêtements s’écrasent sur le sol poussérieux.
A chacune de mes respirations, un léger souffle chaud se glisse entre mes lèvres. Je tremble de plus en plus, toute ma peau est glacée et je claque des dents à une vitesse impressionnante.
- Tiens, laisse moi t’aider, murmure t-il en voyant que mes doigts sont trop secoués pour défaire correctement les boutons de ma chemise.
Il se penche pour m’aider et je ne sais pas quoi répondre, trop estomaqué par cette soudaine proximité. Ses doigts fins effleurent ma peau alors qu’il défait ma chemise en silence. Ses longues mèches noires touchent mon menton, je relève un peu la tête. Je ne crois pas que le frisson qui me parcourt sois du à ma chute dans l’eau.
- Je suis désolé. J’aurais du faire plus attention à toi. J’oubliais à quel point tu es spécial, dit il avec un sourire provocateur alors que ses mains descendent plus bas sur mon ventre pour pouvoir défaire les derniers boutons.
Je mets quelques secondes pour aligner une phrase correctement. Le contact de ses doigts juste en dessous de mon nombril – même si ce n’est que parce qu’il m’aide, et rien d’autre – suffit à m’embrouiller complètement l’esprit.
- Comment ça, spécial ?
- A t’attirer toutes sortes d’ennuis, soupire t-il en me jetant un de ses regards démoniaques.
Alors ça ! Julian Llorim, c’est lui qui dit ça ?Alors qu’il est sûrement le pensionnaire le plus agitateur ? Il est bien confiant pour quelqu’un qui ne peut pas passer une journée sans se faire rappeler à l’ordre.
- N’importe quoi, je bredouille en détournant mon regard.
Il rigole doucement et retire complètement la chemise, qui tombe au sol dans un bruit sourd. Je devrais me soucier du fait qu’à cause de moi ce sol sera complètement trempé, mais bizarrement je pense juste au fait que je suis torse nu et que seulement quelques centimètres nous sépare.

Je devrais me dépêcher de mettre les vêtements qu’il a sortit pour moi.
Je m’apprête à retirer mon pantalon, qui n’a pas été épargné par l’eau glaciale, mais Julian arrête mon mouvement et commence à défaire lui-même le bouton en argent. Ses mains se trouvent à présent juste au dessus de ma braguette, et je dois faire un immence effort pour ne pas pousser un cri de surprise. Je n’ai jamais été aussi proche de quiconque.
Mes yeux ne peuvent se détourner de ses mains qui jouent avec le bouton de mon pantalon, le défont puis font de même avec ma braguette. Même si un cabaret avec des oies violettes avait lieu juste à côté, je trouverais ses mains plus intéressantes. Ma respiration est plus rapide, plus forte, comme si il m’empêchait de trouver mon souffle.
Il ne dit rien, se contente d’enlever mon pantalon, le baisse sur mes jambes.
- Je peux continuer seul, dis – je, la voix rauque.
- D’accord.
Il hoche la tête et se retourne simplement. J’ai à peine le temps de déceler une lueur rare dans ses yeux gris. Une lueur… d’excitation.
Je l’ai sans doute imaginé.
Je me dépêche de finir de me déshabiller, bataillant avec moi-même pour aller le plus vite possible. Je suis en train de fermer le bouton du pantalon de rechange lorsque qu’il se retourne vivement. On échange un long regard, j’ai dans ma main gauche la chemise sèche, sa chemise, mes doigts la serrent fort pour essayer d’extérioriser la panique et la puissante attirance que je ressens lorsqu’il passe sa main dans ses cheveux et tourne la tête imperceptiblement, comme si il était exaspéré.
- Alex… Murmure t-il avant de s’approcher de moi et de prendre la chemise avant qu’elle me glisse des doigts.
Il me la tends avec un petit sourire.
- Allez, mets la. Il doit bien être une heure et demi.
Je déglutits et met la chemise sous le regard observateur de Julian. Je m’efforce de ne pas relever la tête avant d’avoir fini de faire le dernier bouton. Les tremblements de mes doigts se sont apaisés, mes cheveux sont encore humides mais j’ai déjà moins froid.
Une fois complètement habillé, je lève mes yeux vers lui. Il a le regard toujours fixé sur la chemise qu’il m’a prêté.
- Je suis prêt, dis – je à voix basse, car j’ai l’impression que le rompre le silence signifierait donner fin à ce moment électrique, magique…
Il a un léger rire que je n’identifie pas, comme si je venais de faire une blague, puis approche sa main de mon visage et dégage une mèche blonde de mon front. Il fait toujours ça comme si cette mèche l’agaçait, comme si ne pas voir mon visage en entier l’agaçait.
Il baisse sa main et je remarque qu’elle tremble. Je m’apprête à lui demander ce qui ne va pas lorsque qu’il élimine les quelques centimètres qui séparaient nos deux visages. J’ai à peine le temps de croiser la lueur argenté de ses yeux avant que ses lèvres se posent délicatement sur les miennes.
C’est doux, léger, pas du tout comme je me l’étais imaginé. Presque comme une plume passée doucement sur mes lèvres.
Cependant, je me détache immédiatement de lui, surpris ; choqué.
- Qu’est ce que tu…
Il coupe ma question d’un nouveau baiser, cette fois plus brutal, plus vif, qui me laisse encore plus perdu. Mais il ne s’arrête pas, et je ne l’arrête pas, je ne me suis jamais autant sentit déboussolé, et je le suis trop pour entreprendre quoi que ce soit. Je n’arrive même pas à penser à des choses cohérentes, seulement qu’il fait ça bien, et que ça ne doit pas être la première fois qu’il embrasse quelqu’un.

Il lève ses mains pour les mettre autour de ma nuque, mais soudain stoppe son mouvement en réalisant que je ne me joins pas au baiser et que mon visage n’exprime aucunes émotions.
Lentement, il recule, l’air heurté, comme si tout ce qu’il savait n’était plus, comme si je lui avais assené un coup.
- Je… ,fait – il faiblement en ayant l’air de vouloir partir en courant.
C’est à mon tour de le couper dans son élan : Et je ne sais pas pourquoi je fais ça, mais je sais qu’il faut que je le fasse. J’ignore même si j’en ai réellement envie. Je l’embrasse de manière impitoyable, ne lui laissant pas la place pour finir ses excuses ( ou une justification ? ) car c’est sans conteste ce qu’il aurait fait si je n’avais pas remis les choses en ordre.
Même si ma langue se joint à la sienne de façon assurée, et que nos lèvres se superposent superbement, mes bras sont toujours ballants, ce qui trahit un certain doute, une certaine inexpérience.
Il répond à mon baiser, bien sur, tout en reculant vers la commode ( ou est ce moi qui avance ? ) et un objet tombe du meuble lorsque qu’il le heurte, mais on arrête pas pour autant. Je me rends compte que l’embrasser paraît normal, comme si cet acte avait toujours été là, entre nous, et que nous en étions parfaitement conscient, moi le premier. Et nous sommes deux garçons qui s’embrassent, et ça ne me paraît pas étrange ou différent de ce que cela pourrait être avec une fille alors que je sais que ce n’est pas anodin. Toutes ces pensées m’assaillent et je ne peux en retirer qu’une seule certitude : Si après ça tout redevient comme avant, et qu’il agit comme si rien ne s’était passé, j’en mourrais. Je mourrais de douleur si le doute ne s’en est pas déjà occupé.
- Attends, Alex… Soupire t-il en décollant sa bouche de la mienne, sans pour autant s’éloigner.
- Quoi, gémis – je en donnant suite au baiser.
Sûrement l’ais – je emporté sur lui car il ne dit plus rien et continue de m’embrasser en passant une main dans mes cheveux, et il agrippe mes mèches blondes ( en faisant attention à ne pas me faire mal ) comme si cela l’empêchait de tomber.
Quand on se rappelle tout les deux que nous ne pouvons pas faire ça éternellement, il se dégage doucement de moi. Je ne veux pas le regarder longuement et finir par voir quelque chose qui ne me plait pas dans son regard. Je m’écarte juste, le souffle court, et passe mon index sur mes lèvres comme pour vérifier que son passage s’y trouve encore. Julian ré-ajuste sa cravate qui est de travers, l’air peu sur de lui.
Je déteste être déstabilisé, je hais ne pas comprendre ce qu’il vient de se passer. Pourquoi m’a-t-il embrassé ? Et pourquoi suis-je allé dans son sens ?
Il va s’asseoir sur le lit miteux sans me lâcher du regard et je ne peux que rester debout et droit comme un piquet.
- Tu veux qu’on en parle… ? murmure t-il.
Que veut – il dire par là ? Est-ce qu’il veut qu’on parle de ce baiser, qu’il a initié lui-même ? Ou de…
- Je pense qu’il faut qu’on en parle, rajoute t-il en passant sa main dans ses boucles brunes – il faudrait qu’il les coupe, bon sang – et je ne réponds pas.
Je suis toujours immobile, pareil à une statue, et soudain très nauséeux. Que penserait le monde de moi si il pouvait écouter mes pensées ?
- Alex ?

Je me baisse et ramasse les bottes qu’il m’a donné comme mes chaussures sont trempées et les enfile immédiatement. Le silence qui s’étire alors que je noue les lacets et vais vers la porte de la petite maison est désagréable au plus haut point.
Je finis par arriver dehors et marche en direction du pensionnat alors que des larmes affluent devant ma vision. Je ne dois surtout pas penser à Julian resté assis sur le lit, ni à quoi que ce soit. Je vais juste rentrer, il faut que je sois loin de lui. C’est de sa faute si…
Le froid est si violent que la chemise fine ; certes trop grande pour moi ; ne suffit pas à réchauffer ma peau, et il fait encore plus noir que tout à l’heure et les étoiles se sont absentées.
J’arrête de marcher et tourne ma tête légérement vers la maison qui a presque disparu, mais son toit enneigé est visible à travers les branches des arbres qui me surplombent. Je prends une inspiration et ferme les yeux un instant. Mes larmes ont disparues. Finalement, je fais demi – tour.
JaneSerpentard

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Re: J'irais en Enfer

Message par JaneSerpentard »

AAAAAH !!!! J’ai encore énormément de mal à me remettre de mes émotions !!! Ce chapitre est juste PER—FECT !!! Simple, but effective :lol:
Wow, alors là…
Tu fait passer tellement d’émotions, ton style d’écriture est juste magnifique ! Sincèrement, j’adore ta plume, si belle et addictive. Tout ce que tu écris est sublime : les descriptions, les dialogues, les sentiments, bref, tout. Tu as vraiment un talent Zélie <3
Alors merci pour tout et j’ai très très très très hâte de lire la suite !!!!
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

JaneSerpentard a écrit : sam. 14 janv., 2023 12:00 pm AAAAAH !!!! J’ai encore énormément de mal à me remettre de mes émotions !!! Ce chapitre est juste PER—FECT !!! Simple, but effective :lol:
Wow, alors là…
Tu fait passer tellement d’émotions, ton style d’écriture est juste magnifique ! Sincèrement, j’adore ta plume, si belle et addictive. Tout ce que tu écris est sublime : les descriptions, les dialogues, les sentiments, bref, tout. Tu as vraiment un talent Zélie <3
Alors merci pour tout et j’ai très très très très hâte de lire la suite !!!!
Je t'adore merci ! :lol: 8-) Ne dis pas aux autres que je t'ai payée ça me fait tellement plaisir d'entendre ça, surtout de ta part même si je sais à quel point tu es gentille. Je suis contente que ça te fasse passer un bon moment.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 14 :

En rentrant pour une troisième fois de la soirée dans la maison à moitié délabrée, je constate que Julian n’a pas bougé, toujours assis sur le lit, comme si mon départ l’avait figé.

Il lève ses yeux gris vers moi et j’y vois de la surprise. Lentement, je retire les bottes et m’assois sur le lit à côté de lui, mes mains tremblent – peut être parce que mon cœur n’a jamais été aussi précipité. Le vent souffle fort et les murs sont fins ici.
- Désolé, dis – je.
Il hoche la tête et esquisse un léger sourire.
- Est-ce que tu vas m’embrasser ? Demande t-il en haussant un sourcil.
- … Oui.
J’approche un peu ma tête, mais ces gestes ( comme passer mon bras autour de sa nuque ) paraissent bien plus étranges à faire que tout à l’heure.
- Oui… ? Dit – il en faisant mine de s’impatienter, ses lèvres à seulement quelques centimètres des miennes.
Je sens son souffle sur mon visage et ça ne me dérange pas. Je finis par l’embrasser, timidement au début, comme si c’était la première fois. J’ai peur qu’une fois sortit d’ici, cette facilité que nous avons à être proches ne dure pas.
Mais nous ne sortons pas. On s’allonge sur le lit et j’oublie complètement qu’il est sale, pleins de trous. Je tente tant bien que mal de trouver une position confortable ou je peux toujours l’embrasser ; on a du mal à trouver une posture correcte pour nous deux et il tombe du lit à un moment donné, ce qui nous fait rire même si je me dépêche de lui demander si il ne s’est pas fait mal. Il revient et cette fois personne ne tombe.

Ses lèvres passent derrière mon oreille, le long de mon cou et il appuie sa langue sur mon épaule en tirant sur ma chemise. Je dois me concentrer pour ne pas m’évanouir.
Je sens que si je ne fais rien, ne dis rien, nous le ferons. Et bizarrement, ça, je n’en ait pas envie. J’ai peur, je l’avoue, et je ne veux surtout pas que ça devienne bizarre entre nous parce que…
- Attends, je murmure en le repoussant un peu.
Il s’écarte aussitôt et s’allonge sur le dos prés de moi.
- Tu veux qu’on parle ?
Je suis étonné qu’il comprenne si vite et ne fasse pas d’objections.
- Ouais, dis – je, la voix un peu enrouée – et pas par le froid.
- De quoi tu veux parler ?
- De… toi.
- Moi ? C’est si peu intéressant. Allez, je suis sur que tu peux trouver mieux.
- Mais non. C’est de toi que je veux parler. Je veux dire… Je ne sais rien, rien de toi.
- Et tu veux savoir quoi de moi ? dit – il d’un ton moqueur en soufflant pour qu’une de ses mèches brune vole hors de devant ses yeux.
- Ta famille ?
- Passe.
- Ça ne peut pas être pire que la mienne.
- Retire ça…
En voyant qu’il est sérieux, je ne discute pas.
- Bien, ok. Je retire ça…
- Quoi d’autre ?
- Musique préférée ?
- Facile. Words, F.R. David.
Je lâche un petit rire.
- Ais – je droit de me moquer ?
- Quelle est la tienne ?
Pas besoin de réfléchir.
- Nocturne N.1 en si bémol mineur, Chopin.
Il pousse un sourire, s’assoie sur le lit et hausse un sourcil.
- Alex, rien que le nom t’évoque tellement, toi.
- C'est-à-dire ?

- Compliqué, souffle t-il avec un regard espiègle que j’ai très envie de lui retirer.
- Moi, compliqué ? Je suis tellement simple pourtant, dis – je en lui rendant son sourire.
Il secoue la tête, comme toujours en désaccord avec moi. Nos avis divergent presque tout le temps, et pourtant nous sommes amis, et même plus qu’amis, comment est – ce possible ? Il y a quelques mois, je n’aurais pas supporté d’être en compagnie de quelqu’un comme lui. Et il y a quelques mois, je n’aurais pas embrassé un garçon ni fais le mur, j’aurais passé mes journées sagement à lire ou écouter de la musique, renfermé sur moi-même.
- Ta couleur préférée, dit – il ( mais j’ignore si c’est par curiosité ou pour changer de sujet ).
- Tu vas encore trouver quelque chose à y redire, dis – je en lui donnant un coup de coude léger.
- Mais non, promis.
- Je n’en ai pas.

Sa réaction est exactement comme je m’y étais attendu.
- Evidemment, s’exclame t-il en se tapant le front avec le plat de la main, J’aurais du m’en douter…
Il lève les yeux au ciel et je m’assois également.
- Je ne vois pas l’utilité d’avoir une couleur préférée…
- Arrête de toujours vouloir avoir une raison pour faire ou aimer les choses. Tu ne peux pas trouver une utilité à tout.
J’ignore son commentaire, sachant pertinemment qu’il a raison.
- Je suis quasiment sur que la tienne doit être le bleu ou le noir… Ou le blanc.
Il pousse un nouveau soupir en fixant la lueur de la bougie posée sur la commode.
- Tu m’énerves parfois.
Il arrive parfois que tu m’énerves aussi, Julian Llorim…
- Alors, avais – je raison ?
- Bien sur. Le noir, avoue t-il en allant vers la commode.
Il ouvre un tiroir et en sort un briquet en fer blanc et un paquet de cigarettes Marlboro, puis revient vers moi en en sortant une.
- T’en veux ?
J’ai déjà fumé, une fois. Mais c’était juste dégoûtant, et je ne suis pas pressé de recommencer.
- Non merci, dis – je d’un ton agacé car je sais qu’il s’attendait à cette réponse.
Evidemment, il lâche un petit rire.
- Je m’en doutais.
- Pas très utile de le faire encore remarquer, je murmure en levant les yeux au ciel alors qu’il allume sa cigarette.
La fumée réchauffe un peu l’air mais l’odeur qui en émane suffit à me piquer les yeux et à me gratter la gorge. Je ne peux pas m’empêcher de m’écarter un peu.
- Allez, approche.
- Quoi… ?, je proteste tout en lui obéissant néanmoins.
Il prend une bouffée et approche sa bouche de la mienne, je comprends et l’entrouvre. Il colle ses lèvres au mienne et expire. Je sens la fumée envahir ma gorge et recule, même si l’expérience ne m’a pas déplu.
On reste encore de longues minutes assis, moi les bras croisés autour de ma taille, genoux relevés, et lui à demi affalé sur le matelas en continuant de fumer dans un silence agréable.
- Tu crois en dieu ? Me demande t-il au bout d’un long moment.
J’hausse les épaules en lui jetant un regard.
- Oui, j’imagine.

Il acquiesce et j’ignore ce qu’il pense de ma réponse. Peut être n’étais – ce pas celle qu’il attendait. C’est un sujet auquel je n’ai jamais réfléchi très concrêtement, ma mère n’est pas croyante mais tout le monde dans mon lycée l’était.
- Et toi ?
- Je ne crois pas en dieu car lui ne croit pas en moi, répond il avec un sourire triste.
Je ne saisis pas le sens exact de sa réponse. Qu’entend il par là ?
Une heure plus tard, après que Julian se soit endormit sur le lit, tombant de fatigue au détour d’une conversation, je me lève discrètement et vais jusqu’à la fenêtre, l’unique de la pièce, dont les vitres sont recouvertes de poussières. J’utilise le revers de ma manche pour essuyer un peu et pouvoir apercevoir la nuit, au dehors. Sombre, belle. La lune est scintillante dans le ciel d’encre et les branches des arbres qui bordent la forêt sont agitées par le vent. Me suis – je déjà aperçu à quel point je préférais la nuit au jour ? Solitaire, silencieuse. Elle m’est semblable. Et bien sur, Julian est le jour.
Je jette un œil à celui-ci qui dort paisiblement. Il a l’air calme, détendu dans son sommeil. Il n’a aucunes cernes, les lignes sombre juste sous mes yeux sont inexistantes chez lui. Je l’envie et le veux à la fois, un mélange tourmentant. J’aimerais être lui, il est tellement mieux que moi, tellement plus aimé. Plus beau. Mais je veux aussi pouvoir le voir et le regarder, ce qui me serait impossible si j’étais lui. Je peux comprendre pourquoi Julian est narcissique. Ce sont les personnes comme moi qui ne peuvent se le permettre.
A un moment donné dont j’ai du mal à me souvenir, je sens la fatigue prendre le dessus et mon corps glisser le long du mur. Assis sur le sol, prés de la fenêtre, la tête appuyée contre le rebord et les yeux toujours rivés sur lui, je crois voir un semblant de réponse me parvenir.
Mais tout est encore flou.

Le lendemain, je me réveille avant lui. Le soleil vient à peine de se lever, mais c’est le constant rappel de sureté de mon cerveau qui a du me tirer des bras de Morphée. Il ne faut pas que quelqu’un se rende compte que nous manquons à l’appel. Il faut rentrer à l’orphelinat.
Voilà à quoi je pense en apellant Julian pour qu’il se lève lui aussi.
Il proteste, l’air encore ensommeillé, et s’étire dans le lit. Sa chemise se lève un peu trop lorsque qu’il lève les bras ce qui laisse apercevoir un carré de peau juste sous le nombril. J’ai du mal à détourner le regard, et il me voit car un sourire éclaire son visage.
- Salut !
Je lui réponds avec un peu moins d’enthousiasme, peu ravi de m’être fait prendre en train de le regarder.
- Il faut qu’on y aille, je lui rappelle en revêtant mon pull, qui a séché depuis la veille.
- Hmm-hm, fait – il en se frottant les yeux. Ne me quitte pas.
Il l’a dit d’un ton banal, presque détaché. Je me retourne vers lui vivement, surpris.
- De quoi tu parles ? Allez, viens, dis – je sans balbultier, ce dont je suis plutôt fier sur le moment.
Quand on sors, après avoir fermé soigneusement la porte, je peux sentir une tension entre nous qui me laisse un goût amer sur la langue. Ou est ce que je me l’imagine ?
La neige a presque fondu, laissant de larges flaques boueuses sur le sol, et le vent a complètement disparu depuis hier soir. La ciel est bleu azur, le paysage presque figé. La température a un peu augmenté, comme si elle ne se décidait pas à tourner à celle d’hiver, pas complètement.

Sur le retour, nous sommes silencieux. Comme d’habitude, nous n’avons pas besoin de remplir le silence pour que la compagnie de l’autre soit agréable. Et les regards parlent plus que les paroles, je suis bien placé pour le savoir.
Nous revenons à l’orphelinat en passant par la sortie de secours toujours ouverte. A l’intérieur, personne n’est encore réveillé. Nous ne devons qu’éviter une femme de ménage qui nettoie les vitres de bon matin pour arriver au dortoir B, le notre. Les autres dorment aussi et Julian gagne son lit, et moi le mien. Je fais une effort considérable pour ne pas faire craquer le plancher ou le sommier en bois lorsque je me couche dans mon lit comme si je ne l’avais jamais quitté.

La sensation qui emplit mon cœur et mes poumons lorsque je replis la couverture sur moi est nouvelle, effrayante , elle fait tanguer la pièce et met en désordre pas mal de choses dans mon cerveau. Je me repasse en boucle dans ma tête les dernières heures, essayant de comprendre ce qui a pu se passer. Jamais je n’ai ressenti une chose pareille, je n’ai jamais été attiré par quiconque et je ne me suis jamais sentit tout d’un coup dépendant des sentiments d’un autre.

Car je sais qu’à présent, tout tourne autour de ses yeux, de ses cheveux et de son âme. Qu’a-t-il de si spécial, il est si différent de moi, si énervant, si parfait, et…

Et il y a ce que je refuse de m’avouer, ce que je ne voudrais jamais prononcer à voix haute. C’est un garçon.
Je pensais que si jamais il m’arrivait de désirer quelqu’un, cette personne serait une fille. Pourquoi est ce que je me connais si mal ? Est-ce vraiment avec moi-même que j’ai du partager mon esprit et mon âme ces seize dernières années ?

Je ne me rendors pas, et sens un soulagement énorme lorsque le jour se lève enfin et que le brouhaha des pensionnaires qui se préparent pour la journée remplace celui de mes pensées. J’évite de regarder Julian ( et c’est une torture car je ne désire que croiser son regard et deviner ce qu’il pense, et ce qu’il se sent honteux, est ce qu’il regrette, à quoi dois – je me préparer ? ) et entre dans la salle de bain commune ou une dizaine de garçons s’habillent.
Je vais jusqu’à un lavabo et asperge un peu d’eau sur mon visage. Dans le miroir fixé au dessus de l’évier en fer blanc, je crois soudain voir une personne différente. Même cheveux blonds bien domptés, même visage fin et mêmes yeux bleus, tout est pareil , et pourtant tout a changé. Quelque chose a changé. Je me force à ne pas détailler du regard mes lèvres, voir si celles de Julian y ont laissés une trace ( même invisible : n’importe quelle trace, sensation, émotion, quoi que ce soit qui me conforte dans l’idée que ça n’était peut être qu’un rêve ).
Je décide de sauter le petit déjeuner et me retrouve devant la classe de Mathématiques à 7h16, bien trop en avance, même pour moi. Je m’assois contre le mur et ouvre mon manuel de math à une page au hasard, souhaitant juste passer le temps et penser à autre chose.

Mais les théorémes et les calculs ne suffisent pas à éloigner mes tourments, et je me trouve obligé de reposer mon manuel, désemparé. Je regrette d’avoir laissé mon carnet au dortoir.
Je me contente de rester assis, bras croisés autour de mes genoux, fermant les yeux une fraction de secondes pour reprendre mes esprits. Je réfléchis trop.

- Tu vas bien ?
Je lève la tête, le cœur battant, mais j’aurais reconnu sa voix si ça avait été lui ; mon cœur s’affole pour rien.
- Oui, dis – je d’un ton irrité à Neil.
Ce n’est pas de ma faute si il arrive au mauvais moment.
- Ou étais tu cette nuit ? Je me suis levé à quatre heure du mat’ pour aller pisser et tu n’étais pas là.
- J’ai fait un cauchemar et je ne suis pas parvenu à me rendormir alors je suis sortit dans le couloir quelques instants pour… me remettre. Respirer.
- Hm. On s’est peut être croisés sans s’en apercevoir.
- Peut être, dis – je en sentant que le mensonge ne l’a pas convaincu.
Il s’adosse au mur et hausse un sourcil.
- T’as pas l’air bien, Alex.
Pourquoi insiste t’il…
- Je vais bien. Je te le jure. Je manque juste un peu de sommeil. Mais c’est bientôt les vacances de Noel.
- Ouais… à ce propos, tu vas rester ici pour les vacances ?
- Oui. Toi, non, hein ?
- Non. Tu ne vas pas t’ennuyer ?

- Je suis sur que non…, dis – je en m’adressant plus à moi-même qu’à lui.
Le prof arrive et nous entrons dans la classe, quelques instants plus tard les autres élèves sont là et je vais m’asseoir dans le fond en me concentrant pour fixer mes baskets. Je griffonne la leçon dans mon cahier, mais les mots s’emmêlent sur le papier, mon stylo tremble ; en fait c’est ma main qui tremble et je ne peux pas l’arrêter. Je sens que ma gorge est serrée, mes yeux me piquent.
C’est trop dur de faire comme si de rien était.
- Alex, peux tu nous lire le document c3 s’il te plait ? Nous t’écoutons.
Il se passe quelques secondes lorsque je comprends que c’est à moi que le professeur s’adresse. Je relève la tête de ma feuille et constate que tous les regards sont posés sur moi. Tous sauf un. Julian ne s’est pas retourné, il continue d’écrire quelque chose dans son manuel.

J’ai toujours détesté les gens qui griffonnent dans leurs manuels.
Je commence à lire le document d’un air que je veux posé et normal, mais il s’éloigne sûrement trop de ça. Quand j’ai enfin fini ma lecture, je sens la nausée me prendre et je me lève en tenant mon nez, réflexe acquit au fil de mes malaises et vertiges. On ne sait jamais d’où le sang peut venir, et j’ai déjà trop salit ce blazer.
Le professeur m’appelle, surpris, et je sais que tout le monde est en train de me regarder, mais je sors simplement de la salle de classe sans aucuns regards en arrière, le cœur au bord des lèvres.
Je ferme soigneusement la porte des toilettes et vérifie qu’il n’y a personnes dans les cabines avant de vomir au dessus de la cuvette, accroupi dans la cabine la plus au fond. Mon front doit être transpirant malgrès la fraicheur ambiante de ce mois de Décembre.

Qu’ais – je fait pour que mon métabolisme soit si sensible ? Toutes les émotions contradictoires que j’ai ressentit ces dernières heures me poussent jusqu’aux vomissements.
N’ayant rien avalé ce matin, cela ressemble plus à de la bile jaunatre qu’autre chose. Je me dépêche de tirer la chasse et rejoint le lavabo. En regardant pour la deuxième fois de la matinée mon reflet dans le miroir, je remarque que ma peau est encore plus pâle que d’habitude, d’une teinte maladive.
J’entends la porte des toilettes s’ouvrir et se refermer, et je n’ai pas besoin de tourner la tête pour savoir que c’est lui.
- Tu devrais retourner en cours, dis – je tout bas car le mal de cœur m’empêche de parler haut.
- Tu es blanc comme un cadavre, dit Julian en s’adossant contre la porte des toilettes.
Je ne réponds rien et avale une gorgée d’eau en me tenant à l’évier. Mes jointures sont blanchâtres.
- Est-ce… ma faute ?
- Quoi donc ? Je demande d’un ton lasse en me retournant vers lui.
- Tu sais bien. Que tu sois dans cet état.
- Non. Tu sais qu’il m’arrive de ne pas aller bien.
- Oui, que tu ais mal à respirer ou que tu t’évanouisses, mais jamais que tu vomisses.
- Comment tu sais…
- Je t’ai entendu.

Je baisse la tête, navré qu’il ait pu entendre ces bruits de gorge et de retombées ignobles. Il doit être dégoûté à présent.
- C’est parce que… tu m’as embrassé ?, demande t-il, l’air prudent.
Je suis heurté par cette supposition. Pense t-il que j’ai vomi à cause de nos baisers ?!
Et je ne peux pas m’empêcher de relever le fait qu’il ait dit que je l’ai embrassé. Il oublie que c’est l’inverse.
- Tu m’as embrassé, toi, dis – je en murmurant, mais cette fois pas à cause de ma nausée.
- Et tu n’étais pas contre.

Il a ce sourire en coin qui m’agace tant.
- Tais toi, dis – je plus fort d’un ton sans appel.
- Tu as aimé ça ?
Je ne réponds pas et me tourne à nouveau vers le lavabo.
- Avoue. Je sais que ça t’a plu. Ce n’est pas une honte… J’en avais envie depuis très longtemps.
- Tais toi, je répète en serrant les poings.
- Alex, tu ne peux pas nier…
Je me retourne à nouveau, sentant la colère affluer, et l’agrippe par le col d’une manière que je n’ai jamais usée avec lui, violente, sauf la fois ou je lui avais mis un coup de poing sans faire exprès. Je ne vois dans ses yeux pas la moindre peur alors que je serre son col encore plus fort.
La porte s’ouvre d’un coup et je le lâche avec précipitation. Un garçon de 14 ans, pas plus, entre et nous jette un regard curieux avant d’aller dans une cabine. Il y reste une dizaine de secondes, secondes durant lesquelles Julian fait tout pour croiser mon regard. Lorsqu’il sort enfin, il va vers le lavabo et se lave les mains tout en nous regardant dans le reflet du miroir, l’air pressé de ressortir.

Quand, enfin, nous sommes de nouveaux seuls, nous nous regardons pendant cinq secondes et c’est à son tour de se jeter sur moi sans que je puisse l’avoir deviné. Plutôt que de m’agripper avec brutalité comme je l’ai fait, il passe ses deux bras autour de ma nuque et m’embrasse. Je ne m’y étais pas préparé, mais je ne le repousse pas et laisse mouvoir nos lèvres. Une sensation d’excitation germe dans mon bas ventre et je me retrouve à nouveau transporté.

- Je prends ça comme un aveu, soupire t-il en effleurant mon front avec ses doigts – alors que mes cheveux sont bien coiffés et qu’il n’y a aucunes mèches à dégager.
- Sûrement pas, je rétorque en croisant les bras.
Il ne relève pas, comme si il savait pertinemment ce que je voulais et qu’aucunes de mes protestations ne changeraient ça.
- Tu vas sécher les cours aujourd’hui ?
- Non. Pourquoi, toi oui ?
- Bien sur, dit il en haussant les épaules. Et je comptais sur le fait que tu viennes.
- Pourquoi ?
- Parce que j’ai envie que tu viennes.
Il n’a aucunes difficultés à exprimer ses émotions. Il me dit ça comme si il pensait que j’étais assez fort pour l’entendre. Je ne me rappelle pas la dernière fois qu’on m’a dit vouloir ma compagnie. Même si Adriana doit le penser, vu que nous sommes amis, on ne me l’avait jamais dit si haut. J’ai perdu l’habitude des mots gentils.
- Vraiment ? Tu ne me trouves pas ennuyeux ?
- Tu te poses encore la question ?
- Si tu savais toutes les questions que je me pose…
Si il le savait, il ne voudrait pas de moi.
- Eh bien si tu ne viens pas je devrais sécher les cours avec quelqu’un d’autre.
- Qui ?
Merde, je ne peux pas m’empêcher de poser la question.
- Une fille.
- Ok, fais ce que tu veux, dis – je en levant les yeux au ciel.
- Je fais ce que je veux, Alex.
Il part de la pièce, me laissant seul. J’ai à la fois envie de le rattraper, et en même temps de ne plus jamais lui parler. Comme d’habitude, mes envies sont complexes et je n’arrive pas à réfléchir de façon intelligente. Si je le faisais, j’irais sûrement demander à Julian de ne plus jamais me parler. Si je lui demandais sincérement, il accepterait de me laisser tranquille.
Evidemment, je ne le ferais pas.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 15 :

Adriana me retrouve à Harly’s Park cet après midi.
Nous marchons quelques minutes sur un chemin recouvert de neige, elle ne dit rien. Je fais principalement la conversation, parlant de mes cours de maths.
- Alex, me coupe t-elle alors que je lui explique un calcul particulièrement compliqué.
- Quoi ? Si tu ne comprends pas tout de suite ce n’est pas grave, tu sais…
- Ce n’est pas ça. Je vais partir pour les vacances de Noel, et nous allons passer deux semaines loin de l’autre. Ça me fait de la peine.

Je suis touché que cela la chagrine ; mais ne sais pas quoi répondre.
Elle se tourne vers moi, les yeux embués de larmes.
- Tu vas me manquer. Je t’ai préparé un cadeau en avance, puisque je pars demain. Ouvre – le, dit elle en sortant de sa poche un paquet triangulaire.
Surpris, je m’exécute. En déchirant le papier qui le recouvre, je ressens une pointe de culpabilité, n’ayant pas pensé à lui faire de cadeaux.

- Merci Adriana. Ça me fait vraiment plaisir, je m’exclame en découvrant à l’intérieur un recueil de poéme.
Il est neuf et luisant, les pages sont intactes et épaisses, la couverture a du relief, ça a du lui coûter beaucoup. Elle hoche la tête, heureuse que ça me plaise. Et je suis réellement content, jamais un ami ne m’avait offert de cadeau avant.
- De rien. Joyeux Noel.
Je me mords la lèvre inférieure, désolé d’avoir les mains vides.
- Excuse moi, je ne suis pas aussi malin que toi. Je n’ai pas pensé à te prendre quoi que ce soit…
- Ce n’est pas grave. Tu sais ce qu’il me ferait vraiment plaisir, et que tu peux m’offrir là maintenant ?
Je relève la tête, surpris. Elle s’est rapprochée et me regarde d’une façon étrange.
- Rien ne me ferait plus plaisir qu’un baiser.
- De quoi tu veux parler ?, dis – je d’un ton surpris.
- Embrasse moi.
Elle a l’air décidée, et je ne sais pas quoi lui dire. Que je n’en ai pas envie ? Que je ne peux pas embrasser mon amie ? Mais j’aurais l’impression de lui manquer de respect si je ne le faisais pas. Je peux bien lui offrir ça, non ? Si elle en a envie…
Je me penche vers elle et l’embrasse doucement, sans aller trop loin. Au bout de quelques secondes, elle relève la tête, l’air satisfaite.
- On ne m’avait jamais embrassé, avant.
Je ne peux pas en dire autant. Je me contente de mettre mes mains dans mes poches, me demandant ce qui lui a pris de vouloir que je l’embrasse, là maintenant. Nous continons à marcher, et en réfléchissant je dois me rendre à l’évidence : ce n’était pas du tout comme avec Julian. Il n’y avait pas cette flamme, ce plaisir lancinant. Embrasser Adriana n’est pas du tout comme je me le serais imaginé.
De retour au pensionnat, je vais à la bibliothèque et passe la fin de la journée à lire dans un coin, m’arrêtant toutes les cinq pages pour réfléchir au sens d’un baiser.
Lorsque les vacances de Noel arrivent, je n’ai toujours pas revu Adriana depuis qu’elle m’a embrassé. Peu à peu, le pensionnat se vide, les cours sont terminés et ils ne reprendront qu’au retour des vacances, dans deux semaines. Je n’ai pas croisé Julian une seule fois après qu’il m’ait demandé de l’accompagner dehors et que j’ai refusé. Neil parle de plus en plus avec Steven Gobb, et j’évite soigneusement ce dernier. Les rares fois ou je croise son regard, il me fais un sourire mauvais et semble tout savoir de moi et de mon âme.

Neil est rentré chez lui ce matin. Il était heureux de revoir sa famille et j’ai essayé d’être content pour lui. Je n’ai pas réussi. Ma mère ne m’a pas envoyé une seule carte ou ne m’a pas téléphoné une seule fois. Elle ne vient plus le jour des visites et même si je sais qu’elle est vraiment occupée, je ne peux pas m’empêcher de me sentir délaissé.
Mardi. Nous ne sommes plus qu’une vingtaine à présent, dans tout le pensionnat, et seulement cinq dans le dortoir B. Les seuls qui n’allons pas dans notre famille pour le réveillon. Evidemment, Julian en fait partit. J’ignore tout de sa famille, mais je croyais qu’il s’entendait bien avec eux. Il a une photo d’eux sur sa table de nuit.
Il est encore plus dur de ne pas le croiser. Comme il n’y a pas cours, je passe mes journées dans la bibliothèque ou dans le parc, je révise, fais les devoirs de vacances, lit et écoute de la musique. Il n’y a qu’un surveillant qui reste pour les vacances et il doit simplement veiller au fait que nous ne faisons pas n’importe quoi. Je me tiens à carreau, respecte les couvres feux et prends ma douche à l’heure des douches, sauf si Julian est là aussi.
Ce soir, en rentrant du réfectoire ou j’ai pris le dînner seul à une table du fond, je me dirige vers le dortoir, vide sauf Julian qui y est aussi, évidemment… Il est assis sur son lit, un livre entre les mains. Lorsqu’il me voit, un sourire éclaire son visage et j’ai du mal à ne pas faire de même.

- J’ai embrassé Adriana, je l’informe en passant devant son lit pour rejoindre le mien.
J’ignore pourquoi je le lui dis ni d’où vient la satisfaction que je ressens à lui faire part de mes expériences. Au fond de moi, j’espère peut être simplement voir sur son visage une trace de jalousie.
- Si ça t’amuse, réplique t-il en retournant à sa lecture, son petit sourire toujours en coin.
J’hausse les épaules devant son manque de réaction et m’assois sur mon lit, mais découvre une enveloppe marron posée sur le lit, avec inscrite dessus l’adresse du pensionnat et mon nom. C’est sans doute Mme Popkins qui l’a déposé ici pour moi. Qui a pu m’écrire ?
Je déchire le papier avec excitation et m’empare de la lettre qui est à l’intérieur. Mes doigts parcourent les mots écrits soigneusements à l’encre noir, l’écriture est superbe
.
Cher Alex,
J’espère que tu ne m’en voudras pas d’avoir voulu t’embrasser.
Honnêtement, tu es mon meilleur ami, l’ami le plus cool et différent que j’ai pu avoir de toute ma vie. Parfois, j’ai l’impression de te connaitre depuis que je suis née. Parfois, je me réveille en sursaut la nuit et ressens un trou béant dans ma poitrine, et je crois que le monde va exploser.
C’est dans ces moments là que je veux plus que tout ressentir quelque chose. Et tu étais là, et je me suis dit que tu étais vraiment beau, et tu es si gentil que tu n’as pas osé me dire non. Donc, merci. Qui a déjà rêvé d’un ami plus attentionné ?
Joyeux Noel,
Adriana



Je reste immobile un instant, le regard rivé sur les mots écrits d’une façon qui n’appartient qu’à elle. Je devrais sûrement lui répondre, faire une lettre pour lui dire que je ne lui en veux pas et qu’elle est toujours mon amie, mais je crois qu’elle le sait déjà.
Et je suis nul pour écrire à quelqu’un.
Ecrire pour moi, c’est la meilleure chose que je sais faire. Des poémes, des pensées, des histoires. Ecrire une lettre, c’est autre chose. Et puis je me sens aussi seul qu’elle. Nous sommes tout les deux seuls ensembles, c’est cette dernière pensée qui me rassure. En relevant la tête, je vois que Julian me scrute derrière son livre. Lorsque je croise son regard, il ne détourne pas le sien.
Je plis la lettre et la range dans le tiroir de ma table de nuit, à côté de mon carnet.
Cool, beau, gentil… Tout ces mots dont Adriana me décrit dans sa lettre me sont étrangers. Personne ne m’a jamais dit ça, et je n’ai jamais été cool, beau et gentil, de toute façon. Il n’y a qu’avec elle que je le suis.
Un seul m’est familier : Différent. Ce mot qui résonne à mes oreilles comme une cage, devient plus joli tout d’un coup.
Si c’est mon amie qui pense ça, je ne peux que me sentir flatté.

- Arrête de me regarder, dis – je à Julian sans tourner la tête vers lui, sachant pertinemment qu’il me fixe.
- Je ne peux pas m’en empêcher.
Je suis obligé de me retourner, étonné. Il a posé son livre et est assis dans le fond de son lit, les genoux ramenés contre son ventre, entourant ses jambes de ses mains. Derrière ses mèches brunes, il me jette un regard perçant ; argenté.
- Pourquoi ça ? Je demande, ne pouvant pas me l’interdire, la tension est trop forte.
- Parce que tu es magnifique.

Je le regarde pendant quelques secondes, abasourdi. Mon cœur bat plus vite que la normale, sûrement à cause de la gêne qui m’emplit petit à petit. Je pris pour ne pas rougir, c’est la chose qui me dérengerait le plus : ce serait comme un aveu.
- Ça t’arrive souvent de lâcher des choses de but en blanc, comme ça ? Je lui reproche en me levant de mon lit pour quitter la pièce.
- Hmmm… Il m’arrive d’être sincère.

Encore plus déconcertant. Je pris pour qu’il ne dise rien d’autre le temps que j’arrive à la porte, et heureusement il se tait, laissant juste ce sourire agaçant. Dés que je sors de la pièce, je me laisse tomber le long du mur, relâchant des émotions que je n’identifie pas bien. Mes doigts tremblent un peu, mais ce n’est pas désagréable.
Magnifique.
- Alex ?
Je me relève aussitôt, comme si on m’avait envoyé une décharge électrique. Je reconnais bien cette voix tonitruante et brutale, et je déteste la personne à qui elle appartient.
- Steven, dis – je à Steven Gobb en reprenant contenance.
- Qu’est ce que tu faisais accroupi devant la porte ? Questionne t-il avec un sourire mauvais.
- Je réfléchissais.
- Je ne réfléchis pas de cette manière.
- C’est qu’il ne t’arrive pas souvent de réfléchir, dis – je en serrant les dents.
Il a un petit rire qui n’a rien de sincère et lève le menton pour me regarder de haut. Je croise les doigts pour que Julian ne décide pas de sortir du dortoir à ce moment précis. Steven pourrait encore s’imaginer des choses.
- Tu ne vas pas pouvoir te cacher encore longtemps, murmure t-il d’un air cruel.
Je devrais peut être avoir peur, mais cette brute ne m’effraie pas. Que pourrait – il savoir ? Non, il bluffe, c’est évident.
- C’est ça, passe une bonne journée, dis – je en m’écartant pour partir.
Je me retourne juste avant de tourner.

- Hé, attends… Tu ne devais pas aller passer Noel avec ta famille aussi cinglée que toi ?
Il ne relève pas l’insulte et semble heureux que je pose la question.
- J’ai décidé de faire une exception pour cette année.

On se regarde pendant quelques secondes, se défiant du regard. Je cède le premier, voulant plus que tout ne plus voir sa tête, et vais à la bibliothèque, lieu ou Steven n’a jamais mis les pieds, évidemment. Je doute qu’il ait même appris à lire.
L’endroit m’apaise aussitôt. Le bibliothèquaire est en vacances et c’est une remplaçante qui s’occupe des emprunts, assise derrière son bureau. Je m’assois sur le rebord de la fenêtre, la fenêtre la plus au fond, là ou personne ne va. Une étagère débordante de livres me cache, et j’aime que personne ne puisse me voir, même si lire n’est pas un délit. J’aime juste ça, inexplicablement. Je prends le premier livre qui attire mon regard et le démarre, regardant parfois à travers la vitre pour constater que la neige est toujours là.

Cette nuit là, je fais un cauchemard horrible. Je ne me rappelle pas quoi exactement, mais lorsque je me réveille en sueur, vers trois heures du matin, je regarde aussitôt Julian, à l’autre bout du dortoir, qui dort paisiblement, lui. Le fait que rien n’agite son sommeil et qu’il semble en paix suffit à me calmer. Je bois une gorgée d’eau et me rendors. Le lendemain, un sentiment de solitude m’assaille. J’ai envie que les vacances prennent fin pour que les cours reprennent et que les couloirs soient à nouveau bondés ; sentiment nouveau. Mes journées semblent de plus en plus longues et de plus en plus froides. Eviter Julian n’est plus ce que je veux, et je doute l’avoir vraiment voulu un jour, mais ma conscience me demande de continuer. Nos discussions me manquent.
Cependant, je réussi à ne pas aller lui parler de la journée et trouve de quoi m’occuper. Durant cette journée, je prends trois douches et lis deux livres en entier, tuant le temps du mieux que je peux. Et il ne vient pas non plus vers moi, ayant sûrement compris que c’est mieux comme ça. Je le vois parler avec Steven Gobb à plusieurs reprises et me creuse la tête pour deviner de quoi ils parlent tout les deux. Je saute un repas, sur que si je le vois au réfectoire, j’irais m’asseoir à côté de lui.
Je finis l’après midi à la bibliothèque, comme la journée précédente, un nouveau bouquin entre les mains. La neige, elle, n’a pas bougée. Je décide amèrement que je déteste la neige.

Alors que je suis sur le rebord de la fenêtre et que mes paupières se ferment au fur et à mesure, mon sommeil se rapellant que trop bien de la nuit épouvantable passée, j’entends des pas tout prés et je n’ai pas le temps de me retourner car quelqu’un me maintient les deux mains, les serrant violemment dans mon dos, et des mains jettent un sac noir sur ma tête. J’essaie de crier, mais on me donne un coup sur la tête et je dois reprendre mes esprits quelques secondes. D’autres coups s’en suivent. Je sens un liquide chaud couler sur mon front, et on me jette par terre. Je me relève mais je n’ai pas le temps d’enlever le sac qu’une autre personne me pousse vers l’étagère, qui tombe à la renverse dans un bruit sourd, éparpillant des livres partout. Mon corps me fait atrocement mal et j’entends mes assaillants s’enfuir en courant. Au nombre de leurs pas, je devine sans mal qu’ils sont trois. Quelques seconde splus tard, après que je me sois relevé et jeté le sac noir qui me recouvrait le visage à travers la pièce, la femme qui s’occupe de la bibliothèque arrive, l’air paniquée.

- J’ai entendu…
Elle s’arrête net lorsqu’elle voit l’étagère renversée et les livres répandus au sol. Son regard va vers moi immédiatement et elle lâche un hoquet de terreur.
- Mon garçon, mais qu’est ce qu’il s’est passé ici ? Allez, venez avec moi à l’infirmerie.
- Quoi ? Je demande, sonné.
Je sens bien que ce qu’il vient de se passer est grave, et que les coups m’ont laissés des traces aux visages, mais je suis incapable de bouger, trop choqué pour ça. La fatigue et la panique font un mélange bizarre, parfois.
- Quoi ? Je répète alors qu’elle me prends par la main pour m’emmener à l’infirmerie, comme elle le redit à plusieurs reprises.
Je finis par la suivre. Dans les couloirs, on ne croise que deux ou trois élèves qui ne nous prettent pas attention. Une fois dans l’infirmerie, je m’assois sur un lit et avale les antidouleurs que me donne l’infirmier. Je les entends parler entre eux alors que je dois maintenir une poche de glace sur mon front, l’air ahuri. Je regarde probablement dans le vide, mais ma concentration est seulement sur ce qu’ils sont en train de se dire pour que je sache ce que je regarde.

- J’ai entendu un cri, et une étagère a été renversée… Je crois qu’il s’est fait agressé, le pauvre garçon… Non, je n’ai pas vu qui…
- Il faut prévenir le directeur… les parents … Mais pourquoi … ? Il a été sacrément amoché…
La remplaçante part prévenir le directeur, de ce que j’ai compris, et l’infirmier s’approche de moi, l’air soucieux. Heureusement, j’ai assez de bon sens pour me rappeler que je déteste cet infirmier.
- Alors, dis moi. Que s’est il passé ?
- Des gens sont arrivés, m’ont jetés au sol. Ils avaient un sac pour couvrir ma tête… Ils m’ont frappés. Ils étaient trois.
Il a l’air vraiment inquiet, et je suis content de ne pas m’être vu dans le miroir, car ce ne doit pas être joli. Cependant, lorsque je jette un œil à la poche de glace que je pressais contre mon visage, je peux y voir des taches de sang. La douleur, pourtant, me parait loin.
- Je ne comprends pas…, je marmonne, la bouche un peu pateuse à cause du sang qui recouvre ma langue.
Le goût du sang est métallique, désagréable. En y pensant, je sais très bien ce qu’il vient de m’arriver. Steven Gobb. Et deux de ses fabuleux amis. Julian… ? Non, non. Pas Julian. Enfin, je l’ai déjà frappé, mais c’était accidentel. Et il ne me ferait pas ça. J’en suis sur.
Steven… M’a-t-il agressé parce que… ? Connard, connard, connard, je me répète. Je n’ai jamais détesté autant quelqu’un. Il est assez lâche pour m’attaquer par surprise, et assez stupide pour croire qu’un sac noir m’empêcherait de deviner que c’est lui. Va-t-il recommencer ? Non, je ne pense pas. Il a fait ça par pure haine mais profite seulement du fait que le pensionnat est déserté pour les vacances pour pouvoir m’agresser sans être vu. Et dire que Neil est ami avec lui.
Plus que dégoûté, inquiet ou boulversé, je suis furieux.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 16 :

Je suis couché dans le lit blanc de l’infirmerie, au milieu d’une rangée d’autres lits vides. Evidemment, je suis seul depuis hier après midi. On m’a donné des antidouleurs et recommandé de rester au lit en attendant que mes bleus et mes bosses disparaissent. Et depuis tout ce temps, je suis couché sur le dos et fixe le plafond d’un air absent.

J’aurais pu demander à Mme Popkins ou à un surveillant de me ramener mon carnet, mais je n’aime pas prendre de risques. L’un d’eux aurait pu décider d’y jeter un coup d’œil. C’est l’infirmier qui m’a aporté mon petit déjeuner mais je n’ai pas pu y touché, trop dégoûté encore par mon agression. J’avais mal aux côtes, celles-ci se souvenant bien de quand j’avais été jeté contre l’étagère violemment, comme un vulgaire machin dont on ne se préoccupe pas. J’avais du mal à comprendre à quel moment quelqu’un ne compte plus assez comme humain. Steven devait le savoir très bien, lui.

Je m’étais regardé dans le miroir et avait repensé aux adjectifs que me donnaient Adriana et Julian : Beau, magnifique.
Ça n’était plus d’actualité, si ça l’avait été un jour. Mon visage était recouvert de bleus et ma lèvre inférieure était fendue légérement, ainsi que ma paupière droite qui avait triplée de volume.

Je m’étais presque mis à pleurer, mais m’étais rappellé au dernier moment que c’était parfaitemant inutile et avait ravalé mes larmes. En soulevant ma chemise, j’avais pu constater des hématomes qui tapissaient ma peau pâle.
Vers midi, l’horloge accrochée au mur de l’infirmerie me l’indique, Henry Twelsy, le directeur du pensionnat entre dans la pièce, l’air soucieux. J’ignore si il a du partir de son lieu de vacances ou si il vit ici, mais je me sens un peu désolé qu’il ait du faire le déplacement pour moi.
- Alors, Alexandre, vous vous êtes battus ? Demande t-il d’un air grave en se plantant devant mon lit.
Je n’amorce pas le moindre geste pour me lever, sachant que je n’en aurais pas la force. Je lâche un gémissement de douleur à chaque fois que j’essaie de me mettre sur mes pieds, et je ne veux pas apparaitre si faible devant le directeur.
- Alex, je le corrige d’une voix tranchante. Et je ne me suis pas battu, on m’a attaqué par surprise.
- Attaqué par surprise ? Demande le directeur en haussant un sourcil.
- C’est la vérité, dis – je en serrant les poings sous la couverture.

- Je te crois, dit – il, et ça a l’air sincère.
Il détaille mon visage des yeux et j’aimerais pouvoir tourner la tête, me sentant un peu honteux, mais sachant pourtant que je ne devrais pas l’être.
- Ce devrait être facile de retrouver vos assaillants si vous avez riposté. Ils doivent être aussi amochés que vous.
- Je n’ai pas pu, ils ont été trop rapides…
Il pousse un soupir et je le vois échanger un bref regard à l’infirmier qui est derrière son bureau, à quelques mètres. Ce dernier essaie de se concentrer sur une fiche mais ne peut pas s’empêcher de nous écouter, je le sais.
- Savez vous pourquoi ils s’en sont pris à vous ? Vous devez avoir eu un passif avec des élèves. Ça ne peut pas être un hasard.
Je sens un nœud se former dans ma gorge.

- Ça ne l’est pas. Je ne sais pas ce que Steven a dit à ses acolytes, mais… Lui ne m’aime pas.
- Steven ?
Je décide de lui dire ce que je pense. Après tout, il n’est pas contre moi.
- Je suis sur que c’est Steven Gobb qui a commandité cette agression. J’en suis sur, monsieur.
Twelsy semble déconcerté, un peu supris. Il n’a jamais paru aussi vieux. J’ignore ce que je pense de cet homme. Je devrais le respecter, mais je ne suis pas sur qu’il soit si bien qu’on le dise.
- C’est une supposition, nous devons avoir une preuve avant de sanctionner.
- Je sais. Je n’ai pas de preuves à vous apporter. Je ne peux que vous dire que j’en suis convaincu.
Si seulement j’avais quoi que ce soit pour le lui prouver…
- Ça ne suffit pas. C’est une accusation grave, et Steven est un bon élève. Il vient des états unis et a besoin de tout mon soutient.

- Votre soutient ?! Je viens de vous dire qu’il m’a agressé, regardez mon visage !
- Le pensionnat est désolé pour ça et payera tout les soins nécessaires, mais nous ne pouvons pas accuser un de nos meilleurs élèves sans preuves.
Je ne pourrais pas être plus furieux. Je voudrais qu’on m’écoute, qu’on aille au moins l’interroger. Le directeur me parle encore quelques minutes mais je n’y prête pas attention. Je l’entends dire que je pourrais reprendre les cours dés la fin des vacances, comme les autres élèves, et que ma mère a été prévenue. Je ne lui dis plus rien, ne réponds pas lorsqu’il me souhaite un bon rétablissement. Je me sens tellement incompris. C’est si injuste. Il repart et j’en suis heureux.
Une heure plus tard, alors que je suis en train de compter le nombre de couleurs sur le parquet, la porte s’ouvre et Julian entre, l’air inquiet. Lorsqu’il me voit, ses yeux semblent se glacer.

Oui, je sais. C’est moche.

Il s’approche et je jette un regard à l’infirmerier. Celui-ci lit un livre derrière son bureau, ne me prêtant pas d’attention. Je ne dis rien quand Julian tire une chaise dans un coin et l’installe prés de mon lit. Il s’assoit sans me quitter des yeux.
On se fixe pendant un long instant sans rien dire, sans entamer le moindre mouvement, seulement moi regardant son visage impassible et beau, et lui observant le mien, défiguré. Je décèle une lueur choquée dans ses yeux.
Je me redresse sur le lit et m’assois contre le mur, puis esquisse un sourire ( timide car si j’étire trop mes lèvres, j’ai un mal de chien ).

- Hé, je suis pas encore mort, dis – je sur un ton assuré pour briser le silence.
- Qui… ? Répond il seulement, et je l’air rarement vu aussi furieux.
- Steven. Steven Gobb. Enfin… Je crois. Ils étaient trois, mais les deux autres doivent seulement être des acolytes qui le suivent comme des bons chiens.

- Steven ? Non, tu te trompes. Je le connais, ce n’est pas son genre.
Mon sourire disparait aussitôt. Le directeur, maintenant lui. J’ai l’impression que le monde entier est contre moi ; alors que le monde entier en a sûrement rien à foutre de moi.
- Julian, je me fous que tu ne me croives pas. Je sais qui m’a frappé. C’est Steven, c’est la vérité. Steven… sait… je ne sais pas comment, mais il sait qui je suis vraiment, ce que tu as deviné toi aussi.
Ça ressemble plus à un aveu qu’a un argument convaincant, mais Julian semble comprendre. On reste encore silencieux, parce que ce que je viens de confirmer ce qu’il pensait. La raison pour laquelle je suis couvert d’hématomes. Et je sais qu’il est aussi en colère que moi.
- Je te crois. Je te crois, Alex. Tu veux que j’aille lui régler son compte ?
- Surtout pas. Ne sois pas fou. Je sais que tu en es capable, mais ça ne ferait que rendre les choses pires. De toute façon je ne pense pas qu’il recommencera.

- Sur ?
- Sur.
Il hoche la tête.
Je suis sur de moi. J’aimerais que Steven Gobb meurt dans son sommeil, et ce serait une satisfaction immense de le voir aussi meurtri que moi, mais Julian risquerait surtout de se faire renvoyer. Et c’est impensable. Je crois que cette agression m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses, dont le fait que je ne devrais pas être plus lâche que Steven. Je vaux mieux que ça.
- Sinon, tu viens d’avouer ce que je voulais que tu avoues depuis longtemps, souffle t-il avec un regard malicieux.
- Merde, dis – je sans le penser en lui retournant son sourire.
- Si nous étions seuls, je t’embrasserais.

Je sens mon cœur battre plus vite qu’à la normale. Je regarde en direction de l’infirmier qui est trop concentré sur son livre pour se rendre compte de quoi que ce soit.
- Fais le, dis – je en rapprochant mon visage du sien.
Il semble hésiter mais je suis sur qu’il en a autant envie que moi. Il se penche et m’embrasse. Je sais que n’importe qui pourrait entrer à ce moment là, ou qu’il suffit que l’infirmier lève la tête de son bouquin pour nous voir, mais à vrai dire ça me semble sans importance sur le moment.
Je sens qu’il fait des efforts pour ne pas me faire mal, qu’il est plus doux que d’habitude. Ma lèvre fendue est douloureuse mais je m’en fiche. Je suis réellement heureux d’être là, avec lui et de vivre ça. Ma vie était tellement simple avant. Pas vraiment ennuyeuse, juste… sans importance.
Il me prend la main et la mienne reste figée dans la sienne. Je suis surpris ; je ne me rappelle pas la dernière fois qu’on m’a pris la main. Pourtant, je ne la retire pas. Je ne l’encourage pas non plus dans ce geste mais je ne veux pas le vexer, et… En réalité, c’est plutôt agréable.
Julian échange un long regard avec moi, et pour une fois je n’ai pas peur de rougir ou d’avoir le regard fuyant. Je suis content, car il a l’air heureux.
- Tu sais que tu restes toujours beau, même avec tout ces bleus, Alex.
- Non, je ne sais pas.
- Maintenant, si.

J’hoche la tête : Même si j’ai du mal à me l’imaginer, il semble sincère. Et je le crois. Je crois Julian. Quoi qu’il dise, je lui ferais toujours confiance, et c’est peut être plus un désavantage qu’une bonne chose.
- Combien de temps vas-tu rester à l’infirmerie ?
- Jusqu’à la fin des vacances.
- Quelles bonnes vacances, dit il avec un sourire espiègle.
- Très très bonnes vacances, dis – je ironiquement en levant les yeux au ciel.
Il reste avec moi tout le reste de la journée. On parle, il m’aide à avaler le repas que m’apporte l’infirmier, et me lit les passages d’un roman. Il me dit que c’est un livre que lui a offert sa mère, ce qui a sûrement de la valeur à ses yeux. Il me dit qu’il déteste ce livre et qu’il ne l’a pas du tout apprécié, et pourtant je vois une lueur dans ses yeux lorsque qu’il le lit. Et je me demande pourquoi c’est celui-ci qu’il a choisi, parmi tant d’autres, s’il le déteste autant.
C’est l’histoire d’un chevalier, à l’époque du Moyen Age, qui se lie d’amitié avec un autre chevalier. Tout tourne atour de leurs aventures et leurs exploits. Ils sauvent un village entier d’un incendie, ils tuent un monstre des mers. Mais un jour, les deux chevaliers se marrient à des femmes de la cour et fondent une famille chacun de leurs côtés. Ils sont très occupés et s’éloignent peu à peu l’un de l’autre. Puis ils ne se revoient plus jamais.

- C’est la fin ?! Je m’exclame, étonné que ce soit si triste.
Il me fait oui de la tête, l’air mélancolique. Je peux comprendre pourquoi il n’aime pas ce livre. Je ne sais pas trop ce que j’en pense moi-même. Je crois que j’ai bien aimé, en partie parce que c’est Julian qui me l’a lu.
- Est-ce que tu comprends pourquoi ma mère me l’a offert ? Demande t-il en serrant les dents.
- Non.
Il baisse les yeux. J’essaie de comprendre, de saisir ce qu’il veut me transmettre, mais je n’y arrive pas. Je suis juste trop fatigué. Je regarde l’horloge installée sur le mur : 18h.
- Je crois que je vais… dormir un peu, si ça ne te dérange pas.
- Je peux rester prés de toi ?
- S’il te plait, oui.

Je m’allonge dans le lit et il pose le livre sur ma table de chevet avant de s’asseoir à côté de moi. Il regarde par la fenêtre, celle juste au dessus de mon lit, l’air pensif tandis que je ferme les yeux.
Lorsque je me réveille, il est 0h02. La pièce est plongée dans une obscurité hivernale apaisante, l’infirmier n’est plus à son bureau et Julian n’est plus là. Je bois une gorgée du verre posé sur ma table de chevet, puis me mord la lèvre en me rendant compte qu’aujourd’hui nous sommes le 24 Décembre. Je me demande ce que fait ma mère, si elle a été invitée par la voisine pour le réveillon ou si elle est seule. J’espère qu’elle est seule, et que je lui manque. Je suis atroce, je sais ça. Je me déteste aussi.
Et je n’ai rien à offrir à personne. Pas que Neil m’a préparé un cadeau, mais c’est sûrement le cas de Julian. Celui-ci est trop borné pour ne pas m’avoir acheté quelque chose. Une demi heure plus tard, il est de retour avec un paquet dans les mains.
- Joyeux Noel, Alex ! Me lance t-il joyeusement en lançant le cadeau sur mon lit.
- Tu n’aurais pas du.
- Si.
- Je n’ai rien pour toi.
- Tu as tout pour moi, murmure t-il avec un clin d’œil.
Je détourne la tête, gêné. Je vois bien qu’il est encore furieux à cause de ce qu’on m’a fait, et il sait que les bleus sur mon visage ne partiront pas de si tôt. Mais il essaie de me rendre heureux, et je suis reconnaissant pour ça. Que ferais – je sans lui ? Mon dieu, pourquoi faut il que je sois autant dépendant ?
- Ouvre, dit – il en s’asseyant sur le rebord de mon lit.
- N’est ce pas le matin qu’il faut ouvrir les cadeaux ?
- Objectivement, nous sommes déjà le matin.
Il a raison, et je sais que je ne pourrais pas à échapper à sa gentillesse.
Je déchire le papier en ayant l’air heureux. A l’intérieur se trouve un carnet à la reliure épaisse et aux pages blanches magnifiques. La couverture est bleu ciel.
- J’ai remarqué que tu écrivais souvent dans un carnet. J’aimerais que tu puisses écrire dans le mien.
Je me sens envahi d’une vague d’émotion ( et c’est peut être absurde ) mais je réussis à ne pas pleurer. Il me prendrait sûrement pour un idiot si je me mettais à pleurer, en plein milieu de cette infirmerie à minuit et quelques.
- Merci, dis – je tout bas pour qu’il n’entende pas l’émotion de ma voix.
- C’est sûrement le pire Noel que tu vis, mais je suis content que ça te plaise.
Il a tort. C’est le meilleur Noel que j’ai de toute ma vie. Je range le carnet dans un tiroir de ma table de chevet en me jurant de ne pas l’oublier. Cet objet est sûrement la seule chose que je retiendrais de Julian lorsque j’aurais 80 ans et que je serais affalé dans un fauteuil sans pouvoir bouger, seul et malheureux.
- J’ai une idée, dis – je avec un sourire espiègle qui appartient d’habitude à Julian.
J’attrape la chemise que je porte et la fais passer par-dessus ma tête.
- Je crois que j’aime bien cette idée, dit – il, narquois.
- Ce n’est pas ce que tu crois, dis – je en levant les yeux au ciel. Tiens, je t’offre cette chemise. Au moins tu auras toujours un souvenir…
Il la prends, l’air impassible, et pendant un instant je regrette ce geste et ait l’envie de me frapper. C’est stupide, il va me prendre pour un mec stupide et faussement romantique, il va rigoler et se moquer. Mais c’est tout le contraire. Il plit la chemise et la met en boule dans sa poche.

- C’est une bonne idée, en effet.
- Tu veux une comparaison débile ? Dis – je en me sentant pris par une inspiration soudaine.
- Si le mot débile a un sens. Vas – y.
- Je suis au purgatoire et tu es déjà au paradis.
- Non, oui, en effet, c’est débile, dit – il avec un petit rire.
J’aimerais lui poser une tonne de question, mais je sais que Julian aura toujours cette part innaccessible, et je dois m’y faire. Jamais il ne m’aimera assez, jamais il ne m’appartiendra assez.
- Est-ce que tes parents t’ont envoyé un cadeau ? Je questionne quand même,perdu pour perdu.
Il se crispe un peu, l’air surpris par la question.
- Si ils s’en tiennent aux années précédentes, je ne devrais pas espérer pour ce Noel.
Je sens qu’il y a plus de colère que de tristesse dans sa voix. Je ne suis pas étonné.
- Bon, maintenant dis moi pourquoi est ce que tu as embrassé Adriana.
- Sommes nous obligés d’en parler ?
- Oui. Enfin, tu sais bien que non. Mais oui.

Je prends une respiration et me redresse.

- Ben, je crois qu’elle est perdue, et si je peux lui apporter un peu de réconfort…

J’explique très mal la situation, et je vois sans mal la grimace sur le visage de Julian, même dans le noir. Je me penche vers lui pour ne plus avoir à parler, et l’embrasse. Il m’embrasse aussi, bien sur.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 17 :


Les vacances de Noel s’achèvent sans que je croise Steven Gobb à nouveau. Il semble avoir disparu de la circulation, et je ne peux qu’espérer qu’il ait trop honte pour se montrer, mais ce serait trop beau. Ma mère m’envoie un paquet qu’un surveillant se charge de me remettre et je l’ouvre sans vraiment d’entousiasme : il s’agit de deux cravates, l’une rayée, l’une immaculée de blanc.

Wouawh. Merci, chère mère.

Je pousse un soupir et jette les cravates sur mon lit. Je suis enfin sortit de l’infirmerie, non sans sequelles. J’ai toujours mal lorsque j’effleure mon visage avec mes doigts. Le directeur n’est plus revenu et j’ignore si il a fini par me croire.
En cours, les professeurs ne semblent pas surpris en me voyant, mais j’entends les élèves chuchoter sur mon passage. Il y a apparemment plusieurs rumeurs, comme quoi je me serais battu avec un garçon nommé Michael, ou je serais tombé dans les escaliers car j’étais soul. Quelle imagination, tout de même. Quand j’entre en classe, mon regard croise celui de Steven. Il reste impassible et se contente de me rendre mon coup d’œil meurtrier.

- Hé, Julian, tu viens à côté de moi ? Héle t-il.
Je me retourne et constate que Julian est entré à ma suite. Il ne me jette pas un coup d’œil et je crains qu’il n’accepte.
- Non, ça va aller. J’ai dit à Pierre qu’on serait en binome, lâche t-il avant de s’en aller.
Je sens un soulagement me balayer, comme si mon cœur se réchauffait un peu. J’ai été bête de penser qu’il allait dire oui. Il le déteste presque plus que moi. Je m’installe dans le fond de la classe sans le quitter du regard. C’est presque horrible, cette attirance que j’ai pour lui. Je sens que je pourrais ne plus la supporter et en mourir. Mais mourire d’amour, quoi de plus beau ? Au moins, même si je suis en Enfer, je serais envié par tout les morts.
- Salut, dit Neil en s’asseyant à la place adjaçente.
- Salut. Bonnes vacances de Noel ? Dis – je en me tournants vers lui.
Soudain, ses yeux s’écarquillent et il semble grincer des dents comme pour contenir un petit cri de surprise. Il détaille mon visage du regard.
- Mais qu’est ce qui t’es arrivé ?
- Quoi, tu n’as pas entendu les rumeurs ? Je soupire avec lassitude en tournant la tête.
- Si, mais… je me dis qu’elles ne peuvent pas être vraies. Mais je n’avais pas vu ça de mes yeux, et c’est bien pire que je ne le pensais. Dis moi ce qu’il s’est passé.
Le prof commence son cours et je fais signe à Neil qu’il faut baisser le ton de la voix. Je me rapproche pour chuchoter :
- On m’a attaqué par surprise à la bibliothèque. Le directeur est dans le dénis, comme tout le monde.
Il hausse les sourcils et je ne sais pas si il me croit.
- Tu es sur ?
- Oui, je suis sur ! Tu crois que quoi, je me suis frappé moi-même, que j’ai pris des cours de boxe pour Noel ?, je lâche entre mes dents, frustré que personne ne puisse envisager une seconde qu’il y ait de vrais cons ici.
- Mais qui ?
- Je n’ai pas pu les voir, mais j’ai très bien mon idée sur la question.
Je me demande pendant une minute si Neil ne va pas prendre le partit de Steven si je lui dit que c’est lui, mon agresseur. D’accord, je n’ai aucunes preuves, mais j’en suis convaincu. Et c’est plus mon ami que l’ami de Gobb, non ? Finalement, Neil ne passe pas tant de temps avec moi que ça. Peut être discute t-il avec Steven plus que je ne le pensais. Et puis il me demanderait pourquoi il m’a attaqué, et je ne pourrais pas répondre « Oh, il ne supporte tout bonnement pas qui je suis. Mais pas d’inquiètude, personne n’est plus insupporté par moi que moi-même ». Non, plutôt quitter le pays que d’annoncer la vérité.
- Et donc ? Tu as cru voir qui ? Demande t-il avec insistance.
- Rien… oublie, je souffle en lui adressant un sourire d’excuse.
Neil pousse un soupire, comme exaspéré, et je me félicite de ne lui avoir rien dit. Peut être ne sommes nous pas si amis que ça.
Après le déjeuner, il me reste une heure avant le cours de littérature, et je fausse compagnie à Neil en prétextant un mal de tête lançinant. Après quelques pas, je me retourne et constate qu’il ait allé rejoindre la bande de Steven. Je sens une légère sensation de froid s’emparer de moi, et me dépêche de rentrer au dortoir. Celui-ci est vide, à l’exception d’un garçon de 14 ans qui s’est endormit. Les cravates que m’a envoyé ma mère sont toujours là, gisantes sur le lit. J’ouvre le carnet offert par Julian et commence à griffonner ce qui ressemble à un poéme sur la première page, mais seule l’inspiration de ma colère me vient.
- Tu fais quoi ?
Je me retourne, pas étonné de voir Julian, debout derrière moi. Il s’assoit sur le lit et je lui fais un peu plus de place.
- J’écris dans ce carnet que m’a offert quelqu’un.
- Ce quelqu’un est sympa, au moins ?
- Hm, non. Mais beau.
Il m’ébourriffe les cheveux en levant les yeux au ciel.
- Oh, mais attends ! à défaut de faire l’éloge de ma gentillesse infinie, ais – je rêvé ou tu as dit que j’étais très beau ?
- Beau, pas très beau, je soupire en rangeant le carnet. Tu prends déjà la grosse tête.
- Oh.
Il fait mine d’être dévasté par ce que je dis. Il est très doué pour mimer la tristesse.
- Mais je plaisante ! Bien sur que tu es très beau. Le plus beau de nous deux.
- Ça c’est faux… dit il en passant son bras par-dessus mon épaule.
Je sens qu’il veut m’embrasser, mais tout ici nous en empêche. Dans l’infirmerie ou dans le parc, passe encore, mais au milieu du dortoir, c’est impossible. Il se contente de caresser ma nuque avec son index, ce qui me donne des frissons.
- Qu’est ce que c’est ? Demande t-il en voyant les cravates posées devant nous.
- Un merveilleux cadeau de ma mère, dis – je sans beaucoup d’intensité pour lui transmettre ma déception.
- Mais ne sois pas cynique ! Je les trouve réellement superbes !
- Menteur.
- Mais non. Allez, essaie en une au moins ! Celle rayée !, commande t-il en se levant du lit.
- La plus moche, comme par hasard.
Il me tire pour m’obliger à me poster devant lui et je n’ai pas la force de résister. De toute manière, ça ne sert à rien. Quand il a quelque chose dans la tête, impossible de le lui retirer.
- Laisse moi te la mettre.
Il la prend et s’approche de moi pour la passer autour du col de ma chemise ( j’ai retiré la vraie cravate de mon uniforme un quart d’heure auparavant ). Ses longs doigts fins entreprennent de la nouer autour de mon cou, et sa peau touche celle de mon cou à de nombreuses reprises. Son corps est collé au mien, inutilement bien sur, mais il le fait exprés. Il sait ce qu’il fait. J’ai la chair de poule partout à présent : pas grand-chose suffit à m’exciter. Je me sens un peu serré dans mon pantalon et baisse un peu ma chemise pour le cacher.

- Et voilà ! Déclare t-il après avoir fini. Magnifique.
- Merci, dis – je, la voix pâteuse.

Il me sourit et je lui souris aussi.

La semaine passe rapidement. Neil ne me parle plus vraiment, et je remarque vraiment la différence avec le début de l’année ou il n’arrêtait pas de me raconter sa vie, jusqu’à la fois ou il avait renversé un plat de pommes de terres sur des touristes belges.
Il ne me manque pas vraiment, mais je suis un peu déçu de devoir être tout le temps seul. A croire que ce pensionnat a réussi à me changer, finalement. Et puis… cela m’inquiète un peu de le voir discuter avec Steven Gobb. Si ce dernier est clairement homophobe ( mais ici, tout le monde l’est, alors ce n’est pas comme si je pouvais le lui reprocher vraiment. Après, tout a-t-il vraiment tord ? Je ne sais rien de ces choses là ), j’ignore si c’est le cas de Neil. Il a bien un jour dit le mot « pédé ». N’est ce pas péjoratif ?

Penser à ça me donne mal à la tête. C’est le Dimanche du mois ou les visites sont autorisées. Bien sur, je ne m’attends pas à voir ma mère. Pourtant, en passant devant la salle ou les familles se regroupent pour rencontrer leurs fils, je l’aperçois, debout dans un coin, l’air de chercher quelqu’un : moi.

- Maman, dis – je après m’être frayé un chemin dans la petite foule. Qu’est ce que tu fais là ?
Je ne suis pas réjoui de la voir. Je m’étais habitué à son absence. Ne m’a-t-elle pas… abandonné ?
- Je voulais voir mon fils. Qu’est ce que tu as grandi ! Mon dieu, mais tu es si mince… Tu manges bien au moins ?
- Mais oui, dis – je en mettant mes mains dans mes poches, lasse de ce genre de réprimande maternelle.
- Et tes cheveux ! Encore plus blonds que lorsque je t’ai laissé en Septembre. J’ai de la chance d’avoir un fils aussi beau.
Julian, puis ma mère. Qu’ont – ils à me faire des compliments ? C’est bien une nouveautée. Et puis c’est n’importe quoi ; je ne suis pas beau, je ressemble à un cadavre. J’ai les joues creusées et des cernes pas possibles, sans parler des quelques bleus restants sur mon visage.

- Viens, allons parler dans le jardin, dit – elle en me prenant par la main pour m’emmener dehors.
Je la suis sans protester, et ne retire pas ma main pour une fois. J’ai passé ce genre de gamineries. Je sais ce que me dirais ma grand-mère. « Grandis, Alex. Le monde est plus beau lorsque tu es assez grand pour le voir en entier. »
Oui, mais bon, ce n’est pas ce genre de proverbe idiot qui m’aidera à accepter qui je suis.
- Le directeur m’a apellé pour me dire qu’on t’avait un peu bagarré…
- Un peu ?! Je m’exclame, insurgé d’un tel euphémisme.
- Je croyais que les garçons ici étaient bien éduqués…
- Il y a un autre apprentissage que l’éducation, dans leur tête vide.
- Quel apprentissage ? De quoi tu parles, Alex ?
- … Rien. C’est juste que parfois, l’éducation n’est pas ce à quoi on s’attends.
On marche dans l’herbe quelques minutes en silence. Ma mère semble avoir rajeunie, elle a une nouvelle robe et ses cheveux sont coiffés en un brushing excellent. Apparemment, ne plus m’avoir facilite bel et bien sa vie. Ce n’est pas elle qui a des bleus. Je suis triste qu’elle ne soit pas plus inquiète pour ma sécurité. Ces choses là la dépasse.
- Et tu es toujours premier de la classe, j’imagine ?
- Ouais…
Je ne dis pas souvent « ouais ». Je crois que Julian déteint sur moi.
- C’est bien. Je suis fière de toi Alexandre.
- Alex…
- Alex, se corrige t-elle en passant sa main dans mes cheveux avec un léger sourire mélancolique.
On passe devant Steven Gobb qui est assis sur un banc, en pleine discussion avec ses parents. Quand il me voit, il leur murmure quelque chose et ces deux là se retournent vers moi pas le moins discrètement du monde. Heureusement ma mère ne le remarque pas.
Je me demande ce qu’il a pu leur raconter sur moi.
- Et est ce que tu as une petite amie ? J’imagine qu’il doit y avoir des filles dans le coin.
Ce n’est pas vraiment ça… Si tu savais, maman.
- Je n’ai pas le temps pour ça.
- Oh. Mais tu sais, tu n’es pas obligé d’être seulement concentré sur tes études. L’adolescence est quelque chose qui n’arrive qu’une seule fois dans la vie, il faut savoir en profiter.
- C’est toi qui me dis une chose pareille ?
Nous ne parlons plus pendant longtemps, et l’on se contente de faire le tour du pensionnat en marchant, mains dans les poches.
- Tu sais Alex… Je dois te dire quelque chose.
- Hm ?
- J’ai… rencontré quelqu’un.
- Quelqu’un ? Dis – je en me figeant, surpris. Tu veux dire, un homme ?
- Oui. Il se nomme Paul et est fou amoureux de moi. On s’est rencontré au café ou je travaille et je crois que ça commence à être sérieux…
- Et toi, tu es folle amoureuse ?
- Je crois bien.
- Il est gentil, tu es sur ? C’est ce que tu disais de mon père, et…
Elle semble un peu déstabilisée mais renchérit :
- Tu sais, avec nos deux salaires réunis, on a plus de moyens et je songe à t’enlever de ce pensionnat. Comme ça, on vivra tout les trois.
Je m’arrête de marcher, n’en croyant pas mes oreilles. Elle veut me reprendre ? Et je quitterais le pensionnat ?
Le vent souffle fort par ce mois de Janvier et des larmes de froid s’accumulent au coin de mes yeux. Je souffle longuement, assimilant ce que je viens d’entendre.
- Maman… Je ne suis pas sur que ce serait aussi simple.
Elle fronce les sourcils, inquiète.
- De quoi tu parles ? Je te dis que financièrement, ça va mieux.
- Je sais, mais…
Mais Julian. Je ne peux juste pas partir. Je ne le supporterais pas. Lui passerait sûrement à autre chose, mais ne plus le voir me tuerais. Je sais que tout cela semble un peu mélodramatique, mais c’est ce que je ressens. Mais bien sur, je ne l’avouerais pas à ma mère.
- Mais je commence à me plaire ici.
Ce n’est pas totalement un mensonge… Bien que cela me fasse passer pour un masochiste après m’être fait frappé dans la bibliothèque.
- Oh làlà, mon Alex… Comme tu as changé… souffle t-elle en mettant sa main sur ma joue.
Ma mère finit enfin par partir. Je la vois remonter dans notre vieille voiture et prendre la route du village ou elle vit, et ou je vivais.
Je ne sais pas trop quoi penser de ce « Paul ». Tant mieux pour elle, non ? Elle mérite d’être heureuse.

Un après midi vient à Harly’s Park ou Julian et moi sommes assis sur un muret. Enfin, je rectifie : Julian est assis et moi je suis allongé sur le dos entre ses jambes qui pendent le long du muret. Celui-ci ne fait que deux mètres et sépare la frontière entre le par cet la forêt, cette fameuse forêt, et la maison ou nous avons dormis, moi en boule sous la fenêtre et lui sur le lit miteux. Cela paraît bien misérable dit comme ça, mais cette nuit a pourtant été si précieuse.
- Arrête de jeter des regards partout. Il n’y a personne ici, Alex, m’assure Julian en jouant avec mes cheveux.
Il passe ses doigts entre mes mèches avec une lenteur exaspérante. C’est fou, les gens qui touchent aux cheveux comme ça. Il y a des choses bien plus intéressantes sur le corps…
- Je sais. C’est juste une habitude.
- Tu as vu ta mère pendant la visite mensuelle ?
- Oui.
- Tu veux en parler ?
J’hausse les épaules. Je vois mal ce qu’il y a à en dire.
- Elle a rencontré un homme et songe à me reprendre…
Il arrête immédiatement son petit jeu dans mes cheveux et je le sens se crisper. Sa réaction me soulage d’une manière égoiste. Je suis bien trop heureux qu’il tienne assez à moi pour se soucier d’un quelconque départ.
- Et tu es d’accord ? Demande t-il en reprenant sa petite manie.
Sa voix est différente, cependant.
- Non. Peut être. Ma mère me manque…
Comme je le vois l’air inquiet, j’étouffe un rire en me relevant et me tourne vers lui pour mettre mes jambes dans la même position.
- Je plaisante, Julian. Je ne pourrais jamais partir…
- Pourquoi ça ?
- Tu le sais bien.
- Non, pas du tout. Arrête de surestimer ma capacité de voyance.
- Pff. Tu es incroyable… Tu sais bien ce que je veux dire !
C’est à lui de rigoler. Bon dieu, qu’il m’agace parfois.
- Ok, je sais. Tu ne peux plus te passer de m’embrasser c’est ça ?
Je rougis. Je ne pensais pas qu’il répondrait ça. L’idée qu’il pense que je ne veux pas le quitter seulement pour une raison physique m’exaspère.
- Non. C’est de toi que je ne peux plus me passer.
Il semble surpris que je sois aussi direct ; c’est vrai que ce n’est pas dans mes habitudes. Mais je ne suis plus exactement le garçon que j’étais quand il m’a rencontré. Je crois que je me suis rendurci mais adouci à la fois, avec les autres et envers moi-même. Je pense que c’est une bonne chose.
- Et je suis le seul dont tu ne peux plus te passer ?
- Tu parles d’Adriana ?
- Bizarre que tu comprennes aussi vite, dit – il pour rigoler, mais je sais bien qu’il y a une part de sérieux.
- Eh bien…
Que veut – il que je lui dise exactement ?
- Quoi, tu l’as embrassé non ?
- Ne reviens pas sur ça. Tu sais que…
- Non, je ne sais pas, dit il en haussant les épaules et en essayant de paraitre détaché de la discussion.
J’écarquille les yeux et descends du muret. Un léger sourire apparait sur mes lèvres tandis que je le fixe.
- Attends attends attends Julian… Tu es jaloux ?
Il lève les yeux au ciel et acquiesce. J’éclate de rire, étonné.
- Toi jaloux ? Vraiment ?
Je ne peux pas contenir cette exclamation de surprise.
- Ce n’est pas si surprenant que ça. Tu l’as quand même embrassé.
- Oui mais ce n’était pas vraiment… Enfin… Elle est plutôt comme une sœur pour moi.
- Peut être, mais je crois qu’elle ne dirait pas la même chose.
- N’importe quoi. Allez, tais – toi, lui dis – je en remontant sur le muret, toujours abasourdi.
Il obéit et ne parle plus tandis que je m’allonge de nouveau pour regarder le ciel. Julian est jaloux. Je ne peux pas y croire, moi qui croyais qu’il était bien au dessus de ce sentiment. Je me croyais seul, mais en vérité lui aussi est réellement attaché à moi et à mes sentiments. Je lâche un léger rire soulagé et Julian me demande ce que j’ai à rire bêtement.
- Rien.
- Eh, tu sais, je pense que je vais me faire tatouer, dit – il en changeant de sujet.
Je me relève immédiatement.
- Tatouer ? Mais t’es fou ? Pourquoi ?
L’idée même que quelqu’un passe une aiguille sous sa peau pour y inscrire de l’encre me fait frissonner. En plus, il faut être majeur, non ?
- Comme ça. Je sais pas. Je pense que ça m’irait bien. Tu crois pas ?
- Non, dis – je le plus sincèrement du monde.
- Même un sur le torse ? Je devrais enlever mes vêtements pour te le montrer. Ou sur les fesses.
- Mmmh. Je sais pas. T’as même pas l’âge, dis – je en contournant ses allusions.
- Je trouverais bien un moyen. Tu sais, y’en a qui s’en fichent de l’âge, ils veulent juste que je les payes.

Je soupire, convaincu qu’il ne le fera jamais.
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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 18 :

Lundi. Je me fais réveiller en sursaut par des mains qui secouent mon épaule et des sanglots bien trop prés de moi. C’est encore la nuit, la pièce est plongée dans le noir et je sais que tout le monde dort encore. J’écarte des mèches de mes cheveux et m’assois sur mon lit, perdu.
- Quoi ?!
- Alex…
- Neil ? Qu’est ce que tu fais ?! Il doit être quatre heure du matin… Je m’exclame en ouvrant grand les yeux.
Il est juste en face de moi, à genoux par terre et la tête baissée. Malgré la prénombre je discerne des larmes couler le long de ses joues et je l’entends gémir des paroles incompréhensibles. Je ne l’ai jamais vu dans cet état là.
- Attends, qu’est ce qu’il se passe ? Viens, assois toi à côté de moi…
A vrai dire je n’ai pas vraiment envie qu’il vienne s’asseoir sur mon lit mais je n’ai pas le choix. C’est mon ami, et il semble dévasté. Neil obtempère tout en essayant de ravaler ses pleurs mais n’y parviens pas, débordé par l’émotion. Je me sens gagner par la peur, que se passe t-il donc ? Je m’imagine soudain des milliers de scénarions effrayants.
- Alex… chuchote t-il, les joues humides, les cheveux complètement décoiffés.
- Je suis là. Dis moi ce qui te met dans cet état.
Il a l’air d’hésiter, mais finalement relève ses yeux vers moi en reniflant.
- Excuse moi, excuse moi… Peux tu m’excuser ? Geint – il en m’attrapant le bras d’un air anéanti.
Je fais un mouvement pour dégager mon bras de son emprise, surpris. Mais l’excuser de quoi ? De me réveiller en plein milieu de la nuit ? De me pleurer dessus ? J’essaie de réunir mes pensées pour l’amener droit au but.
- Ecoute Neil, j’ignore de quoi tu veux parler. Est-ce que tu es blessé ? Tu as mal quelque part… ?
- Je n’arrête pas d’y penser, depuis les vacances… ça me ronge… Excuse moi Alex…
- Tu n’arrêtes pas de penser à quoi ?
- Au jour ou tu t’es fait agressé, dans la bibliothèque.
Je marque un temps d’arrêt, abasourdi. Ma première pensée est « comment est – il au courant ? » puis je me rends compte de ce que ça veut dire et je ne peux plus bouger. Il le savait depuis tout ce temps, et ne m’en a pas parlé ? Je m’écarte brutalement du lit, le regard soudain vide. Je n’y crois pas. Si il le sait, c’est qu’il était là.
- Neil…

- Je suis désolé… C’est Steven, il m’a dit des choses… Je n’ai pas réfléchi… Tu peux me pardonner ? Demande t-il de sa voix pleureuse.
Je sens mon visage palir et je n’ai plus l’impression de voir Neil, mais quelqu’un d’autre, quelqu’un que je ne connais pas. Il est toujours là, assis sur mon lit, l’air malheureux, mais s’est il comme je l’ai été moi-même ? Sait – il ce qu’il m’a infligé ?
- Tu m’as frappé, Neil. Tu m’as tabassé avec ces autres garçons. Comment pourrais – je te pardonner ? Comment a tu pus penser que je te pardonnerais un jour ?!
Je mets toute ma haine et toute ma déception dans cette phrase, conscient que ça impactera Neil déjà bien ravagé par la peine. Je me fiche de sa culpabilité, je me fiche qu’il soit désolé. Il aurait pu dire non, il aurait pu se révolter contre Steven – il était mon ami.
Je me sens soudain trahi, mal. Plus que de la colère : de la tristesse, une profonde tristesse qui s’empare de moi. Je pensais que j’avais des amis. Je croyais que je commençais enfin à apprécier des gens normalement. Et une de ces personne, Neil, est celui qui a participé à mon agression.

- Alex, je ne savais pas à quel point c’était mal et stupide quand je l’ai fait… Essaye t-il de se justifier en se relevant du lit, impuissant.
- Tais toi. Je ne veux plus jamais entendre ta voix, dis – je d’une voix sans appel.
Je veux qu’il sache que je ne pourrais plus jamais lui faire confiance. Plus jamais.
Il ouvre la bouche pour répliquer mais finit par la refermer, l’air complètement perdu. Je ne me vois pas me recoucher dans ce lit, sur lequel il était assis une seconde plus tôt, ni passer le restant de la nuit à faire comme si tout allait bien. A la place, je sors du dortoir sans me retourner, vérifiant au passage que tout le monde dort encore, et c’est le cas. La porte refermée, je laisse éclater ma peine et des larmes coulent le long de mes joues, ce que je croyais impossible. Après tout ces pleurs, encore ?
Ce ne sont pas les mêmes que ceux de Neil. Ceux – ci sont silencieux, doux, et n’expriment pas toute la douleur qui me transperce le cœur.

Le couloir est vide, plongé dans le noir, et j’ai l’impression que ce couloir sombre est accueuillant, là pour me consoler : il n’y a personne, aucuns bruits, aucuns sons ; juste moi et mes sentiments. Au bout d’un moment, je n’ai plus aucunes larmes. Juste une profonde sensation de trahison, qui, je le sais, persistera pour longtemps encore.
J’entre dans la salle de bain commune, vide elle aussi. J’allume la lumière et la pièce s’illumine, et m’apparait si lumineuse, si confortable à présent qu’aucuns regards ne peuvent se poser sur moi et sur mon corps. Je décide de me laver et me déshabille puis me dirige vers un des jets. L’eau est tiède, je la règle pour qu’elle soit brûlante. Alors qu’elle se déverse sur moi, j’essaie de chasser hors de mes pensées ma douleur.
Je reste une bonne demi heure sous l’eau avant de me sécher. Le miroir en face de moi me renvoie l’image de mon visage encore marqué par les coups. Certes, il a retrouvé sa couleur normale, mais de légères cicatrices qui ne devraient pas rester trop longtemps ornent mon front et mon arcade sourcillère gauche.

Ce pourrait très bien être Neil qui m’a fait celle là, me dis – je en passant un doigt le long d’un trait fin de sang sur ma pommette. Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point c’était grave. Je n’osais pas réellement me regarder dans le miroir, et personne n’a essayé de montrer les choses, de me montrer, tel que ça l’était : de véritables blessures. Les coups m’ont vraiment été portés avec une haine intense, comme est ce possible sinon ? Peut être que Neil s’est simplement fait emporté, mais Steven, lui, voulait réellement me blesser, mutiler mon visage, et pourquoi ? Parce qu’il n’aime pas ce que je représente.
Non, le pire, ce n’est pas les cicatrices et la blessure en elle-même, mais plutôt le fait que tout le monde a minimisé les choses. Le directeur, ma mère, moi-même…

- Quelle bande d’idiots, je me soupire à moi-même en fixant mon regard bleu.
Je me rhabille avec l’uniforme et ressors. Comme je ne veux surtout pas rentrer à nouveau dans le dortoir et risquer d’être encore confronté à Neil, je décide d’aller lire dans un des salons du pensionnat. C’est le seul endroit ou je veux aller. Même la bibliothèque ou j’ai tant aimé passé du temps, me dégoûte à présent. C’est là bas que ça s’est passé, après tout.
Je me rends donc dans le salon d’étude le plus proche et m’affale dans un fauteuil. Je crois un instant que j’arriverais à lire, et saisis un livre qui traine dans la pile de bouquins posés sur la table basse ( et je sais ce que Julian me reprocherait ! ) mais abandonne l’idée bien vite.
Je finis par m’endormir dans le fauteuil, le visage enfoui dans un coussin épais.
A mon réveil, je suis en nage. Il doit être dans les 8h du matin ; j’aperçois par la fenêtre un temps nuageux. Je suis heureux que la température redescende un peu en ce moment. Le soleil me manque atrocement.
J’ai fait un cauchemar horrible. Dans celui-ci, Neil et Steven m’avaient attachés sur une croix ( oui, une croix, une croix en bois et énorme, comme Jésus ) et me hurlaient des insultes tandis qu’un vautour s’approchait de moi pour m’arracher la peau. Drôle de rêve.

Je me lève et m’étire, puis me rends à mon cours d’EPS. Avec un peu chance, je serais en avance.

Je n’ai pas revu Adriana depuis qu’elle m’a demandé de l’embrasser. Cet après midi, je la retrouve sous notre point de rendez vous, l’arbre sur lequel l’on s’est parlés pour la première fois, avec appréhension. J’espère vraiment que ce ne sera pas gênant entre nous et que nous sommes toujours amis.
Lorsque je la vois arriver, je comprends aussitôt que rien n’a changé. Elle arbore un sourire solaire et a détaché ses cheveux. Elle semble vraiment heureuse de me voir.
- Alex !
Elle se jette dans mes bras et je la serre contre moi un instant. Ça n’est pas du tout étrange. Elle finit par se détacher de moi, l’air joyeuse.

- Comment s’est passé ton Noel ? Me demande t-elle alors que nous marchons dans la forêt.
- Mal.
Maintenant que l’évènement est passé, j’ai moins de mal à en parler. Même si je suis résolu à ne pas parler de l’implication de Neil dans ça, ni à Adriana ni à Julian. Je ne voudrais pas que l’un deux aille le lui reprocher et lui demander des comptes ou quoi que ce soit. Il est peut être mieux pour tout le monde que je garde ça secret et que je me contente de ne plus jamais adresser la parole à mon ancien ami.
- Que s’est il passé ?
Je lui explique mon agression dans la bibliothèque en détails, mais j’ajoute que je n’ai aucunes idées de pourquoi ils s’en sont pris à moi. Evidemment, je ne suis pas prés à lui révéler ce que Steven a compris. Peut être ne le serais – je jamais.
- C’est horrible, souffle t-elle en observant mon visage pour essayer d’y déceler quelques traces des coups. C’est vrai que je ne l’avais pas remarqué mais… tu as des petites cicatrices oui. Mon dieu Alex, je suis tellement désolée ! C’est affreux que le directeur n’ait pas pris ça plus au sérieux.
- Le monde est affreux en ce moment…
- Et ta mère ? Tu le lui as dit ?
Je sens mon cœur se serrer à l’évocation de ma génitrice.
- Elle ne s’en ait pas réellement préoccupée… C’est à peine si elle m’a pris au sérieux. Mais tu sais quoi ? Elle m’a quand même proposée de me reprendre.
Adriana s’arrête de marcher, et je crois un instant qu’elle va fondre en larme, mais c’est tout le contraire : elle éclate d’un rire sonore.
- Mais c’est génial ! Quelle chance tu as ! Si tu savais ce que certains pensionnaires donneraient pour que leurs parents leur disent ça !
- Hmm.

- Tu n’es pas heureux ?
- Tu es heureuse, toi ? … ça voudrait dire que tu ne me reverrais plus.
Elle perds son sourire et mets ses mains dans ses poches en reprenant notre marche. Nous passons dans un sous – bois que nous n’avions encore jamais vu.
- Tu me manquerais beaucoup… C’est sur, mais… Je veux que tu sois heureux.
- Mais je suis heureux ici.
- Mais tu t’es fait agressé, ici…
Je ne réponds pas, sachant pertinemment qu’elle a raison. Je serais plus en sécurité chez ma mère qu’ici. Pourtant, je n’ai aucunes envies de quitter cet endroit. Pour Adriana, mais… pour Julian. Que ferais – je de ma vie sans eux ? Que ferais – je ?!
Nous marchons encore quelques minutes dans le silence avant que j’ose poser cette question qui m’intrigue tant.
- Adriana, je…
- Oui ?

- Je n’ai pas bien compris ta lettre. Celle ou tu me remerciais de t’avoir embrassé. Et je n’ai pas bien compris pourquoi on s’est embrassés…
Elle rigole doucement et je ne peux pas m’empêcher de la trouver géniale. Cette fille est trop bien pour moi.
- J’ai été assez méchante ce jour là. Je me suis servie de toi parce que je me sentais seule et… je ne me sentais pas aimée. Je ne me sens pas vraiment aimée, Alex. Mes parents sont morts, ma sœur est je ne sais ou, et je n’ai pas d’amis à part toi. J’ai l’impression que si je n’oblige pas un peu les gens à m’aimer, personne ne m’aimera. Alors, en vérité, ce baiser ne concernait en rien des sentiments amoureux, loin de là, mais plutôt… un désir d’être tout simplement chérie. Je suis désolée si ça t’a destabilisée.

- Mais… tu sais que je t’aime, Adriana, dis – je en entendant moi-même l’émotion dans ma voix. Tu n’as pas besoin de me demander des choses idiotes comme ça pour le savoir !

- C’était idiot tu trouves ? demande t-elle d’une petite voix.

- Oui, c’était idiot. Adriana, je voudrais que ton premier baiser soit avec ton amoureux, pas avec moi ! Et je voudrais qu’il soit sincère, réel…
Elle acquiesce.
- Je sais, je me trouve tellement stupide…
- Mais non. Tu n’es pas stupide. Tu es très intelligente. Si tu savais comme je t’admire Adriana… dis – je très sincèrement en la prenant dans mes bras.
Je me sens envahi d’une bouffée d’émotions et je crois qu’elle aussi car elle éclate en sanglots dans mes bras. C’est la première fois de ma vie que quelqu’un pleure dans mes bras, et bizarrement ça ne m’ébranle pas. Je caresse son dos lentement. Si elle savait comme j’ai été à sa place…
Si Julian n’avait pas été là, aujourd’hui je ne saurais pas comment rassurer ma meilleure amie, Adriana.
- Je t’aime, d’accord ? Sache le. Et je sais que tu seras très aimée dans la vie.
Elle ne réponds pas, mais le regard que nous échangeons et plus lourd en remerciements que n’importe quelles paroles. J’ai l’impression d’enfin la comprendre complètement, et surtout pour la première fois de ma vie j’ai dit à une personne que je l’aimais.
Je ne m’en rends compte que maintenant : Je n’avais jamais dit « je t’aime » avant ça. Et je suis très heureux que ce soit un Je t’aime qui porte toute mon amitié. Je suis heureux que ce soit pour elle. Elle le mérite.
En rentrant à l’orphelinat, je me sens léger. Pas vraiment heureux, car il s’est passé trop de choses ce matin pour que je puisse accueillir ce sentiment en moi à nouveau. Mais je n’ai pas envie de penser à Neil, et je n’y pense pas. Je ne fais que songer à ce que m’a dit Adriana et ce que je lui ait répondu.

Bizarrement, je suis fier de moi. Je crois que j’ai trouvé les mots justes.
Le mois d’après, ma mère vient une nouvelle fois aux visites du Dimanche. C’est la première fois de l’année qu’elle vient deux mois de suite. Je suis surpris en la voyant se diriger vers moi, l’air heureuse.
Julian est juste à côté de moi et continue à me parler, ne devinant pas que ma mère arrive droit sur nous. Je lui fais un petit signe pour lui indiquer ma mère lorsque celle-ci arrive enfin à notre hauteur. Il hausse un sourcil et se tourne vers elle.
- Alex ! Tu vas bien ?
Je lui réponds par l’affirmative en la saluant. Elle semble se rendre compte que je ne suis pas seul et elle pivote vers Julian avec un grand sourire.
- Oh mais je vois que tu es avec un ami ! C’est merveilleux, comment s’appelle t-il ?
- Il s’appelle Julian, répond Julian.
- Oh, excuse moi. J’ai un peu trop l’habitude de m’adresser à Alex, dit – elle après avoir eu un petit rire gêné.
Elle parait sincère et vraiment heureuse de le rencontrer. Elle n’essaie même pas de cacher sa joie à l’idée que j’ai un ami !
Ok, c’est un peu plus qu’un ami, mais elle ne le sait pas. Et c’est la première fois que je lui présente un ami. J’échange un regard avec Julian qui parait émerveillé de pouvoir rencontrer ma mère et donc me causer un malaise infini.
- Je suis ravi de vous rencontrer madame ! J’ai hâte que vous me racontiez comment était Alex avec les filles dans son enfance. Ou que l’on puisse rigoler ensembles en contemplant les photos ou il est en couche – culotte.
Il en fait peut être un peu trop. Je coupe ma mère dans son élan pour répliquer :

- Oui, bon, ce serait génial ces petites discussions, mais peut être n’est ce pas nécessaire.
- De toute manière il n’a jamais eu aucunes histoires avec les filles aussi loin que je m’en souvienne, dit ma génitrice en rigolant.
Elle ne s’adresse qu’à Julian et semble se délecter de pouvoir lui parler. Lui aussi rigole avant de me mettre un petit coup de coude comme pour me dire « J’ai gagné. »
- Ah bon ? Pourtant il est beau notre Alex, c’est étonnant ! répond mon ami ( j’ai du mal à dire un autre mot ) en passant sa main dans mes cheveux rapidement pour me décoiffer.
Je me plains en me recoiffant alors que ma mère semble ravie.
- Et oui, il a toujours été un enfant solitaire.
En la regardant, j’ai l’impression de déceler une lueur de nostalgie dans ses yeux. Je ne l’avais pas entendue parler de mon enfance depuis longtemps.
- Ça ne m’étonne pas… Je vais vous laisser entre vous. Ravi d’avoir fait votre connaissance, Madame. Vous m’avez fait un excellent ami.
Il nous fait un clin d’œil, puis il part. Je le regarde s’en aller, les joues rouges. Il aurait pu peut être faire un effort de discrétion, non… ?
Je jette un regard autour de nous pour vérifier qu’il n’y a pas Steven. C’est devenu une véritable manie, ces temps ci. J’ai tout le temps peur qu’il m’observe quand je suis avec Julian. Et Neil… Il a tenté de s’excuser encore de nombreuses fois mais je n’ai pas cédé.
- Quel charmant garçon.
- Hmm.
- Tu as de la chance. Je suis contente que tu es un ami.
Je suis content aussi, maman, aurais – je envie de lui rétorquer… Mais bon, n’en faisons pas trop. Julian et moi n’avons déjà pas l’air d’amis… J’ai l’impression que notre relation plus étroite crève les yeux. J’espère que ce n’est le cas seulement pour ceux qui le sachent…
On marche dans le parc qui a retrouvé ses couleurs. Il ne fait plus aussi gris qu’avant. Nous sommes en fin de février. J’aime ce mois.
- Je me suis mariée avec Paul, m’annonce ma mère lorsque nous passons devant un arbre.
Je marque un temps pour réfléchir à ma réponse, un peu retourné.
- Et ça te rends heureuse ?
Elle se tourne vers moi avec un grand sourire. Son regard respire la joie. Elle me parait rajeunie… Et la femme désespérée et seule qui m’a déposée au pensionnat ce jour de Septembre a disparue. A la dernière visite elle m’a dit que j’avais changé. Je ne le nie pas, mais je pense qu’elle a changé aussi. En bien, j’imagine.
- Oui, tellement. Je l’aime. C’était un petit mariage, il n’y avait pas grand monde… Je savais que tu ne voudrais pas venir.
- Et tu as eu raison.
Aller à un mariage ? Rester debout pendant des heures ? Faire semblant de croire à tout ce qui y est proféré ? Merci bien.
- Je suis content pour toi, maman. Vraiment, dis – je quand même.

Je sens qu’il faut que je dise quelque chose. Ma mère me dit qu’elle s’est mariée. Je ne peux pas rester indifférent. Je sais que nous ne sommes pas très proches, elle et moi. J’aurais toujours l’impression au fond de moi qu’elle est déçue. Déçue que je sois son fils.
Elle ne s’attendait pas à un fils comme moi, elle me l’a dit elle-même lorsque j’avais treize ans, après que je fugue de mon collège en plein milieu d’un cours de physique – chimie.
Lorsque j’ai entendu ces paroles, je n’ai pas réagi. Je ne me suis même pas sentit triste. Mais à présent que je me le remémore, je peux sentir de la douleur. Une douleur bien différente de ce que j’ai connu à présent. Et je me souviens du reste de sa phrase.
« Je ne m’attendais pas à mettre au monde un enfant comme toi, Alex. Tu es… différent. Je ne sais pas si j’aurais le courage de t’élever assez bien… Tu sais, c’est dur pour moi aussi. Arrête de fuguer ou de répondre à tes professeurs. Ça me fait honte. »
Bizarrement, la souffrance que ça me transmettait était bien plus atténuée qu’à présent, quand j’y repense. Peut être est ce parce que j’ai grandi.
Je crois que les parents ne se rendent pas compte, parfois, que ce qu’ils disent à leur enfant a un réel impact sur eux. Les mots ne sont pas juste des mots.
Mais je ne peux pas lui en vouloir. Je sais que je n’était pas facile à vivre. Toutes les fois ou je l’ai vu pleurer, toutes les fois ou elle ne parlait plus des jours durant… Je n’ai pas été un bon fils. Je ne suis jamais allé la rassurer. Alors que mon père l’avait quitté lorsqu’elle était encore enceinte, et qu’elle a du m’élever seule. Ma grand-mère était là, puis elle est morte. Et de toute manière, ces deux là ne s’entendaient pas bien.
Je suis vraiment content qu’elle soit amoureuse.
- Merci Alex, me dit – elle en me pressant doucement le bras, ne se doutant pas des pensées qui me traversent l’esprit. J’ai autre chose à te dire.
- Oui ?
- Je suis enceinte.
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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Avant que vous ne lisiez ce chapitre, sachez qu'il comporte une scène de s*xe. Elle est plutôt soft et pas détaillée mais je vous préviens néanmoins. Bonne lecture :)

Chapitre 19 :

Je dois vraiment avoir l’air choqué lorsque je m’assois sur mon lit, car Julian vient aussitôt me voir. Ses amis sont dans un coin de la pièce et parlent bruyamment, ils ne semblent même pas s’apercevoir que celui-ci s’éclipse dans ma direction.
Il s’assoit à côté de moi et me prends la main après avoir vérifié que dans cette position, dos aux autres, ce geste ne peut pas être vu.
- Ça va, Alexou ? Dit il, joueur, en ayant un sourire taquin.
- Hmm.
Je ne relève même pas, trop choqué pour ce genre de choses.
- Ah, non ça n’a pas l’air d’aller. Alors je dois retirer cette blague ? Ça peut rester Alex. C’est très bien comme prénom Alex. C’est le prénom de mon amoureux…
Je lève la tête vers lui. Un mélange d’émotions m’envahit tout d’un coup.
- Je suis ton amoureux ?
- Evidemment. Tu te fais toi-même convaincre par la comédie que nous avons servit à ta mère ?
Il hausse un sourcil et je baisse les yeux pour contempler nos deux mains entremêlées. Je trouve ça beau.
- Non. Je ne pensais juste pas que tu aurais tant de facilité à le dire et à l’admettre.
- Moi ? Non, moi, je trouve ça très facile. Et toi, tu peux le dire ?
- Quoi donc ?
- Que je suis ton amoureux.
Je secoue la tête, exaspéré.
- Pourquoi devrais – je le dire ? Tu veux une sorte de preuve de mon engagement ou quoi ?
- Dis le, c’est tout. Je suis ton…
- Pourquoi insistes tu autant ?! Et puis, parle moins fort. Nous ne sommes pas seuls.
Il jette un coup d’œil à son groupe d’amis qui parlent toujours.
- Oh, eux ? Ils sont trop bêtes pour nous entendre, ricane t-il. Bon, tu le dis ou je commence à croire que tu es allé voir ailleurs ?
- Bon, d’accord… Dis – je en levant les yeux au ciel.
Je sens mon cœur faire un bond dans ma poitrine lorsqu’il baisse les yeux vers moi de manière intéressée pour m’écouter. Lorsqu’il me regarde ainsi, j’ai l’impression que serais avec lui pour toujours. C’est une sensation agréable.
- Tu es mon… amoureux, je murmure en le regardant dans les yeux sans faillir.
Il a l’air satisfait.
- Ça te fait quoi de le dire ?
- Bizarre…, j’admets en retirant ma main, pris par la peur qu’on finisse par nous voir.
- Bon, maintenant dis moi pourquoi ça n’a pas l’air d’aller…
Il a l’air vraiment préoccupé par mon état. Cela me rassure, même si je ne devrais plus être rassuré. Je suis convaincu qu’il tient bel et bien à moi depuis quelques temps. Et je ne suis pas sur de l’avoir mérité.
- Ma mère s’est mariée, j’annonce en faisant la moue.
Il hausse les sourcils. Il ne s’y attendait pas.
- Et… est ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Demande t-il en essayant de ne rien dire qui pourrait me heurter.
- En vérité… Une bonne. Ça me fait bizarre, mais je suis content pour elle.
- Tant mieux alors…
- Mais il y autre chose. Elle est aussi enceinte.
Il se lève d’un coup, abasourdi. J’aime le fait qu’il soit autant surpris que moi, comme si il s’investissait vraiment dans ce que je lui raconte. Comme si nous ne faisions qu’un. Je le fais se rasseoir tout de même pour ne pas attirer l’attention.
- Mais c’est… quelque chose. Tu vas être grand frère !
- Oui, wouawh… Dis – je sans grand entousiasme.
- Quoi ? Ne me dis pas que tu n’aimes pas les bébés.
- Il y a de ça…
- Dis moi pourquoi, réellement.
Je pousse un soupir, me préparant à mettre en paroles ce que je pense. J’espère qu’il ne me trouve pas égoiste.
- J’ai peur… J’ai peur que ce bébé soit comme moi.
- Quoi ? Gay, tu veux dire ?
- Je ne suis pas gay, je rétorque en levant les yeux au ciel.
- Je peux t’assurer que si, dit il en rigolant.
- Bon… peut être que oui. Mais je ne parlais pas de ça.
- Hmmm. Eclaire ma lanterne.
- Je pense qu’il sera aussi bizarre que moi. Je veux dire, différent… Solitaire… Je ne veux surtout pas qu’il cause les mêmes problémes à ma mère que moi. J’aimerais pour elle qu’elle ait l’enfant qu’elle a toujours voulue. Que mon frère soit plus normal que je le suis. C’est compréhensible ?
Il a l’air de réfléchir. Je sens que ce que je dis n’a aucuns sens.
- Déjà, comment peux tu être sur que ce sera un garçon ? Si ça te trouve tu auras une sœur.
J’hausse les épaules. Il a raison, en effet. Pourtant j’ai l’impression que ce sera un garçon. Mais comme mon intuition n’est jamais la bonne…
- Et ensuite, saches que tu n’as rien à te reprocher. Tu es ce que tu es, et je te trouve génial. Non, laisse moi finir, dit – il en me voyant ouvrir la bouche. Ensuite, l’arrivée d’un bébé est quelque chose d’heureux. Tu ne devrais pas t’angoisser autant, et je veux que tu arrêtes d’être aussi mauvais envers toi-même. De plus, ta mère est très reconaissante de t’avoir et elle ne t’échangerais pour rien au monde, sois en sur. Elle reste une mère avant tout. Et si ce bébé est comme toi, et bien tant mieux ! Il nous faut plus de gens comme tois sur Terre. Cela signifira qu’il sera intelligent, beau et génial, que demander de plus ?
Julian est tellement doué pour parler. Il n’a pas bafouillé ou cherché ses mots une seule fois. Tout ça semblait venir d’un coup, les mots parfaitement à la suite des autres.

- Ok, là j’ai envie de t’embrasser.
Il hoche la tête, l’air totalement d’accord avec moi.
- C’est normal. Je suis incroyable. Viens, sortons d’ici pour que tes vœux puissent se réaliser.
Ils se lève et se dirige vers la sortie du dortoir. Je le suis ; ses amis ne semblent même pas nous prêter attention. Une fois dans le couloir, Julian hésite. Il y a trop de monde ici. Finalement, il semble avoir une idée et m’emmène vers une porte un peu plus loin.
On entre et je suis découvre un magnifique placard à balais. En réalité, il n’est pas magnifique et c’est un simple placard un peu trop humide et étroit, mais l’endroit est tellement incongru que je ne peux pas m’empêcher de trouver ça formidable. Julian a un talent pour connaitre les lieux inédits…
- Charmant, dis – je alors qu’il allume la lumière et ferme la porte.
Il bloque la porte avec une serpillère – même si je doute que quiconque essaie de venir là – et m’adresse un sourire, content de lui-même.
- Dois – je te demander comment tu es au courant qu’il y a un placard à balais derrière cette porte ? Tu t’amuses à ouvrir toutes les portes du pensionnat, ou bien…
- Bon, tu la ferme et tu m’embrasses ou pas ? Dit – il en me coupant la parole.
Je m’exécute : Il n’a pas besoin de le répéter. Je l’embrasse en le plaquant contre un des murs et couvre son cou de baisers. Sans même le voir je sais qu’il sourit, et je sais exactement quel sourire il a.
Il m’embrasse sur le front et je suis assez surpris mais ce geste suffit à ce que je l’aime encore plus – si c’est encore possible d’adorer quelqu’un encore plus que ce que je le fais.
C’est assez étrange de me dire que nous sommes en train de nous embrasser et que derrière cette fine porte de placard il y a des élèves qui marchent et discutent dans le couloir, tout ça dans la banalité.
Ses mains touchent doucement mon corps avec une précaution infinie et il n’a aucuns gestes mauvais pour moi. Il prend soin de vérifier que je suis à l’aise, ce qui suffit à me donner plus de confiance en moi. Je me baisse et défais son pantalon. Tout cela est très inhabituel et nouveau pour moi mais je me sens bien.
- Tu n’es pas obligé Alex, murmure Julian en posant ses mains sur mes épaules.
Sa voix est un mélange d’excitation et de douceur. Ses yeux brillent dans la pénombre du placard. Je tourne mon visage pour déposer un léger baiser sur sa main droite, toujours mise sur mon épaule.
- Je ne suis obligé de rien, dis – je en le regardant dans les yeux.
Je sais qu’il ne me forcerait à rien. J’ai confiance en lui.
- Toi aussi tu en as envie ? Je demande en écartant une mèche de cheveux de devant mes yeux.
- Oui, merde ! dit – il en rigolant.
Sa réponse me fait sourire instantanément et je reprends mon geste. J’entends sa respiration s’accélèrer et ses mains trembler un peu sur mes épaules tandis que je me baisse pour prendre son sexe dans ma bouche – c’est la première fois que je fais une chose pareille.
J’ignore pourquoi ses mains tremblent à chaque fois que nous nous embrassons ou plus. Je voudrais lui poser la question, mais j’ai l’impression que c’est quelque chose d’intime. Peut être est ce juste un signe de hâte ? Ou de stress. C’est normal d’être un peu stressé dans ce genre de moment, non ? Je n’en sais rien. Ce n’est pas comme si j’avais un objet de comparaison.
- Moins fort, me demande Julian entre deux gémissements.
- Excuse moi.
- C’est rien. Tu peux continuer.

C’est un peu laborieux, comme tout premier acte sexuel, mais lorsque Julian arrive enfin à l’orgasme ( en s’efforçant de ne pas faire de bruit, bien sur ) je me sens plutôt content de moi-même.
Nous restons quelques instants tout les deux dans la même position, retrouvants nos esprits. Sa respiration est devenue haletante et mon rythme cardiaque est tellement élevé que mon cœur pourrait exploser.

- Merci… chuchote t-il en remettant son pantalon, un air un peu comique sur les lèvres.
- Quoi ? Pourquoi tu ris ? Dis – je en passant ma main sur mes lèvres.
- C’était bien, c’est tout. Tu sais que c’est la première fois que… ?
- Toi ? Non, pas possible. Pas toi ?
- Mais si je t’assure. Je n’ai jamais rien fait d’autre qu’embrasser. Avant aujourd’hui…
Je suis un peu surpris, mais satisfait que ce soit avec moi qu’il ait ce souvenir. En jettant un regard autour de nous, je me rends compte que nous sommes quand même dans un placard à balais. Pas le plus évident des endroits pour…
- Je suis sur que tu peux trouver plus insolite comme endroit la prochaine fois, lui dis – je en lui mettant un petit coup sur l’épaule pour plaisanter.
- Ah, donc il y aura une prochaine fois. Bon à savoir, rétorque t-il avant de me planter un baiser sur les lèvres.
On se regarde quelques secondes dans les yeux mais je n’ai pas le temps de détailler toutes les nuances de gris qu’il y a dans ses iris. Puis, il s’écarte et pose sa main sur la poignée.
- Je sors et tu sors quelques minutes après moi ?
- Ok. Tu veux qu’on se voit ensuite ?
Il réfléchit, il a l’air lui aussi de ne pas vouloir me quitter.
- Il faut que je rende des affaires qu’il a oublié en cours à Pierre. Mais, on se voit après ? On peut aller jouer aux cartes dans la maison abandonnée. Ce soir.
- Laquelle ?
- Laquelle ? M’imite t-il en haussant les sourcils. A ton avis ? Tu en connais beaucoup toi des maisons abandonnées ? Je te parle de celle ou on s’est embrassés pour la première fois.
- Ah, celle là…
C’est étrange qu’il évoque notre premier baiser de cette façon. Avec autant d’allégresse. Je lui réponds que oui, j’y serais, et on fixe comme heure 19h. Puis il sort du placard et j’attends quelques minutes dans la pénombre de pouvoir sortir à mon tour sans attirer les soupçons.
Enfin, je quitte la pièce, l’air un peu chamboulé par l’expérience électrique que je viens de vivre. J’ai hâte que ça recommence.
En arrivant dans le dortoir, je jette un regard dans le petit miroir suspendu au dessus du lit et replace ma cravate bien dans ma chemise avant de réajuster mon blazer. J’entends quelqu’un passer derrière moi mais je continue de me regarder dans le miroir. J’ai plus de confiance en moi qu’avant, je ne trouve plus ça ridicule de se regarder sois même.
Je me couche sur le lit, toujours stupéfait de ce que l’on a fait, Julian et moi. Dire qu’avant je pensais que c’était dégoûtant… Mais en vérité, au fond de moi, je savais bien que c’était faux. Je suis tout de même content d’avoir acquis cette maturité que Julian avait bien avant moi. C’est une forme d’intelligence qu’il ne faut pas sous – estimer.
Allongé sur mon lit aux draps lisses et fraits, grâce à la femme de ménage qui passe tout les Samedi matin de manière courageuse pour rendre à cette pièce l’ordre qu’elle avait avant qu’un groupe d’adolescents viennent y dormir, je sens mon cœur battre dans ma tête.

Je le sens dans mes tempes, retentissant d’une façon presque exagérée, j’ai l’impression qu’il fera exploser mon front et mes joues de chaleur. Je le sens aussi au dessous de mon menton, dans le creu entre mon visage et mon cou. J’essaie de me concentrer uniquement sur le silence inexistant du pensionnat, faisant abstraction des battements inconsidérés de mon cœur. J’entends des voix de garçons, d’hommes mêmes, certains muent mieux que d’autres. Je peux même entendre des bruits de chaussures qui foulent les marches d’un escalier, si je me focalise bien sur tout les bruits.

L’attente jusqu’au soir est lente et c’est une vraie torture. Je passe la moitié de mon temps à songer ce que l’on va pouvoir faire ou se dire. Je l’imagine me regarder avec ce regard bien à lui que j’adore. Je songe au petit sourire en coin qu’il revêtit souvent pour moi. J’essaie d’apprécier la sensation que me procure l’amour ( car c’est indiscutablement de l’amour ), et y parvient bien mieux qu’avant. Il faut que je continue de me persuader que les sentiments amoureux peuvent être une bonne chose.
Seulement, je sais très bien que ces choses là ne durent pas. Julian finira par passer à autre chose, et je ne pourrais même pas lui en vouloir.

J’arrive en premier devant la petite maison abandonnée. Elle n’a pas changée depuis la fois on nous y avons dormis, Julian sur le matelas et moi en boule sous la fenêtre… Je me sens un peu gêné en y repensant.
Je pose ma veste sur une chaise et allume la bougie en manipulant l’allumette avec précautions. Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre sur Julian. Le vent souffle fort dehors et ses joues ont pris une teinte rose.
- Re – salut ! Me dit – il en venant directement m’embrasser.
Comme d’habitude je sens un frisson me parcourir. Je m’apprête à renchérir et lui rendre son baiser mais il m’arrête avec un grand sourire.
- Hé attends, tu sais quoi !

- Quoi ? Dis – je, me sentant gagner par la curiosité.
Il s’assoit sur le lit et je commence à m’inquiéter de son sourire machiavélique. Qu’a-t-il encore fait ?
- Je t’ai mentit tout à l’heure, m’annonce t-il, l’air très content de lui.
Mon dieu qu’il m’agace. J’hausse les sourcils et vient me planter devant lui, prêt à l’engueuler suivant de quoi il parle.
- A quel propos ?
- Que j’avais des affaires à rendre à Pierre. C’est faux, je ne suis pas partit pour ça, continue t-il tout en tirant ma cravate pour que je me rapproche.
Je soupire et obtempère. Je ne suis plus qu’a quelques millimètres de ses lèvres qui arborent un sourire de démon. Je ne m’y attendais pas mais il me met un coup de langue sur la joue avant de ricaner alors que je commence déjà à lui reprocher son geste.
- Dégueulasse. J’aime bien ta langue mais je préfère ne pas me faire lécher le visage si possible, je marmonne en m’essuyant du plat de ma main. Bon tu vas me dire pourquoi t’as mentit ?
- Devine ou je suis allé puisque je n’étais pas avec Pierre.
- Je sais pas… J’aime pas les devinettes.
Il soupire et lève les yeux au ciel avant de se lever et il commence à enlever sa chemise. Je l’observe, ne pouvant détourner mon regard.
- Ok, ne t’y trompe pas ; j’adore quand tu te déshabilles mais on peut finir la discussion quand même ? Dis – je pour plaisanter.
- Idiot. J’enlève pas ma chemise pour ça. Enfin, si, mais pour autre chose…
J’étouffe un cri lorsqu’il la défait complètement. Il la jette dans un coin de la pièce et me jette un regard pour voir comment je réagis. Sur une partie de son torse s’étale un bandage blanc, juste en dessous de son pectoral droit.
- Tu es blessé ?!
Il rigole et je ne peux m’empêcher de le fusiller du regard.
- Mais non. Attends.
Il défait le bandage lentement et j’écarquille les yeux en comprenant…
- Non. Non non non. Oh mon dieu Julian, t’as pas fait ça…
- Si. Oh que oui. T’aimes pas ? Ricane t-il en exhibant son tatouage.
Je fais la moue. En vérité, ce n’est pas si terrible que ça…
Sur sa peau hâlée est marquée à l’encre noir le symbole astrologique des Vierges. C’est un espèce de M avec une boucle. C’est assez petit, la taille d’une paume de main, ce qui par rapport à son torse n’est pas grand-chose. Ce pourrait être pire.
- Alors tu as profité d’une ou deux heures pour aller te faire tatouer ?
- Oui. Tu croyais que je ne le ferais pas, hein ?
- Hmmm… Je grimace en m’approchant pour mieux voir.
La peau à cette endroit là est un peu rouge. C’est très récent.
- Est-ce que ça t’a fait mal ? Dis – je en le touchant du bout des doigts, ce qui le fait sursauter.
- Non.
- Menteur.
Il me sourit mais je ne le lui retourne pas, un peu vexé qu’il ne me l’ait pas dit. Bien sur, c’est son corps et il restera toujours magnifique, mais ça me fait un peu bizarre tout de même. Je n’aime pas trop les tatouages. Ce ne sont que ceux qui aiment leur corps qui osent en faire.
- Mais pourquoi le signe des Vierges ? Tu n’es même pas Vierge.
- Mais tu l’es.

Je reste figé quelques secondes. C’est vrai, je suis né un 2 Septembre. Pour tout dire, je ne m’étais jamais rendu compte que j’étais du signe des Vierges. Je me contrefiche de toutes ces choses d’astrologie. Je trouve ça ridicule et affreusement faux.
- Ne me dis pas que tu t’es tatoué mon signe astrologique, dis – je en soupirant, exaspéré.
- Ne sois pas fâché. Je n’allais pas tatouer ton initiale quand même, c’est beaucoup trop ringard.
- Parce que ce n’est pas ringard ça peut être ?! Je te rappelle que c’est à vie !
- Je sais.
- Que vas-tu faire quand tu auras une femme ?
J’espère qu’il va répondre qu’il n’en aura jamais.
- Je n’aurais qu’à chercher une femme du même signe que toi, dit – il l’air très fier.
Je vais m’asseoir sur le lit, complètement effaré et désespéré. Il est fou. Y - a-t-il réfléchi au moins ? Je sens mes yeux se brouiller de larmes et j’essaie de le cacher en rabattant mes mèches blondes sur mon front, mais elles ne sont pas assez longues pour ça. Je ne sais pas vraiment pourquoi je pleure, mais cette situation est trop pénible. Pourquoi s’est il sentit obligé de faire ça ?! Comme si il me devait quelque chose. Il ne me doit rien.
- Hé, hé, Alex ! Murmure t-il en voyant que je sanglote comme un gamin.
Il se rapproche de moi et me prend dans ses bras. Je me débats un peu avant de laisser tomber et m’enfouis contre son torse chaud. Ses grand bras m’entourent.
- C’est juste un tatouage. Pourquoi est ce que ça te met autant en colère ?
- C’est juste… Je sais pas… Je veux pas m’immiscer dans ta vie…
- T’immiscer ? S’indigne t-il, surpris. Tu t’immisces pas du tout. C’est moi qui t’ai presque forcé à en faire partie.
- Mmmh. Vrai aussi.
Je m’efforce d’arrêter de pleurer et me rassois. On échange un long regard. Je regarde son tatouage.
- Bon, je vais peut être finir par m’y habituer. Mais ne crois pas que je vais me tatouer ton signe astrologique pour faire de même ! C’est bon, on est assez mièvres comme ça.
Il souffle en remettant sa chemise. J’aimerais lui dire que ce n’est pas la peine mais n’ose pas trop.
- Bon bah prépare toi parce que je vais être encore plus mièvre ! Et je te demande une chose.
- Quoi ?
- Ne te remets pas à pleurer !
Je fronce les sourcils pour marquer mon désaccord mais il se contente de sourire. Je finis par hocher de la tête pour lui faire comprendre que j’accepte cette condition. Il se rapproche de moi et prend délicatement mon visage entre ses mains avant de planter ses yeux gris dans les miens. Je peux à présent voir le sérieux avec lequel il s’apprête à me parler.
- Je t’aime.
Je reste quelques secondes complètement ébahi. Bon, d’accord, je devrais peut être ne pas être surpris à ce point mais je ne peux pas m’empêcher de vouloir pleurer à nouveau. Puis je me rappelle ma promesse de ne pas verser une autre larme.
- Je t’aime, répète t-il avant de déposer un baiser dans mon cou.
- Je t’aime, je réponds, la voix grave.
J’ai la bouche un peu sèche de dire ces mots. Ça ne me donne pas le même effet que lorsque je le dit à Adriana. C’est différent. Là, ça… ça me donne une impression étrange dans l’estomac. Ce n’est pas forcément désagréable…
Il relève la tête, l’air étonné.
- Ah bon ? Tu m’aimes toi ?
- Bah je veux bien t’aimer, seulement si tu m’aimes toi.
Il éclate de rire. J’adore lorsqu’il rit. Ce qui est plutôt fréquent, car c’est un garçon heureux de nature. Et moi, je suis heureux de le voir heureux. Mais il y a quelque chose qui sera toujours différent entre nous. Lui, il m’aime comme on rêve.

Et moi, je l’aime comme on crève.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 20 :

On joue aux cartes et il gagne, évidemment. Mais je suis convaincu qu’il a fait exprés de mal expliquer les régles pour que je ne puisse pas comprendre. On se dispute les trois quarts du temps pour savoir à qui c’est le tour de jouer, mais le reste du temps on se penche au dessus de la table pour pouvoir s’embrasser, et à l’occasion faire tomber les cartes par terre ( ce qui me donne une bonne raison de demander à ce que l’on recommence la partie lorsque je perds ).

Il doit être maintenant prés de 20h et il a sortit son paquet de Malboro. Nous nous tenons devant la fenêtre et je le regarde fumer, silencieux.

La fumée qui s’échappe de ses lèvres a quelque chose de séduisant, à présent que je l’associe à Julian. J’en oublie presque la puanteur de ces choses.
Soudain, on entends des voix et pas qui se rapprochent de plus en plus de la maison dans laquelle nous sommes. Je me fige et il plisse les yeux pour se concentrer sur les voix. Soudain, il semble surpris.
- C’est Pierre, Gaston et les autres garçons de ma bande. Il y a sûrement Steven, il traine énormément avec eux, ce con.
Je serre les poings. La simple évocation de son prénom suffit à me donner des nausées. Je suis sur que si n’importe qui me tendait un saut immédiatement, je pourrais vomir. Julian sent à quel point je suis tendu et me prend la main.
- Ça va ?

Je m’apprête à lui dire que non, pour ne pas me départir de ma superbe sincérité, mais je suis stoppé dans mon élan car les voix se sont rapprochées et sont à présent juste devant la porte.
- On entre ? Dit quelqu’un, sûrement Pierre.
- Oui, ducon. C’est allumé à l’intérieur, lui répond un autre.
- C’est sûrement Julian, murmure un tout prés.
Je fixe ce dernier, surpris. Il m’avait dit que j’étais la première personne à qui il montrait cet endroit. Que c’était secret, que c’était lui qui l’avait découvert… Je sais qu’en réalité ça n’a trop d’importance. Mais je ne comprends pas pourquoi il a mentit.
Julian semble un peu gêné.
- Ils vont entrer… chuchote t-il sans oser me regarder dans les yeux. Tu ferais mieux de te cacher dans l’armoire. Tu ne veux pas qu’ils s’imaginent des choses ?
Je jette un regard circulaire, sur la table pleine de cartes et le lit défait. Il a raison, il vaut mieux que Steven ne me voit pas. Et puis j’ai envie de mourir en m’imaginant avoir un dialogue avec lui ou avec les autres « amis » de Julian.
Je ne lui réponds pas mais me dépêche de ramasser mon manteau et d’entrer dans l’armoire mise contre le mur de droite, tout ça dans le silence. Il m’aide à refermer les battements correctement. Puis, il s’éloigne, quelques minutes passent. J’entends les voix des garçons s’amplifier et devenir encore plus désagréable lorsqu’ils ouvrent la porte.

C’est bon, ils sont à l’intérieur. Je peux sentir mon sang se refroidir à l’idée qu’ils découvrent que je suis là… Et si Steven redevenait violent ? Oui, je dois l’admettre… J’ai peur. Une peur que j’essaie d’ignorer, car je ne veux pas me sentir faible, mais elle est bien là.
Je me recroqueville dans le fond de l’armoire et me concentre pour respirer moins fort. J’ai l’impression que n’importe qui dans la pièce pourrait entendre mon souffle saccadé et les battements de mon cœur.
Il fait tellement sombre dans cette foutue armoire. Je ne vois rien, pas même un filet de lumière. En reculant un peu mon coude, je heurte un objet dur, ce qui produit un petit bruit. Discret, mais là. Je tends mon oreille attentivement pour être sur que personne n’a entendu.
Ils continuent à discuter. Je passe une main sur mon front en ayant un sourire soulagé.
- Hey, Julian ! Comment va ?
Je grimace en entendant cette expression.

Celui-ci répond. Sa voix est normale, il a l’air détendu et posé. J’entends plusieurs garçons lui dire bonjour et lui taper dans la main. Il doit bien y avoir 7 ou 8 personnes là dedans.
- Qu’est ce que tu fais là ? T’es seul ?
- Ouais, j’avais envie d’un peu de calme…
Ils rigolent, comme si l’association des mots Julian et calme était une chose impossible.
- T’es avec une nana ? Demande Pierre, le roux. Tu peux nous le dire.
- Non, je suis seul. Tu voudrais qu’elle soit ou, sous le lit ?
Je dois avouer qu’il a pas mal de mordant.
- Bah alors t’aurais pu nous dire que tu venais. On te rappelle que c’est aussi notre endroit ici, lui reproche celui que je reconnais à la voix comme étant Gaston.
Je serre la machoire en entendant ça. Je ne peux pas croire que Julian ait mentit en disant qu’il a découvert cet endroit et qu’il n’en a parlé qu’à moi. Et je ne peux pas croire que cet endroit est le repère d’en fait tout ces gens. Ces cigarettes, ces cartes, ces… ces vêtements ? J’espère que les vêtements qu’il m’avait prêté lorsque j’étais tombé dans la mare lui appartiennent vraiment.
- Peut être qu’il avait envie d’être seul pour faire des trucs cochons, ricane un de ces idiots.
Tous éclatent de rire et je me surprends à écouter bien trop attentivement cette conversation. Je me sens un peu foutu puisqu’ils n’ont pas l’air de vouloir partir immédiatement, mais foutu pour foutu…

- Quoi, tu penses qu’il a amené des magazines porno ? Allez Julian, dis nous ou tu les planques !
- Attention Lucas, ça ne risque pas de te plaire. J’ai essayé de choper ceux avec ta mère, réplique Julian en se prêtant au jeu.
J’entends ce Lucas lui répondre quelque chose d’incompréhensible et Gaston rigoler. Bon dieu, qu’il rigole fort.
- Allez, tu les planques ou ? Dans l’armoire ?
J’ai un sursaut en comprenant de quelle armoire il parle – évident, puisqu’il n’y en a qu’une seule. Je cherche à me recroqueviller dans le fond, comme si ça me donnait le pouvoir d’être invisible, mais je ne devrais plus avoir autant d’espoir alors que j’entends des pas se rapprocher de là ou je me trouve. Je sens une goutte de transpiration couler le long de ma tempe, et je serre la machoire, réflexe acquis à force de me mordre l’intérieur des joues sans le faire exprés lorsque je suis stressé.
Je sens Gaston arriver encore plus prés, ou alors est ce Lucas ? Et puis soudain j’entends Julian s’exclamer :
- Hé les gars, faut que je vous raconte un truc ! Viens là Luc’, tu vas pas en croire tes oreilles.
Oh. C’était donc Lucas. Depuis quand il leur donne des surnoms ? Je grimace.
Les pas finissent par s’éloigner, et je comprends que Julian m’a sauvé. Je reprends mon souffle, infiniment soulagé. Toute mon angoisse s’évapore d’un coup, je n’en crois pas ma chance.
- Quoi encore ?
- Moi et Hannah…

Je prête une oreille attentive à leur discussion qui s’est un peu éloignée de moi, à présent. Je crois qu’ils sont prés de la table ou l’on joue aux cartes.
- Oh, tu as fini par l’avoir ?
« L’avoir » ? On peut « avoir » quelqu’un ? Si seulement…
Je peux presque entendre l’avidité dans leurs voix.
- Bien sur, qu’est ce que tu crois. Elle ne peut pas me résister longtemps. Et devinez ou on l’a fait ?
Je me sens un peu pris de nausée. La seule pensée de Julian qui couche avec une fille suffit à me dégoûter complètement. Ses amis, eux, ne le semblent pas le moins du monde et le fusillent de question.
- Dans les buissons ?
- Au pensionnat ?
- Chez elle ?
- Ici ?
Pourquoi vouloir autant connaitre les détails d’une relation sexuelle ? Ils doivent sûrement en manquer et il n’y a que celles des autres qui les font un peu vibrer… Je me sens assez content en me disant que j’ai sûrement plus d’expérience en la matière qu’eux.
- Ici, bien sur.
Ils ont tous des rires un peu gênés, sûrement en s’imaginant qu’ils mettent les pieds au même endroit ou Julian a fait l’amour. Moi-même, qui sait que tout cela est un mensonge, ne peut m’empêcher de ressentir un certain malaise en m’imaginant la scène.
- Wouawh, mec… Alors tu l’as vraiment eu.
- Ça a duré combien de temps ? ( je reconnais la voix caverneuse de Pierre. )
- Environ… quinze minutes ? Réponds le héros de la soirée.
Tous semblent réfléchir à ça avant qu’un d’eux lâche un sifflement.

- Elle est…
- Ah elle est extraordinaire ! Si tu m’avais vu ces seins…
Ok, Julian, tu en fais peut être un peu trop, me dis – je en passant mes mains autour de mes genoux.
Je ne veux plus entendre cette conversation. A présent, je ressens presque de la peine pour Hannah, pour tout ce qui est dit sur son corps ce soir et toutes les idées que se font ces garçons à cause de Julian. J’aimerais juste pouvoir sortir de cette armoire et leur dire de fermer leur gueule. Je suis content de ne pas être une fille.
- Et est ce qu’elle est…
- Tu l’as… ?
- C’était…
J’efface de mon esprit leurs phrases indécentes sur cette fille et essaie de me persuader qu’au fond, Julian n’est pas d’accord avec ça. Qu’il entretient la conversation seulement pour détourner leur attention.
- Ha oui je te jure. Heureusement que y’avait personne autour pour entendre ça, renchérit Julian d’une voix assurée. Bon les gars, maintenant vous pouvez me laisser ?
- Attends, est ce que tu lui as donné un autre rendez vous ?
- Bien sur, pourquoi voudrais – je que vous foutiez le camp sinon ?
Il y a un long silence et je prie pour qu’ils partent enfin, convaincus. Sauf que l’un d’eux prend la parole, et je ne peux pas m’empêcher de froncer les sourcils amèrement.
- On pourrait pas… rester ?

- Qu’est ce que tu veux dire ? C’est pas mon truc les orgies, plaisante Julian.
- Non non, c’est pas ça… Je veux dire, on peut peut être se cacher pour regarder.
Il y a un long silence abasourdi et je suis sur que les autres sont autant surpris que moi. Je ne peux pas croire qu’un deux ait vraiment dit ça. Je retiens ma respiration, choqué ; voulant juste connaitre la réponse de Julian et des autres.
- T’es fou mon pauvre. Je suis pas un porno ambulant, murmure t-il, moins assuré qu’avant.
L’un des garçons se râcle la gorge et finit par dire :
- Non mais Maxence voulait pas dire ça. On est désolés de te déranger hein, Julian. On te laisse maintenant.
- Ouais, à plus, lâche un autre à voix basse.
Je sens que l’ambiance a changé. Que la proposition du garçon a jeté un froid. Et je suis heureux que les gens réagissent ainsi, et pas comme si ça avait été normal. Normal de vouloir regarder une fille faire des choses intimes à son insu.
Bien sur, ils ne peuvent pas savoir qu’en vérité Hannah ne viendra pas et que c’est faux.
J’entends la porte s’ouvrir et les garçons sortir en silence, je sens qu’ils sont gênés, peut être même certains se sentent honteux à la place de leur ami.
Au bout d’un moment, je comprends qu’ils sont tous sortits. La pièce est redevenue silencieuse. J’attends quand même d’être sur qu’ils soient loin pour quitter l’inconfort de cette armoire.

En sortant, je constate que Julian s’est adossé contre un mur et me regarde d’un air impassible. Je ne peux pas m’empêcher de me mordre la lèvre.
- Ce sont toujours tes amis ? Dis – je enfin après un long silence froid.
Je vois qu’il semble chamboulé, moi-même je ne pouvais pas prévoir ce qu’il vient de se passer.
- Alex, je comprends pas ce qui lui a prit… Je ne peux pas croire qu’il ait voulu faire ça.
- C’est horrible de regarder quelqu’un avoir une relation sexuelle sans qu’elle le sache, tu te rends compte de ça ?
- Evidemment, tu me prends pour qui !
Il a l’air vraiment sincère et je ne veux pas douter de lui. Je sais qu’il n’est pas comme ses amis. Je m’assois sur le lit miteux, les yeux dans le vide, et il vient me prendre sans ses bras. Je m’appuis sur lui, agrippe ses cheveux avec ma main, sans lui faire mal bien sur, plutôt d’une manière insatiable. Il m’embrasse délicatement, juste sous mon oreille. Je sens ses dents effleurer la peau fine de mon cou et il mordille mon lobe d’oreille.
- Attends, dis – je en me rappelant soudainement de quelque chose.
- Hmm ? Demande t-il tandis que je m’écarte un peu.
- Pourquoi tu m’as mentit ? Tu m’as dit que tu étais le seul à connaitre cet endroit. Et que j’étais le premier à qui tu le montrais. Je ne peux pas croire que j’ai cru à tes mensonges !

- Tu es en colère ?
- Oui. Je veux savoir pourquoi tu m’as mentit, dis – je en plantant mes yeux dans les siens.
Il semble réfléchir et il commence à se tordre les mains, l’air nerveux.
- Alex… Ne sois pas furieux contre moi. Je ne sais pas vraiment d’où m’est venu ce mensonge, je… Je pensais que ça te ferait te sentir plus à l’aise. Je ne voulais pas que tu saches… Tu sais, ce n’est même pas moi qui ait découvert ce lieu, mais Gaston. Et il nous l’a montré ensuite.
Je suis étonné de le voir si triste. Il semble vraiment désolé de m’avoir mentit. J’essaie de me persuader que ce n’est pas un mensonge très important.
- Tu me pardonnes ? Demande t-il en essayant de me reprendre dans ses bras.
Je me dégage et me lève du lit. Ses yeux semblent briller de peur.
- Ne me mens plus.
- Jamais, me promet il en se levant pour être à ma hauteur.
Je sens dans sa voix une honnêtetée qui est rare à entendre chez les autres. Il semble tellement inquiet à l’idée que ça puisse me blesser. Que ça puisse me tirer loin de lui. En quelque sorte, je me délecte de ça. Je suis si vexé, que sa peur de me perdre devient agréable.
- Tu mens bien.
- De quoi tu parles ?
- A propos d’Hannah. J’ai presque cru que c’était vrai, cette chose entre vous deux…
Il écarquille les yeux et tends la main vers moi. Je prends un malin plaisir à reculer. Il faut que j’extériorise la honte que je ressens pour avoir cru qu’il me montrait un endroit qu’il avait découvert parce qu’il a confiance en moi, et qu’il m’aime assez pour que je sois le seul à entrer dans la maison, et nanani….
- Je m’en fous d’elle. Vraiment. Je ne lui ai parlé que deux fois maximum dans ma vie. Sérieux, Alex… Crois moi…
Je le crois, bien sur, mais je ne me sens pas obligé de le lui faire savoir immédiatement… Je sais que c’est terrible, mais je me sens tellement rassuré de voir la terreur en lui lorsque je suis distant. J’ai besoin de ça. J’ai besoin de sentir son amour. Et puis je suis tout de même frustré qu’il m’ait pris pour un con avec son histoire…
Je reste silencieux et vais m’asseoir à la table pour entreprendre de réunir les cartes pour les rentrer dans le paquet. Je me demande à qui appartient ce paquet de cartes. Gaston ? Pierre ? Lucas ? Maxence ? Steven... ?
Je sens Julian derrière moi, resté immobile.

- Je t’aime.

Je me retourne, lui fais un petit sourire.

- Je sais, dis – je en retour.

Puis décide de mettre fin à sa « punition » parce que je me sens désolant tout d’un coup. Je me sens presque autant exaspérant que les garçons de la bande de Julian. Ce dernier ne mérite pas mon ignorance. Et moi, je ne le mérite pas tout court.
Je me jette dans ses bras et tout d’un coup vois son soulagement. Il me serre fort contre lui en passant ses doigts dans mes cheveux et me plante un baiser sur la bouche.

- Ne t’inquiète pas, demain je leur parlerais pour Hannah. Je leur dirais de ne pas aller l’embêter. Je veillerais à ça.
Je suis sur qu’il le fera. Je lui fais confiance.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 21 :

Avril. Bientôt, ce sera les vacances de printemps.

Il ne fait plus du tout froid. Au revoir, hiver.

Le Harly’s Park a retrouvé son allure verdoyante d’antan, l’herbe est d’un vert électrique, le vent est tiède et les chênes sont à nouveau de beaux arbres fournis de feuilles. Je suis plus heureux rien qu’à l’idée de la chaleur qui s’installera bientôt dans la région.
Cet après midi, après les cours, Julian et moi nous promenons dans la forêt. C’est quelque chose que nous faisons souvent. Le silence est beau à entendre. Soudain, celui-ci est brisé ( mais par une voix très plaisante, je le concède ! ).
- C’est bientôt les vacances de printemps.
J’hoche la tête ; je ne savais pas qu’il songeait à ça. J’ai beaucoup de mal à le déchiffrer.
- C’est justement ce à quoi je pensais.
On saute par-dessus un tronc d’arbre qui a été abattu juste là et j’évite de m’embroncher dans une racine assez adroitement. Il me tient la main pour m’aider à enjamber un ruisseau.
- Tu sais, je me disais qu’au lieu de passer nos vacances ici, comme d’habitude, on pourrait partir.
Je lève immédiatement ma tête vers lui. Il me fixe en souriant.
- Partir ? Partir en vacances ?
J’hausse les sourcils. C’est une bonne idée. J’en ai envie.
- Oui. Je sais pas, peut être aller rendre visite à ta mère pendant une semaine, et l’autre semaine, aller quelque part tout les deux…
- Ouais, la deuxième partie me plait bien. C’est plutôt dans la partie ou tu évoques ma mère que ça va moins.
Je ne comprends pas trop son envie de vouloir aller chez ma mère.
- Elle est enceinte. Je crois que ça lui ferait du bien de te voir. Tu devrais profiter d’elle. Pas tout le monde a la chance d’avoir une mère qui l’aime.

Je reste muet quelques secondes avant d’hocher la tête. Il est peut être temps d’arrêter d’agir comme si ma mère était une traitresse sans cœur alors que certains parents ne parlent plus à leur enfant.
- D’accord, je vais le lui demander à la visite demain. Je suis sur qu’elle viendra. En ce moment, elle vient tout les mois.
Enfin, tout les mois ça en fait quatre pour l’instant qu’elle n’a pas raté. Je dois avouer que ça me rend heureux.
Malgré le sourire que Julian affiche lorsque je lui raconte mes conversations avec ma mère, je décèle bien l’envie dans ses yeux. Lui aussi voudrait pouvoir discuter avec la sienne comme si tout allait bien – mais je sais que ça ne va pas.
- J’ai hâte de la connaitre un peu mieux, ta mère…
Je ne peux pas m’empêcher d’appréhender.
- Tu es sur de vouloir venir ?
- Sauf si tu ne veux pas. Je comprends que tu veuilles être seul avec elle, tient il à m’assurer.
Si il savait comme il se trompe. Tout s’améliorerait avec sa présence.
- Non ! Non, viens. De toute manière je ne serais jamais seul avec elle… Il y aura ce Paul.
- Tu ne l’aimes pas ? Questionne t-il, un air de curiosité sur le visage.
Je lève les yeux, cherche de l’inspiration dans les nuages pour savoir que dire. Evidemment, ceux-ci me restent muets. Sacrés nuages.

Je crois que je deviens fou, à parler au ciel.
- Ce n’est pas que je ne l’aime pas… Mais… Je crois que lui ne m’appréciera pas. Je sais qu’on ne s’est pas encore rencontrés mais je peux déjà sentir ce qu’il pensera.
- Et qu’est ce qu’il pensera ?
Je m’immobilise, essaie d’avoir l’air vieux et frustré pour parfaire mon imitation du mari de ma mère. Je sais ce que Julian doit penser de moi. Je suis heureux que ça ne le décourage pas à m’aimer.
- « Merde, j’aurais du en prendre une sans enfants. »
Il éclate de rire en secouant la tête, l’air exaspéré.
- Tu aimes t’inventer des histoires.
- Oui. J’adore ça. Tu en veux une autre ?
- Vas y. Si t’adores ça.
- Eh bien… Mais ne te moque pas…
Il ouvre grand les yeux, comme si il était surpris que je puisse penser une chose pareille – mais ironiquement bien sur parce que l’on sait tout les deux que Julian aime bien se moquer.
- Naaaan, promis.

J’esquisse un sourire et me lance.
- … Quand on ne s’était pas encore… encore embrassés, et que… voilà…
- Je ne t’avais jamais entendu aussi mal t’exprimer, me coupe t-il en s’appuyant contre le tronc d’un arbre.
Qu’il peut se montrer agaçant parfois…
- Si tu n’arrêtes pas de me couper la parole tu ne m’entendras plus m’exprimer tout court.
- Ok, ok. Promis j’arrête.
- Ça fait beaucoup de promesses que tu ne tiendras pas… Mais bon. Je reprends… Donc, au début, quand on était pas aussi proches que maintenant…
- Amoureux, tu veux dire.
Je ne peux pas m’empêcher de tressaillir. Cela me fera toujours de l’effet qu’il le dise. J’aimerais être aussi à l’aise que lui. Mais, pour faire bonne figure, je le fusille du regard.
- Ta promesse !
Il sursaute, l’air vraiment surpris et lâche un juron. Deux jurons.
- J’avais complètement oublié, vraiment désolé Alex ! Je te coupe plus à partir de maintenant. Pro… heu, rien.
On continue à marcher, moi en tête.
- Breeeef. Donc, avant qu’on se rapproche, j’adorais… j’adorais te regarder et je pensais à toi tout le temps. C'est-à-dire, tout le temps…
- Oui, tout le temps c'est-à-dire tout le temps, je crois que c’est clair. Mais quand tu dis tout le temps, c’est… même quand tu te branl…
- Ta gueule, dis – je en me sentant rougir.
Il éclate de rire et vient me faire un bisou sur la joue comme pour s’excuser informellement. Il va s’écarter, mais je le retiens par le poignet pour l’embrasser sur la bouche. Je sens sa respiration tout prêt de la mienne, je me délecte de la sensation de sa langue dans ma bouche et m’amuse à lui mordiller la lèvre inférieure.
- Et pour répondre à ta question, oui, dis – je en me sentant pousser des ailes.
Il sourit d’un air machiavélique.
- Mais pour le reste, sache que c’est plutôt rassurant. Je me poserais des questions si tu ne me regardais pas ou ne pensais pas à moi, murmure t-il.
- Bref. Revenons en à nos vacances.
- Oui. Oui, bonne idée. Recentrons nous sur le plus important.
Il me donne un coup sur l’épaule gauche avec la sienne pour me faire tomber dans une incurvation sur le bord du chemin. Ça ressemble à un trou avec de la terre et des verres dedans – génial.
Je pousse une exclamation d’irritation exacerbée en constatant le bas de mon pantalon qui a maintenant une teinte terreuse. Mais Julian est déjà plus loin et j’entends son rire agaçant.
Quel emmerdeur.

J’ai fini par me laisser convaincre d’aller chez ma mère, évidemment, car une semaine plus tard je me retrouve à faire mon sac. Les t-shirts sont jetés en boule au fond de la valise et je ne retrouve plus mes pantalons normaux, ceux que j’avais prévu de mettre avant de comprendre qu’ici l’uniforme était en règle.
Quelques élèves sont présents dans le dortoir, mais la plupart partent aujourd’hui pour les vacances. Ce sont donc une dizaine d’adolescents qui crient et gesticulent pour essayer de retrouver leur brosse à dent, leur peigne ou un caleçon rangé au fond d’un tiroir.

Au milieu de tout ça, je me sens un peu perdu et ne cesse de me demander si ce n’est pas une meilleure idée de rester ici. Mais comme j’ai promis à Julian que je ne me dégonflerais pas, je ne peux pas vraiment faire l’indécis.
Je jette un coup d’œil à l’horloge accrochée sur le mur d’entrée ; 8h46. Et ma chère mère nous a dit qu’elle viendrait nous chercher à 9h. Je me dépêche d’enfouir mon carnet et mes livres dans une poche intérieure et de fermer le zip de la valise noir.
Je descends les marches de l’escalier qui me mènent en bas avec difficulté, faisant rebondir ma valise de nombreuses fois. Un garçon derrière moi pousse un soupir de lassitude en devant s’arrêter toutes les deux secondes à cause de moi. Je ne peux pas m’empêcher de penser à quel point c’est impoli de ne pas chercher à cacher son agacement.

Je passe dans le hall et prend soin de regarder bien devant moi car j’ai vu du coin de l’œil que Neil est adossé contre les portes du réfectoire à ma gauche. Je me rassure en me disant que je suis bientôt dans le parc, bientôt dans la voiture, et que je ne le reverrais plus avant deux semaines.

Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il me rattrape pile au moment ou je passe la grand porte d’entrée.
Je sens son bras se poser sur le mien pour essayer de me retenir. Ce n’est pas violent mais je le vis comme une réel agression. Car je sais que ces phalanges sur mon avans bras sont les mêmes qui se sont usées en me frappant.
- Alex, attends !
Je ne me retourne pas et continue de marcher en dégageant mon bras. Il me court après pour revenir prés de moi après un laps d’hésitation, et souffle un « désolé ». Puis, il repart de l’autre côté et je me sens soulagé. Enfin partit.
Et je me fiche de ses excuses. Je m’en fiche vraiment. Tant mieux si il est désolé ; mais je n’en ai rien à foutre.
Des dizaines de voitures sont garées devant le portail ; les parents sont venus chercher leur enfant en masse. Je discerne Gaston parler à son père prés d’une magnifique Cadillac rouge. Je peux percevoir la raison de sa prétentiosité.
J’essaie de me frayer un passage dans la foule de familles et cherche la voiture de ma mère du regard. Il me suffit de quelques secondes pour tomber dessus ; elle est garrée loin des autres et je ne la reconnais pas. La seule chose qui m’indique que c’est bien celle de ma mère, c’est que ma mère se tient devant et parle d’un air joyeux avec Julian.

Ce n’est plus la voiture défoncée qui m’a déposée ici. Non, c’est une Volkswagen Golf flambant neuve. Ce n’est pas les voitures de luxe qui sont amassées autour du portail, mais ce n’est pas mal non plus. Je ne peux pas croire qu’elle appartienne à ma mère, ma mère qui n’avait pas un sous quand je suis arrivé ici.
Mais plus étonnant encore ; la manière dont elle parle à Julian. Elle semble déjà l’adorer, elle lui sourit de toutes ses dents, on pourrait presque croire une mère qui parle à son fils. J’ai un petit haussement de sourcil étonné, mais ça ne me surpends pas plus que ça : Julian réussi très bien à se faire aimer.

En observant ma mère, je me rends compte alors de la forme qu’a pris son ventre en les quelques semaines qui séparent la fois ou elle m’a dit qu’elle était enceinte. Il est maintenant bien plus gros et bien plus rond ; et elle pose ses mains dessus d’une manière si tendre qu’on croirait qu’il renferme tout l’or du monde. Je ne peux pas croire qu’il y est un bébé dans le ventre de ma mère.
Pourtant, c’est ce qu’il se passe quand une femme est enceinte.

Je décide de leur signaler ma présence et pose ma valise au pied de la portière arrière. Ils se retournent en m’entendant et tout deux me sourient. Je ne peux que le leur renvoyer, un peu gêné tout de même.
Je n’arrive pas à croire que je me suis laissé convaincre d’aller passer une semaine chez ma mère avec Julian. Et je n’arrive pas à croire que ma mère ait acceptée. Mais en fait, quand je l’ai apellé il y a quelques jours pour demander, elle n’a même pas hésité et a accepté immédiatement.
- Alex ! Tu vas bien ? Je parlais justement avec Julian, ton ami. Je suis ravie que tu es décidé de passer tes vacances avec nous.
- Oui, enfin pas toutes les vacances…
Julian me fusille du regard face à ma réponse peu enjouée et je m’efforce de paraître un peu plus allègre.
- Tu es sur que tu n’as rien oublié ? Me demande t-elle en ignorant ma précédente affirmation. Brosse à dent, caleçons, pulls ?
- Mais oui. Je suis plus un bébé.
Elle a un sourire indulgent puis nous jette un regard doux. On range nos valises dans le coffre puis nous nous installons dans la voiture, moi et Julian à l’arrière. Le moteur démarre et on part. Je me tord le cou pour voir le pensionnat s’éloigner peu à peu de mon champ de vision. Je me rends alors compte qu’il est immense. Enfin je l’avais déjà remarqué mais de le voir surplomber toutes les voitures et tout les arbres alentours me donne presque le vertige. Je me remet droit ; pas question d’avoir le mal de transport. Surtout au moment ou Julian est là.
- Tu es sur que ça n’embête pas tes parents que l’on te prenne avec nous ? Demande ma mère en regardant dans le rétroviseur.
- Non, je peux vous assurer qu’ils s’en fichent complètement.
Je ressens un pincement au cœur et ne peux m’empêcher de me demander ce qui creuse un tel fossé entre lui et sa famille. D’où vient cet étrange tremblement dans la voix lorsqu’il les évoque ? Ma mère n’insiste pas et tout deux poursuivent la conversation comme si de rien était. Je n’ai pas besoin de parler une seule fois ; tout deux le font très bien.
- Tu n’es pas obligé de me vouvoyer Julian, lui assure t-elle en prenant un paquet vert dans la boite a gants.
Elle nous le tend, c’est son fameux paquet à chewing – gums. On ne fait pas un trajet en voiture sans son paquet de chewing – gum à la menthe. J’en prends un et mon ami fait de même.

- Merci madame, dit – il en le mettant dans sa bouche.
- Ne m’apelle pas non plus madame. Apelle moi Margarette.
- Désolé Margarette.
Le chewing gum me rappelle des souvenirs qui datent de si longtemps. J’ai l’impression que ça fait cent mille ans que je n’en ai pas mangés. La saveur est pourtant restée la même ; forte et mentholée. Je les adore. Je pourrais en mâcher une trentaine à la fois et recommencer sans m’en lasser. Je le fais passer sur chaque mètre carré de ma langue pour m’imprégner complètement de ce souvenir.
La voiture a changée, mais pas les habitudes.
- Et vous avez déjà décidés de l’endroit ou vous passerez votre deuxième semaine de vacances ?
On échange un regard.
- Pas vraiment, à vrai dire… On comptait se débrouiller un peu. L’aventure.
- C’est bien de faire ce genre de choses lorsqu’on est adolescent. Se débrouiller sois même, voyager quand on le peut encore , essayer de nouvelles responsabilités. Mais il faut quand même s’organiser un minimum. On s’est mis d’accord Paul et moi pour vous aider dans cette entreprise. Nous allons vous donner de l’argent.
Je suis surpris d’entendre ma mère parler de cette manière de l’adolescence et prendre si bien le fait qu’on veut juste partir. Mais c’est au mot argent que je sursaute presque.
- On ne peut pas accepter… dit Julian par simple politesse.
- Mais ça me fait plaisir. Il faut que… que je me rattrape sur beaucoup de chose, lâche ma mère en regardant la route loin devant.
Une bouffée d’émotions s’empare de moi et je tourne la tête pour essayer d’y échapper. Je fixe le paysage qui défile devant la fenêtre sans répondre.

- Merci beaucoup, Margarette… Dit simplement Julian, comprenant que c’est entre elle et moi.
Ils continuent de parler entre eux un bon quart d’heure. Je finis par m’endormir. Lorsque je me réveille, ma tête est posée contre l’épaule de Julian qui regarde le paysage, silencieux. Ma mère conduit toujours à l’avant et semble perdue dans ses pensées. Il doit être 10h30, le ciel a cette belle couleur bleu et tout autour de nous est ensoleillé. Je me sens mieux rien qu’en sachant que le soleil est revenu pour de bon. Je lève ma tête et Julian me jette un coup d’œil.
- On arrive bientôt ? C’est fou je ne reconnais pas…
Ma mère et Julian se jettent un coup d’œil espiègle et je sens qu’ils ne me disent pas tout. Je décide de mettre un terme à ces échanges éloquents.
- Hmm, juste au cas ou vous me feriez une surprise et qu’on ne rentre pas à la maison, je tiens à vous prévenir que je ne connais pas avec exactitude la nature de ma réaction.
- Je suis sure qu’elle va être bonne, réplique Julian avant de glisser quelque chose à l’oreille de ma mère.
Elle éclate de rire. Je ne peux pas croire qu’ils soient si complices alors que ça ne fait qu’une heure qu’ils se connaissent.
J’essaie de rassembler toute ma lucidité pour ne pas leur faire des reproches et rester calme. Ils m’ont préparés une surprise ; ça ne peut qu’être bien. Je m’inquiète trop. Ma mère a voulu être sympa, il faut que j’arrête cette manie de toujours dramatiser les choses.
La voiture quitte soudain la route principale et s’engage sur un petit chemin bordé de buissons verts. Les arbres ici sont si petits que leurs feuillages m’arrivent sûrement au menton. Il n’y a personne aux alentours ; nous sommes vraiment en pleine campagne. J’appuie sur le bouton à disposition et la vitre se baisse de quelques centimètres.
Je sens l’air tiède de cette matinée effleurer mon visage. L’odeur ici est différente de tout les lieux ou je suis allé jusqu’à présent, c’est un mélange indescriptible qui me donnerait la même impression que si l’on m’avait plongé dans une rivière pleine de terre et de verdures. Ce n’est pas si désagréable que ça. J’aime bien cette senteur, en fait.
- Ou sommes nous ? Dis – je en cachant mon sourire.
- Dans la campagne pure et profonde du sud de la France ! Annonce ma mère avec une joie que je ne lui connais pas. Le plus proche village est Lipaja, à vélo on devrait mettre 15 minutes. Si jamais vous voulez aller le visiter dans les jours qui viennent.
J’échange un regard avec Julian. Cette histoire de vélos me rappelle bien trop quelque chose. Je crois qu’il pense la même chose. On sourit et j’hôche la tête en direction de ma mère qui est trop concentrée sur la route pour me voir.

Je m’apprête à demander ou l’on va dormir, mais je n’en ai pas besoin car au bout du chemin apparait alors une maison magnifique. Elle est dans le style pittoresque et me paraît géante. Le toit est fait de tuiles rouges et le rebord des fenêtres est renforcé avec du bois peint en blanc. Cette habitation semble solide et s’impose à moi avec toute sa splendeur ; je ne peux pas m’empêcher d’être abasourdi. Malgré le fait qu’elle est rustique et semble usée, je ne peux m’empêcher de lui trouver un air apaisant et chaleureux.
Ma mère se gare sous un arbres plus grand que les autres et on sort. Elle dit qu’on peut entrer qu’elle s’occupe des valises, Julian insiste mais elle nous assure qu’on devrait plutôt aller visiter.

Nous entrons en poussant un petit portillon. Une clochette y est accrochée et un tintement se fait entendre lorsque Julian le referme. La porte d’entrée, à quelques mètres, est elle en bois massif.
- Combien ça a du coûter de louer une maison pareille ?
- Sûrement beaucoup. Je trouve que ta mère est vraiment sympa de nous offrir ces vacances. Je crois qu’elle veut vraiment que tu arrêtes d’être en colère contre elle.
Je n’ai pas l’impression de l’être encore. Bon, d’accord, je suis peut être un peu trop désagréable avec elle parfois. Je jette un regard noir à Julian lorsqu’il a le dos tourné, irrité qu’il se la joue bon garçon.
L’intérieur est tout autant acceuillant que l’extérieur. Les poutres au plafond sont apparentes et donnent un certain style ; ce n’est pas du grand luxe mais c’est beau. Un lustre pend au plafond du salon.
Julian et moi faisons le tour.
La maison est composée d’une cuisine, d’un salon, d’une salle à manger, de cinq chambres, deux salles de bain, de deux couloirs immenses et d’un escalier tournant. Sans oublier les deux balcons qui donnent vue sur le côté nord et sud, et les trois toilettes positionnées à des endroits tout à fait stratégiques.

- Alors, tu vas bouder Alex ? Questionne Julian en faisant une tête comique.

- Non. Cette fois, je vais me retenir, je réponds en passant un doigt sur une peinture accrochée sur le mur du salon.

- Bonne décision.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 22 :


La fenêtre de ma chambre est immense. Enfin, ce n’est pas ma chambre ; simplement celle que je vais utiliser durant mon séjour ici, et ce n’est pas à propremement parler immense, mais la vue qui s’étend à travers la vitre me paraît infinie. Je m’approche et l’ouvre en grand, sur le rebord côté extérieur est posé un cendrier noir.
Je me penche un peu, inspire l’air qui m’emplit les poumons, dans ces moments là je me sens mieux que jamais et j’ai beaucoup de mal à m’imaginer ressentir de la douleur. Le soleil nous enveloppe entièrement de sa douche chaleur qui sera plus vive avec le temps. La fenêtre donne sur le jardin côté nord.

Il y a un arbre sur lequel est accroché un hamac relié à un autre arbre ; un canapé a été placé sur l’herbe, juste devant une table basse sur laquelle repose des verres à moitiés bus et un paquet de cigarette. Il y a quelques chaises en fer blanc éparpillées dehors.
Je n’entends pas les pas derrière moi et je ne me retourne que lorsqu’il pose sa main sur mon épaule en inspirant.
- C’est vraiment magnfique, soupire t-il.
J’hoche la tête et lui montre du doigt le cendrier. Il lâche un petit rire.
- Je vais ranger ma valise.
Il s’en va et je m’écarte en laissant néanmois la fenêtre ouverte pour aérer la pièce et l’embaumer de cette belle odeur d’été – l’été qui est inexistant pour le moment mais que j’adorerais voir venir.

Je prends ma propre valise et la jette sur le lit, un lit une place aux draps bleu pâles. Il y a une table de nuit en bois blanc, avec une carte postale collée sur le dessus. La personne qui occupe cette chambre normalement l’a annoté et a griffonné dans chaque coin mais je ne décide de pas la lire, ça a l’air personnel.
Je sors mon carnet et le met sur le bureau ; ce bureau me rappelle celui que j’avais dans l’ancien appartement de ma mère. La seule différence et que celui-ci est bien rangé.
Nos deux chambres, à Julian et moi, communiquent par une salle de bain aux carreaux bleus. Il y a deux lavabos et une toilette, ainsi qu’une baignoire blanche avec un petit miroir juste au dessus.
La chambre de Julian est presque identique à la mienne. Il y a un poster d’un groupe de musique que je ne connais pas accroché sur la porte d’entrée.
On décide de descendre et on fait la course dans les escaliers – il gagne – et je vois le regard de ma mère lorsque nous arrivons dans la cuisine en nous chamaillant tout en riant.
C’est un regard rare, fier, heureux, rassuré. Rassuré de quoi ? Rassuré par quoi, maman ?
- Vous m’aidez les garçons ? Demande t-elle en sortant un sachet d’un tiroir.
Elle referme le tiroir et sort cinq belles tomates rouges du sachet.
- Oui ! Que préparez vous ? S’enquit Julian en s’adossant sur le plan de travail.
- Oh, pleins de petits choses, des salades de légumes et quelques plats au four pour ce soir. On va tous dîner dans le jardin !
- En parlant de « tous », ou est ton mari ? Je demande en jetant un regard par la porte ouverte.
- Paul est allé randonner dans les montagnes alentours mais il nous rejoint à 18H. Nous sommes ici depuis hier soir. Il a très hâte de te rencontrer Alex.
On se met au travail, Julian lave les tomates sous l’eau du robinet puis les passe à ma mère qui les coupe en dés, et je les met dans un plat puis les recouvre d’huile et de vinaigre. On fait la même chose avec du comcombre et du poivron puis elle sort du frigo un poulet pré cuit.

Julian l’aide à enlever l’alluminium qui est collé dessus à cause de la sauce et de la graisse et je les regarde faire, assis sur une chaise haute de l’autre côté du plan de travail.
Ils parlent dans de gros éclats de voix et je n’essaie même pas de comprendre ce qu’ils disent, je trouve ça simplement beau leurs deux voix ensembles. Julian est beau.
- Bien sur, j’ai amené un maillot de bain. Merci ! Mais je crois qu’il faut l’enlever par ce côté. Oui, je sais. C’est très gentil… Oui, Alex me l’avait dit. Ça colle beaucoup attention.
Je me concentre sur sa seule voix qui commence à retentir dans mon esprit de manière dangeureuse. Je me reprends et cligne des yeux plusieurs fois avant de me relever.
- Eh maman, Julian et moi on va aller se baigner.
Julian se retourne vers moi et laisse tomber l’alluminium. Je replace une mèche de cheveux sur mon front et profite que ma mère a le dos tourné pour lui tirer la langue et piquer un bout de tomate. Julian me met une tape sur la main mais je l’ignore.
- Très bonne idée les garçons, dit elle en se retournant. Il y a la rivière des Pierres Plates qui est à quelques minutes de marche, mais vous pouvez aussi empreinter les vélos.

- On fait ça Julian ? On fait ça, j’annonce en sortant de la cuisine.
- Ok, dit – il simplement avec un sourire en sortant à ma suite.
On va chercher nos affaires en haut puis on redescends et allons chercher les vélos. Julian choisit un vélo rouge, moi un vert.
Ma mère nous donne deux sandwichs emballés dans du fil plastique, une bouteille d’eau pour ce midi et je les range dans mon sac à dos. Elle nous explique l’itinéraire jusqu’à la rivière. Je la remercie puis elle nous regarde nous en aller.
Julian passe devant et je regarde son t-shirt se plier dans tout les sens dans son dos, transporté par le vent, et je regarde ses cheveux voler dans l’air paisible. Le soleil est haut dans le ciel et il n’y a personne aux alentours ; pas une voiture ; pas un randonneur, je me sens priviligié de pouvoir être ici et d’avoir cette personne avec moi. Que pour moi. J’ai tellement de chance.
Cela fait longtemps que je n’ai pas fait de vélo mais je retrouve vite l’habitude de pédaler et double Julian à toute allure en regardant bien droit devant moi. Il ne manque plus que le casque sur mes oreilles pour m’insuffler une musique entrainante. C’est dans ce genre de moments que la vie me semble différente.

Les moments ou je ne me soucie de rien.
On finit par s’arrêter au bord d’une route, devant nous s’étend un champ à perte de vue, de la lavande. Une bruit de rivière nous parvient, le son doux de l’eau qui fait son chemin sur les pierres. On laisse les vélos au pied d’un arbre et j’ai un sourire en songeant qu’ils pourraient bien disparaitre comme la dernière dois.
On marche quelques minutes vers le bruit de la rivière, écartant des branches de notre chemin. Je ne fais pas exprés et relache un touffe de feuilles dans le visage de Julian qui est juste derrière moi.
- Hé ! Se plaint – il en la dégageant sur le côté.

Je me retourne aussitôt, mais il me sourit et n’a rien.
- Vraiment désolé…
- Ça va. Tiens, je crois qu’on arrive.
On finit par trouver la rivière, qui est plus grande que ce que j’avais pensé. Sa couleur, un bleu translucide, me paraît être celle du paradis. On se change immédiatement en maillots et je jette mes habits sur la berge.
- Oooouuuh, elle est putain de glacée ! Siffle Julian entre ses dents, les jambes déjà immergées.
Je le constate par moi-même mais ne rechigne pas et plonge tout entier dedans. Elle est assez profonde à certains endroits, mais pas plus de 3 mètres. Je me délecte lentement de ma peau devenue presque liquide, je sens l’eau partout autour de moi et c’est une sensation parfaite.
- Espèce de fou.
- Espèce de frileux… ( je n’ai rien de mieux à répondre. )
Il hausse un sourcil ; je connais bien son égo, il ne va pas tarder à entrer dans l’eau tout entier pour me prouver le contraire. Ça ne rate pas, et je pouffe doucement, fier de le connaitre aussi bien.
- C’est… c’est pas si froid que ça, en fait, souffle t-il en claquant des dents.
Ses yeux gris ne font qu’un avec la nature autour de nous. Ils sont profonds, lumineux, et je me perds dedans quelques fractions de secondes. Si bien que je ne le vois pas s’approcher de moi et me prendre dans ses bras.
- Tu es heureux ?
- Oui, dis – je sincèrement.

- Moi aussi, répond il en passant sa main dans mes cheveux humides.
Il suit le chemin de mon visage avec ses doigts, les glissant le long de mon nez et sur mes tempes, sur mes joues et même sous mes yeux jusqu’à atteindre mes lèvres qu’il frole tout doucement. Son index est juste entre ma lèvre supérieure et ma lèvre inférieure.
J’ouvre les lèvres et prends son doigt dans ma bouche.
Il ne me quitte pas des yeux, ne semble même plus se soucier de l’eau glacée dans laquelle nous nageons. Ses joues sont roses, et l’expression sur son visage est indéfinissable. Je souris et passe ma langue doucement sur son doigt.
- Tu sais très bien ce que tu es en train de faire, Alex…
Je le regarde d’une manière innocente et il pousse un soupir en levant les yeux au ciel, l’air troublé. Je finis par le lâcher et plonge dans l’eau. Je ne réapparait qu’à quelques mètres.

- Ça ne te plait pas ? Je lance avec un sourire malicieux.
- … Si.
Je remonte sur la berge en rigolant et m’allonge sur une serviette. Julian reste dans l’eau et je le regarde nager quelques minutes. Le soleil caresse mon dos et ma nuque. Je sors un sandwich, retire le fil plastique et mords dedans.
- Passe moi en un, quémande t-il depuis l’eau.
- Attrape.
Je lui lance et il le réceptionne parfaitement.
On parle, on se baigne, on mange et je me dit que si je devais rester là pour le restant de mes jours ce ne serait pas si terrible. Deux heures, ou trois, passent.
Nous finissons par partir, on se rhabille et je constate que les vélos sont toujours là. On les enfourche et nous rentrons. Il doit être à peu prés trois heure de l’après midi et ma mère est dans le jardin, assise sur une chaise longue. Elle a revêtu une robe d’été ; une robe à fleurs, et la bosse de son ventre rond est plus que voyante.
Julian pique quelques fraises dans le saladier posé sur la table du jardin et c’est à mon tour de lui mettre une petite tape sur le poignet. On rigole et ma mère lève les yeux de son livre, l’air joyeuse.
- Alors les garçons ça s’est bien passé ?
- Très bien Margarette. Merci pour les sandwichs, ils étaient délicieux.
- Et l’eau était très bonne, dis – je en m’accroupissant à côté d’elle.
Elle passe sa main dans mes cheveux avec un sourire maternel et je pose ma tête sur son ventre. Elle a l’air surprise car elle pose son livre et me fixe étrangement.

Le bébé met de légers coups que je ressens contre mon oreille. Un sourire apparait sur mon visage sans même que je m’en aperçoive.
- Tu l’entends ?
- Oui, dis – je avec une certaine émotion dans la voix.
Elle se mord la lèvre, les yeux brillants, puis fait signe à Julian d’approcher. Il semble un peu surpris.
- Vous êtes sure ?
- Mais oui. Et arrête donc de me vouvoyer !
Il s’accroupit de la même manière que moi et elle lui fait signe de coller son oreille lui aussi. Son visage s’éclaire aussitôt.
- Dis donc, ce sera un boxeur votre enfant…Heu, ton enfant…
- Un poéte, j’espère… Répond elle. Comme Alex.
- Il sera ce qu’il voudra être. Je suis sur qu’il sera génial, dis – je pour conclure la conversation.
On reste dans cette position pendant quelques minutes, heureux, ma mère passant ses mains dans nos cheveux.

Voilà, plus court que d'habitude mais le prochain sera plus long ;)
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 23 :

Le soir arrive et on sort tout ce qu’on a préparé ce midi dans le jardin pour le poser sur la table en fer blanc. Elle croûle sous le pain, les salades, le poulet et les fromages tous différents. Ma mère est allée finir le dessert dans la cuisine et on entend la radio d’ici. Elle a mis les chansons d’une vieille chanteuse morte et ça résonne partout dans la maison.
Julian est allongé dans un hamac et fixe le ciel qui s’assombrit au fur et à mesure que les heures passent.
Je vais le rejoindre à l’intérieur et il se pousse pour me faire de la place.
- Tu n’as pas peur que ta mère commence à se douter de quelque chose ? Murmure t-il alors que je me place parallélement à lui.
- Honnêtement… Je sais que c’est bizarre mais non. Je préfère qu’elle comprenne par elle-même plutôt que ce soit moi qui le lui dise.
Il se redresse immédiatement.
- Alors tu veux dire que tu es prêt à ce qu’elle le sache ?
- Oui, j’imagine… Mais ça va assez vite alors je ne sais pas trop ce que je veux.
Il hoche la tête et prends ma main. Je me dis que le moment est bien choisi pour commencer à me plaindre de la vie.
- Tout à l’heure, à la rivière, je me suis dit un truc… Un peu stupide, j’avoue…
- Tu t’es dis un truc stupide, toi ? Ça doit t’arriver une ou deux fois par an non ?
- Je ne suis qu’un modeste être humain…
- Allez raconte.
Ça ressemble à un ordre. Je lève un sourcil et le pousse dans le hamac. Il retombe allongé. On est un peu secoués dans tout les sens et j’en profite pour changer ma position, me mettre dans le même sens que lui et je laisse ma main posée sur son torse.
- Tu t’es jamais dit que… qu’on sera plus jamais enfants ? Tu trouves pas ça triste ?
- Je ne t’avais pas connu aussi perspicace… constate t-il en rigolant.
- Non mais écoute moi. On ne sera plus jamais enfants, on n’aura plus jamais des conversations d’enfants. Je ne pourrais plus aller à l’école ou le collège, c’est fini tout ça, tu te rends compte ? Tu ne te dis pas que tout cela est passé trop vite ? Et dans moins de deux ans on sera majeurs et on ne sera plus adolescents…
Il hausse les épaules, l’air indifférent à cette fatalité de la vie.
- Tu penses que ça va te manquer ?
- Ça me manque déjà, dis – je avec tristesse.
Il reste silencieux.
- Je n’aime pas avoir des responsabilités. Et je n’aime pas avoir des pensées d’adultes, finis – je en sentant que je vis ce que je raconte.
- Mais c’est comme ça que ça marche. Il n’y a rien de triste à ça. Et personellement, j’ai hâte d’avoir des enfants.
- Tu veux des enfants ?
- Oui. Une fille et un garçon, rétorque t-il en regardant le ciel.
Je n’ose pas lui demander comment il fera. Parce que peut être qu’il aura une femme, et c’est d’ailleurs une évidence qu’il faut que je comprenne, mais alors sera-t-il vraiment heureux dans cette famille ? Et quand me quittera t-il pour cette femme et ces enfants ?
- Et tu les appeleras comment ?
- Raphaël et Emma.
Il l’a dit immédiatement, sans réfléchir. Je devine qu’il y a beaucoup pensé.
- Ha bon ? Pourquoi ?
J’essaie de cacher à quel point cette discussion me rend maussade.
- Tu n’aimes pas ?
On a cette fâcheuse habitude de répondre à la question de l’autre par une autre question.
- Non.
- Vas – y, dis comment tu voudrais appeler tes enfants toi.
- Je ne veux pas d’enfants.
- Pourquoi ?, questionne t-il vivement comme si c’était inenvisageable de ne jamais en avoir.
- Pourquoi tu en veux ? Tu ne peux pas être heureux sans en avoir ?
Et je voudrais rajouter « comme ça tu n’auras pas de femme, comme ça on vivra ensembles toute notre vie et on s’en fichera du regard des autres parce qu’on formera une famille à nous deux ».
- Bon Alex tu m’agaces avec tes questions. Je vais aider ta mère, réplique t-il en se levant du hamac, l’air énervé.
Je reste allongé à l’intérieur, pantois, en sentant une lourde colère arriver. Mais à quoi je m’attendais ? Ce n’est qu’un amour passager, il faut que j’arrête de prendre les choses trop au sérieux. Ma colère contre lui n’est pas justifiée.
Le problème, c’est que je me suis trop attaché à lui.
Je me lève à mon tour en essayant de paraitre détendu et aide ma mère à mettre la table. Mais mes gestes sont beaucoup trop brusques pour paraitre apaisés. Je manque de renverser un plat de salade de pâtes et m’excuse aussitôt. Je vois que Julian m’observe de l’autre côté de la table et je me dépêche de trouver une autre occupation.
Soudain, la sonette retentit et un grand sourire éclaire le visage de Margarette. Je remarque qu’elle a mit du maquillage, chose plutôt rare chez elle.
- Ça doit être Paul ! Tu vas lui ouvrir Alex ?
- Moi ?
Elle hoche la tête et se remet à disposer les couverts. Je reste immobile quelques secondes avant de me décider à y aller. Je traverse le jardin puis le couloir et m’arrête devant la porte d’entrée. Je n’ose même pas ouvrir. Mais pourquoi ? C’est si bête d’appréhender cette rencontre.
Je finis par ouvrir et fais face à un homme blond. Il a des lunettes et un sourire implacable. Il me semble si jeune, à peine plus vieux que moi, pourtant il a une légère barbe et me dépasse de deux ou trois têtes. Ce doit être une impression sûrement dû à ses yeux rieurs qui renvoient une apparence jeune. Il a un t-shirt à carreaux bleu et un bas de survêtement. C’est évident qu’il rentre d’une grande randonnée ; il est essoufflé et transpire raisonnablement.
Pourtant, il me tends immédiatement sa main.
- Enchanté ! Paul. Tu dois être Alexandre ?
Je balbutie quelques secondes, cherche mes mots puis réussis à dire quelque chose d’à peu prés cohérent.
- On m’apelle Alex. Oui, enchanté… Paul.
- Ta mère m’a beaucoup parlé de toi. Elle est là d’ailleurs ?
- Oui. Dans le jardin.
Je m’écarte pour le laisser passer et il se précipite vers elle. Aussitôt ils se prennent dans les bras et s’embrassent. Je reste estomaqué, ne m’attendant pas à une telle démonstration d’affection. A l’autre bout du jardin, Julian m’observe. Je détourne le regard et monte dans ma chambre. Ce n’est pas encore l’heure du dîner et ma mère a sûrement beaucoup de choses à dire à son mari.
Arrivé à l’étage, je me couche sur mon lit et enfouis mon visage dans l’oreiller. J’entends des pas dans l’escalier et change immédiatement de position. Julian ne tarde pas à passer le seuil de la porte, le visage impassible.
- On passe à table dans 30 minutes. Le temps que les pommes de terre finissent leur cuisson.
- Parfait.
- Parfait, répète t-il.
- Plus que parfait, je rétorque en le fusillant du regard.
- Tu vas me dire ce qui ne va pas ?
Jamais de la vie. Je refuse qu’il sache à quel point je me soucie de notre avenir ensembles. Surtout quand lui s’en fiche royalement. Je préfère encore le silence. Je me sens pathétique.
- Tu le sais…
Il se rapproche de moi et s’adosse contre l’armoire de la chambre.
- Est-ce qu’on pourrait se fâcher un autre jour, s’il te plait ? Je sais ce que tu penses mais je ne désire pas qu’on se dispute… Surtout ce soir. Surtout ici.
Je réfléchis quelques secondes, me demandant si cette demande est valable. J’ai très envie de le contredire mais il a raison. Je commence à pardonner à ma mère, et puis je ne veux pas la décevoir.
- Bon d’accord, dis – je faiblement en regardant le sol.
Je m’en veux de ne pas avoir assez de force pour lui dire à quel point ça me fait mal… Mal quand il se détache émotionellement de nous.
- Alors fais moi un calin, demande t-il, avec toujours aucunes expressions sur le visage.
C’est la première fois qu’il demande une chose pareille. Mais en réalité, ça me fait plaisir et ça me rapporte un peu plus de chaleur au cœur. Je me lève et vais vers lui. J’ouvre les bras et il vient à l’intérieur, je sens son odeur si douce et qui me donne des frissons. Je le serre en passant ma main dans ses cheveux, d’habitude c’est lui qui fait une chose pareille. Ils ont encore poussés ( logiquement, mais ça me surprends à chaque fois ) et je me dis qu’il faudra vraiment que je les lui coupe. Je sens son souffle contre mon cou.
- Tu sais, Alex… murmure t-il. Il y a des choses qui ne seront jamais possibles pour nous.
Je sais de quoi il veut parler mais ça me fait trop mal de l’admettre. Je préfère ne pas répondre et continuer de le tenir dans mes bras. Je m’accroche plus à lui que lui ne le fait.
Nous entendons ma mère nous appeler du jardin pour nous dire de venir manger et on se sépare l’un de l’autre. Il dépose un baiser dans mon cou et on descends, laissant une certaine distance entre nous. Paul est déjà assis à table et essait d’allumer une bougie.
- Servez vous de ce que vous voulez les garçons.
Elle relève la tête et voit nos visages tristes. Elle fronce aussitôt les sourcils et lâche la cuillère dans la salade de tomates.
- Vous allez bien ?
- Très bien Margarette, ça a l’air délicieux, réponds simplement Julian en s’asseyant.
Je reconnais que ses talents d’acteur sont formidables. Je m’assois à côté de lui et passe volontairement ma jambe sous la sienne. Personne ne peut s’en apercevoir grace à la nappe mais ce contact me rassure. Il ne retire pas sa jambe et n’a même pas l’air surpris.
- Alors comme ça tu es l’ami d’Alex ? Demande Paul en direction de Julian.
- C’est ça, répond il en se servant une cuisse de poulet.
- C’est bien d’avoir des amis comme ça, intervient ma mère. De bons amis. Vous avez l’air de très bien vous entendre.
J’essaie d’avoir l’air normal et mords dans une pomme de terre. C’est brûlant et ma langue reste douloureuse lorsque j’avale. Eux trois continuent de parler, et la discussion passe de notre amitié au sexe du bébé. J’écoute à peine.
- Margarette croit que ce sera une fille, fait mon beau père entre deux bouchées.
- Mais c’est sur, objecte t-elle en posant sa main sur celle de son mari.
- Je crois personellement que ce sera un petit gars, reprend il avec un sourire.
- Et vous avez déjà des enfants ? Questionna Julian en tenant parfaitement son rôle de garçon poli et curieux.
- Non, malheureusement je n’ai jamais rencontré de femme aussi incroyable que Margarette jusqu’ici.
Elle rougit immédiatement et j’échange un regard complice avec Julian. Je ne sais pas si je dois être consterné ou mort de rire. Enfin, je dois avouer que ça me soulage de voir que Paul est autant amoureux de ma mère que ma mère l’est de lui… Finalement, cet homme n’est pa si mal que ça. Au moins, ce bébé aura un père digne de ce nom. Ce sera ça de plus que moi.
- En tout cas c’est vraiment bon maman… dis – je, et ça ce moment là, je réalise que ça fait longtemps que je ne l’ai pas appelé maman.
Elle aussi est surprise mais se contente de me remercier. Je vois bien que ma remarque l’a rendu heureuse.
La conversation continue, paisible et plutôt intéressante pour le reste je dois dire, et je prête une oreille attentive au passage ou ils racontent leur rencontre à un Julian intrigué. Ils se coupent la parole toutes les deux secondes pour rajouter un nouveau détail à l’histoire.
- Tu te souviens, je portais une robe bleu…
- Une robe bleu à fleur !
- Oui, je me souviens bien je l’ai acheté chez ce vendeur chez qui tu es allé…
- C’est vrai, mais je crois qu’il est d’ailleurs dans la rue du café ou tu travailles non ?
- Oui, c’est dans ce café que l’on s’est rencontrés. Tu étais avec ton ami Nicolas…
- Non, je crois que c’était Yves.
- Peut être les deux ? Tente Julian pour donner un coup de main.
- Hmmm. Pas sur, dit Paul comme si c’est un sujet très intéressant qui doit être discuté pendant des heures encore.
Ils passent le reste du quart d’heure à déterminer si c’était Yves ou Nicolas et je dois avouer que c’est plutôt amusent. Je rigole à plusieurs reprises et je me sens plus léger qu’au début du repas. Julian aussi semble heureux et on se ressert tous plusieurs fois des plats qu’il y a sur la table car c’est un véritable délice.
Le ciel s’assombrit de plus en plus et les bougies sont les bienvenues. Elles éclairent le jardin de façon à ce que les buissons se retrouvent baignés de cette douce lumière.
Les étoiles commencent à apparaitre dans le ciel et au bout d’un moment, je quitte la table pour m’assoir dans le hamac et les regarder. Julian me rejoint et Paul et ma mère sont tellement plongés dans ce qu’ils se disent l’un à l’autre qu’ils ne le voient même pas. Je souris en les regardant.
- Paul est vraiment un homme bien, affirme Julian en laissant pendre ses jambes par-dessus le hamac.
- C’est vrai…
La soirée devient un peu plus fraiche et j’ai la chair de poule le long de mes bras. Je décide de monter pour chercher un pull dans la valise, et en redescendant quelques minutes plus tar, je constate que plus personne n’est dans le jardin. Les plats ont été débarassés de la table et un léger air de piano me parvient de depuis le salon. Je m’y glisse discrétement et regarde Paul jouer sur le vieux piano noir du salon. Je ne l’avais pas vu jusqu’à présent, il est dans un coin à côté de la bibliothèque.
Il joue merveilleusement bien. Julian et ma mère sont tout les deux assis sur le canapé et le regardent jouer. Mes yeux s’embuent de larmes quand je me rends compte de la perfection de ce moment. Les notes de musique s’envolent dans mon esprit et retentissent dans mon cœur avec fracas ; comme si je venais d’avoir une révélation.
Pourtant rien, pas de nouvelle idée de la vie, rien de plus que tout à l’heure… et pourtant je me sens un peu mieux. Plein. Plein d’un sentiment que j’éprouve rarement.
Soudain le morceau s’arrête et Julian demande si il peut essayer. Paul lui laisse la place tandis que ma mère applaudit. J’ignorais complètement que Julian savait jouer du piano. Mais bien sur, ou avais je la tête, il est parfait…
Ses doigts volent sur l’instrument avec légéreté et je suis impressioné par son talent. Pourquoi ne m’en a-t-il jamais parlé ? Ma mère et Paul semblent très surpris eux même.
Je ferme les yeux et sent la musique courir dans mes veines, encore plus maintenant que c’est Julian qui joue.
J’ai soudain une idée et remonte discrêtement à l’étage. J’attrape mon carnet, le carnet dont je n’ai jamais montré à personne le contenu pour l’instant, et le pose sur le piano. Il y a dedans toutes les partitions que j’ai composé. J’ai l’impression de faire quelque chose de défendu, peut être parce que je me suis toujours dit que ce carnet était la chose la plus intime qui venait de moi.
Je l’ouvre à la première page et je n’ai rien besoin de dire : Julian se met à jouer la partition inscrite dessus. En me retournant, je constate que ma mère a commencé à pleurer silencieusement. Des pleurs calmes, des pleurs apaisés. Je vais m’asseoir dans le canapé à côté d’elle et écoute celui dont je suis amoureux jouer mes partitions. Je n’en reviens pas que ce moment existe et que je suis en train de le vivre.
Il arrive à déchiffrer mon écriture jusqu’à la fin du morceau, et mon cœur bat à tout rompre tout le long. A la fin, ma mère se lève pour applaudir. Julian reste immobile un moment, puis prend le carnet dans ses mains et semble m’interroger du regard. Voilà, voilà le contenu. De simples partitions. Il sourit et nous rejoint. Paul reprends le relais et se met à jouer du Mozart.
On s’éclipse tout les deux pour laisser les mariés ensembles et on monte à l’étage.
- Quand as-tu appris le piano ?
- Quand j’étais petit. J’ai arrête à mes quatorze ans mais je m’en souviens encore assez bien.
- Pourquoi est ce que tu ne me l’a jamais dit ?
- Pour la même raison qui fait que tu ne m’avais jamais montré ces partitions avant. Il y a des choses qui ne peuvent appartenir qu’à toi.
J’hoche la tête et on entre dans sa chambre. Au lieu d’emprunter la salle de bain pour me rendre dans la mienne, je m’assois sur le lit avec lui et il n’a pas l’air étonné. C’est dit entre nous, « nous allons dormir ensembles cette nuit », c’est dit par nos pensées qu’on partage si bien.
On se change tout les deux en silence. Je regarde le réveil ; 22h03. On s’allonge sur le lit et le morceau de piano qu’il a joué à la fin continue de tourbilloner dans mon esprit.
- C’était magnifique, dis – je en approchant ma tête de la sienne pour mieux le voir dans la prénombre de la chambre.
- C’est toi qui l’as écrit. C’est magnifique.
- Merci, dis – je en prenant sa main.
Il ferme les yeux et je vois qu’il est mort de fatigue. Je le regarde s’endormir progressivement, sa main devenir de plus en plus inerte dans la mienne et ses paupières s’alourdir complètement. Ce n’est que lorsqu’il est complètement endormi que je me permets à moi aussi de tomber dans les bras de Morphée.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 24 :

Le lendemain, la vie me paraît changée.

Je me réveille vers 6h du matin, je ne sais pas vraiment ce qui m’a tiré du sommeil mais je me sens reposé et en paix dans mon esprit. Julian dort encore, il a l’air tellement vulnérable, comme ça, paupières fermées et bouche à demi ouverte. Sa main est restée dans la mienne et je retire doucement mes doigts.

Par la fenêtre, je distingue que le soleil ne s’est pas levé. Le ciel est encore d’un bleu nuit et j’entends quelques oiseaux chanter dans le jardin. Je me change et fouille dans la valise de Julian quelques secondes pour y trouver un t-shirt.
Ce n’est pas que j’en manque, mon sac déborde de vêtements. Mais l’idée de porter le t-shirt de Julian me plaît bien et j’ai hâte de voir son regard quand il s’en rendra compte. J’en enfile un à manches courtes, d’un gris puissant avec un col qui se rabat des deux côtés. Aussitôt, j’enfouis mon visage à l’intérieur et hume l’odeur. Ça sent tellement lui. Je pourrais le porter pendant des jours sans même le laver.
Je descends en bas ; la maison entière est silencieuse. Paul et ma mère semblent toujours dormir. Je vais dans la cuisine et grignote une pomme tandis que le café chauffe, puis décide de faire un peu de ménage.
Ça me prends d’un coup, comme ça, l’idée de faire le ménage. De toute façon je ne me rendormirais pas. Je commence donc à faire couler un peu d’eau dans l’évier et frotte sur les assiettes et sur les couverts avec l’éponge. Je n’avais pas fait la vaisselle depuis très longtemps.
Ensuite, je la sèche et la range dans les placards puis remonte, prends mon linge sale et le met dans la machine à laver. Je continue à faire quelques tâches du genre, essuie le plan de travail et aère les pièces. Le vent frais est agréable mais froid, je ne tarde pas à refermer.
Lorsque je remonte vers 7h, Julian est adossé à la fenêtre et fume en regardant le ciel. Je m’approche.
- C’est moi qui t’ai réveillé ?
Ses cheveux sont en bataille et il a une trace d’oreiller sur sa joue gauche. J’esquisse un sourire.
- Non. Tu es levé depuis quand ?
- Une heure, dis – je alors que la fumée me chatouille les narines.
Il me propose une cigarette mais je dis non, je préfère humer l’effluve de la sienne.
- Tu as mon t-shirt, constate t-il l’air à peine surpris.
- Oui. Je l’aime bien.
- Je te le donne si tu veux.
- Non, si tu me le donnes ce sera le mien.
Il hausse les épaules.
- Et alors ?
- Et alors je veux porter ton t-shirt. Pas le mien.
Il pousse un soupir consterné mais ne peut pas s’empêcher d’avoir un sourire jusqu’aux oreilles et il m’embrasse. Je réponds à ce baiser encore plus fougueusement. Il passe une main sous son t-shirt ( celui que je porte ) et caresse mon dos comme si il était en porcelaine. J’aime qu’il soit tendre avec moi. J’ai immédiatement la chair de poule sur tout le corps.
- Bon, dit il en écrasant sa cigarette sur le cendrier.
Il s’écarte de moi et commence à enlever ses vêtements.
- Tu fais quoi ?
Il retire son pantalon, son débardeur blanc et ses chaussettes.
- Je vais prendre un bain, répond - il avec un clin d’œil minable.
J’hoche la tête et fais de même. J’ôte son t-shirt en le laissant sur le côté, pas question que j’oublie de le remettre ensuite.
- Et toi tu fais quoi ? Demande t-il en voyant que j’ai moi aussi enlevé mes habits.
- Je viens dans le bain avec toi.
On va dans la salle de bain et il commence à faire couler l’eau dans la baignoire. Elle est spacieuse et ses rebords sont bien arrondis. Cela fait si longtemps que je n’ai pas pris de bain. Je referme les portes des deux côtés et on entre dedans.
- Ouuuh, fais – je en constatant à quel point l’eau est chaude.
- C’est pour nous réchauffer un peu, explique t-il avec un air espiègle.
Je rentre progressivement. Mes pieds sont devenus roses et un air chaud flotte déjà dans la pièce, couvrant de buée le petit miroir accroché juste au dessus. Julian, lui, s’est déjà allongé à l’intérieur et a allumé une autre cigarette. Je songe un instant que plus tard je l’harcelerais pour qu’il arrête. Pas question que le cancer vienne gâcher tout ça.
Je finis par capituler et plonge à mon tour tout entier dans le bain. Je pousse un soupir d’extase, j’avais oublié à quel point c’est agréable de prendre un bain. Surtout de cette manière, de bon matin et en si bonne compagnie.
Je baisse la tête pour mouiller mes cheveux qui s’imprégnent de grosses gouttes. Julian verse le quart du contenu du gel moussant dans l’eau et des bulles naissent aussitôt à la surface. Je m’amuse avec la mousse, en mettant un peu partout sur mon corps et on reste silencieux.
Un quart d’heure plus tard, Julian change de position et s’assoit contre mes jambes, laissant sa tête penchée en arrière. J’échange un long regard avec lui puis me saisis du savon que je fais mousser dans mes mains. Je le repose sur le rebord et commence à laver son cou délicatement avec mes deux mains. Je fais des petits cercles sur sa peau et je sens sa pomme d’adam remonter contre ma main quand il avale sa salive. Je remonte jusqu’à sa machoire que je savonne puis m’attaque à ses cheveux.
Je prends du shampoing et en verse un peu au creux de la paume de ma main.
Ses cheveux sont plus longs que les miens et je prends soin de n’oublier aucunes mèches. Mes doigts passent entre ses mèches brunes.
- Continue, demande t-il.
Je m’éxécute.

On finit par sortir de la baignoire, lui en premier car je n’ai pas le courage de m’extirper de l’eau tiède si plaisante. Je le regarde se sécher et se rhabiller, puis décide courageusement de faire de même. Je laisse l’eau s’écouler dans la bonde et tourbilloner vers la fin.
Au rez de chaussée, ma mère prend son petit déjeuner sur la table du jardin. En nous voyant arriver, elle laisse tomber sa tartine et vient me prendre dans ses bras.
- Bien dormi ? Tu as pris une douche toi, non ? Tu as les cheveux encore mouillés. Tu vas finir par tomber malade.
- Mais non, dis – je en me laissant tomber sur une chaise.
Julian s’assoit à côté de moi et se précipite sur la brioche, l’air affamé. Je me ressers du café – rien mieux que le café le matin – avec un nuage de lait.
- Paul dort encore ?
- Non, il s’est levé il y a une demi heure et est partit en ville pour acheter de quoi manger ce midi.
On finit le petit déjeuner et je regarde Julian se peigner pour la première fois devant le miroir.
- Tu es sur que c’est comme ça qu’on fait ? Questionne t-il en le passant d’avant en arrière au dessus de son oreille.
- Oui. D’ailleurs, tu ne veux pas que je te coupe un peu les cheveux ?
Au bout de quelques minutes de débat, il finit par accepter et s’assoit sur une chaise. On s’installe sur la terrasse et ma mère m’apporte une paire de ciseaux. Je les sors de l’étui et Julian commence à paniquer.
- Attends, attends. Tu vas couper de combien ?
- Cinq centimètres ?
- Cinq ?! C’est beaucoup trop.
- Mauviette, dis – je en mimant avec la paire que je lui coupe tout ses cheveux.
Il lève les yeux au ciel.
- Bon vas – y. Dis moi au moins, tu as déjà coupé les cheveux auparavant n’est ce pas ?
Je fais une grimace. Si il commence à remettre en question les talents de coiffeur que je n’ai pas, ça n’en finira jamais.
- Non, dis – je un peu trop honnêtement.
- … Je te fais confiance. Pas trop court.
Je suis surpris qu’il me laisse le faire et commence donc ma lourde tâche. Il me demande d’arrêter toutes les deux minutes pour jeter un coup d’œil dans le miroir mais n’arrive jamais à regarder complètement.
Ses magnifiques mèches foncés tombent sur le sol sans bruit, tel des plumes.
Finalement, j’arrive au bout et je suis plutôt satisfait de mon travail.
- Voilà. Tu es encore plus beau.
Il se lève de la chaise, l’air inquiet. Je le vois se précipiter vers ma mère pour lui demander son avis. Il semble rassuré par sa réponse et revient vers moi, sourire aux lèvres.
- Bon. A mon tour maintenant.
- Quoi ?
- De te couper les cheveux.
- Non, ils sont bien.
- Les miens étaient biens aussi.
- Ils étaient trop longs.
Il passe ses mains dans ses cheveux, a l’air de s’étonner que ses doigts n’aillent pas plus loins.
- N’importe quoi…
A midi, quand Paul est revenu, on s’installe tous à table. Il a ramené de ville des brochettes de viande et des légumes. Il remarque le changement de coiffure de mon ami et lorsqu’il dit que ça lui va bien, je mets un coup de coude à Julian. Celui-ci m’ignore et se sert comme si de rien n’était, non pas sans avoir remercié Paul.
- Vous voulez sortir ce soir ? Demande Margarette en se servant de l’eau.
J’approche mon verre de la carafe et elle verse de l’eau à l’intérieur. Julian lève les yeux vers ma mère.
- Ou ça ? Ce serait sympa oui.
- J’ai vu qu’il y avait une soirée d’organisée en ville ce soir. Vous pourriez y aller, ce serait bien, non ?
J’ai envie d’éclater de rire ; je repense à cette soirée ou nous étions allés et ou j’avais cru voir la sœur disparue d’Adriana. J’avais faillis m’évanouir à cause de la foule et de la musique qui retentissait si fort à mes oreilles. Nous avions perdus les vélos. Ou plutôt, on nous les avait volés.
- Vous y allez vous ? Dis – je en restant impassible.
Je sens qu’à côté de moi Julian sourit. Ma mère nous regarde tour à tour, comme si elle comprenait qu’on se remmémorait quelque chose en même temps.
- Non, je suis fatiguée, je vais me reposer. Paul reste avec moi. Je crois que le bébé est pour bientôt…
- C’est un peu tôt non ?
- Un peu. Mais toi alors, tu étais bien en retard. A croire que tu préférais ne pas sortir. Rester au chaud, sourit elle en buvant une gorgée.
Ses yeux brillent un peu et j’ai l’impression qu’elle repense à tout ça. A sa première grossesse. A moi. Je me demande si celui qui aurait dû être mon père était là pendant tout ce temps. Je ne sais pas quand il est partit. Je ne sais rien de lui, et c’est mon choix. Je ne veux rien savoir.
Une demi heure après, la conversation s’est poursuivie et les plats sont vides. Mon beau père s’éclipe et on empile les assiettes les une sur les autres.
- Et voilà, annonce Paul en revenant de la cuisine.
Il revient avec un gâteau dans les mains, encore dans le moule. C’est un gâteau au chocolat recouvert de crème. Ma mère ouvre les yeux en grand, surprise.
- Tu l’as acheté ?
- Non, je l’ai fait.
Il pose le gâteau sur la table, l’air fier et il peut l’être à en voir la tête de ma mère.
- En quel honneur ?
- Il faut une raison pour faire un gâteau à sa famille ?
Elle semble s’étrangler de joie quand il dit le mot « famille » et moi-même je ressens quelque chose. Une famille, pour moi, ça a toujours été seulement moi et ma mère. Nous deux. Ça n’avait pas grand-chose d’une famille. Ma grand-mère en faisait partit avant sa mort. Elle m’a quitté bien trop tôt.
Mais ma vision du mot famille s’agrandit de plus en plus en ce moment, avec le bébé et Paul. Je vais être grand frère et c’est arrivé bien trop vite, mais j’en suis heureux.
Et Julian.
Julian est ma famille plus que tout au monde. Si je suis avec lui, qu’importe l’endroit, je me sentirais chez moi.
Je doute qu’il ressente quelque chose d’aussi grand pour moi mais je dois comprendre que ce genre de chose est souvent à sens unique. Je crois que je le comprends. Pas forcément que je l’accepte.
Paul coupe le gâteau en une demi douzaine de parts et on se sert dans des petites assiettes. C’est très bon. Julian et moi quittons la table avant les autres car ces deux là sont occupés à parler et parler encore.
On passe le reste de l’après midi à lire, sortir, on se baigne à nouveau dans la rivière et on se balade un peu autour de la maison.
La journée passe à une vitesse folle. Je ne m’ennuie à aucuns moments, j’ai toujours quelque chose à faire, comme regarder Julian par exemple. Je me demande pourquoi l’amour ne te coupe pas le souffle, enfin, vraiment.
Je le ressens tellement fort dans mon cœur et dans ma tête, dans mon corps, pourquoi cette sensation immense ne m’empêche t-elle pas de respirer ? Ce devrait. J’ai presque l’impression que je pourrais continuer à vivre malgré tout.
- Quel pays tu voudrais visiter en premier ? Si on partait ? Me demande Julian alors que nous sommes allongés au milieu d’un champ de fleurs, à quelques dizaines de mètres de la maison.
- Je sais pas. Peut être...
Il me prend de court. Je tourne ma tête vers la droite et une partie de mon visage est enfouie dans l’amas de fleurs infini de ce champ. J’hume leurs odeurs et réfléchit à une réponse.
- Peut être la Finlande. Ou l’Irlande. Ou la Nouvelle – Zélande.
Ce doit être magnifique là bas. Vraiment beau. Peut être pas aussi beau que ce champ ou l’on est, mais pas mal quand même.
- Tout ce qui finit en ande, quoi.
- C’est ça. Pourquoi tu me demandes ?
- Je sais pas. Comme ça. J’aime bien la manière dont tes sourcils se froncent lorsque tu réfléchis, le petit pli qui se forme en haut de ton nez. Et ta manière de parler. C’est peut être pour ça que je te pose des questions… pour que tu me répondes.
Ça parait logique et compliqué à la fois. Comme beaucoup de choses.
Le soir venu, ma mère nous explique à peu prés ou se trouve la ville des environs, celle ou il y a la fameuse soirée. On s’est changés, on a mangés un morceau.
- Vous ne rentrez pas après deux heure du matin. Et ne rentrez pas bourrés. Faites attention avec les vélos, ne roulez pas trop prés de la route. Ne rentrez pas chez un inconnu.
- Mais oui, maman, promis. Allez salut.
- Passez une bonne soirée.
Je débute un geste pour la prendre dans mes bras mais change d’avis au dernier moment et monte sur le vélo. Julian discute encore avec elle et j’en profite pour passer devant.
On pédale une dizaine de minutes. Il est vingt heures mais le soleil ne s’est pas encore couché. Je m’en sors de mieux en mieux en vélo, bien mieux que Julian. Je lâche les deux mains du guidon et tourne ma tête pour voir sa réaction mais il reste concentré sur le sien.
On finit par arriver à l’entrée de la ville ; une petite ville tout de même bien remplie. La soirée est tiède et la foule est dispersée partout dans les rues, les gens tiennent des bières à la main bien que la moyenne d’âge ne dépasse pas les 25 ans. Cette fois, on attache les vélos à un poteau avec une chaine, ayants retenus la leçon.
On se fraie un chemin, je dois jouer des coudes pour réussir à rester derrière Julian. Il est en tête maintenant et regarde en direction du centre, une place aménagée pour l’occasion. L’alcool est vendu un peu partout, il sort quatre pièces de sa poche et achète deux bières. Il m’en tends une et j’y trempe à peine les lèvres. Le goût âcre et amer me fait frissonner. La bouteille est glacée et je la garde néanmois collée dans la main pour me refroidir un peu.
Des groupes discutent ou dansent autour de nous, on va dans un coin et on s’assoit sur un banc. Julian boit de grosses gorgées de bière, il a l’air d’adorer ça.
La musique est mieux que celle de la précédente fête à laquelle nous étions allés.

- On va danser ? Je demande en criant un peu pour qu’il m’entende.

Il a l’air stupéfait que je lui demande une chose pareille, moi, mais accepte bien entendu et on se lève pour rejoindre l’amas de personnes au centre. Je ne sais pas danser, je n’ai jamais dansé, je crois, ou juste chez moi, seul, pas longtemps.
Mais il n’y a rien de calculé, rien à faire. Il faut simplement sauter et bouger les bras, se laisser porter par la musique ; ce n’est pas vraiment de la danse mais j’ai l’impression que ça me permet d’extérioriser bien trop de sentiments enfouis dans mon cœur. Une goutte de transpiration coule le long de mon front, je n’avais pas eu aussi chaud depuis longtemps.
Je vais poser ma bière sur le rebord d’une fenêtre, pas question de me la renverser dessus ; je ne veux pas avoir l’air d’un débile. Je reviens et la musique change, mais je continue quand même de danser, comme tout le monde. Là, au milieu de tout les autres, personne ne me regarde et personne n’en a rien à faire que je danse mal.

Julian lui est beaucoup plus à l’aise que moi, évidemment, et je remarque qu’un groupe de filles le regardent. Leurs yeux sont rivés sur lui, elles le dévorent carrément, et puis je dois admettre qu’elles sont plutôt jolies.
L’une d’elles dit quelque chose à ses amies et je les vois avancer vers nous, comme si elle avaient eu envie de danser d’un coup.
Je prends Julian par la main pour l’entrainer autre part.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 25 :

- Qu’est ce que tu fais ? Me demande t-il faiblement, la bouche un peu pâteuse à cause de l’alcool.
Il boit quelques gorgées de bière et je me demande combien il en a pris. Il m’a dit qu’il ne tenait pas l’alcool, un jour. Cette théorie devrait être confirmée bientôt.
- Il y a des filles qui te reluquaient. Elles venaient te parler, j’en suis sur.
Il passe sa main dans ses cheveux et se laisse tomber sur un banc.
Je l’ai entrainé à l’écart, loin du bruit et de la foule. Ici l’air est un peu plus respirable, plus frais. J’inspire de grandes goulées d’air et m’assois à côté de lui.
- Et alors ? ça te plait pas que la gente féminine puisse apprécier ma beauté ?
Je lève les yeux au ciel, irrité qu’il ne comprenne pas.

Je cherche de yeux le groupe de filles et les vois foncer droit sur nous, l’air déterminé à nous parler. A lui parler. Exaspéré, pris d’un excés de jalousie, je lui tire le bras pour qu’il se relève et il ne résiste pas.
Etant plus lucide que lui, il se laisse faire lorsque je l’emporte dans une rue adjaçente. Celle-ci est vide de monde hormis un homme qui fume sur son balcon et une jeune fille qui vomit ses tripes au pas d’une porte.
Nos pas sur ce sol froid retentissent comme le seul son. Les bruits de la fête nous parviennent de loin. Les lampadaires se sont allumés et diffusent une lumière tamisée dans la rue. On continue à marcher, ou plutôt je marche et il me suit.
Je sais que c’est idiot, mais je ne supporte pas de l’imaginer discuter avec ces filles. Je sais qu’il leur plait ; et je sais aussi qu’il aime se faire apprécier. Mais j’en ai assez de rester impuissant devant ce genre de scène.
Je jette un coup d’œil derrière moi pour vérifier que les filles ne nous suivent plus.
Maintenant que nous sommes seuls, je sens cette fine pellicule de sueur sur mon corps et je sais que mes cheveux sont transpirants. Cela fait longtemps que je n’ai pas sentit cette adrénaline spéciale.
- C’est beau ici, souffle Julian, les yeux regardants dans le vide.
Il est déjà complètement bourré. Je paris qu’il ne se souviendra de rien demain matin. Je lève les yeux au ciel.
- Il fait sombre, on ne voit rien, je rétorque un peu trop brutalement.
- C’est beau, répéte t-il.
Je me tourne vers lui et sent qu’il va tomber. Sa main se met en position de réception et ses jambes tremblent. Je me précipite sur lui pour rattraper son corps qui va s’affaler sur le sol ; passe ma main autour de son dos pour me saisir de son bras droit. On tombe à moitié mais je nous réceptionne sur le mur, égratignant mes doigts au passage.
- Désolé, gémit il en essayant de réancrer ses pieds dans le sol.
- C’est rien, dis – je en nous relevant.
- Désolé Alex… dit il à nouveau en essayant de m’attraper le visage avec ses mains.
Je suis à bout de souffle, à cause de la fatigue et de l’effort donné. Il est mince mais tout de même bien plus musclé que moi. Je le laisse se tenir à moi, et essaie de le soutenir du mieux que je peux.
Je sais que si je le laisse marcher tout seul il va encore tomber. Je regarde autour de moi. La rue est toujours vide ; toujours calme.
Il faut que je trouve un endroit pour s’asseoir. Je ne peux pas le porter indéfinement. Voilà ce que je vais faire, on va attendre une ou deux heures qu’il dessoûle. Avec beaucoup d’eau, ce devrait le faire et il pourrait remonter sur un vélo. On va y arriver.
- Je suis désolé, dit il alors que j’essaie de le faire s’asseoir par terre devant une porte.
Je finis par réussir et je me mets à côté de lui, entrenant tout de même une certaine distance au cas ou son estomac ne tient pas le coup des bières.
- Arrête de dire ça.
Il dodeline de la tête, elle tombe en arrière sur la porte et j’espère qu’il n’y a personne à l’intérieur de la maison. Je ne voudrais pas qu’on se fasse virer.
- J’ai ruiné la soirée.
- Non.
- Mais si… peine t-il à dire, l’air vraiment mal.
- Non, je suis heureux d’être là. Avec toi.
Il sourit doucement et essaie de respirer profondément, sûrement pour faire passer les effets de l’alcool. Il doit quand même être un minimum sobre pour réussir à culpabiliser.
- Respire bien. Mets la tête entre tes genoux.
- Quoi ?
- Mets ta tête entre tes genoux. Ça t’aidera à être un plus disposé, à faire passer les sensations maladives et à ne pas avoir d’hallucinations.
- Ok docteur Alex.
Il m’écoute et baisse la tête pour la caler entre ses deux genoux. Je passe ma main sur sa nuque pour l’encourager un peu.
- Ta mère va être furieuse… se désole t-il en relevant la tête.
J’appuie sur sa nuque pour qu’il reprenne sa position.
- Mets la tête entre tes genoux, bon sang.
- Désolé…
- Arrête de t’excuser.

Il reste dans cette position une bonne dizaine de minutes et son souffle commence à être un peu plus rythmé, régulé. Je le regarde sans rien dire, et je n’ai pas mentit ; je suis heureux tant que je suis avec lui.
Il finit par relever la tête en disant qu’il commence à avoir mal à la nuque.
- Alex… glapit – il en me cherchant des yeux.
Je suis juste devant lui mais il n’a pas l’air de vraiment me voir, sûrement un effet de l’ivresse. Ses yeux sont à demi clos.
- Oui ?
- Tu es beau…
Ce n’est pas la première fois qu’il complimente mon physique, mais comme tout le temps ça me fait un certain effet. Je sens une légère sensation dans le ventre, agréable. Savoir qu’à ses yeux je suis beau me rend plus à l’aise.
Mais je suis tout de même déçu qu’il me le dise sous l’emprise de la bière. J’aurais aimé qu’il tienne cette conversation dans un autre état.
- Vraiment, poursuit il en tentant de prendre mon visage avec ses deux mains.
Elles passent à côté de moi deux fois puis enfin il réussit à le trouver. J’avale ma salive, la gorge serrée, ne comprenant pas ce qu’il cherche à faire.
Ses doigts passent délicatement sur mes joues, et il s’approche. Sans crier gare, il m’embrasse.
Sa langue a un goût d’alcool amer et je peux sentir à travers ses mouvements qu’il est bien bourré. Il est plus brusque dans ses mouvements, ses lèvres cherchent les miennes sans arrêt et le baiser est différent des autres.
J’y réponds tout de même, plus doucement, essayant de m’adapter à ses gestes. Je crois que c’est définitivement l’alcool, mais il est immédiatement plus sensuel aussi. Il gémit dans ma bouche à plusieurs reprises, et il continue de m’embrasser, encore et encore. Comme il s’est jeté à moitié sur moi, je sens son corps peser sur le mien.
Je sens les muscles de son torse et de son ventre contre ma peau ; les fins tissus de nos t-shirts ne suffisent pas à faire taire cette sensation merveilleuse.

… Je sens même un début d’érection au niveau de son bas ventre. C’est qu’il ne doit pas être si bourré que ça.
Je le repousse, les joues excessivement rouges. Il retourne s’asseoir de son côté, haletant. Je jette un vif coup d’œil dans la rue, un peu gêné en me rapellant de la situation. Le fait que Julian ne soit pas dans son état normal est encore plus chamboulant.
Heureusement, la rue est toujours vide. Pas un chat.

- Viens, on va retourner aux vélos.
- Déjà ? ça fait pas longtemps qu’on est arrivés… se plait il tel un gamin de huit ans.
- Tu veux faire quoi ? J’ai pas très envie de retourner à la soirée. Et puis tu ne tiendras pas debout plus de dix minutes.
Il fait la moue, l’air faussement agacé.
- Alors je sais pas. On marche ?
- Oui mais alors je ne te porte pas.
Il entreprends de se lever, se tient à la poignée de la porte pour réussir. Finalement, il se hisse sur ses jambes.
- J’y arriverais tout seul.
- Ok… Ne tombe pas, d’accord ?
- D’accord, maman… se marre t-il en faisant quelques pas de travers.
Ça ne me donne pas confiance en ses capacités à marcher.
- Il est quelle heure ?
- J’en sais rien. Peut être 22h.
Il hausse les sourcils considérablement et souffle de manière exacerbée, comme si c’était la nouvelle du siècle.
- Wouawh, il est tôt… Très tôt…
- Hmm…
On continue de marcher, on tourne sur une autre rue toujours aussi calme, il n’y a pas un chat et le ciel est déjà d’un bleu foncé au dessus de nos têtes. Les étoiles brillent si fort ce soir.
Il tient sa parole et ne tombe plus. Au bout d’un moment, il me prend la main et la garde dans la sienne pour le reste de notre balade nocturne. Sa paume est moite de transpiration mais je n’enlève pas la mienne sachant pertinnement que ça ne se reproduira sûrement plus : se tenir la main, comme ça, dans la rue.
- Attends… dit il soudainement après un long moment de silence.
Sa peau est devenue très pâle et il semble pris par des soubresauts… je sais ce que ça signifie. Immédiatement, je l’emméne prés du caniveau et reste prés de lui pour le tenir au cas ou.
Il finit par vomir, après plusieurs hoquets. Je détourne le regard.
- Ça va ? C’est bien que t’es sortit tout ça… dis – je, la mine un peu dégoûtée.
Il ne répond pas, la voix sûrement trop enrouée pour ça. La bile rend souvent la gorge douloureuse. On s’éloigne de l’endroit ou il a déversé cette horreur.
- Continuons à marcher, ça te fera peut être du bien…
Il obtempère et nous poursuivons donc notre marche.
Je constate que nous revenons vers le centre du village. Il y a de plus en plus de mondes et la musique revient à nos oreilles. Je lâche automatiquement la main de Julian, mais il est trop faible et malade pour s’en rendre compte.
On arrive prés d’un groupe de jeunes. Ils sont quatres et semblent avoir le même âge que nous. On va les dépasser mais l’un d’eux vient alors vers nous, sourire aux lèvres. Il doit avoir 17 ans, je ne vois pas très bien à cause de la pénombre mais ses cheveux sont châtains et il a un sourire confiant.
Je me tourne vers lui, étonné.
- Salut ! Je m’apelle Gabriel. On vous a vus de loin avec mes amis, et… il a pas l’air bien ton pote.
Ses yeux se tournent vers Julian qui s’est baissé vers le sol, comme si il avait peur de se remettre à vomir. Je lui jette un regard également, l’air vraiment désolé pour ce dernier.
- Ha, ouais… heu… Il a un peu trop bu.
Gabriel sourit et je le lui rends.
- Je comprends. Ce doit être sa première cuite non ? C’est souvent violent la première fois.
- Sans doute. Je sais pas trop…
Ses amis s’approchent de nous. Ce sont deux autres filles et un autre gars. Celui-ci tient une cigarette à la main.
- Voici Léna, Delphine et Ivan. Delphine fait une soirée dans sa maison pas loin d’ici mais on est sortits pour voir ce que donnait celle là.
La fille en question me salue. Elle a des cheveux roses exubérants et deux piercings, un dans le nez et un à l’arcade sourcillère. Son autre amie, Léna, est brune et a un air bien plus « sage ».
- Oh, bah… c’est pas terrible…
- Je vois ça, dit il en rigolant. Du coup, vous voulez vous joindre à nous ?
J’hausse les sourcils, je ne m’y attendais pas.
- Quoi ?
Julian, lui, est complètement désintéressé de la conversation. Il s’est assis sur le sol et a remis sa tête entre ses genoux.
- Venir à la soirée de Delphine. T’as l’air sympa et j’imagine que ça peut te rendre service, au sujet de ton pote qui a pas l’air super bien aussi…
Je réfléchis quelques secondes. C’est vrai que si Julian est toujours dans cet état lamentable, il ne pourra pas monter sur un vélo. Il vaut mieux que j’apelle ma mère pour lui dire qu’on ne rentrera que demain. Mais pour ça il faudrait que l’on puisse dormir ici… Dans un hotel, ou à cette soirée… Ce serait quand même généreux de leur part.
- Est-ce que vous avez un téléphone ? Chez Delphine ? Il faut que j’apelle quelqu’un.
Je sais que ce n’est pas tout le monde qui a un téléphone chez lui.
- Oui, bien sur. On en a un.
- Hé, intervient Delphine. Ton pote a vraiment pas l’air bien. Je pense que c’est plus prudent que vous restiez dormir chez moi quand même.
J’essaie de ne pas montrer à quel point je suis surpris. C’est vraiment gentil…
De plus, bizarrement, Delphine me fait penser à Adriana. Physiquement, c’est l’opposé l’une de l’autre, et je ne connais cette Delphine que depuis quelques minutes. Mais je ne sais pas, c’est peut être quelque chose dans la voix ou dans le regard qui me fait penser ça…
- Oui, ça serait bien pour lui mais ce serait vraiment un gros service… C’est trop.
Elle a l’air indifférente à ce petit problème là. Elle me sourit, détachée.
- Mes parents ne sont pas là de toute manière. Ils ne sont jamais là. Et la maison est immense, y’aura bien de la place pour vous.
- Bon alors… c’est ok. On vient.
Ils ne ressemblent pas à des psychopathes et ont vraiment l’air sincères. En plus c’est le seul moyen… Je n’aurais qu’à dire à ma mère que Julian a croisé un ancien ami et qu’on est allés dormir chez lui. Elle ne découvrira jamais qu’il était bourré, comme ça.
- Alors c’est plié ! Retournons à la soirée, annonce Gabriel en prenant les devants.
On commence à remonter la pente et je fais signe à Julian de me suivre. Il obéit et je reste prés de lui tandis que nous nous dirigeons vers chez Delphine.
- Ça vous arrive souvent de venir en aide aux gens en détresse ? Je demande à Gabriel en arrivant à sa hauteur.
Delphine est devant et parle activement avec Ivan ; et Léna les écoute de derrière. Nous sommes à la fin du groupe.
Il a un sourire modeste.
- Non, mais Delphine ne ment pas en disant que sa maison est immense. Ça lui arrive très souvent de faire des fêtes dedans et que des inconnus se ramènent. Elle est comme ça… elle aime faire des rencontres.
- Oh, d’accord…
J’ai des milliers de questions en tête mais en me les passants chacune dans l’esprit pour me demander si je devrais les poser, je me rends compte qu’elles ne sont pas vraiment polies. Je me tais donc.
- Et vous, qu’est ce que vous faites ici ? Vous n’avez pas l’air d’être du coin.
- On est en vacances pas loin.
- Ah, des touristes, plaisante t-il. Toujours ceux qui ne tiennent pas l’alcool.
On regarde Julian en même temps. Celui-ci nous suit de prés et Gabriel lui adresse un signe de la main mais il ne réponds pas, sûrement trop malade.
- Il s’appelle Julian.
- Julian. Prénom sympa. Vous êtes amis ?
- Oui… dis je en me demandant pourquoi il pose la question.
J’essaie de paraître sur de ce que j’affirme moi-même.
Ça parait évident… que nous sommes amis.
Il hoche la tête et on marche encore jusqu’à la maison de Delphine, sans vraiment parler encore.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 26 :

La maison en question n’est qu’à quelques rues de notre position initiale ; aux abords du village.
Lorsque nous arrivons, je ne la vois pas directement. Ou, plutôt si, je la vois très bien, elle crève les yeux ; c’est la plus grande maison que j’ai pu voir de toute ma vie. Mais ce qui fait que je ne la regarde pas ; c’est que je ne me doute même pas une seule seconde que c’est elle la maison de Delphine.

Maison ? Villa, oui. Quels sont les métiers de ses parents au juste ? ça ne m’étonnerait pas qu’ils soient millionnaires. Elle brille de l’extérieur ; c’est une demeure sophistiquée avec plusieurs terrasses, l’une est même dotée d’une piscine. Le jardin en bas grouille de mondes, surtout des adolescents. Oui, c’est sur que cette soirée est meilleure que celle organisée par le village…
Il y a des guirlandes lumineuses aux quatres coins de la villa ; on dirait presque une boule disco géante. C’est ce genre de maison qui a d’immenses vitres de partout et qui se compose de plusieurs étages.

- C’est ici, annonce joyeusement Delphine en se dirigeant vers le portail qui est ouvert en grand.
Un groupe de filles parlent sur le côté et ont l’air bien alcoolisées. Pas une ne noue jette un regard. Sur ma droite, Gabriel jette un coup d’œil inquiet vers Julian.

- Il va tenir le coup ? Y’a pas mal de musique et de monde à l’intérieur.
- Une grosse teuf, ouais, intervient Ivan en nous devançant.
La question serait plutôt : « vais – je tenir le coup ? ». Parce que je ne doute pas une seule seconde que Julian sera dans son habitat naturel ; son propre ecosystéme à lui…
… et voilà que je me mets à faire des comparaisons débiles de SVT. Focus, Alex.
- Ouais… dis – je en bafouillant. Ça va le faire. Ou est le téléphone ?
Ivan et Léna sont déjà partits en direction de la fête. Il est clair qu’ils n’ont pas le même goût que leurs amis en matière de « allons sauver les gens en détresse ».
- Je t’accompagne, dit Delphine gentiment.
- Merci.
Elle passe de l’autre côté de Julian et lui prends doucement le bras pour l’aider à avancer. Celui-ci se laisse faire. Je me rends compte que je ne ressens pas la moindre jalousie envers Delphine. Moi qui ait l’habitude de grincer des dents à chaque fois qu’une fille s’approche de lui, je suis en ce moment même plutôt détendu.
Je ne sais pas, cette Delphine attise un sentiment de confiance. Ce sentiment éprouvé envers les gens, la confiance, est plutôt rare. Il l’est encore plus quand c’est une inconnus… Je la connais depuis une poignée de minutes seulement mais j’éprouve déjà pour elle une reconnaissance infinie et une sorte de… oh, je ne sais pas. Peut être que c’est le fait qu’elle me fasse penser à Adriana qui me donne cette impression.
Adriana. Elle me manque. J’espère qu’elle va bien.
C’est en s’éloignant des gens qu’on aime qu’on se rends compte à quel point ils sont importants…
On entre à l’intérieur de la propriété et aussitôt on doit se débrouiller pour se frayer un chemin à travers le jardin noir de monde pour arriver jusqu’à l’intérieur de la maison. C’est vraiment immense et impressionant, ici. Il y a une deuxième piscine à quelques mètres de nous ou quelques jeunes se baignent en sous vêtements. Le lieu fourmille de désir et de chaleur ; c’est souvent le cas quand on est au milieu d’une foule d’ados.
Hmm. Je me mets à penser comme si j’avais 70 ans. Il faut que j’arrête ça. Je suis un ado de 16 ans, bordel, rien de plus. Si Julian pouvait entendre mes pensées, mon dieu ce qu’il m’engueulerait…
On finit par atteindre une véranda et on s’engrouffre à l’intérieur. Cette partie de la maison est partiellement vide et on atteint rapidement le bureau du père de Delphine. C’est une des nombreuses pièces affectées d’un téléphone, mais la plus proche de nous.
En traversant un des salons et la cuisine pour s’y rendre, je dois écarquiller les yeux de nombreuses fois. La cuisine est équipée de tout les robots d’alimentation aux mondes et des lumières sont incrustées dans la table en verre pour éclairer la pièce. Mais il y a d’autre éclairages artificielles dans le plafond et deux frigos ! Le canapé du salon lui en vaux quatres collés ensembles et de nombreux tableaux longent les murs.
- Mes parents adorent l’art. Notre maison est pleine de ces tableaux…
- Je vois ça… C’est vraiment magnifique.
- Mes parents travaillent un peu partout dans le monde, alors ils se font des contacts et de l’argent mais je ne les vois pas souvent… Ils partent sans vraiment me dire ou, et ne reviennent sans me dire quand.
Je perçois une telle vague de chagrin dans sa voix que je ne sais pas vraiment quoi dire.
- Mais bon, ça me permet de bien m’éclater avec mes potes ! Rétorque t-elle en faisant un geste de la main vers l’extérieur, vers la fête. Bon, je te laisse téléphoner. Je suis dans la cuisine que tu as vu si tu veux me rejoindre ensuite. Je vais préparer quelques cocktails.
- Merci beaucoup.
Elle fait un signe vers Julian et s’en va. On reste tout les deux seuls dans la pièce, ce bureau luxueux ou chaque objet semble avoir couté un ou deux millions. Il y a même une collection interminable de montres en or massif exposés sur une table ; et des petites pierres lumineuses incrustées sur les bords du cadran… Je crois que c’est du diamant, mais ça me paraît impossible qu’elles soient exposées à la vue de tous comme ça, pourtant.
- Assis toi, Julian.
Je l’aide à se mettre par terre sur le sol et lui fait promettre de ne pas vomir. Ce serait assez problématique de devoir rembourser ce large tapis en peau de tigre…
Je me dirige vers le téléphone et compose le numéro du fixe de la maison louée. Je me félicite intérieurement de l’avoir appris par cœur, même si c’est plutôt un tic automatique et embêtant qui est d’apprendre par cœur le numéro de chaque fixe.
Après plusieurs sonneries, j’entends la voix de ma mère à l’autre bout du combiné.
- Oui ? Qui est ce ?
- C’est Alex. Je t’appelle pour te dire… Julian a croisé des amis de longues dates, et… et on va rester dormir là bas. On rentre demain matin sans fautes d’accord ?
Il y a un silence. Je croise les doigts.
- D’accord. Pas plus tard que 12h alors.
- Parfait. Merci, merci, merci maman.
Maman… Ce mot me paraît tellement étrange, bizarre à prononcer. Ma bouche n’y est pas habitué. On se dit au revoir et elle raccroche la première. Je passe de longues secondes à simplement écouter la résonnance à travers le combiné avant de le remettre sur son socle.
Julian n’a pas bougé, il est toujours assis et a fermé les yeux. Ses cils noirs touchent ses joues pâles de façon superbe ; je ne peux pas m’empêcher de rester un instant debout à juste le fixer.
- Ne t’endors pas tout de suite, lui dis – je en sortant de mon état d’admiration.
Il tourne ma tête vers moi et lâche un « d’accord » presque inaudible. Mince, il est vraiment mal.
Je le prends dans mes bras et ouvre la porte du bureau avec mon coude. Dans le couloir, personne ne fait attention à moi. Il y a une fille tenant un verre de quelque chose à la main et deux garçons discutants, mais c’est tout. La soirée se concentre surtout dans le jardin et vers la piscine.
Je vais vers la fille et lui demande ou est la salle de bain. Elle me réponds qu’il y en a plusieurs et que la plus proche est à quelques mètres, une porte devant un escalier ; et elle me montre du doigt la direction. Elle jette un coup d’œil rapide à Julian qui est en train de délirer entre mes bras, racontant une histoire avec un mouton.
- Oui, il est un peu bourré… Merci.

Puis je me dépêche d’aller là ou elle m’a dit. Je n’ai qu’à marcher le long du couloir et à bifurquer à gauche avant de tomber devant l’endroit qu’elle m’indiquait ; un splendide escalier en verre montant vers le haut. Cette maison est vraiment… incroyable.
La porte de la salle de bain est juste à droite. Je l’ouvre avec mon coude et dépose Julian dans la baignoire qui est sèche. Je l’allonge à l’intérieur en faisant attention que sa tête ne se cogne pas contre le rebord puis je referme la porte et ouvre l’eau.
Il y a une bonne vingtaine de boutons différents sur le pommeau du bain. J’appuie sur un au hasard et en sort un jet puissant et froid. Parfait. Je le dirige vers le visage de Julian en songeant un « désolé » et lui asperge complètement la tête, espérant qu’il ne m’en voudra pas trop par la suite.
Il semble revenir à la réalité d’un seul coup et relève la tête.
- Hé ! Qu’est ce que… qu’est ce que tu fous ?
- Je te réveille, idiot. Ne crois pas que tu vas pioncer dans mes bras comme la belle au bois dormant sous prétexte que « tu ne tiens pas l’alcool ».
Il crache un jet d’eau par la bouche ; il a vraiment l’air agacé mais semble déjà un peu moins délirant.
Je lui tends une serviette et il entreprends de se sécher le visage et le t-shirt car celui-ci est partiellement atteint. Je l’aide à ressortir car ses mouvements sont souvents à côté de la plaque.
- J’ai froooooid…
- Ok, ok.
J’enlève mon propre t-shirt ( qui est en fait le sien, puisque je m’habille avec ses vêtements ) et lui tends. Il le saisit et le met. Avant qu’il l’enfile complètement, je vois à nouveau son tatouage auquel je ne suis pas encore habitué. Je n’arrive toujours pas à y croire.
C’est que moi aussi je commence à avoir froid. Cette idée n’était peut être pas la meilleure, en fin de compte…
Je suis torse – nu et ma peau est recouverte de chair de poule.
- Julian, je vais aller chercher de quoi m’habiller. Toi, tu restes là compris ? Dis – je en détachant les syllabes pour qu’il comprenne.
- Ok… souffle t-il en s’asseyant par terre.

Je vais lui dire de ne pas s’endormir, mais pas la peine, l’eau l’a bien réveillé. Il ne risque pas de s’assoupir.
Je ressors et fais le chemin arrière pour revenir dans la cuisine. Delphine y est toujours et me regarde avec des yeux étonnés lorsqu’elle me voit sans t-shirt.
Je passe mes bras autour de mon ventre, un peu gêné. Pour me rassurer, je me dis que je ne reverrais jamais les gens de cette soirée. Elle lâche le verre à cocktailq qu’elle tenait dans les mains et s’approche.
- Ça va ? Il se passe quoi ?
- Rien, heu… J’aurais juste besoin d’un t-shirt, tu as ça ?
- Bien sur.
Elle semble ravie de pouvoir m’aider et ne me pose pas plus de questions. Je la suis jusque dans une chambre. Elle fouille dans une armoire puis me passe un t-shirt Dior. Je n’ai pas intérêt à le mouiller ou l’abîmer celui là…
- C’est celui de mon père, m’explique t-elle.
Il est en effet trop grand mais tant pis, je m’en fiche assez…
- Merci beaucoup. Je suis désolé qu’on se soit incrusté chez toi, qu’on t’empreinte ton téléphone, le t-shirt de ton père…
- Oh mais il en a des milliers. Sérieusement, je suis contente de pouvoir vous aider. Je m’ennuis beaucoup ici toute seule, alors vous pouvez rester ici le temps que vous voulez.
Elle sourit joyeusement et je souris à mon tour.
- Merci, mais on repartira dés demain. On ne veut pas vous importuner plus…
- Comme tu veux. Mais, tu peux me laisser un numéro, si quelqu’un a un téléphone dans ta famille ? Ce serait cool qu’on se revoie un de ces jours… Quand la situation sera moins chaotique.
Je comprends qu’elle ne parle pas de rendez vous romantique ou quelque chose de ce genre ; elle veut juste qu’on puisse se reparler. Une idée qui me tente moi aussi.
- Oui, si tu veux ! Ma mère en a un. Tiens, je vais t’écrire le numéro, dis – je avec enthousiasme.
Elle me tends son bras et je me sais d’un stylo qu’elle me prête. Je me mets à écrire sur son avant bras les chiffres et lorsque j’ai fini, elle me promet qu’elle me recontactera un de ces jours.
- Je vais retourner avec les autres, Gabriel va se demander ou je suis passée.
- Bien sur.
J’hoche la tête et elle esquisse un mouvement pour partir avant de se retourner.
- On se voit demain matin ?
- Je pense.
- Pour la chambre…
- Non, ne t’embête pas avec ça. On dormira sur le canapé.
Elle est déjà assez généreuse comme ça. On ne va pas en plus squatter une chambre. Il y en sûrement dix milles ici, mais quand même…
- Comme tu veux.
On s’échange un dernier sourire puis elle s’en va.
Voilà, Delphine c’est ce genre de personnes que tu aimes alors que tu ne la connais que depuis une heure. Ce genre de personnes que tu voudrais rencontrer toute ta vie.


Le lendemain, le silence est fracassant.

Après avois entendu toute cette musique et toutes ces voix la veille, je ne peux pas en croire mes oreilles lorsque je me réveille dans le canapé géant du salon. Tout est silencieux.
A travers les grandes vitres qui longent la pièce et par lesquelles je vois la piscine, les rayons du soleil effleurent mon visage. La salle baigne de cette chaleur et de cette luminosité. Il est 10h, c’est inscrit sur l’énorme horloge.
Je me lève du canapé, le corps encore engourdi par la fatigue et m’étire longuement. Julian dort encore, allongé de l’autre côté du canapé. Sa peau a retrouvé des couleurs ; il n’est plus aussi pâle qu’un cadavre.
Il n’y a personne d’autre. Je vais donc dans la cuisine adjaçente.

Gabriel, Delphine et une autre fille que je ne connais pas sont assis autour de la géante table et se partagent un petit déjeuner de lendemain de soirée composé de beaucoup, beaucoup de café.

En me voyant, ils me saluent et m’invitent à m’asseoir. Ils ont vraiment l’air épuisés ; je me demande si ils ont dormis d’ailleurs.
Hier, après avoir emprunté un t-shirt, je suis simplement allé chercher Julian et je suis revenu dans le salon. Je l’ai couché sur le canapé et il s’est endormi immédiatement. Pour ma part, j’ai pris plus de temps à trouver le sommeil. Le bruit et les passages interminables des gens dans la maison m’ont fait rester éveillé jusqu’à 2h.

Je m’assois à leur table et ils reprennent leur discussion qui a l’air passionnante. Delphine me tends des tranches de pain et j’entreprends d’étaler de la confiture dessus en songeant que cette matinée m’est atypique.

Ma propre vie me surprends parfois. Comment aurais je pu savoir hier que je me serais réveillé dans cette villa splendide sur un canapé douze places puis que je me serais fait des tartines à la confiture ? Je déteste la confiture d’habitude.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Mes vacances sont enfin là !
Pour en profiter pleinement, et aussi parce que je n'aurais peut être pas de wifi là ou je vais pour les vacances, J'irais en Enfer ne sera plus publié de manière aussi ryhmée et je ne peux pas prévoir quand sortira les prochains chapitres.
Il y aura donc sûrement des pauses de plusieurs jours avant les autres parties et je m'en excuse.
Bien sur, dés la rentrée je poursuivrais mon style de publication normale et en mettrais un sur booknode tout les 2 - 3 jours.

Bonnes vacances !!!
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 27 :
On finit par quitter Delphine et ses amis, il est 11h et quelques minutes. Bien que cela fasse juste une soirée que l’on se connait, Delphine insiste pour me prendre dans ses bras, ce que je trouve d’abord déconcertant.
Mais elle a raison ; on ne sait pas quand sera la prochaine fois qu’on se recroisera.
Je m’approche d’elle et la serre dans mes bras en la remerciant. D’habitude, les calins c’est pas ma tasse de thé. Mais ce matin, celui-ci me paraît déjà fait 100 fois et faisable encore des centaines d’autres.
Elle insiste aussi pour que je l’appelle ce soir et lui donne des nouvelles – savoir si l’on est bien rentré, et si Julian se sent mieux.
Celui-ci nous attends prés du portail, nous regardant de loin. Ce matin il n’a même pas voulu manger et n’a échangé que quelques mots avec Delphine. Je crois qu’il ne se rappelle même pas d’être venu hier soir et il avait l’air perdu en se réveillant.
Par contre, il a descendu trois litres d’eau à lui tout seul.
Nous sommes les derniers à partir. Gabriel et tout les autres sont rentrés chez eux juste après le petit déjeuner. La villa est dans le même état qu’hier soir après que la fête se soit peu à peu terminée et des canettes de bières jonchent le sol de la maison et du jardin par milliers. Ils restent encore toutes les décorations à enlever, et les objets lancés au fond de la piscine à repêcher.
Mais lorsque je lui demande si elle veut qu’on reste encore pour l’aider à ranger, elle m’assure qu’elle va s’en sortir.
- Tes parents vont être furieux, tu ne crois pas ?
- Ils ne vont sans doute pas rentrer avant les prochains vacances. Mes pères sont énormément investis dans leurs recherches…
Je sens que quelque chose dans la phrase ne tourne pas rond, mais je ne sais quoi seulement lorsque je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule pour vérifier que Julian est encore là.
Bien sur, il est là.
Et je me demande pourquoi Delphine a évoqué deux pères.
- Tu as deux pères ?
- Oui. Ça t’étonne ?
Oui, ça m’étonne. Mais ce qu’elle demande plutôt, c’est si ça me choque. Et ça ne me choque pas.
- Non.
- Normalement les gens trouvent ça étrange.
Je n’en doute pas. Les gens aiment bien trouver toutes sortes de choses étranges.
- Ou est ta mère ?
- Pas là. Je ne sais même pas si elle existe vraiment, cette mère. C’est mon père biologique qui m’élève avec son compagnon depuis ma naissance. Ce sont eux mes parents.
J’hoche la tête, comprenant parfaitement. Je regarde la maison de haut en bas, en me répétant que cette maison appartient à deux hommes amoureux – la vie est parfois ironique – et pose à nouveau mon regard sur mon amie.
- Bon, alors… au revoir Delphine. Encore merci pour tout.
- Au revoir Alex, me répond elle, puis elle me regarde partir.
Je passe devant Julian qui me suit, silencieux, et on retourne jusqu’au lieu ou nous avons mis nos vélos. Ils sont toujours attachés au poto ou on a mis la chaine et je les décroche, puis on les enfourche et on part.
La route est aussi belle qu’a l’allée. Cette fois, je laisse Julian passer devant et laisse ma tête se remplir de questions.
Alors, c’est possible. Delphine a deux pères. C’est la première fois que j’entends une chose pareille ; une chose qui semble me donner un cœur un peu plus heureux de vivre sur cette planète.
Evidemment, comme Julian a bu trois litres d’eau, on doit s’arrêter pour qu’il vide sa vessie.
Il laisse son vélo par terre sur le côté et s’enfonce un peu aux abords de la forêt pour aller faire ce qu’il doit faire. Il revient au bout de cinq minutes.
- Ça va ?
- Oui, je vais mieux. D’ailleurs… Comment j’étais, hier soir ?
- Tu ne te souviens de rien, hein ?
Il se mord la lèvre inférieure en reprenant son vélo.
- Pas vraiment.
J’essaie de me creuser la tête pour trouver un adjectif qui irait à son état de la veille. Mais c’est dur.
- Eh bien, tu étais… plutôt drôle. Vulnérable. J’aurais pu te faire dire ce que je veux. J’aurais pu te faire ce que je veux, dis – je en haussant un sourcil évocateur.
On échange un regard éloquent et il s’esclaffe.
- Eh bien j’aurais été consentant jusque dans mon ivresse !
Je remonte sur mon vélo, la mine soudain plus sérieuse.
- Non, je blague. Et toi tu ne devrais pas affirmer une chose pareille.
- Bon… Et sinon, cette fille, tu as l’air de bien l’aimer.
- Delphine ?
Je lève la tête, surpris. Il opine. Je me demande si il est jaloux. Si il y a quelque chose qui me rassure sur cette Terre, c’est bien que lui et moi avons le même degré de jalousie. Une jalousie corrosive et maladive.
Ça me soulage de savoir qu’il la ressent comme moi.
- Oui, je l’aime bien. Mais pas autant que je t’aime toi, mon chéri d’amour…, dis – je en levant les yeux au ciel.
Il n’a pas l’air d’aimer la blague car il fait une grimace, monte sur son vélo et reprends la route sans même m’attendre.
Je passe ma main dans mes cheveux et le suit en pédalant le plus vite possible.

Nous arrivons à la maison dans l’heure.
La porte est ouverte et on laisse les vélos appuyés contre le mur.
En entrant, je me dis que quelque chose manque. J’essaie de trouver quoi ; je ne sais pas si c’est l’odeur ou simplement un meuble qui n’est plus à sa place.
C’est Julian qui m’apporte la réponse.
- Alex, ou sont Margarette et Paul ?
On se met à les chercher, je monte à l’étage et il sort sur la terrasse, mais ils ne sont pas là. Je me précipite dehors et cherche des yeux la Volkswagen Golf qui est sencée être garée à l’entrée de la propriété, mais elle aussi a disparue.
Ils sont partits, sans nous prévenir ? Ou ça ?
Je m’assois sur le perron, sentant l’inquiétude m’envahir.
Soudain, j’entends Julian me héler. Je me lève et le rejoint dans la cuisine ; il est penché au dessus de la table et tient dans la main un bout de papier ou sont inscrits quelques phrases. Il me le tends, l’air ébahi, et je le lis avec empressement.

Les garçons,
Margarette a perdue les eaux cette nuit et nous partons pour la maternité.
Je reviens vous chercher aussi vite que je le peux.
Paul


L’écriture est brouillonne, je me doute que Paul a du écrire ces mots avec empressement, et que sa main faisait trembler le stylo. Je laisse tomber la feuille, abasourdi par la nouvelle.
Ma mère va accoucher. Elle est sûrement en train d’accoucher. En fait, il se peut très bien qu’elle ait déjà accouchée.
Je me sens pris par le stress et une vague d’angoisse m’inonde. J’espère qu’elle va bien, que le bébé va bien, que tout s’est bien passé. L’excitation aussi s’empare de moi, je ne peux plus rester en place, je me mets à faire le tour de la maison.
Marcher m’apaise. Je passe par ma chambre, la salle de bain, celle de Julian, le salon et revient dans la cuisine ou ce dernier m’attends toujours, assis sur une des chaises, l’air joyeux.
- Tu te rends compte Alex ?! S’exclame t-il quand il me voit entrer.
- Oui ! Oh mon dieu ! Je m’écris en tapant du poing sur la table, pris par l’allégresse de ce moment particulier.
- Tu vas être grand frère ! Continue t-il, l’air lui aussi de ne pas y croire.
C’est comme si tout devenait réel, c’est comme si le monde s’arrêtait un instant pour m’asséner un coup de poing, un coup de poing pas douloureux du tout.
Je me mets à faire les 100 pas dans la pièce, je ne tiens pas une seule seconde immobile. Je tends l’oreille, scrute n’importe quel bruit aux alentours qui ressemblerait à celui d’un moteur de voiture.
Je ne peux pas croire que ce moment arrive. Ce que l’on ressent dans ce genre de moments est indescriptible.
Je me sens fier alors que je n’ai rien fait du tout.
Julian sort toutes les deux minutes pour vérifier si Paul arrive, et je ne cesse pas de faire les 100 pas en serrant les poings ; mes mains sont devenues moites et je dois aller les laver dans l’évier à plusieurs reprises. Comme il est plus malin que moi, Julian profite du temps d’attente pour nous confectionner des petits sandwichs. On ne sait pas combien de temps on va rester à la maternité.
Ses mains sont fébriles et il fait tomber à plusieurs reprises le pot de tapenade.
J’aime le fait qu’il soit aussi anxieux et heureux que moi. C’est comme si lui aussi allait être grand frère.
Peut être qu’il l’est déjà. C’est très probable, puisque il ne me raconte rien de sa famille.
Enfin, après une attente interminable, on entends le bruit de la voiture qui se gare et la porte d’entrée s’ouvrir. On se jette en même temps dans l’entrée.
Paul est là, l’air déboussolé. Je vois aussitôt que l’arrivée du bébé est survenue en pleine nuit car ses cheveux sont encore complètement ébouriffés et il a gardé son bas de pyjama, comme si il n’avait pas eu le temps de se changer.
Ses yeux sont remplis d’étoiles. Et je crois que les notre aussi.
Comme je n’arrive pas à poser la moindre question, c’est Julian qui parle le premier.
- Est-ce qu’elle va bien ?
- Oui, elle va bien. Le bébé n’est toujours pas sortit mais je pense que c’est pour bientôt…
Sa voix est tremblante, et je suis pris d’un élan de gratitude envers cet homme qui n’a pas hésité à emmener ma mère à la maternité, en pleine nuit, et qui s’inquiète réellement pour elle.
- Vous n’avez rien de spécial à prendre ? Je vous y conduis maintenant si vous voulez.
- On est prêt, dis – je.
- Vous ne voulez pas passer par la salle de bain quelques minutes d’abord ? Vous allez l’air exténué… Et vous n’avez même pas eu le temps de vous habiller complètement, intervient Julian, évidemment gentil.
Paul semble y songer un instant et accepte de perdre ce temps là. Il monte et on l’entends s’affairer à l’étage ; pendant ce temps Julian range les sandwichs dans un tupperware qu’il met dans le coffre de la voiture puis mon beau père revient, les cheveux peignés et un pantalon revêtu. Sa mine est plus claire, plus éveillée et il a l’air encore plus heureux ; comme si cette excursion à la salle de bain lui avait fait réaliser beaucoup de choses.
Il monte à l’avant de la voiture et je monte côté passager ; Julian s’assoit à l’arrière. Le trajet en voiture est long, trop long à mon goût. Personne ne parle, personne ne sait de quoi parler en ce jour particulier et je me contente de fixer le paysage qui défile à travers la vitre en tapotant nerveusement sur le tableau de bord.
Lorsque la maternité est enfin en vue, que nous sommes enfin en ville et que je peux descendre de cette voiture, je n’ai pas l’impression de pouvoir mieux respirer, au contraire l’air se fait plus rare dans mes poumons. Mais je n’ai pas peur, je sais que c’est simplement le stress qui me donne cette impression et je sais que je peux surmonter ça. Ma mère fait un plus gros boulot que moi.
On arrive dans le hall d’entrée qui est pleins d’infirmiers, d’aides soignants et de familles un peu comme la notre : perdue. C’est que cet établissement entier est dédié aux naissances.
La dame de l’accueil est rapide et nous demande simplement notre prénom et notre nom ; elle vérifie que nous faisons partit dans la famille de Margarette.
- Attendez. Ce jeune homme ne peut pas entrer si il n’est pas de votre famille.
Elle montre du doigt Julian, qui semble résigné à attendre ici.
- Non, il est avec nous. C’est mon neveu, ment Paul sans hésiter.
J’ai un petit laps d’étonnement ou je n’arrive même pas à me fondre dans le mensonge, puis je retrouve mes esprits et affirme qu’il a raison. Elle nous regarde une demi seconde l’air d’hésiter, puis finalement acquiesce et nous laisse passer.
On monte les escaliers, Paul a retenu par cœur le chemin jusque dans la pièce ou ma mère est en train d’accoucher actuellement. Enfin arrivés devant, il toque et c’est une sage – femme qui vient lui ouvrir. Elle se glisse hors de la pièce et referme la porte derrière elle.
- Monsieur Bekaert, dit elle en le voyant. Vous pouvez entrer.
Bekaert. Ça sonne néerlandais et j’aime bien ce nom, c’est celui de ma mère à présent. Et celui du bébé aussi.
- Ces deux jeunes hommes sont avec moi.
La sage femme semble confuse.
- L’accés est autorisé pour l’instant seulement au père.
Je lui dis d’y aller, qu’on va tout simplement attendre. Il hoche la tête et entre dans la pièce. La femme le suit à l’intérieur et on se retrouve tout deux dans le couloir. Celui est bruyant, on entends des pleurs de nouveaux – nés venants de différentes pièces autour et les cris des mères qui doivent sacrément souffrir.
- Ça va ? Me demande Julian en s’asseyant sur une chaise pliante posée dans un coin.
- J’ai juste hâte que ce soit fini et qu’on puisse rentrer à la maison tout les cinq.
Il esquisse un sourire et je le lui rends.
- Et puis je suis assez fatigué. Peut être que cette nuit là n’était pas la mieux choisie pour sortir.
- Ça c’est sur… marmonne t-il. D’ailleurs je m’excuse pour avoir été un poids hier soir.
- Pas grave. Arrête de t’excuser.
On attends encore un quart d’heure, à un moment Julian se lève, l’air complètement déboussolé :
- Alex ! Merde, j’ai oublié les sandwhichs dans la voiture !
Il est vraiment désolé.
- Franchement Julian ça n’a pas d’importance… On les mangera plus tard.
Il fait oui de la tête, l’air dégoûté et déçu pour de simples sandwichs.
- Bon alors je vais au distributeur automatique que j’ai vu en bas. Tu veux quelque chose ?
- Va pour un soda…
- Lequel ?
- N’importe. Tant que c’est raffraichissant.
Je lui tends une pièce de monnaie dégôtée au fond de ma poche et il s’en va. Cinq minutes plus tard, il est de retour et tient dans ses mains deux canettes de coca light. Il m’en lance une que j’attrape parfaitement bien ; une première ; et elle fait un petit bruit pétillant lorsque je l’ouvre.
Je bois quelques gorgées de la boisson, le goût sucré me réveille immédiatement la langue. C’est glacé et je la garde tenue entre mes mains pour me refroidir le corps.
Une demi heure encore plus tard, je suis en train de mémoriser les ingrédients du coca écrits au dos de la canette quand la porte s’ouvre sur la même sage femme qui nous fait signe d’entrer.
Je jette précipitemment mon coca dans la première poubelle et elle nous tends un espèce de gel à mettre sur les mains ainsi que des protections pour les chaussures et les cheveux, un protocole hygiénique pour s’assurer qu’on ne ramène pas des microbes au bébé.
Elle se met sur le côté et nous laisse entrer. La pièce est assez étroite, juste assez grande pour un lit d’adulte et un lit de nourisson, ainsi que toutes sortes d’appareils qui me font froid dans le dos et que des docteurs sont en train d’amener dans une salle adjaçente.
Paul est debout devant le lit de ma mère, cette dernière semble exténuée et son visage est couvert de sueur. Je remarque quelques taches de sang sur le drap et espère qu’il sera changé le plus vite possible.
Mais je ne m’attarde pas sur ces détails.

Parce que je suis trop occupé à regarder le minuscule bébé posé dans les bras de ma mère.
JaneSerpentard

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Re: J'irais en Enfer

Message par JaneSerpentard »

Ca me stress de voir qu’il n’y a pas de commentaire ici ! Du coup j’en laisse un pour te dire pour la 192029384494059379 ème fois que ton histoire est magnifique !!!
Je t’aime <3
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

JaneSerpentard a écrit : dim. 19 févr., 2023 3:20 pm Ca me stress de voir qu’il n’y a pas de commentaire ici ! Du coup j’en laisse un pour te dire pour la 192029384494059379 ème fois que ton histoire est magnifique !!!
Je t’aime <3
Haaa mais c'est pas grave !
T'es trop chou ❤️❤️❤️
De toute façon, commentaires ou pas j'adore poster sur booknode 💙
Bisous 💛
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 28 :

Il est tellement petit. Sa peau est rose et semble si fine que je suis sur de pouvoir voir son cœur battre à travers si je m’approche plus.
Ma mère a les yeux rivés sur lui. Dans le noir de ses yeux s’inscrit un amour que je ne connais pas encore, mais que je sens si puissant que je préfère ne rien dire. Paul pleure à chaudes larmes prés du lit et un voile de larmes recouvre son visage. Julian lui tends une boite de mouchoir que mon beau père accepte avec reconnaissance. Je sais que ce sont des pleurs de joie, et pourtant ça me donne envie de pleurer à mon tour.
Je retiens mes larmes et fais quelques pas en direction du lit. Ma mère n’hésite pas à me tendre le bébé et je le prends avec milles précautions, prenant garde à rester au dessus du matelas.
Nos regards bleus se croisent. On a exactement la même nuance de couleur dans la pupille, et même si je sais que les nouveaux nés ne voient pas grand-chose les premiers jours de leur naissance, je me demande ce qu’il pense de moi, cette personne qui l’as tiré des bras de sa mère et qui le fixe à présent sans savoir quoi dire, quoi songer.
Ses yeux sont si profonds que j’ai l’impression d’y voir une intelligence nouvelle, une que je n’avais jamais croisé dans le regard de quiconque avant. Et c’est assez absurde sachant que ce petit être humain ne vit que depuis, quoi, un quart d’heure ?
Soudain, il commence à pleurer, comme si il se rapellait à son tour qu’il n’était qu’un bébé, et une infirmière rentre dans la pièce avec un attirail de vêtements. Une bassine est posée dans un coin de la pièce sur une table et elle a pris une couleur rouge sang – c’est sûrement là qu’on a plongé mon frère avant de le donner à ma mère.
J’ai une grimace de dégoût et soudain j’ai envie de sortir, de prendre un peu de temps. Je le rends à ma mère et sors de la pièce, Julian sur mes talons.
- C’est un garçon, dis – je tout bas, une fois hors de la pièce. Et il est magnifique.
Ce dernier me prends dans ses bras et j’aurai du mal à décrire les émotions que je ressens à ce moment là ; toutes en même temps.
- Je suis convaincu que tu seras un frère génial. Tu l’es déjà.
Je ne dis rien, ne sachant si ce qu’il affirme a raison d’être dit. Je me contente de le serrer encore plus fort dans mes bras et d’enfouir mon visage dans ses cheveux bruns. Je regrette un peu de les avoir raccourcis, non pas parce que ça ne lui va pas, au contraire ça lui va bien, tout lui va bien, mais parce que j’ai moins de place à présent pour me fondre dans ses boucles.
- En tout cas, tu seras un meilleur frère que moi, c’est sur.
Je me relève, surpris qu’il l’évoque.
- Pourquoi ?
- Je n’ai pas le droit de revoir mon frère et ma sœur. Je pense qu’ils m’ont oubliés, depuis le temps.
- Comment ça, pas le droit ?
Il hausse les épaules comme si il ne voulait pas m’expliquer, pas s’étendre sur le sujet, et pour couper court à mes interrogations m’embrasse.
Une infirmière qui passe dans le couloir nous jette un regard ou je lis tout le degoût qu’une personne peut ressentir. Ses pas se font plus précipités, comme si elle avait hâte d’être loin de nous. Je ne peux pas m’empêcher de ressentir une vague de colère, et sers Julian encore plus fort dans mes bras, l’embrassant de plus belle.
Je ne vis pas pour plaire aux autres.
Julian prend l’initiative de récupérer les clés de la voiture pour aller chercher les sandwichs et je fais un tour dans les toilettes en l’attendant.
Ce sont des toilettes d’hôpital, aux murs blanc et au lavabo en fer automatique, avec cette odeur de désinfectant qui chatouille les narines. Ne m’étant pas vraiment lavé depuis le bordel de la nuit dernière, j’entreprends de me faire une petite toilette. Ça ne peut qu’être bénéfique…
Je prends une serviette, y mets de l’eau et la passe sur mes bras et dans mon cou, puis m’asperge le visage d’eau fraiche et le lave au savon.
Ensuite je mouille un peu mes mains et les passe dans mes cheveux pour essayer de les coiffer un minimum, mais ce matin c’est peine perdue. Ils résistent méchamment à ma tentative.
Comme Julian n’est toujours pas de retour, je vais m’acheter une autre canette de coca light au distributeur et une barre de céréales que je grignote assis devant la chambre de ma mère. Les pleurs du bébé me parviennent et j’essaie d’en faire abstraction.
- T’avais raison, me lance mon amoureux lorsqu’il revient.
Je tourne la tête. Il tient dans une main la boite ou il a rangé les sandwichs, dans l’autre les clés de voiture. Il s’assois sur le sol à côté de moi.
- De quoi tu parle ?
- C’est un garçon. Ton frère.
J’hoche la tête ; je ne suis pas surpris, je le sentais. C’est bizarre. Je n’ai jamais rien sentit dans ma vie, je n’ai pas un instinct très développé d’habitude. Ou si. Mais je ne lui fais pas toujours confiance. Là, j’ai choisi de le croire.
- Parle moi de ton frère et de ta sœur.
Je sens que ce que je demande est compliqué. Sa bouche s’affaisse et son sourire disparait, son regard se perd. Mais la curiosité est trop grande. Sa vie m’intéresse trop.
- Ma sœur a quatre ans de moins que moi. Elle aura treize ans en Juillet, et… Et en vérité les souvenirs que j’ai d’elle sont rares. C’était une enfant joyeuse et qui apportait du soleil dans mon existance, ça c’est sur. On s’entendait bien, même très bien. Mais mes parents m’ont envoyé au pensionnat lorsque je n’étais encore qu’un enfant et je pense qu’elle a dû énormément changer.
- Quel est son prénom ?
- Marie.
- C’est joli. Ma grand-mère avait une amie dont elle me parlait tout le temps quand j’étais petit. Marie a fait ceci, Marie à fait ça… Tout le temps Marie. Mais je me demande si elle avait encore toute sa tête à ce moment là de sa vie. Je me demande si cette Marie n’était pas simplement le fruit de son imagination, ou de sa folie.
Je sens qu’à côté de moi Julian m’écoute attentivement.
- J’aurais aimé la connaitre, ta grand-mère, murmure t-il.
- Moi aussi. Moi aussi j’aurais aimé la connaitre plus. Et ton frère ?
Il ne répond pas immédiatement. Je vois que me parler d’eux lui demande de faire un effort.
- Mon frère a deux ans de moins que moi, lui… Et on a toujours été très proches. Toujours. Il me manque. Il s’apelle Charles.
- Parle moi plus de lui.
Charles. Je sens que lorsque Julian l’évoque, sa voix se teinte d’émotion. De nostalgie. De tristesse également.
- Que pourrais – je dire… Eh bien, il a peur du tonerre. Ou plutôt, il en avait peur. Quand on était gosses, les soirs de tonerre j’entendais ma porte s’ouvrir et c’était lui qui venait se réfugier dans mon lit. Même si je faisais mine de l’engueuler, ça me faisait plaisir que mon petit frère voit en moi son protecteur. Quelqu’un qui le rassure. Lui et moi, on est comme la lune et le soleil. Voilà, c’est ça. Et Marie est comme les étoiles. Je sais, c’est une comparaison absurde, mais c’est toujours comme ça que ç’était entre nous. Ils me manquent, Alex.
Il répète la dernière phrase silencieusement, mouvant simplement ses lèvres, le regard rivé devant lui. J’ose à peine répondre, j’ose à peine le toucher. Pleins de questions m’assaillent ; pourquoi ne peut il plus voir son frère et sa sœur, pourquoi a-t-il été envoyé dans ce pensionnat, comment sont ses parents ?
- Ta famille est chrétienne ?
- Catholique, oui.
Sa réponse est amère. Je préfère le laisser seul. Je prends les sandwichs et entre dans la pièce ou dort ma mère, non sans avoir jeter un dernier regard dans la direction ou est assis Julian, immobile.
Paul me fait un signe en me voyant entrer pour me dire de ne pas faire de bruits. Ma mère dort et le bébé aussi, tout deux posés dans leurs lits respectifs. Mon beau père semble lui aussi sur le point se s’endormir, épuisé. C’est vrai qu’il n’a pas dormit de la nuit, avec l’accouchement qui est survenu d’un coup.
Je me dirige au dessus du berceau ou repose mon frère. Ses paupières mauves sont closes, ses miniscules lèvres roses sont ouvertes cependant et je passe mon doigt au dessus pour vérifier qu’il respire bien.
C’est absurde, mais on pourrait presque croire qu’il ne dort pas, mais qu’il est mort. Cette idée me donne des frissons de peur. Heureusement, je sens son souffle sur mon doigt et je le retire. Il ne ressemble pas trop à ma mère. Ni vraiment à Paul. Il me ressemble c’est indéniable. Et je constate avec surprise qu’il ressemble aussi à ma grand-mère. Sa grand-mère. J’aimerais qu’elle soit là pour rencontrer son petit fils.
Je pose la boite à sandwichs sur la table, supposant qu’ils en prendront quand ils se réveilleront. Paul, affalé dans le fauteuil, dort bel et bien.
Je finis par m’endormir à mon tour au pied du lit de ma mère, crevé par cette soirée compliquée et cette nuit pleine de surprise. La matinée a été longue et est déjà terminée ; je suis fatigué à cause de toutes les émotions que j’ai ressenties.

C’est une infirmière qui me réveille. Je sens sa main secouer mon épaule, et la pousse légèrement, n’aimant pas vraiment le contact des inconnus. Je mets quelques secondes à me rappeler d’où je suis et pourquoi.
- Excusez moi jeune homme mais votre mère a été transportée dans une chambre plus adéquate. Votre cousin et votre père vous attendent dans le hall d’entrée.
Je bredouille quelques mots incohérents en me levant, perdu. La chambre est en effet vide et la boite à sandwich a disparue. Je me penche au dessus du berceau mais mon frère n’est pas là. Aussitôt je ressens à la poitrine un drôle de manque.
Je me suis attaché à lui plus rapidement que je ne le pensais…
- Comment ça, plus adéquate ? Ils vont bien, elle et le bébé ?
La simple idée qu’il leur ait arrivée quelque chose me terrifie, bien que ce soit absurde de penser une telle chose.
- Ils vont très bien, c’est juste que cette pièce a été utilisée pour l’accouchement et doit être désinfectée. On les as mis dans un endroit meilleur pour leur confort.
- D’accord… Oh, et ce n’est pas mon père. C’est mon beau père.
- Oh, je suis désolée. Je croyais.
Je m’apprête à quitter la pièce, mais décide de m’arrêter quelques secondes avant d’ouvrir la porte. Je me retourne, et lance :
- Et ce n’est pas mon cousin. C’est mon mec.
J’ai le temps de voir sa mine abasourdie avant de refermer le battant. Je me retrouve dans le couloir, seul, et tout aussi surpris qu’elle je dois dire.
Je ne sais pas trop ce qui m’a pris. J’ai eu besoin de le dire, et j’aurais voulu le crier au monde entier, mais c’était impossible. Même si l’idée de confier à quiconque la nature de notre relation à Julian et moi me terrifie, je suis heureux de l’avoir fait au moins à une personne.
C’est une inconnue et je ne doute pas qu’en réalité elle s’en fiche pas mal, mais c’est pour moi que je l’ai fait. Pour me persuader tout de même que je ne suis pas si lâche que ça. Que je n’ai pas si honte.
Je retrouve Julian et Paul dans le hall. Je dois avoir un air bizarre car ils me demandent ce qui ne va pas. Je réponds que si, ça va. Ça va même très bien.
- D’ailleurs, Paul, félicitations, dis – je sans oser le prendre dans mes bras.
C’est lui qui le fait. Et lorsqu’il s’écarte, je peux voir ses yeux briller de reconnaissance. Je sais que je ne suis pas le beau - fils parfait, mais dans la situation présente je suis content d’en être un.
- Margarette va rester encore quelques jours à la maternité, le temps de faire quelques tests au bébé et qu’elle puisse se reposer.
- On peut rester ici aussi, j’assure en jetant un regard vers Julian.
Je m’attends à ce que Paul accepte avec gratitude, mais c’est l’inverse.
- Non, les garçons. Vous allez vous ennuyer et c’est les vacances. Margarette et moi-même pensons que vous devriez en profiter. Mais ne t’inquiète pas, je reste ici. Je vais veiller sur eux, promis. Vous, vous rentrez et vous menez votre vie d’adolescents dans cet Avril magnifique.
- Mais on peut rester, vraiment ça n’est pas un problème…
Il pose sa main sur mon épaule.
- Alex. Vraiment, je t’assure que tout va bien. Vous aurez la maison pour vous deux, ça n’est pas génial ? Profitez en jusqu’à ce notre retour.
J’ai la mauvaise impression qu’ils ont parlés de nous dans notre dos. Mais ils veulent nous faire plaisir. C’est vrai qu’on ne peut pas rester pour la fin de la semaine dans cette maternité.
- Bon, d’accord…
Il semble heureux que je cède. Moi, je ne sais pas si j’ai pris la bonne décision. Mais de toute manière, ils seront de retour dans très peu de jours non ?
- Ecoute, ( je me tourne vers Julian ) je suis désolé mais je pense que je vais rester ici pour la deuxième semaine. Mon frère est né et je veux le connaitre. Je veux passer du temps avec ma famille. Je comprendrais que tu veuilles passer ta deuxième semaine de vacances autre part.
Ça me déchire le cœur de savoir que je ne vais pas le voir pendant une semaine. Rien que d’y penser me donne l’impression d’être malade.
Bizarrement, il n’a pas l’air le moins du monde contrarié. Au contraire, il affiche un magnifique sourire.
- Alex, espèce d’idiot. J’ai envie de rester avec vous aussi. Alors, si ça ne pause aucuns problèmes…
- Mais bien sur que non, ça ne pause aucuns problèmes ! S’exclame Paul, tout sourire. C’est même formidable. Tu es le bienvenu parmi nous Julian, pour le temps que tu souhaiteras.
Il n’y a rien à répondre. Mon beau père a tout dit. Et je suis si heureux que Julian décide de rester. Tout d’un coup, je me sens revigoré.
- Merci énormément, répond mon amoureux en direction de Paul. Je ne sais pas comment vous remercier.
- Il n’y a pas à me remercier. Les amis du fils de ma femme sont mes amis ! Dit il dans un éclat de rire.
On esquisse tout deux un sourire. Je pense que je serais toujours surpris de la bonne humeur de Paul. Je doute d’un jour le voir triste ou en colère.
- Je vous raccompagne à la maison puis je reviens ici. Allez, en voiture les garçons.
On traverse l’hôpital jusqu’au parking ou se trouve toujours notre voiture. Juste avant d’entrer à l’intérieur, Julian glisse à mon oreille :
- J’adore ta famille, putain.
J’essaie de cacher ma bonne humeur en m’asseyant dans l’habitacle, mais je ne peux pas m’empêcher d’être d’accord avec Julian. Chose que j’aurais cru impossible il y a quelques mois : qu’un jour j’adore ma famille.
Le trajet en voiture est plus rapide qu’à l’allé, ou j’étais empli de stress. Non, je me sens confiant. Je sais que ma mère va bien ; le bébé aussi. Je ne vois pas pourquoi ça irait mal.
Il nous dépose devant la maison avec les clés et me promet de me tenir au courant. Et moi, je me promets de ne pas rester loin du téléphone.
- A bientôt, dis – je, debout sur le perron, face à la voiture dans laquelle est assis Paul.
- A bientôt, répète Julian, près de moi.
Il nous fait un dernier signe et nous laisse tout deux à l’entrée. Je le regarde conduire sur le chemin jusqu’à ce que la voiture ne puisse plus se voir à cause des arbres et des hautes herbes. Je n’entends plus que le moteur qui s’éloigne de plus en plus.
Julian se tourne vers moi, et je remarque des cernes en dessous de ses yeux gris. C’est vrai qu’il n’a pas très bien dormit, avec sa gueule de bois. Il a l’air d’aller un peu mieux, en partit grace au coca. Les sodas frais sont efficaces contre ce genre de chose.
- Je vais prendre une douche, dit il en entrant.
- Oui. Tu pues.
C’est faux. Mais j’aime l’énerver.
- Ferme là, réplique t-il en levant les yeux au ciel.
Je le suis à l’intérieur mais le retient juste avant qu’il monte les escaliers. Il se retourne, étonné.
- Merci d’être là Ju.
On se regarde dans les yeux une fraction de secondes durant lesquelles je me sens chanceux. Très chanceux. Puis il pose sa main sur mon épaule, sourire aux lèvres.
- Je n’ai rien de mieux à faire dans ma vie de toute manière. ( Il hausse les épaules, l’air nonchalant. ) Et, je t’aime. Alors ça me paraît assez normal d’être là pour toi. Avec toi.
Je fait un râclement de gorge pour ne pas me mettre à pleurer car ce serait bizarre et il me trouverait bizarre. Je n’arrive même pas à dire merci. Mais il le sait.
- Par contre, pas question que tu m’apelles Ju encore une seule fois. Sinon je vais devoir me mettre à t’apeller Al.
Je me prépare à répondre quelque chose, prie pour que mes sanglots ne s’entendent pas dans ma voix.
- Ok, ok. Plus de Ju alors. Tu restes Julian.
Bon, ma voix tremble un peu mais rien de ridicule.
- Parfait.
- Parfait.
- Parfait !
- Allez, va prendre ta douche, sinon la maison entière va commencer à sentir le mort. Que dis – je, l’alcoolique.
Il pousse un soupir et monte les escaliers en rigolant. Je l’entends dire quelque chose une fois en haut mais je saisis pas vraiment les mots exacts.
Je me dirige dans le jardin, qui est ensoleillé cet après midi. Les plantes brillent par la luminosité si bienvenue et le ciel est d’un bleu perçant. Magnifique journée pour la naissance d’un bébé.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 29 :

Nous nous installons pour manger vers 20h. Depuis que Paul nous a laissé à la maison cet après midi, je n’arrête pas de repenser à la matinée que je viens de vivre. Je sais que je ne revivrais pas une autre journée comme celle-ci ; je peine à croire que c’est vraiment arrivé d’ailleurs. Le bébé est arrivé si vite. Cela fait si peu de temps que je suis au courant que je vais être grand frère, et voilà que je le suis déjà.
C’est Julian qui a préparé le repas. De toute manière, j’étais bien trop préoccupé pour faire quoi que ce soit et j’ai passé l’entiereté de la fin d’après midi dans le jardin à juste regarder le ciel.
Me sentant un peu coupable de l’avoir laissé tout faire, je propose de lui donner un coup de main mais il ne veut pas.
- Je m’en occupe, Alex. Ne t’en fais pas…
- Merci…
Je continue quand même à culpabiliser de juste être assis dans le hamac alors qu’il met la table. Peut être que je devrais me lever. Peut être.
- Et ne crois pas que c’est parce que je t’épargne pour cette soirée que je suis ton larbin pour la vie ok ?!
- Ok, ok !, dis – je sur la défensive.
Je me décide enfin à me lever, mais c’est pour jeter un œil sur ce qu’il a fait. Bizarrement, j’ai un peu peur quant à ses talents en cuisine.
- C’est des pâtes, annonce t-il fièrement.
- Je vois que ce sont des pâtes.
- Tant mieux si tu le vois, mais je te le dis.
- Merci larbin, ça a l’air super bon, dis – je en m’asseyant.
Il me fusille du regard et je marmonne des excuses en me servant. C’est tellement drôle quand il s’énerve. On s’assoit autour de la table et je commence à manger. Je dois avouer que c’est pas mauvais. C’est même plutôt bon. Même très bon, en fait.
- Tu me surprends, Julian.
- Je sais.
Je lève les yeux au ciel.
- Mais, pourquoi je te surprends au fait ?
Je me trouve obligé de lever les yeux au ciel une deuxième fois. Ok, j’aime quand il fait semblant d’être idiot, mais c’est un peu trop poussé là.

- Les pâtes. Franchement, elles sont super bonnes.
Il lève la tête, comme si il n’arrivait pas à croire que j’ai pu en douter, et repousse son assiette sur le côté, comme terassé par mes propos.
- Mais bien sur qu’elles sont bonnes ! Geint il en se levant, et l’espace d’une minute je crois en ses talents d’acteurs. Mes pâtes sont super bonnes, pourquoi, parce que je suis un cuisiner génial, je suis génial, donc elles sont géniales ! Alex, tu m’as vexé chéri !
« Chéri » ? Etait il obligé ? J’ai du mal à croire que c’est vraiment sortit de sa bouche. Il fait le tour de la table jusqu’à moi et tire d’un coup sec sur la chaise, la reculant loin de la table. Mince, j’ai faim moi.
On ne décroche pas notre regard de l’autre, même quand il enlève son t-shirt et vient s’asseoir sur mes jambes face à moi. J’essaie de trouver mon souffle mais c’est difficile. La tension qui s’installe brutalement sans que je m’y attende me fait tout oublier, tout. Il n’y a plus que son corps et le mien.
- Ah, heu… ( malheureusement je n’ai pas l’air aussi assuré que lui et ne fait que bredouiller mes paroles ) Carrément ?
- Oui.
Son expression a changé, il est impassible et ses yeux m’observent si profondément que ça déclenche une sensation électrique dans mon ventre.
- Ha, ok. Ok, c’est bien aussi. Il y a deux chaises mais tu peux aussi venir t’asseoir sur la mienne. Pas de problèmes. Aucuns soucis. Reste là.
J’ai conscience que je dis n’importe quoi, mais il me prend de court. Il faut qu’il arrête de changer de comportement aussi vite, je m’y perds à la fin…
- Enlève ton t-shirt Alex.
- Bien…. Bien sur.
- Et arrête de bégayer. C’est mignon mais ça me fait attendre.
Je m’exécute et fait passer le t-shirt au dessus de ma tête. Il se rapproche encore plus près de moi et mon regard doit bien évidemment aller vers son entrejambe, à ce niveau son short est tendu et le tissu est collé à ma peau. J’ai du mal à avaler ma salive et mon cœur s’emballe.
Ses doigts effleurent mes épaules et mon cou, il tire délicatement sur mes mèches de cheveux pour mettre ma tête en arrière et m’embrasse. Je réponds violemment à son baiser ; sentant l’excitation monter en moi et je sens qu’il est un peu surpris du fait que j’y vais encore plus fort que lui. Je cherche sa langue et mords ses lèvres ; à un moment il gémit de douleur et quand j’essaie de m’excuser il continue à m’embrasser. Son visage se déplace sous mon cou et ses lèvres se posent sur ma clavicule. J’ai chaud, soudain très chaud et je sens que je bande. Il le remarque lui aussi et a un petit sourire satisfait, ce qui m’agace au plus haut point. A quoi s’attendait il ?
On se lève de la chaise, et je ne sais plus vraiment comment mais elle se retrouve par terre. Nos baisers redoublent d’intensité et je me mets à prier pour que ce moment soit bel et bien réel.
Oui, il l’est.
Tout à coup, il se détache un peu de moi et chuchote :
- On monte en haut ?
En comprenant les mots de sa phrase, pourtant simples, je me sens devenir anxieux. Pourtant, je suis content qu’il me demande ça mais j’ai peur, peur de faire n’importe quoi ou peur que ça se passe mal.
Mais une part de moi me rappelle que c’est Julian. Je lui fait confiance, et avec lui ça ne pourrait pas se passer mal de toute manière.
- Oui, je réponds.
Il me prend par la main et on va en haut, vers ma chambre. On traverse le jardin et le couloir. A mi chemin, dans l’escalier, je le retiens pourtant, pensant à quelque chose d’assez gênant. Il se retourne, étonné, et je réfléchis à comment dire ce que je veux dire, mais finalement c’est plus facile que je ne le pensais.
- Attends, Julian. T’as un préservatif ?
- En fait… oui.
Il me sourit. L’espace d’un instant, je me demande pourquoi il en a ; si il savait que ça allait arriver, puis j’arrête de penser et le suit, nerveux. Excité mais nerveux. On entre dans la pièce et je ferme la porte derrière moi.

Plus tard, nous sommes allongés dans mon lit et je fixe le ciel qui se découpe à travers la vitre de ma fenêtre. La nuit s’est installée et les étoiles brillent dans le ciel avec intensité. C’est magnifique et j’en ai le souffle coupé.
A côté de moi, Julian s’est assis sur le matelas et entreprends de réparer sa montre, la langue coincée entre ses dents ( chez lui c’est signe de grande concentration ). Ses sourcils sont froncés.
- Tu y arrives ?
Il a enlevé la vitre de protection et manipule les aiguilles avec une pince à épiler piquée dans la trousse de ma mère.
- Presque, répond il un peu en retard. Tu fais quoi ?
- Je pense.
Il soupire et je me redresse sur les coudes. Nous sommes tout les deux nus dans le lit, nous n’avons pas bougés depuis que nous avons fait l’amour. Ça doit faire une heure maintenant.
- Comme d’hab. Non, tu fais quoi ?
- Je regarde les étoiles.
- Il y a des étoiles filantes ?
Je jette un coup d’œil. Non, il n’y en a pas. Pas depuis que je regarde.
- Non.
- Dommage. J’aurais pu te faire la réplique clichée « fais un vœu si t’en vois une. » Comme ça je serais passé pour un romantique.
Lui, romantique ? Le mot sonne étrangement prononcé dans sa bouche.
- Hm ?
- Faire un vœu. Tu sais, formuler dans ta tête un désir que tu voudrais voir se réaliser.
Est il vraiment en train de m’expliquer ce qu’est faire un vœu ?
- Et il ne se réalise jamais. Oui, le principe me dit quelque chose, dis – je en levant les yeux au ciel.
Il se penche vers moi et dépose un baiser dans ma nuque en passant sa main dans mes cheveux. Je me retourne et l’embrasse doucement. Là, tout les deux dans ce lit à parler de n’importe quoi, je me sens mieux que jamais. J’aimerais que ce moment ne s’arrête jamais.
- Alex ?
- Ouais ?
Je lève la tête. Il pose la montre sur la table de chevet, semblant abandonner sa tâche et s’allonge sous le drap.
- Dis pas ouais. Ça fait pas joli quand c’est toi qui le dis.
Je souffle et commence à effleurer sa peau nue du bout des doigts, promenant ma main sur son torse et ses épaules.
- Ouais, et donc ?
Il me jette un regard irrité, puis se radoucit.
- C’était bien quand on a baisés non ?
Il le dit comme si c’était une chose anodine et qu’il avait juste besoin de mon opinion pour se faire une idée.
- Génial.
- Vraiment ?
Je retire ma main et il la rattrape, la laissant toucher son torse. J’avale ma salive avant de renchérir.
- Oui ! Mais une fois c’est pas assez pour se faire une idée. Je vais avoir besoin d’exercer un peu plus cette activité.
- Excellente idée. Sauf que… y’a plus de capotes.
Je roule sur le dos de l’autre côté du lit, prit par des éclats de rire. Il me fixe comme si j’étais devenu fou.
- Je ne parlais pas de maintenant, dis – je avant de me remettre à rire.
Sa bouche forme un « O » parfait lorsque qu’il comprend et il semble gêné l’espace d’un instant, avant de retrouver son assurance de toujours.
Je ne sais plus trop à quel moment, mais on finit par se rendormir.
A l’aube, un bruit aigu retentit alors dans toute la maison, c’est quelqu’un qui appuie sur la sonnette de dehors. On se réveille, toujours à moitié plongés dans le sommeil. On se lève tout les deux d’un coup, pris par surprise. Ça ne peut pas être Paul et maman qui rentrent déjà.
Je me dirige silencieusement mais rapidement vers la fenêtre qui donne sur l’entrée de la maison et constate la présence d’une vieille dame sur le perron. Elle est vêtue d’une robe à fleur style paysanne et porte un panier en osier. Le stéréotype des mamies de la campagne. Je l’observe quelques instants avant de me demander ce qu’elle fait là. Mais je ne peux pas lui demander d’en haut, déjà pas tout nu, et puis en plus c’est une personne âgée elle est sûrement à moitié sourde. Peut être s’est elle perdue ?
- C’est qui ? Me demande Julian qui a sauté hors du lit et qui entreprends de remettre sa chemise.
- Une vieille dame.
- Ne parle pas comme ça de ta mère, Alex.
- Mais c’est vraiment une vieille dame ! Je rétorque, frustré qu’il ne comprenne pas.
Il fronce les sourcils. Je me rends compte que ma phrase peut porter à confusion.
- Non, je veux dire : il y a une mamie inconnue devant la maison !
Il semble saisir et se dépêche de venir à la fenêtre pour regarder lui aussi. Je me pousse pour lui faire de la place. Il m’interroge du regard comme si c’était moi qui lui faisait une blague.
Soudain, elle sonne de nouveau. Elle ne nous a pas vu ni entendu et est toujours debout devant la porte d’entrée.
- On va lui ouvrir ?
- Bah oui, je réponds.
Ce n’est pas comme si on allait la laisser sonner jusqu’à ce qu’on devienne aussi sourds qu’elle.
- Ta mère ne t’a jamais dit de ne pas ouvrir aux inconnus ? Dit il avec une voix grave derrière mon oreille avant de ricaner.
- Ça m’étonnerait que cette grand-mère puisse nous faire quoi que ce soit… dis – je en me dirigeant vers la porte pour aller lui ouvrir.
- Alex ! Mais rhabille toi avant ! M’avertit Julian en s’esclaffant.
Oui, merde. Bien vu. La vieille sonne à nouveau, et je mets mon pantalon en quatrième vitesse ainsi qu’un t-shirt pris au hasard. Je sors de la pièce, enfin habillé, le rire de Julian accompagnant ma descente jusqu’au rez de chaussé.
- Bonjour, dis – je en ouvrant la porte d’entrée.
C’est bien une vielle dame, au visage ridé et aux cheveux grisonnants entourant sa tête ronde. Elle pose sur moi un regard de jugement intense.
- Bonjour. C’est bien ici qu’une femme a accouché ?
- … Oui ? Les nouvelles vont vite ici…
- Mon mari l’a vu entrer dans la voiture avec un homme alors qu’il taillait les haies. Enceinte jusqu’aux dents. Nous habitons la maison juste à côté, dit elle en pointant du doigt une direction.
Je croyais qu’il n’y avait aucuns voisins. Mais c’est vrai qu’il y a bien une petite maison, à l’endroit qu’elle me montre. Petite mais bien là.
- Et votre mari observe souvent les gens par-dessus ses haies ?
- Ta braguette est ouverte, riposte t-elle d’un air sévère.
Je baisse les yeux et constate qu’elle a raison. Je me précipite pour la fermer, et elle me regarde amèrement avant de me tendre le panier. Je le prends, étonné.
- C’est quoi ?
- Des confitures, du fromage, du pain, du miel et des paquets de pâtes. Après un accouchement il faut bien manger, affirme t-elle d’un air sérieux.
J’ouvre le panier qui est rempli à ras bord de nourriture. Je ne m’attendais pas à ça… Je relève la tête, mais elle est déjà en train de repartir, dos tourné.
- MERCI !!! Je cris depuis l’entrée, toujours surpris.
Elle ne se retourne pas et finit par disparaitre à travers la végétation. Je reste un instant figé devant la porte, le panier dans la main, avant de la refermer. Julian est descendu ( habillé ) et s’est assis sur une chaise de la cuisine.
- Alors, c’était pourquoi ?
- Donner un panier plein de trucs à manger pour ma mère… Elle et son mari ont entendus qu’elle était enceinte.
Je commence à ranger les aliments dans le frigo et les placards, soudain touché par cette attention. Malgré son attitude de sorcière, je trouve son geste très généreux.
- Attention, c’est peut être empoisonné, plaisante t-il en me voyant sortir le miel du panier.
C’est vrai que cela ferait plus de sens si c’était réellement empoisonné. Mais il faut se rendre à l’évidence, elle a simplement été attentionnée.
Je sors dans le jardin pour installer la table du petit déjeuner, mort de faim, et constate que les assiettes de pâtes et la chaise renversée sont restées comme ça toute la nuit. Le plat a séché dans la casserole.
Julian m’aide à tout rentrer à l’intérieur et on jette la plupart des pâtes dans la poubelle.
- Mes belles pâtes délaissées… soupire t-il tristement.
- Elles vont te manquer, hein ?
On s’assoit dehors, pain, miel, beurre et confiture sortit, et nous commençons à manger par cette matinée d’Avril allant sur le Mai.
- Ça n’est pas empoisonné, je conclus après avoir mangé trois tartines.
Julian hausse les épaules, l’air faussement déconcerté.

- Non, hein.
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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 30 :

Trois jours passent. La fin des vacances arrivent à grand pas et je commence à refaire ma valise, rangeant mes vêtements dans mon sac et réunissant mes affaires que j’ai laissé trainer un peu partout. Mon carnet sur la table du salon, mes livres dans le jardin et même ma brosse à dent sur la table de nuit de Julian. Paul et ma mère ne sont revenus qu’hier soir, et ils étaient épuisés. Ils dorment toujours et nous n’avons pas osés les réveiller. Pourtant, il est midi.
Julian est allongé sur mon lit et regarde une partition que je viens d’écrire. Soudain, je lâche ce que j’ai dans les mains sur le matelas d’un geste brusque et il hausse les sourcils.

- Calm down. What’s going on ? questionne t-il avec son accent américain minable.
- It’s going on que mon frère ne s’est toujours pas réveillé. Midi ! Pas un pleur ! C’est anormal. Il est peut être mort dans son sommeil. Je pars vérifier maintenant !
Ok, mon anglais ne tient pas la route deux minutes, mais là on parle d’un sujet grave. Ce qui n’a pas l’air d’être l’avis de Julian, qui me rattrape par le bras avant que j’ai pu sortir.
- Alex, dit il en me regardant dans les yeux. Il va bien. Arrête de t’inquiéter. T
- Mais ce n’est pas normal un bébé qui dort tard. Normalement on aurait du se faire réveiller par ses pleurs dés 6h. Peut être même avant.
- Et bien alors estime toi heureux.
Je me défait de sa prise et décide tout de même d’aller vérifier. Il se rallonge dans le lit en soupirant tandis que je me dirige vers la chambre de ma mère. Doucement, j’ouvre la porte en la refermant aussitôt derrière moi pour que la lumière du jour ne viennent pas les tirer du sommeil, puis vais vers le berceau ou dort le bébé, en prenant soin de ne pas faire de bruit.
Il est réveillé. Juste… calme. Ses grands yeux bleus me fixent et il a un sourire lorsqu’il me voit. Impossible. A-t-il compris… ? Que je suis son frère ? Il fait même un joli gazouilli d’enfant en tendant ses minuscules bras potelés vers moi. Et dire qu’il a à peine quelques jours, j’ai du mal à y croire… Qu’il soit aussi réactif.
J’hésite, puis décide de le prendre dans mes bras. Aussitôt, son contact chaud et doux me donne les larmes aux yeux et je me dépêche de sortir de la chambre. Je l’emméne jusqu’à ma chambre en lui parlant bêtement.
- Ça va bébé ? Qu’est ce que t’es beau. Tu vas en faire des ravages. Tu vas faire tomber les filles. Ou les garçons… Espérons pour toi que ce sera les filles. Et, ho, quel est ton prénom au juste ?
Je me rends compte que je n’ai même pas encore posé la question.
En me voyant arriver avec mon frère, Julian saute du lit pour le prendre dans ses bras, aussitôt joyeux.
- Je peux ? Demande t-il en tendant ses mains.
Je le lui confie et le bébé accepte ce changement sans protestations, posant ses yeux sur Julian. Ce dernier semble complètement sous le charme de ce minuscule être et commence à lui parler comme je l’ai fait, d’un air gaga complètement stupide.
- Quels beaux yeux. Quelles petites mains. Mon dieu il est vraiment tout petit… Comment s’apelle t-il ? Demande t-il dans ma direction.
- Aucunes idées.
- Okunidé. C’est indien ça ?
Je lève les yeux au ciel, pour la dixième fois de la semaine, un peu exaspéré par l’humour de Julian. Celui-ci sourit fièrement.
- Non, pour de vrai Alex, il a bien un prénom quand même ?
Non. Non, pas de prénom pour celui-ci. Bien fait. Mais oui, que pense t-il ?
- Bien sur. Simplement que je n’ai pas encore eu l’occasion de demander à ma mère.
Julian jette un regard à mon frère qui lui bave pratiquement dessus, l’air de réfléchir.
- Qu’est ce que tu dirais de… Hector. Hector, c’est pas mal.
- Non. Non, pas Hector. C’est trop… brute.
De toute manière, ce n’est pas de nous que dépend son prénom.
- Et alors ? C’est la force, Hector. Comme dans la mythologie grecque…
- Pourquoi pas Achille alors ?
- Achille ? ça sonne mal. Alex et Achille. Non, Alex et Hector c’est parfait.
Maintenant, son t-shirt est plein de salive de bébé, mais il ne semble même pas s’en rendre compte ou s’en soucier.
- Non, je te dis que c’est violent comme prénom ! Et puis n’oublie pas comment a fini le Hector de ta mythologie…
- D’accord, d’accord. Alors… Agamemnon ?
- Abcdefgh, tant que t’y es. Non, ou Patrocle ?
Il hausse un sourcil.
- Patrocle ? Et pourquoi pas Pétrole ? Désolé, c’est à ça que ce prénom me fait penser.
Nous sommes là, en train de nous disputer avec ce bébé entre nous qui ne se rend même pas en compte que c’est de lui que nous parlons, lorsque ma mère fait soudain son entrée. Elle a des cernes énormes et ses cheveux sont tout en brouissaille autour de sa tête. Son ventre n’a pas encore complètement dégrossi après l’accouchement et elle pose sur nous trois un regard doux.
- … Maman ? Attends, viens t’asseoir sur le lit ! Tu dois être fatiguée.
- Non, non. Je vais aller me recoucher. Je vous ai juste entendu lorsque je me dirigeais vers les toilettes et votre conversation m’a paru intéressante.
Elle fait un petit « coucou » vers le bébé qui a tourné la tête vers elle, et s’en approche, pleine d’amour. Julian lui demande si elle veut le prendre mais elle répond que c’est beau de le voir avec nous.
- Et puis je vais retourner à mon lit et à mon sommeil mérité. Vous vous en occuperez pour moi aujourd’hui ? Ses affaires sont dans le sac de la maternité, en bas.
- Bien sur, répond il.
- Merci. Vous êtes adorables. Et toi aussi, tu es adorable, Léonard, dit elle en direction de mon frère.
Puis elle nous adresse un sourire et s’en va. Julian et moi, on échange un long regard, puis le mien diverge vers le bébé. Léonard. Il n’a pas trop une tête de Léonard, tout de même.
- Léonard, bredouille Julian. C’est joli.
- Mais c’est pas dans la mythologie grecque.
- Oui, bah il sera original alors. On en a marre des Achille et des Hector.
J’aurais envie de rajouter que Patrocle, c’est pas courant ça comme prénom, mais ne dit rien de plus.
- Lé – o – nard, chantonne Julian en berçant l’enfant.
Un petit rire aigu s’échappe de sa bouche et je crois que nous sommes tout les deux complètements surpris par ce son magnifique.
Ma pauvre mère, je m’apelle Alexandre et veux que tout le monde m’apelle Alex, et le surnom de ce Léonard sera très sûrement Léo.
- Il devrait peut être manger non ? Dis – je en le regardant, peu confiant à propos de mes talents de baby sitter.
- Manger ? A cinq jours de naissances ? Non espèce de sadique. Va prendre le sac de maternité dont ta mère parlait. En bas.
J’ignore le compliment et obéis.
- Je reviens tout de suite ! Je lance en direction du bébé qui ne m’écoute pas. ( et ne peux pas me comprendre, accessoirement. )
Je descends les marches de l’escalier et fait un tour rapide de la maison, essoufflé, cherchant partout ce fameux sac. Je finis par le trouver au pied de la porte d’entrée. C’est lourd et je mets un sacré temps à remonter.
Debout devant la porte de ma chambre, je discerne Julian qui s’est assis sur le lit et berce doucement l’enfant. Celui-ci observe l’adolescent avec un regard doux et aimable qui le tient , comme si il s’était concerté avec son cœur et son esprit pour se dire « celui là, je l’aime bien ». Je reste quelques instants à juste les fixer, me demandant si Julian n’est pas un meilleur être humain que moi. Un meilleur frère.
Je ne suis pas sur que je serais très doué. Alors je peux m’estimer heureux si Julian accepte de passer encore du temps avec moi dans le futur, ou avec mon frère.
Je sais qu’un jour il voudra passer à autre chose. Ça me rends malade de m’imaginer devoir vivre sans lui, tout simplement parce que ma vie redeviendra morne et ennuyante. Peut être un peu moins triste, parce que je saurais que quelque part sur terre, existe l’amoureux que j’ai eu adolescent. Et que peut être pense t-il à moi parfois.
- Tu rentres pas ? Me demande ce dernier en voyant que je suis resté dans l’encadrement de la porte.
- Si, je réponds, la voix un peu enrouée à cause de mes pensées déprimantes.
Je rentre à l’intérieur et dépose le sac au pied du lit.
- Regarde si il n’y a pas du lait maternel à l’intérieur. C’est le repas de ce petit.
Je m’active et pousse les différents objets qu’il y à l’intérieur. Couches, vêtements, médicaments, tétines… et il y a un biberon rempli de lait, en effet, avec une étiquette dessus « lait maternel ». On dirait que Julian a déjà été maman, ce dont je doute sérieusement à cause de plusieurs contradictions qu’il est facile de deviner.
Je le lui tends et il s’en empare avec des gestes habitués, comme si il avait déjà nourris des bébés plusieurs centaines de fois – ce dont je doute également.
- Regarde. Il adore ça, dit il avec tendresse.
Léonard tête le biberon avec avidité. Mince, maintenant il va confondre Julian et Margarette en terme de mère. Cette dernière pensée me donne envie de rire mais je me retiens, par respect pour le moment.
Le reste de la journée est calme. Paul se lève vers 15h et prend le relai, tandis que maman dort toujours. Julian et moi passons des heures à la rivière, ou nous nous baignons jusqu’à être glacés. Lorsque nous sommes de retour, la nuit va presque tomber et nous revenons en plaisantant sur une discussion que nous venons d’avoir. Nous sommes là, remontons le chemin qui mène vers la maison, parlants forts car passionnés par ce dont nous parlons, lorsque mon regard tombe vers la maison de la veille femme qui était venue nous donner un panier de nourriture. Elle est là, dans son jardin, en train de nous fixer d’un air mauvais.
Ses yeux sont des balles qui semblent vouloir nous cribler. Je m’arrête un instant, et tire la langue dans sa direction.
Puis je continue ma route avec Julian qui marche plus vite pour voir Léonard avant que Paul ne le couche. Lorsqu’il le voit, ses yeux s’illuminent.
En arrivant dans la chambre un quart d’heure plus tard, je fais signe à Julian que je vais à la douche.
- Attends, je viens avec toi, dit il en se levant de sa chaise.
- Quoi ?
- Je viens dans la douche avec toi. Si ça ne te dérange pas. J’aimerais bien me laver aussi, murmure t-il avec un sourire espiègle.
- Oh ! Bien sur, je réponds avec le même sourire. Je t’attends alors.

Le soir venu, nous mangeons tout le 3, Paul, Julian et moi. Léonard est enfin couché et ma mère dort encore. L’accouchement l’a vraiment vidé d’énergie. Le repas se passe dans une bonne humeur ambiante, mon beau père et Julian s’échangent des blagues auxquelles je réponds par des rires, étant bon public ce soir, surprenant. Je me propose pour faire la vaisselle.
Les pleurs de bébé retentissent alors, pour la deuxième fois de la soirée. Paul s’apprête à se lever en soupirant, un peu dépassé, mais Julian l’arrête.
- Ne vous en faites pas. J’y vais.
- Merci Julian, tu me sauves la vie, répond il.
- Pas de problèmes, dit il joyeusement.
Il s’en va et Paul m’interroge du regard. Il ne semble pas comprendre l’attachement que ressent Julian pour ce bébé. Moi-même j’ai était assez sceptique, au début, mais après réflexions, la réponse m’est parvenue.
- Julian a un frère et une sœur plus jeunes que lui. Il ne les as pas vu depuis très longtemps et je crois que Léonard le les lui rappelle, j’explique en débarassant.
Je reste évasif car moi-même je ne sais pas grand chose sur le sujet, mais Paul semble avoir compris. Sa mine devient triste.
- Pauvre gosse. J’ai l’impression qu’il a manqué d’affection dans sa vie.
Il rentre à l’intérieur, et moi j’interromps mon mouvement, surpris par cette façon de voir les choses. Moi qui ait toujours idôlatré Julian, toujours pensé qu’il était plus aimé que moi et bien plus heureux, je me suis peut être trompé. Etre « populaire » au pensionnat, c’est ce qu’il est et ça m’a toujours agacé. Mais est ce vraiment de l’amour qu’on lui donne, ça ?
C’est vrai qu’il n’a pas de famille. Ou plutôt, il en a une, mais elle a disparue. Ses parent ne semblent pas l’aimer. Et moi qui croyais tout ce temps là… Quel idiot.
Je rentre à l’intérieur et commence la vaisselle, réfléchissant à tout ça, un peu perdu. La vie cache si bien son jeu. Parfois, on peut être plus surpris par ce que nous pensons nous même que par ce que les autres pensent.
Et je me sens bête de l’avoir envié. Je l’aime, mais je ne l’envie pas. Maintenant, je suis heureux. Je n’ai plus besoin de vouloir être quelqu’un d’autre.
Alors que je suis en train de sécher les couverts et que les pleurs de mon frère se sont arrêtés au premier étage, je sens une main se poser sur mon épaule. C’est ma mère. Elle a toujours des cernes mais sourit et a l’air reposée malgré tout.
Sans que je m’y attende, elle chuchote cette phrase :
- Je suis fière de toi Alex.
Puis elle dépose un baiser dans mes cheveux en inspirant, comme si elle voulait s’imprégner de mon odeur. Je range les couverts et me tourne vers elle, étonné.
- Mais fière pour quoi ? Je n’ai rien fait.
Elle tourne la tête, l’air exaspérée.
- Je sais que je n’étais pas une mère facile.
Je reste muet. Je ne m’étais pas préparé pour une conversation émotive et je dois reprendre mon souffle avant de pouvoir répondre autre chose.
- Et je n’étais pas un fils facile.
Elle cligne des yeux, comme trouvant mes propos stupides.
- Mais ce n’est pas aux enfants d’être faciles. Surtout lorsqu’il n’ont pas de père…
C’est un sujet que nous n’avons jamais abordé aussi ouvertement. A la simple évocation du mot « père », je me tends, essaie de rester impassible. Vous voyez, cette drôle de sensation quand tu sens que tu pleures, mais intérieurement ? Les larmes ne coulent pas sur les joues mais elles sont là, derrière les yeux. Lourdes et douloureuses.
Ma gorge se serre et je ne dis rien. Parce que je ne veux pas qu’elle entende les reproches dans ma voix.
Jamais aucunes explications.
Toujours cet être que je n’ai pas connu, présent entre nous pourtant. Comme une barrière. Alors quand j’était enfant, j’imaginais que mon père était un espion d’une organisation secrète et qu’il devait partir en mission. Mais ça ne réglait pas le problème de pourquoi ma mère ne me disait mot sur lui. Alors, je me suis dit : peut être est ce un pirate ? Qui navigue sur les eaux jourts et nuits, pillant les navires, et ça met maman en colère ?
L’idée que c’était simplement un homme comme les autres me révulsait. Parce qu’alors, pourquoi un homme comme les autres ne peut pas être avec son fils ?
C’est pour ça que je ne disais pas grand-chose, petit. Que j’étais silencieux. Avec les enfants car je ne pouvais pas me fondre dans cette masse de gamins heureux ou la présence de leur père était lourde.

« Avec mon papa et ma maman on est allés se balader en forêt ce week end. »

« Moi mon papa c’est le plus fort des papa. »

« Pas possible, c’est le mien. Le mien il a une voiture et il m’emméne faire des tours dedans parfois. »

« Bah moi mon père il est policier. Il donne des ordres à vos papas ! »

« Et toi Alexandre, il est ou ton papa ? »

Et avec les adultes, encore moins.

« Il ne ressemble pas à sa maman celui là. Mais alors à qui ? A son père ? Pas sure que ce soit une bonne nouvelle, l’ayant connu… »

« Aussi beau que son père. Espérant que pour le caractère, ce ne soit pas la même chose. »

- Désolée, murmure ma mère en me prenant dans ses bras. Je sais que ça a été dur. Alors tu peux être fier… d’être une personne si merveilleuse, aujourd’hui. Et moi je suis fière que ce soit toi mon fils.
Je me mets à sangloter dans ses bras, et j’espère qu’elle ne tient pas trop à ce pull, car je vais le ruiner avec mes pleurs.
Ce soir, je suis fatigué. Je sais que demain, j’y verrais plus clair dans tout ça.
- Parfois il vaut mieux ne pas avoir de père que d’en avoir un mauvais. Très mauvais.
Puis, elle glisse à mon oreille :
- Et je suis contente que tu aies trouvé Julian. C’est une personne formidable. Il a l’air autant amoureux que toi.
Je lève la tête surpris, et la dévisage en m’attendant à ce qu’elle me gifle ou me dise de partir. Mais elle n’en fait rien.
- Bah oui. Je suis ta mère, rien ne m’échappe. Et puis vous faites de très mauvais comédiens, si je puis critiquer.
Je ne sais pas trop quoi répondre ; je ne m’y attendais pas. Mais soudain je sens un poids immense s’en aller. J’ai l’impression de pouvoir mieux respirer maintenant que je n’ai plus à cacher ça. Et le fait qu’elle l’accepte me donne encore plus confiance en moi pour la suite.
Je la serre encore dans mes bras et la remercie. Puis, elle prends le relai avec les couverts et je monte en haut, à l’étage, encore bouleversé par la discussion.
En haut, Julian s’est couché et dort déjà. Je me glisse prés de lui dans le lit et prends sa main, prêt à moi aussi trouver le sommeil.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 31 :

Je suis tiré de mon sommeil en sursaut par un coup d’oreiller dans la tête. Je gémis des protestations, tirant ma couette pour ne pas croiser du regard la lumière du soleil. Avec ma main, je tâte le côté droit du lit, mais elle ne rencontre que le drap. Julian s’est déjà levé. En fait, je devrais le savoir grace à ce fabuleux indice qui est qu’il n’y a que lui pour me réveiller avec tant de douceur – un bon coup d’oreiller.
- Allez, lèves toi ou je te jette un verre d’eau dans la gueule, dit il d’une voix menaçante.
- Il est quelle heure ? J’arrive à articuler en me retournant sur le dos.
Je n’aime pas tant que ça l’eau sur les vêtements et dans le lit. Il vaut mieux se la jouer coopératif.
- 5 heures.
Je me lève du lit instantanément, repoussant la couverture sur le côté. Julian est à côté du lit, déjà habillé.
- On a dormi tant que ça ?!
- 5 heures du matin.
Je laisse échapper un cri d’horreur.
- Quoi ?!!! Pourquoi si tôt…
Dans une scène normale, ce serait Julian qui dormirait encore et moi qui essayerait par tout les moyens de le tirer du sommeil. Mais avec tout ce qui s’est passé ces derniers temps, la naissance du bébé et mes conversations difficiles avec ma mère, je suis de plus en plus épuisé. Léonard s’est réveillé à toute heure de la nuit pendant les vacances. Il est compliqué de dormir avec ses pleurs incessants.
- On doit être au pensionnat à 7h. Les cours reprennent à 8h.
C’est vrai. C’est la fin des vacances de printemps. C’est passé tellement vite, je n’arrive pas à croire que je vais réellement revenir au pensionnat. Revoir Neil, Steven, et Julian qui va passer du temps avec ses « amis »… Tout ça était pourtant si beau. Ces vacances ont été comme un souffle d’air pour mes poumons usés.
Mais je vais revoir Adriana. C’est ce qui compte. Le reste ne doit pas m’importer.
Je finis par me lever et m’habille en vitesse dans la salle de bain, puis on fait nos valises en quatrième vitesse. Je vois que Julian fourre un peu tout à la râche dans ses bagages, et à l’inverse je prends quand même soin de plier mes vêtements correctement et de rouler mes chaussettes dans la poche intérieure. A la fin, tout est parfaitement symétrique. J’esquisse un sourire satisfait.
- Un surhomme, marmonne Julian en jetant un regard dédaigneux à ma valise alors que lui-même se démêne pour faire entrer dans la sienne ses pulls.
- Attends, je vais t’aider, dis – je en allant vers lui.
Je m’accroupis à côté. Sans difficultés, je trouve une place pour ses pulls et réussis à fermer la valise sans qu’il n’y ait de bosses. Lui, il me regarde faire, comme abasourdi. Lorsque je me retourne, son regard est brilliant. Je me demande pourquoi ça le rend si heureux que j’ai pu fermer sa valise.
- Voilà, c’est bon, dis – je en tapotant doucement le sol avec mes doigts.
Il me fixe encore un peu, et j’ai l’impression que quelque le tracasse. Cependant, je ne le lui demande pas. Je suis sur qu’il finira par me le dire.
- Merci.
- C’est rien, dis – je en me relevant.
Je vais vers la porte, et juste avant que j’ai pu l’ouvrir, il dit :
- Je me demande pourquoi c’est quand tu m’aides à fermer ma valise que je réalise à quel point je t’aime. Pourquoi un moment si peu important ?
Je lui jette un regard brûlant. Il ne peut pas savoir à quel point ce qu’il me dit me fait plaisir, à quel point je suis heureux d’entendre ça. Je sais que cet aveu qui ne représente pas grand-chose pour lui est pour moi meilleur que n’importe quel contact physique.
- Marrant, finit il par dire, plongé dans ses pensées.
Je quitte la pièce, et une fois dans le couloir, pose une main sur ma poitrine. Je peux très bien sentir mon cœur battre, presque comme si il était posé contre mes doigts.
- Pas trop difficile le réveil ? Questionne maman lorsqu’elle m’aperçoit en bas.
- Si, un peu.
Je vais dans la cuisine et me sers un verre de café noir. Mais ce matin, je n’ai pas très faim. J’angoisse trop à propos du retour au pensionnat. J’ai bien peur de retrouver ma solitude, une fois là bas. Rien ne pourra l’empêcher de se forger une place.
Je finis de siroter mon café en regardant Léonard dormir dans les bras de ma mère. Lui aussi va me manquer, cela fait si peu de temps que je le connais et je ne le reverrais que dans un bout de temps. Aux prochaines vacances.
Je pose mon verre et le prends dans mes bras, pour essayer de me rappeler son odeur de bébé et la couleur de ses yeux. Ce n’est que lorsque Paul nous rappelle que c’est l’heure d’y aller que je me détache de lui.
On charge les bagages dans le coffre de la voiture puis on se dit au revoir. Je m’approche de ma mère et la prends dans mes bras. Notre étreinte me donne un peu plus de courage pour la suite.
- A bientôt.
- A bientôt, répond elle, la voix triste.
Je dépose un bisou sur la joue de mon frère puis monte dans la voiture. Julian fait lui aussi ses au revoir, puis s’assoit sur le siège à côté de moi. Paul met le moteur en route, et on regarde ma mère et Léonard disparaitre de notre vue à mesure que nous nous éloignons.
Le trajet est silencieux. Paul est attentif à la route et Julian lit mes partitions. Je décide de ce moment pour rattraper un peu de sommeil perdu de cette nuit, ça ne peut qu’être bénéfique. Je pose ma tête contre le siège et ferme les yeux.
Au bout de cinq secondes, je sens la main de Julian prendre délicatement mon cou pour poser ma tête contre son épaule. Il passe son bras derrière mon dos, et laisse son visage s’enfouir dans mes cheveux.



- Alex, chuchote une voix, bien plus tard.
J’ouvre les yeux. Ce doit faire à peu près quarante cinq minutes que je me suis assoupi et nous sommes arrivés. Le portail du pensionnat nous surplombe et Paul a arrêté la voiture. Autour de nous, d’autres familles déposent leur enfant.
Paul sort pour décharger les valises, et Julian s’apprête à faire de même, mais je retiens sa manche. Il me jette un regard interrogateur.
- Attends. Reste encore un peu.
- Je ne vais pas m’en aller.
- Reste un peu à côté de moi. Dans la voiture.
Il hoche la tête et referme la portière, revenant s’asseoir près de moi.
Dehors, les gens s’activent, font rouler leurs valises jusqu'au batiment principal et parlent entre eux. Les parents font une dernière étreinte à leurs fils, et peu à peu le parking se vide. A la fin, il ne reste plus que nous. Paul est revenu s’asseoir sur le siège conducteur.
- On y va maintenant ? Demande Julian en regardant dehors.
- D’accord…
On salue mon beau père, puis sortons de la voiture. Nos valises nous attendent près du coffre. On les empoigne, et regardons Paul s’en aller dans un vrombissement de fumée.
Nos passons le portail, silencieux, et je discerne Mme Popkins au centre de la cour qui discute avec des pensionnaires. Nous les dépassons, et faisons notre chemin jusqu’au dortoir B. Enfin arrivés là bas, personne ne nous remarque. L’effervescence des retrouvailles est telle qu’ils ne voient même pas que nous sommes arrivés ensembles. Gaston parle avec Pierre dans un coin, et Neil n’est pas dans les parages. Tant mieux.
Julian se tourne vers moi.
- Je vais ranger mes affaires. On se retrouve plus tard ?
J’hoche la tête et il part en direction de son lit, ou il commence à défaire son sac. Aussitôt, le groupe de garçons avec qui il traine normalement le voient et s’amassent autour de lui. Ils commencent à parler et je les fixe un instant, attendant que Julian se retourne pour me jeter un regard, mais il n’en fait rien. Je sens ma peau devenir glaciale et je laisse mon sac et ma valise sur mon lit, puis pars du dortoir immédiatement.
En me baladant dans le pensionnat, je me rends compte que la solitude ne m’avait pas manquée. Non, tout seul dans les couloirs, c’est la présence d’un autre qui me manque.
C’est ridicule. Ça ne fait que quelques minutes qu’on ne s’est pas parlés.
Je me sens démuni face à mes émotions ; je m’en veux d’en vouloir à Julian. Il n’a rien fait, et je suis dans l’excessif.
Je dois bien retourner au dortoir pour prendre mes affaires pour le premier cours qui commence dans un quart d’heure. Je m’y glisse discrètement, mais il est déjà déserté par la plupart des élèves. En tout cas, Julian et son groupe n’y sont plus. Neil, lui par contre, est assis sur son lit. Il m’observe tandis que je récupère mon sac de cours.
- Ça va ? Demande t-il, et je ne lui lance pas un coup d’œil.
Je fais mine de ne pas l’avoir entendu et m’en vais.
En cours de Littérature, je m’assois dans le fond de la salle. Un garçon que je ne connais pas s’assoit à côté de moi. Je sors ma trousse, l’air morne et fermé, alors que le prof nous fait un bienvenu de retour des vacances. Peu à peu, la pièce se remplit et Julian entre. Il se dirige aussitôt vers ma table, sourire aux lèvres. Moi, je n’ai jamais autant eu l’air déprimé.
- Je peux m’asseoir à côté de toi ?
- Tu vois bien que la place est prise, dis - je sèchement.
Le garçon à ma gauche qui écoute notre échange bouge sur sa chaise, l’air gêné. Julian, lui, ne se décontenance pas une seconde et rétorque :
- Mais il reste encore des places pour lui. Hein, ça ne te dérange pas si je m’assois là ? ( cette dernière phrase n’est pas pour moi, mais pour mon voisin de table )
Je suis assez désolé pour ce garçon, qui semble timide en plus – et complètement figé sur la chaise.
- Non, dit il enfin.
- Parfait.
Il commence à ranger ses affaires puis laisse la place à Julian, qui s’assoit l’air détendu. Quelques places devant nous, je remarque Gaston et Steven qui chuchotent en se retournant vers nous. Je soutiens leurs regards une miliseconde avant de regarder le mur.
- Ça va ? Questionne Julian en jouant avec son stylo.
C’est exactement la même question que Neil m’a posé peu avant. Irrité, je réponds un « oui » rapide.
- Tu m’as convaincu, répond il avec un léger sourire.
On ne parle pas plus que ça. Le prof commence son cours et je fais mine de m’y intéresser. Il me demande simplement à un moment si il peut utiliser ma gomme et je la lui tend sans un mot.
La journée se poursuit, ennuyante. Etrangement, ma mère me manque, ainsi que Léonard. Le soleil du sud me manque, et par-dessus tout être seul avec Julian me manque. J’ai l’impression que si je ferme les yeux, je peux être à nouveau sur un vélo, sur une route bordé d’arbres, avec un ciel bleu.
Lorsque vient le dernier cours, je ne me sens pas mieux. Toute l’heure, j’évite le regard de Julian. Lui tente de trouver le mien. Il fait toutes sortes de blagues à voix hautes, ce qui fait bien rire la classe entière, mais auxquelles je ne ris pas. A la fin, je me dépêche de partir.
Je vais à la bibliothèque. Même si cet endroit me paraît moins beau depuis que je m’y suis fait agressé, c’est encore le seul lieu ou je peux trouver un peu de tranquillité. J’attrape un livre au hasard, et commence à le feuilleter, très peu intéressé. Je m’adosse contre une étagère et tourne les pages doucement.
J’entends des pas tout près de moi. Je ne lève pas la tête du livre pour autant.
- C’est curieux, quand même. Des années que je vis ici et je ne savais pas qu’il existe une section Romance en Genre Argumentatif du 18ème siècle.
Je ne peux pas m’empêcher d’esquisser un sourire.
Julian fait mine de lire la tranche d’un livre, dos à moi. Il a un bon jeu d’acteur quand il le veut.
- Comment tu as su que je me trouve là ?
- Y’a-t-il une heure de la journée ou tu n’es pas à la bibliothèque ?
Ila raison. Soudain, il se retourne, l’air soucieux.
- Mais dis moi, je ne trouve rien à mon goût ici. Tu ne veux pas m’aider ?
- Non.
Je fais à nouveau semblant de lire le livre que je tiens entre les mains.
- Bon, alors je vais me débrouiller tout seul. En plus, cette section là n’est pas mon genre. Moi je suis plutôt du genre narratif – poétique, mais moderne.
Il quitte le rayon. Je ne peux pas y croire. Il est partit. Je croyais qu’il venait pour me voir. Voulait il vraiment chercher un livre à son goût… ? Je referme mon livre d’un geste rageur et le lance par terre. Je me réadosse à l’étagère un peu plus brusquement.
Mes yeux s’écarquillent d’un coup. Je sens un souffle chaud dans ma nuque et la sensation d’une langue passée délicatement derrière mon oreille. J’inspire doucement et me retourne. Julian est passé de l’autre côté de l’étagère, et a poussé quelques livres pour pouvoir m’atteindre.
- Alex, tu sais que je ne peux pas arrêter de parler aux autres personnes de la classe sans raison ?
Un silence lourd suit ses paroles. Ses yeux gris me scrutent. Je me penche vers lui et dépose mes lèvres sur les siennes, tordant un peu mon cou au vu de l’étagère qui nous sépare. Il répond à mon baiser un quart de seconde avant de se détacher de moi pour vérifier que nous sommes seuls. Comme c’est le cas, il reprend le baiser en y ajoutant sa langue et pose sa main sur ma nuque.
C’est à mon tour maintenant de me détacher de lui, murmurant rapidement entre nos baisers :
- Je sais, désolé. Je suis stupide.
Il m’embrasse avec plus de ferveur, puis glisse ses lèvres près de mon oreille pour chuchoter :
- J’adore les gens stupides.
Ce qui est extraordinaire, c’est que sans même le voir, je peux entendre à sa voix le sourire qui enjolive sa bouche. Les yeux fermés, je vois son visage près du mien.
- Reste avec moi plus souvent, dis – je avant de contourner l’étagère pour le rejoindre.
Il m’attends, adossé contre le rebord de la fenêtre, les bras croisés.
- Qu’est ce que tu as cru ? Que j’en avais fini avec toi ?
Il m’attrape et inverse nos positions, moi pressé contre le rebord de la fenêtre et lui devant moi, la tête légèrement penchée en avant. Je sens son souffle chaud contre ma joue, et il doit probablement entendre le mien qui a nettement accéléré.
- Je sais pas. C’est quand que tu en auras fini avec moi ? Je rétorque en esquissant un sourire.
Je me dégage de sa prise et le pousse contre l’étagère de livre, d’une manière un peu trop brusque et quelques romans en tombent. Il rigole. Aucuns de nous deux ne faisons le moindre geste pour les ramasser, on se fixe simplement dans les yeux.
Il finit par détourner le regard, faisant mine de vérifier que le bruit n’a attiré personne ici. Je me recule un peu, reprenant mon souffle, la mine plus sérieuse.
- Alex. Si tu crois que je vais te quitter… Je t’ai dit que j’aimais les gens stupides, mais là tu fais fort.
La critique cache une affirmation que j’ai du mal à croire. Bien qu’il ait l’air sincère, je ne suis pas plus rassuré. Cependant, je ne peux rien exiger de lui. Je ne veux pas me transformer en une de ces personnes jalouses et irritées.
- Qui se ressemble s’assemble… je marmonne comme pour faire passer l’idée que je ne suis pas le seul à me montrer stupide.
Même si je ne le pense pas. Julian est la personne la plus intelligente que je connaisse. Ce dernier hausse un sourcil.
- Ah bon ? J’ai toujours cru que c’était les opposés qui s’attirent.
On s’observe encore un peu, je remets en place ma cravate et il se recoiffe légèrement avec ses mains. Le silence flotte autour de nous, mais j’ai l’impression qu’il peut lire mes pensées. Ses yeux gris ne m’ont jamais paru autant me transpercer de leur regard.
- J’y vais. Je dois rendre un devoir.
Il esquisse un mouvement pour partir, puis se retourne vers moi. Je n’ai pas bougé.
- On se voit ce soir ?
J’hausse les épaules.
- Si tu te libères, entre tes meetings endiablés et tes interwiews interminables. J’apellerais ta secrètaire.
- Je suis sur que pour toi, je peux trouver une petite demi heure dans mon emploi du temps de la soirée.

Puis il part, sourire aux lèvres, et je me remets à chercher un livre.
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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 32 :

Julian tient sa promesse. Il passe la moitié de son temps avec moi, et nous sommes à présent à côté dans presque tout les cours, ce n’est qui pas une mince affaire pour ces pauvres professeurs. C’est bien la première fois de ma vie que je bavarde dans un cours, mais avec un camarade pareil, il est dur de se taire.
A chaque heure, il trouve quelque chose pour me faire rire. Cela devient embêtant puisque notre professeure principale nous a déjà rapellé à l’ordre une bonne dizaine de fois. J’ai l’impression d’avoir 14 ans.
Il traine de moins en moins avec son groupe habituel, et je me sens plus que coupable, mais il m’a déjà répété que ce n’était pas ses amis et qu’il préférait ma compagnie à n’importe quelle autre. Parfois, j’essaie de m’éclipser, de passer du temps seul pour qu’il ne se sente pas non plus étouffé.
C’est la faute de l’amour, ça. Pas la mienne. Je ne peux pas m’empêcher de vouloir tout le temps être avec lui. Bien sur, j’ai remarqué la manière dont nous regarde Gaston, Pierre, Steven et les autres. Je ne sais pas ce que leur a raconté Steven mais il est clair que Julian n’est plus autant populaire dans sa bande qu’avant. Il dit qu’il s’en fiche, mais je sais ce que c’est que de se faire juger ainsi.
Moi, j’ai toujours honte qu’on puisse penser… Mais je m’améliore car je refuse d’être plus faible que Julian, qui garde son sourire et sa bonne humeur même quand ses amis commencent à lui tourner le dos.
J’ai déjà revu Adriana deux fois. Pour une raison que j’ignore, elle a l’air moins mélancolique qu’avant. Plus joyeuse. Nous nous retrouvons à Harly’s Park, bien entendu, et chose étonnante, je parle à présent autant qu’elle. Nous n’avons pas reparlé du baiser qu’elle m’avait demandé, et tant mieux.

Cet après midi, les cours ont été annulés car les professeurs ont une réunion pédagogique. Tout les élèves sont dehors, dans la cour, profitant du beau temps qui vient de s’installer.
Je décide de faire de même, pressé de sentir de nouveau le soleil sur ma peau. D’ailleurs, la plupart des pensionnaires ne mettent plus leur blazer et sont seulement en chemise, ce que je décide d’imiter. Il commence à faire bien trop chaud, bientôt vient le mois de Juin.
Je me fraie un chemin parmi les groupes de garçons et vais m’asseoir sur un banc vide, sortant un livre de chimie dont je suis sencé apprendre toutes les définitions figurants sur les pages 203-204-205.
J’essaie de me concentrer, mais il fait trop beau pour songer à réviser. Au bout de quelques lignes qui refusent d’entrer, je renonce et finis par le ranger dans mon sac. Du coin de l’œil, je vois Steven et Gaston avancer vers moi. Ils ne viennent sûrement pas me parler… Ils vont me dépasser et rejoindre leurs amis.
Mais non. C’est bien dans ma direction qu’ils se dirigent, l’air de vouloir me parler. N’ayant aucunes envies d’entamer une discussion avec ces idiots, je me lève et mets mon sac sur mon épaule pour trouver un autre endroit ou m’installer.
A peine ais – je pu faire deux pas qu’ils fondent sur moi tels des vautours, l’air menaçants. Je me fige.
- Hééé, toi attends ! Tu veux pas nous échapper, dis ? Sois bien éduqué. Ta maman t’a appris à rester poli, héle Gaston en arrivant à ma hauteur.
En voulant partir, je me suis éloigné du centre de la cour et nous sommes à présents dans un coin isolé. Bien que je ne devrais pas m’inquiéter, ce petit détail me met mal à l’aise.
Je ne réponds rien. Eux arrivent enfin devant moi. Steven me fixe avec ses petits yeux de rats, toujours avec cet air qui me fait penser que sa mère a du le bercer trop près du mur.
- C’est quoi déjà son prénom à ce petit blondinet ? Demande Gaston à Steven, crachant presque.
- Alexandre.
Cette fois ci, je me retiens de le corriger et sers les lèvres en m’efforçant d’avoir l’air calme et sur de moi. Gaston a un petit hochement de tête, comme si il s’en rapellait à présent.
- Mais oui… Alexandre, c’est bien ça. Celui qui parle jamais. Pourquoi tu l’ouvres jamais, tapette ?
Je sers les poings. Steven, lui, se délecte de ma réaction en souriant, ce qui laisse apercevoir ses dents jaunes.
- Toi tu devrais la fermer plus souvent, je réplique, ma voix étonnament dénuée de tremblements…
- Ouuuuh, mais c’est qu’il en a de la répartie celui là… Siffle Gaston en s’approchant encore plus de moi, ce qui m’oblige à reculer contre le mur.
Je suis bel et bien bloqué, ici. Pour rejoindre les autres il faudrait que je contourne ces deux abrutis, mais ça m’étonnerait qu’ils me laissent m’en aller comme ça. Je ne peux qu’attendre qu’ils aient finis leurs petits monologues de débiles bourrés de complexes.
- Dis nous, continue t-il, un grand sourire aux lèvres. On a remarqué que t’étais un peu étourdi, en ce moment. Et tu sais ce qu’on dit ? L’amour ça étourdit. Heu, l’étourdissement provient de l’amour. Ou plutôt aimer étourdit. Enfin, c’est sans importance. Tu sais ce qu’on dit.
Je suis sencé comprendre ce qu’il dit ? Et en plus il est fier… Enfin, je vais faire comme si je savais exactement de quoi il parlait. Même si j’ai du mal à voir ou il veut en venir avec cette histoire d’étourdissements et d’amour.
- Tu serais amoureux, toi, Alex ? Mais de qui ? Dit Steven en ricanant.
- Pas de Julian, quand même ? Poursuit son compère.
Mon sang se glace, mais je fais comme si je ne vois pas de quoi ils veulent parler.
- Julian ?
Ma tentative pour paraitre surpris échoue lamentablement.
- Tu dois voir qui c’est, Julian. Tu lui parles tout les jours. Vous êtes assis à côté dans la majorité de cours. C’est mon pote.
Je me tords les mains, et Steven continue :
- Ouais, et on apprécie pas trop ce que t’essaies de faire à notre pote. Tu sais, lui refiler ta…
Il semble chercher le mot qui irait. Il jette un regard à Gaston pour que celui-ci lui donne un coup de main.
- Maladie, complète t-il lui-même, comme ayant eu un éclair de génie.
En entendant ce mot, j’ai l’impression que mes yeux vont se brouiller de larmes. Heureusement, ça n’arrive pas. Je puise tellement de force dans le contrôle de mes larmes que je finis par avoir mal à la tête. Surtout, ne pas montrer que ce qu’ils peuvent dire m’affecte.
- Ma maladie ?
J’ai aussitôt envie de me frapper. Quelle réponse de merde. Je devrais juste partir, les pousser, juste échapper à cet instant de pur horreur.
- Ne fais pas celui qui ne comprends pas, intervient Gaston en prenant un air dégoûté. Ta maladie de pédé.
Je lève les yeux, purement horrifié par ce qu’il vient de dire. Soudain, avant d’avoir pu faire quoi que ce soit d’autre, que l’idée de les frapper ne m’a pas encore traversé l’esprit ( heureusement en réalité, car je n’ai pas envie de me retrouver aux urgences cette fois là ), un de leur ami arrive. C’est Pierre. Il les fixe, l’air étonné, et a l’air encore plus surpris en me voyant.
- Les gars ? Vous faites quoi, on vous cherche depuis tout à l’heure.
- Va t-en, Pierre. C’est pas le moment, se plaint Gaston sans me lâcher du regard.
Pierre m’observe, et je sais de quoi je dois avoir l’air : l’air effrayé, les yeux rouges, la bouche tordue par la colère. Puis il regarde ses deux amis, qui ont l’air agacés par son interruption.
- Il se passe un truc ? Demande t-il en s’approchant, l’air de comprendre.
- Mais non, rien. Laisse nous.
Je ne dis rien, ne sachant pas ce que ce Pierre pense. Il m’a toujours paru bête et sans cœur. Comme ses pairs, en fait.
- Non les gars. Vous faites une connerie, là. Allez, venez avant de causer des problèmes.
Il le dit de manière assurée et posée, comme si il savait que ça pouvait les convaincre. J’en doute.
- Pierre, casse pas les couilles, s’exclame Gaston en se tournant vers lui.
- Putain, c’est vous qui me les cassez ! Vous avez quoi, 12 ans ? Allez, venez espèces de cons. Helena nous attends au Harly’s Park.
Cette dernière phrase semble alors faire changer Gaston d’avis, qui se tourne vers Steven. J’ai du mal à croire qu’il a changé d’avis aussi vite.
- Attends, Steven… Pierre a raison, viens on s’en va.
Mais Steven continue de me regarder, d’un air répulsé par le simple fait que je puisse exister. Il plisse le nez, comme si il y avait une odeur qui émanait de moi. Mais son nez doit simplement être trop près de sa bouche, en réalité..
- Partez, moi je reste. Je dois lui régler son compte.
Là, c’en est trop. J’en ai marre de me taire et d’avoir peur comme si c’était de ma faute. Je m’élance en avant, sans que Steven ait pu s’y préparer, et j’ai le temps de voir son regard surpris juste avant que mon coup de poing lui soit asséné dans le nez. Il dodeline de la tête, me fixe comme si ce qui venait d’arriver était impossible, et fait quelques pas en arrière, je devine qu’il a du mal à rester sur ses deux jambes avec ce coup.
Moi, mon poing me fait atrocemant mal. Bon dieu que sa tête est dure.
A côté, Gaston et Pierre ont arrêtés de parler et nous regardent sans savoir que faire. Soudain, Gaston fait un pas vers moi, comme si il s’apprêtait à me frapper. Pierre le retient, et je n’ai pas le temps de voir si Gaston se débat car alors je ressens une douleur innatendue au niveau de l’abdomen. C’est Steven, le regard meurtrier, qui m’a rendu mon coup. Mais je n’ai même pas le temps de reprendre mon souffle car il m’en donne un second dans la joue, envoyant ma tête vers la droite violemment. Je vacille, mais ne tombe pas, et sens une colère encore plus forte s’emparer de moi.
J’ignore ce que font Pierre et Gaston, si ils vont défendre Steven, tout ce que je sais c’est que j’en ai marre et que la seule chose qui peut me soulager c’est de causer de la souffrance à ce connard.
Je le frappe de nouveau, constate un filet de sang coulant de son nez jusqu’à sa bouche et j’ai un sourire triomphant. Seulement, lui non plus n’en a pas fini : il se jette sur moi de tout son poids, et nous tombons à la renverse sur le sol froid de la cour. Autour de nous, j’ai conscience que des gens se sont amassés, et nous regardent nous battre avec excitation.
Lorsqu’il commence à m’étrangler, serrant mon cou de ses deux mains épaisses, j’ai l’impression que le monde a commencé à tourner autour de nous et les cris des élèves ne me parviennent que lointainement. Comme si ils étaient à des centaines de mètres de nous.
Ses ongles pénètrent dans ma peau, mais ce n’est pas ce qui me fait le plus mal.
Je commence à manquer d’air. Seulement, quelqu’un arrache Steven d’un seul coup à mon corps étendu sur le sol et il me paraît qu’il est loin, maintenant.
Et que les autres sont tout prés. Je me relève, suffoque ; retrouve mes esprits. Des professeurs sont autour de moi et m’aident à me relever. L’un me tend un verre d’eau immédiatement, et j’entends des voix qui disent :
- Ça va, il respire. Il va bien.
- Il arrive à se relever. Tant mieux. Emmenez le à l’infirmerie.
A l’infirmerie ? Rhooo, pas encore. Mon dieu mais que c’est lassant que de se blesser. Et puis cette fois là, tout va bien, il ne m’a pas étranglé trop longtemps. L’air passe dans mes poumons, c’est tout ce qui compte.

Une heure plus tard, il me semble que rien n’est arrivé.
Je n’ai plus mal nulle part, au contraire je me sens parfaitement bien. C’est comme si d’avoir frappé Steven m’avait profondément fait du bien. Je me sens prêt à gravir des montagnes.
Sauf que là, je suis à l’infirmerie, on m’a obligé à rester assis dans un lit et à boire beaucoup d’eau. L’infirmier ( que je déteste ) m’a donné de la glace pour presser contre mes hématomes et m’a fait avalé quelques médicaments pour faire disparaitre la douleur. En me voyant, il a eu l’air d’avoir pitié, et de se dire « Oh non, pas lui encore ! ».
Le directeur a apellé ma mère pour la prévenir et j’ai compris que cette fois, elle venait me voir. Apparemment elle est en route.
Cette pensée me réjouie, j’ai hâte de la voir et de pouvoir lui parler.
Pour Steven, on ne m’a pas dit ce qui lui est arrivé, mais comme il n’est pas à l’infirmerie, c’est qu’il n’est pas trop amoché. D’un côté ça me frustre que ce soit moi le plus mal en point, d’un autre je sais que ça joue en ma faveur si l’un de nous doit se faire renvoyer.
Après la glace, l’infirmier me donne de la pommade à appliquer sur mes coups, à l’abdomen et sur la pomette, et un gel à mettre sur mon cou. En me regardant dans le miroir, j’ai une grimace. Des traces rouges tapissent ma gorge. Il n’y est pas allé de main morte…
La porte de la pièce s’ouvre à la vollée et ma mère entre, l’air terrifiée. Son chignon est défait, ses yeux striés de petites veines rouges. Elle se jette presque sur moi, m’embrassant sur les joues et dans les cheveux.
L’infirmier sort et elle s’assoit au pied du lit dans lequel je suis. En apprenant la nouvelle, elle a dû se dépêcher pour venir car son gilet est mis à l’envers et elle a les chaussures de Paul.
- Alex, je peux t’enlever de ce pensionnat immédiatement.
- Non. Ne fais pas ça, maman.
- Pourquoi ?!
Je lui jette un regard et elle comprend aussitôt. Sa bouche forme le prénom « Julian », et ses yeux s’embuent de larmes.
- Ton cou… Quelle brute. Tu sais, il ne va pas s’en tirer. Il a déjà été renvoyé du pensionnat, mais je compte aussi faire un procés.
Steven renvoyé ? Rien ne peut me rendre plus heureux. J’ai un grand sourire, et elle me regarde comme si j’étais fou. Fou de joie, oui.
- Maman, c’est moi qui ai mis le premier coup. Je vais bien. Je me sens bien. Je suis heureux qu’il ait été renvoyé, mais ne fais pas ce procès. La famille de Steven est blindée, tu ne gagnerais pas. Ils peuvent engager les meilleurs avocats du pays, tu comprends ?
Elle ne réponds pas, l’air sincèrement dépités, dégoûtée. Je me penche pour la serrer dans mes bras.
- Promets moi de faire attention… Tu sais que je ne peux pas t’enlever d’ici contre ta volonté. Mais promets moi de ne plus te battre.
Je ne peux pas promettre de ne plus me faire embêter, mais ne plus me battre, ça oui. Et puis je doute que Gaston ou n’importe qui d’autre ait envie de faire comme Steven après que ce dernier se soit fait renvoyé.
- Promis. Donc, il a fait ses valises ?
- Oui. Quand je suis arrivé, il repartait dans la voiture de ses parents.
- Merveilleux. Merveilleux, maman. Quel connard quand même.
Ma mère refuse de repartir immédiatement, et elle reste encore jusqu’à la fin de la journée avec moi. Elle remets de la pommade sur mes bleus, et me parle de Paul et de Léonard. Ensuite elle me demande des nouvelles de Julian, et je lui dis qu’il va bien, mais qu’il n’est pas encore venu me voir aujoud’hui.
On discute encore longtemps, avant que le directeur entre dans la pièce.
- Margarette ! S’exclame t-il en la voyant.
Ils commencent tout deux à parler, et le directeur lui promet qu’il ne m’arrivera plus rien. Apparemment, il embauche de nouveaux surveillants.
Tout deux sortent de la pièce et ma mère me dit qu’elle doit discuter avec lui, qu’elle revient me voir plus tard. J’hoche la tête puis la porte se referme derrière eux. Le silence est plaisant. Je m’adosse contre la tête du lit et essaie de me figurer ne niveau de colère que Steven doit ressentir.
La porte se réouvre, se referme, j’ouvre les yeux vivement. C’est Julian, qui vient s’asseoir sur le lit. Sa mine est empreinte d’inquiètude. Moi, en le voyant, j’ai un grand sourire et je repousse les couvertures. Il me prend dans ses bras, toujours l’air triste.
- Hé, Julian ! Tu sais que Steven a été renvoyé ? C’est génial !
- Ouais, je l’ai vu faire sa valise…
- C’est génial, je répète en attendant une réaction un peu plus joyeuse de sa part.
Je vois sa machoire se serrer.
- Non, c’est pas génial, fit il par dire. Il t’a étranglé. Ce mec est un psychopate. Et toi tu n’as pas l’air aussi affecté que tu ne le devrais. Ce qui s’est passé est grave.
J’hausse les épaules.
- C’est ce que je pensais aussi. Mais je me sens bien, Julian ! Très bien même. Soulagé d’avoir enfin riposté.
Il se tourne vers moi pour me regarder, et constate que je ne mens pas. Ses yeux s’écarquillent et il passe son bras autour de mon dos.
- Alex, mon dieu… Tu ne devrais pas être soulagé. Tu devrais vouloir partir d’ici.
- Non, tu rigoles ? Loin de toi ?
Je lève les yeux vers lui. Il est sérieux, bien trop sérieux.
« Je m’inquiète pour toi », chuchote t-il en me serrant encore plus fort contre lui.
Je vois à quel point tout cela l’affecte. Pour une fois, c’est moi qui doit le rassurer.
- He bien moi, pas du tout. Je suis heureux de m’être défendu, et je sais que ces quelques bleus vont partir tout de suite. On est bien obligé de se faire un peu mal dans la vie, parfois.
- Je préférerais que rien ne te fasse jamais mal…
- Tu sais ce qui m’a fait le plus mal ? C’est lorsque je lui ai envoyé un coup dans la machoire. Elle est si dure que j’ai eu l’impression qu’elle avait réduit mes phalanges en bouillie. J’en ai toujours l’impression, d’ailleurs.
Il fronce les sourcils et prend délicatement ma main gauche, qui est intacte.
- C’est l’autre main, dis – je avec un petit rire.
Il ne rigole pas et se contente d’attraper l’autre, que j’ai cachée sous ma couette. En voyant les taches violettes qui s’étalent sur mes phalanges, il a une expression de douleur si intense qu’on croirait que c’est lui qui s’est fait cette blessure. Je retire ma main pour qu’il n’ait plus à la voir.
- Tu as appliqué de la glace dessus ?
- Non.
Il va ouvrir le petit frigo positionné dans le fond de l’infirmerie et commence à chercher dedans. Je reste silencieux. Il revient avec un sac plastique dans lequel est positionné un bloc de glace qu’il pose sur mes phalanges.
- Ouuuuuh, je gémis en retirant mes doigts. C’est glacé.
- Donne moi ta main, Alex.
J’hésite quelques secondes avant d’accepter qu’il remette la glace dessus. La douleur est pareille à de minuscules aiguilles qu’on m’enfonceraient dans la main par centaines. Ma main est glaciale.
Pendant le temps ou il appliquela glace sur mes bleus, je me demande pourquoi il est tant contrarié. Il a sûrement eu peur, mais maintenant je vais bien et je suis soulagé que cette bagarre ait éclatée. Ça m’a permis de me sentir moins lâche, et ça a aussi déclenché le renvoiement de Steven.
- Je n’arrive pas à croire que Gaston ait suivi. On a passé tellement de temps ensembles… Ce n’était pas mon ami mais je pensais le connaitre, murmure t-il en fixant la glace.
- Tu es déçu ?
- Très. Mais ce n’est rien comparé à la colère.

Il me jette un coup d’œil et je constate son regard brûlant, furieux. Il finit par poser la glace puis farfouille dans un tiroir pour trouver du sparadrap et me fait un bandage qu’il enroule autour de mes phalanges délicatement. Je n’ose plus croiser son regard.
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Plus que quelques chapitres avant la fin !
JaneSerpentard

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Re: J'irais en Enfer

Message par JaneSerpentard »

elohane a écrit : mer. 08 mars, 2023 4:15 pm Plus que quelques chapitres avant la fin !
Je suis tellement fière de toi <3
elohane

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Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 33 :

Je dois passer la nuit à l’infirmerie. Malgré mes protestations, le directeur demande impérativement à l’infirmier que je ne quitte pas cette pièce et que je reste au lit jusqu’au lendemain. Julian fait un saut au dortoir pour me chercher des vêtements et de quoi m’occuper, puis il retourne en cours et je suis de nouveau seul. A son bureau, l’infirmier griffonne de son écriture grossière sur un bout de papier.
Parfois, il me jette des regards méfiants comme si j’allais me jeter hors de lit et m’enfuir.
Ça me tenterait bien ; de m’enfuir, mais je ne saurais pas ou aller. En attendant, je regarde les heures passer jusqu’au soir. J’espère qu’après le dîner Julian pourra venir me voir.
Lorsqu’on s’est quitté, il n’avait toujours pas eu un sourire et sa mine triste avait fini de me persuader que je ne devais plus rien ajouter. Bizarrement, il a l’air encore plus mortifié qu’a mon agression dans la bibliothèque. Je me demande en quoi son degré de tristesse ou de colère est différent. Pourquoi ais – je l’impression que c’est ma faute ?
Du lit sur lequel je suis installé, je ne peux pas voir à travers la fenêtre. Elle est presque derrière mon épaule et je regrette de ne pas pouvoir regarder le soleil ; rien que pour oublier tout ça et me sentir encore mieux. Même si je n’ai mal nulle part, je me sens moyen de passer les prochaines heures ici, avec comme seul camarade cet infirmier.
Ma mère est venue me dire au revoir il y a une demi heure à peu prés, et elle est repartie auprès de Léonard et Paul, dans l’appartement qu’ils ont achetés. La maison qu’ils ont loués et dans laquelle nous avons passés nos vacances a elle été remise à ses propriétaires.
Je pousse un soupir et feuillette un livre pour ne pas mourir d’ennui. C’est le livre que m’avait lu Julian lors de ma première nuit ici. Cette histoire de chevaliers qui sont amis, puis se séparent. Lorsqu’il me l’avait lu, je n’avais pas bien saisi le fond du conte. Mais à présent que je le relis plus attentivement, je peux comprendre de quoi parle le livre en réalité.
A l’heure du dîner, un surveillant m’amène un plateau avec une assiette remplie et des couverts.
- Je vais manger, m’annonce l’infirmier en se levant de sa chaise.
Il s’étire ; pousse un baillement et je me contente d’hocher la tête.
- Ne sors pas de l’infirmerie. Tu sais ce qu’a dit le directeur ; tu dois te reposer.
- Je me sens très bien reposé, j’assure néanmoins avant qu’il ferme la porte.
J’ai le temps d’apercevoir son sourcil levé avant de me retrouver seul – enfin seul. Je commençais à en avoir marre du bruit de crayon frotté contre la feuille. Que peut il bien écrire comme ça ?
Je me mets à mon dîner – haricots verts et poisson – en songeant au fait que Julian doit probablement manger seul. Cela me rends immédiatement triste, de l’imaginer dans un coin de table, regardé par tout ses « amis » dont fait partit Gaston.
Je me demande ce que pense Pierre. Il a toujours eu l’air proche de Julian, je les voyais souvent parler entre eux. Et c’est bien Pierre qui a essayé de raisonner Steven et Gaston, cet après midi, non ?
Peut être avait il simplement peur des représailles. De se faire renvoyer lui aussi. Il ne m’a jamais paru plus sympa que les autres.
Je mange dans le silence complet, même si je n’ai pas franchement faim. Penser à la solitude que doit ressentir Julian en ce moment même me coupe l’appétit. Finalement, je repose mon plateau par terre et reprends mon livre.
Une heure plus tard, j’ai laissé tombé le livre par terre et j’attends patiemment dans le lit l’arrivée de Julian. Même si nous n’avons convenu de rien, j’espère qu’il va venir. Qu’il trouvera l’occasion.
L’infirmier n’est toujours pas revenu – je me demande ce qu’il fout.
Je sers les doigts pour que Julian vienne. Je veux le revoir, lui dire une nouvelle fois qu’il n’a pas à s’inquiéter pour moi.
Deux heures passent ensuite. Durant lesquelles je me change, puis l’infirmier revient et un surveillant débarasse mon plateau. L’infirmier change mes bandages et me donne à nouveau de la pommade à appliquer sur mes bleus, et du gel à mettre sur mon cou, puis ferme à clé l’infirmerie.
- Je vais me coucher, moi. Ne t’endors pas trop tard.
Je fais signe que j’ai compris, puis il monte un escalier tout petit que je n’avais pas remarqué jusque là ; dans un coin de la pièce. J’entends une porte se claquer, et je suis encore seul, content qu’il soit repartit. Cet escalier mène sans doute à son appartement.
Je suis déçu. Je pensais que Julian allait venir. Il est 22h, bon, il a peut être prévu de passer plus tard, mais la porte est fermée à clée à présent.
J’éteins la lampe de chevet posée sur la table de nuit et replis les couvertures sur mon visage, avec la seule envie de m’enfouir dans mon lit et que cette nuit passe vite. Je m’endors peu après.
Il doit être minuit et quart lorsque j’ouvre les yeux. Je jette un œil à l’horloge, c’est ça ; 0h13. La pièce est sombre, à part le mince filet de lumière que projette la lune sur les murs à travers les fenêtres.
Je bats des paupières pour mieux y voir, encore ensomeillé. Je me fige en entendant les petits coups sur la porte de l’infirmierie. Des coups secs, brefs.
Je repousse les couvertures et marche sur le carrelage froid jusqu’à la porte, la respiration haletante sans que je sache pourquoi.
- Qui est ce ? Je murmure, collé contre le bois de la porte, en connaissant la réponse.
Elle me parvient aussitôt.
- C’est moi. C’est Julian. Je veux te parler.
Mon visage s’éclaire aussitôt d’un sourire, et je tire sur la poignée. Bien sur, c’est fermé.
- Attends deux minutes, je vais t’ouvrir.
Je vais sans faire le moindre bruit vers le bureau de l’infirmier et fouille dessus. Mais evidemment, il n’y pas les clés là. Je continue de chercher, en faisant attention de tout remettre à sa place ensuite. J’espère que Julian attend toujours, qu’il ne pense pas que je me suis rendormi.
Je pousse une pile de papiers, regarde dans l’armoire, dans les tiroirs, rien. Je commence à me décourager lorsqu’enfin j’aperçois le trousseau. Posé sur le rebord de la fenêtre. J’ai un froncement de sourcils ; quelle place étrange tout de même. Cet infirmier est plus bête que je ne le croyais.
Je saisis les clés et m’empresse de les essayer une à une dans la serrure. La troisième est la bonne, et la porte s’ouvre dans un « clic » peu bruyant.
Julian entre immédiatement, et referme derrière lui doucement.
Il me prend dans ses bras briévement, puis il va s’asseoir sur mon lit et je le rejoins.
- Comment tu vas ? Questionne t-il en essayant de discerner mon visage dans la pénombre.
Je prends un bout de drap dans la main et le froisse entre mes doigts, évitant son regard.
- Je vais bien. Je m’inquiète pour toi.
- C’est toi qui t’inquiète pour moi ?!
Je lui fais signe de baisser la voix. Il ne manquerait plus que l’on réveille l’infirmier. Il fronce les sourcils mais obtempère.
- Tu as toujours mal aux mains ? Chuchote t-il en prenant ma main droite dans la sienne.
- Ça va, je lui assure alors qu’il passe délicatement son pouce le long de mes phalanges.
Le contact de sa peau sur mes bleus me donne des frissons, des frissons de douleur mais pas seulement.
- Tu vas réussir à aller en cours demain ?
- Bien sur. Je te dis que je vais bien.
Il hoche la tête, même si je sais que je ne l’ai pas convaincu. Et pourtant je ne mens même pas ; je me sens bien et prêt à retourner en classe.
- Je peux rester un peu avec toi ce soir ? Demande t-il dans un murmure.
- Bien sur.
Je lui fais de la place et il s’allonge sur le côté. Je me couche près de lui. Quand je bouge un peu, nos deux corps se touchent et j’adore cette sensation : juste sa peau contre la mienne, dans la nuit. Cela me rappelle des souvenirs.
- Tu n’as pas l’impression, parfois, que l’on pourrait partir d’ici ? Dit il en effleurant mon oreille de ses lèvres.
Je met un certain temps à comprendre sa question, trop concentré sur le contact physique.
- Non. Je n’y pense pas vraiment.
- Pourquoi pas ? Juste partir. Comme lorsque l’on voulait prendre des vacances seuls, loin. Mais ce serait de très, très longues vacances.
Je lève les yeux vers lui. Il fixe le plafond, comme perdu dans ses pensées.
- Mais nous n’avons que 16 ans.
Il a un petit rire, et je me demande qu’est ce qui est drôle.
- J’ai eu 17 ans il y a une semaine.
- Quoi ?! Et tu ne me l’as pas dit ?! Je m’insurge en me tournant dans le lit.
Je n’arrive pas à croire qu’il me l’ai caché. J’aurais pu acheter quelque chose, le lui fêter. Je me sens nul de ne pas y avoir pensé.
- Je n’aime pas beaucoup mon anniversaire. Ça n’a pas d’importance à mes yeux.
- Mais aux miens, ça en a !
- Avec cette histoire d’anniversaire, on se détourne du sujet principal. Qui est que l’on devrait foutre le camp d’ici.
Je lève les yeux au ciel. Pourquoi refuse t-il de me mettre au courant de ce genre de choses ? Le pire, c’est que je suis sur que Pierre, lui par exemple, le savait. Ou n’importe qui d’autre.
- Tu dis n’importe quoi. On ne peut pas partir d’ici. Nos parents ne nous laisseraient jamais arrêter nos études.
- Je suis sur que ta mère accepterait. Mes parents, eux je suis sur qu’ils s’en fichent d’ou je suis, tant qu’ils n’ont pas à me voir.
Cette dernière phrase suinte de douleur, et je ne sais pas quoi ajouter. Mais cette idée de partir, c’est complètement dingue. Nous ne sommes qu’en première, on ne peut pas déjà quitter le pensionnat. Et pour aller ou ? Ou habiterions nous ? Nous n’avons pas un sou.
De plus, au bout d’un moment, je sais qu’il finirait par partir. Julian a besoin de ce genre de choses : De nouvelles rencontres, de nouveaux paysages.
Là ou moi, je n’ai besoin que de lui.
- Alors, Alex ? Si tu dis oui, je serais capable de partir dés demain matin. Même en sachant que je ne reverrais plus rien d’ici.
Je pousse un soupir.
- Il est tard. Tu es fatigué. On devrait dormir.
- Il est tard. Je suis en pleine forme, néanmoins. Mais je suis d’accord, tu devrais dormir. Tu dois te reposer…
Ça m’agace qu’il retourne mes mots de cette manière, mais il a raison, dans le sens ou il vaut mieux que je m’endorme. Cette discussion ne va rien amener de bon.
- Tu restes encore un peu ?
- Non, je vais aller me coucher. Si je m’endors ici, et qu’on nous retouve demain tout les deux dans ce lit… Tu fermes derrière moi, d’accord ?
- D’accord, dis –je, déçu.
Il se lève et s’en va après un dernier « au revoir ». Quelques secondes passent durant lesquelles je réfléchis à ce qu’il m’a dit, à cette idée de partir loin d’ici. Puis je me saisis de la clé et vais fermer la porte. Je la repose sur le rebord de la fenêtre, me glisse sous mes draps et ferme les yeux.
Je ne m’endors pas tout de suite.

Le lendemain, un surveillant vient m’apporter mon petit déjeuner à l’infirmerie. N’ayant pas mangé grand-chose la veille, je me jette dessus et engloutit le tout. Je suis un peu nerveux de revoir tout le monde, surtout après que des dizaines d’élèves m’aient vu me faire étrangler par Steven.
Mais je suis content d’enfin partir de cette infirmerie ; et de ne plus avoir à entendre les grattements du crayon sur la feuille.
Je m’habille, et décide de sauter l’étape de la salle de bain, étant déjà pas mal en retard.
En retard. Je suis en retard pour la première fois de ma vie. Je suis toujour en avance, d’habitude. Que s’est il passé pour que je sois en retard une fois dans ma vie ?
J’ai un petit sourire en y pensant.
Je quitte la pièce et m’en vais vers mon cours de Philosophie. En marchant dans le pensionnat, ce lieu me paraît alors plus petit qu’à mon arrivée. Mais ce n’est qu’une impression, bien sur. Les murs ne se sont pas ressérés. Le toit n’est pas moins haut.
C’est peut être moi qui ait grandis. Moi aussi je vais avoir 17 ans, bientôt. Dire que lorsque je suis arrivé ici, ça ne faisait que quelques jours que j’avais 16 ans. Les choses se sont enchaînées tellement vite, j’ai appris bien de choses depuis. Mais d’un côté, c’est angoissant, que la vie passe si vite.
J’ai l’impression que si il y a une décision à prendre, c’est le moment ou jamais pour.
Quand j’entre en cours, certaines personnes me regardent de travers. D’autres s’en foutent complètement. Ce n’est pas bien différent que d’habitude, en somme. Je vais m’asseoir, et étrangement, je n’ai aucun sentiment de honte.
Mais de quoi devrais je avoir honte ?

Julian entre à son tour, il est seul. Mais en me voyant, son visage s’éclaire d’un sourire, et il vient se poster devant la table.
- Salut, le nouveau. Je peux m’asseoir ?
Je lorgne son uniforme ( celui que tout le monde porte tout les jours ), et fais mine d’être cynique.
- C’est quoi ces vêtements que tu portes ? Y’a un carnaval pas loin ?
Son sourire s’agrandit encore plus et il s’asseoit sur la chaise près de moi. En pensant que c’est ces phrases que nous avons échangés lors de notre première rencontre, je trouve ça stupide.
Le professeur commence son cours, et j’essaie de me concentrer sur ce qu’il dit, ne portant plus attention à rien. Même si il est dur d’ignorer la présence de Julian à côté, dont je sens le regard posé sur moi.

Comme je n’ai pas vu Adriana depuis longtemps et que je ne veux pas me retrouver dans la cour, comme hier, je laisse Julian réviser en salle d’étude et je me dirige vers Harly’s Park.
En marchant sur le petit chemin caillouteux qui m’y mène, vide de monde aujourd’hui, à part moi, je me rappelle que nous n’avons pas convenu de rendez vous la dernière fois qu’on s’est vus. Elle ne sait pas que je suis là, et d’ailleurs elle est sûrement occupée à cette heure ci. Peut être qu’elle est en cours. Je suis bête.
Je me tourne pour faire demi – tour, mais décide au dernier moment de continuer à marcher. A présent nous sommes en Printemps ; les arbres alentours sont fleuris et l’herbe au sol est vert vif. Les couleurs m’avaient manqués, cette brise tiède m’avait manqué également.
Et puis il n’y a personne pour le moment, je devrais en profiter.
Je continue de me balader, et à mesure que je marche, plongé dans la contemplation de la végétation alentour, je ne fais pas attention au fait que mes pas me mènent droit à l’étang ou Julian et moi nous nous étions baignés, il y a de ça des mois. Lorsque nous n’étions que des amis… ou des connaissances. Je ne sais plus vraiment.
L’étang est lui aussi plus petit que dans mes souvenirs. L’eau est d’un bleu limpide et le soleil la fait briller. Je ne sais pas trop ce qui me prend, mais après avoir jeté un regard autour de moi pour vérifier que je suis bien seul, je me déshabille entièrement et saute dans l’étang.
Je nage quelques secondes vers le fond, je sens l’eau tout autour de moi ; c’est agréable, et j’ai l’impression d’être immergé dans une bouteille de bière. Les bulles et le liquide. C’est une pensée idiote, mais elle fait partit des nombreuses qui me traversent l’esprit.
Je remonte à la surface. Des centaines de gouttes coulent sur mon visage et je regarde vers le ciel ; déshabillé de nuages. C’est une belle journée.
Je me baigne encore un peu, jusqu’à ce que j’entende des bruits de pas se dirigeant dans ma direction. Comme ils paraissent encore un peu loin, je remonte sur la berge et me sèche avec mon blazer comme je peux, puis me rhabille.
Ma peau est encore humide, mais au moins je ne suis pa nu lorsque cette personne arrive vers moi, sortant de derrière les arbres. J’ai un hoquet de surprise en voyant Adriana. Elle m’aperçoit et court vers moi, ses cheveux châtains volant autour de son joli visage.
- Alex !
- Adriana ! Comment tu as su que j’étais là ?
Elle arrive à ma hauteur et je la prends brièvement dans mes bras.
- Je n’en savais rien. Je me balade juste ici par hasard… Pourquoi est ce que tes cheveux dégoulinent d’eau ?
- Je me suis baigné dans l’étang. C’est quand même drôle que nous nous croisons ici… J’avais justement envie de te voir.
- Moi aussi.
Je lui souris et nous nous asseyons sur l’herbe, juste en face de l’eau. Elle paraît heureuse, contente de me voir.
Je me ressaisis de mon blazer et essaie de sécher mes mèches blondes tandis qu’elle me parle de sa journée.
- Et elle a accepté de me reparler, donc maintenant je suis amie avec Sophie et… Mais dis moi, qu’as-tu aux mains ? Remarque t-elle en voyant les taches violettes claires sur mes phalanges.
- Je me suis bagarré.
- Toi, tu t’es bagarré ? S’exclame t-elle, l’air surpris.
- Oui, ça t’étonne tant que ça ?
Elle hausse les épaules. C’est une très mauvaise actrice.
- Pas vraiment… Tu veux me dire ce qu’il s’est passé ?
- Non, tout ce qui compte c’est que je vais bien.
- Ok…
Je décide de changer de sujet. De plus, je ne lui ai toujours pas parlé de Léonard.
- D’ailleurs tu sais quoi, ma mère a accouché !
L’ambiance change immédiatement. Elle pousse un cri de joie et me prend dans ses bras, l’air soudain hystérique. Ses mèches se balancent dans son dos lorsqu’elle me serre en pleurant presque de bonheur.
- Mais c’est génial !!! Tu avais omis de me dire ça ?!
- Je n’y avais pas pensé.
Elle oublie soudain que je ne lui en avait pas parlé quand la question du sexe s’immisce dans son esprit, et je le vois à son air de détective qu’elle prend. En fait, elle avait parriée 20 euros que c’était une fille. Je ne vais pas devenir riche, mais c’est déjà un bon début.
- Alors, c’est une fille n’est ce pas ?
- … Non. Pas exactement.
- Pas exactement ? Bah c’est un garçon alors ?
- Oui.
Elle n’a pas l’air déçue que ce soit un garçon, juste dégoûtée de me devoir de l’argent, à présent.
- C’est bien quand même. Et il s’apelle Nicholas, comme je te l’avais conseillé ?
Mince, ça va faire beaucoup de déceptions en une fois.
- Non plus. Mais ne cris pas quand je te dirais le prénom.
Une lueur d’inquiètude s’allume dans son regard. Je n’ai jamais vu quelqu’un de si investi dans la naissance d’un bébé.
- Promis.
Nous continuons de discuter, assis sur la berge. Je n’oublierais jamais à quel point la compagnie d’Adriana est agréable, reposante pour l’esprit. Lorsque je suis avec elle, j’oublie tout, je veux juste la voir sourire.
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