J'irais en Enfer ( Terminé )

Postez ici tous vos écrits qui se découpent en plusieurs parties !
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
http://tworzymyatmosfere.pl/poszewki-jedwabne-na-poduszki/
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

J'irais en Enfer ( Terminé )

Message par elohane »

Bonjour,
Et bienvenue sur un de mes projets les plus importants et le plus abouti jusque là :lol:
Je ne l'ai malheureusement pas encore fini mais je sais que je le finirais et j'ai déjà 200 pages. Cette histoire est déjà postée sur wattpad sous le même nom, et si vous préférez le format wattpad et son fonctionnement voici le lien :

https://www.wattpad.com/story/330340952 ... s-en-enfer

Pour les amateurs de Booknode, et j'en fais partie aussi, je poste cette histoire là en espérant qu'il y aura quelques lecteurs :)
J'irais en Enfer parle d'adolescence, d'amitié, d'homosexualité tout ça sur un fond de 1985.


Bonne lecture.
elohane
Pièces jointes
Résumé
Résumé
4éme de couverture J'irais en Enfer.png (527.84 Kio) Consulté 484 fois
Dernière modification par elohane le jeu. 16 mars, 2023 5:11 pm, modifié 1 fois.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

1985

Chapitre 1

La voiture sors de la route et s’engage sur un petit chemin caillouteux entouré par des pins. Je relève la tête, j’ai l’impression que les branches s’amusent à me narguer en caressant de leurs feuilles la vitre qui est de mon côté. Ma mère conduit sans un mot, jettant parfois des coups d’œil dans le rétroviseur. Elle a un regard inquiet, qui semble me répéter Tu verras, tu vas t’y plaire.
Je me répète dans ma propre tête les paroles qu’elle m’a dites pleins de fois, même si elles ne me plaisent pas. J’essaie de m’en convaincre, je sais qu’elle n’a pas d’autres choix que de me laisser. Je lui en veux quand même.

J’enlève mon casque audio et le range dans mon sac à dos qui traine à mes pieds, sur le sol plein de miettes et de poussières de notre vieille voiture. Cela fait au moins une demi heure que j’ai arrêtée d’écouter de la musique, je le gardait quand même sur les oreilles. Un moyen de me couper du monde extérieur, et de faire comme si tout allait bien.

Au bout d’un moment, je distingue au bout de l’allée un batiment a l’air austére, il est grand et la façade compte au moins une vingtaine de fenêtres. Les murs sont en briques rouges et le toit est gris, majestueux, on dirait que j’arrive dans un château abandonné. Malheureusement, c’est beaucoup moins cool que ça.

Je n’ai aucune envie d’y aller, aucune envie d’y mettre les pieds, de croiser d’autres garçons dont les parents ne peuvent plus s’occuper, de dormir là bas, de manger là bas, d’étudier là bas, de vivre là bas. Je veux rentrer chez moi, être dans mon lycée. Je sais que je suis comme un enfant de 8 ans qui fait un caprice, mais c’est plus fort que moi. Quand ma mère arrête la voiture devant le batiment de briques rouges, et que le moteur arrête de tourner, je n’amorce pas le moindre geste pour me lever.
- On y est Alex, me dit elle, la voix tremblante.
Je ne réponds pas. Elle ouvre sa portière et sors de la voiture, puis vient ouvrir la mienne avec un sourire timide. Je prends mon sac à dos, renonce à le mettre sur le dos, et met un pied hors de l’habitacle.
Après deux heures enfermé dans la voiture, l’air frais de fin d’après midi me fait du bien. J’inspire quelques goulées d’air tandis que ma mère décharge le coffre. Devant les portes du pensionnat, debout sur les marches, nous attendent un vieux monsieur et une dame à l’air fatiguée par la vie. Ils nous fixent du regard pendant tout le long ou on monte la pente pour arriver devant eux, moi en retrait, refusant de les regarder dans les yeux.
- Bonjour Margarette !, la salue le vieil homme, mais en me regardant, moi.
- Bonjour Monsieur Twelsy, répond-elle.
La femme la salue également puis ils commencent à parler du voyage. Le trajet n’a pas été trop long ? Non, c’était bien. Veut elle rester boire le thé ? Non, merci, il y a une affaire qui l’attends en ville. Ce sont les seuls bagages ? Oui, il n’y a que ça. Alexandre doit être ravi ? … Sûrement.
Je relève la tête quand ils disent mon prénom mais reste muet comme une carpe, bien décidé à ne pas parler. Ma mère me sourie, me touche l’épaule.
- Bien. Je pense que nous avons tout dit…, dit la vieille dame que je décide de haïr.
Je fixe mes baskets rouges, et ma mère me dépose un bisou sur le front. Elle m’ébouriffe les cheveux, et les deux autres adultes ne songent pas à s’éloigner pour nous laisser nous dire au revoir. Je ne veux pas qu’elle parte et me laisse. Je sais qu’elle a des choses à faire, du travail. Mais je suis égoïste.
- Tu seras bien sage mon amour. Je reviens vite te voir. Je t’aime !
- Moi aussi, dis – je, parlant pour la première fois depuis le début de la conversation.
- Et étudie bien !
Oui, maman, je réponds lassement dans ma tête.
Elle parle encore un peu avec l’homme, tandis que la femme prend ma valise.
- Je peux m’en occuper ! dis – je, le ton un peu brutal.
Je lui reprends la valise, et la femme affiche un air d’incompréhension et d’hébétude total. Ma mère rentre dans la voiture, remets le contact, et j’entends le bruit du moteur s’activer.
Puis, elle pars.
L’homme se tourne vers moi, alors que la femme n’ose apparement plus me parler, ce qui n’est pas pour me déplaire.
- Bonjour Alexandre.
- Alex, je le corrige en mettant mon sac sur mon dos, finalement.
Il ne tique pas, ne fronce pas les sourcils, se contente d’afficher un sourire indescriptible.
- Pardon. Alex, je me présente, Henri Twelsy. Le directeur du pensionnat.
Je ne dis rien. Lui et la femme échangent un regard, puis me font signe de les suivre à l’intérieur. J’entre.
Autour du batiment principal s’en trouve trois autres, plus petits, et les quatres structures forment un carré et au centre une cour. Nous traversons cette cour , il n’y a personne. Tous les autres garçons qui vivent ici ne sont pas là. Pourquoi ne sont ils pas là ? J’ai l’impression d’être seul au monde, seul, seul, seul. Je fais rouler ma valise derrière moi, et aucunes paroles ne sont prononcés. Le directeur s’en va dans son bureau et la femme qui se présente comme l’adjoint du directeur et comme l’éducatrice ( elle dit ce mot comme si les garçons d’ici étaient un troupeau de bête ) des pensionnaires se propose de me faire faire le tour du pensionnat. Ça s’avére plutôt long et ennuyeux, je refuse en secouant la tête, les lèvres pincés.
Elle soupire.
- Bon courage pour te repérer ici mon garçon ! Même pour aller aux toilettes les plus proches du dortoir il faut connaitre le lieu. Mais bon, ce ne sera pas de ma faute si tu fais dans ton lit. Et puis tu es un grand garçon maintenant hein ? Tu sauras te débrouiller.
J’ai eu 16 ans il ya 16 jours. Et pourtant j’ai toujours l’impression d’être figé dans mes 15 ans, d’être toujours celui que j’étais il y a 16 jours, donc 384 heures, mais aussi 23 040 minutes et 1 382 400 secondes. J’ai compté.
Car on change, on change de secondes en secondes, de minutes en minutes, d’années en années.
Moi, depuis 6 minutes, 45 secondes, je n’ai pas changé : Je déteste bel et bien cette femme. Et je ne le démentirais pas, pas moins dans mes paroles ( mon mutsime, en l’occurrence ) que dans mon hatitude.
- Bon, dit elle devant mon absence de réponses, il est 17h30 et les cours finissent à 18H. Tu peux te rendre dans le dortoir B, c’est celui qui t’es assigné. Il y a un lit pour toi là bas, tu te débrouilleras aussi pour le trouver… à 18h30, c’est l’heure de la douche, tu dois impérativement prendre une douche tous les soirs.
Elle me regarde en reniflant bruyamment. Elle essaie de me sentir. Ne pense pas t-elle que ceci est impoli ?
- Ensuite, a 19h, c’est le diner. Tout le monde se retrouve dans le réfectoire pour diner, et a 19H30, c’est quartier libre jusqu'à 21h. à 21h, tout le monde doit être dans son dortoir. C’est compris ?
Je fais signe que oui. C’est facile, et je ne suis pas idiot. 18h, 18h30, 19h, 19h30, 21h. Elle pousse un soupir et ajoute :
- Demain matin, tu te lèveras plus tôt que les autres pour aller chercher ton emploi du temps et tes manuels au secréteriat. Tu pourras te faire aider d’un autre pensionnaire.
D’accord. Mais plus tôt que les autres, c’est quelle heure ?
Je ne pose pas la question et hoche de la tête, encore une fois, ce qui semble l’agacer. Puis elle s’en va en me prévenant qu’il est interdit de me balader dans le pensionnat quand les cours ne sont pas finis.
Une fois seul, je regarde autour de moi. Elle ne m’a pas dit ou se trouvait le dortoir B. Les portes se ressemblent toutes, les coursives semblent mener à des endroits similaires et pas un signe de qui que ce soit. Pendant un moment, je songe à rattraper l’adjointe, Mme Popkins, comme elle s’apelle, mais ça aurait un côté humiliant pour moi. J’y renonce et décide que je n’aurais besoin de l’aide de personne ici. Je me débrouille assez bien tout seul, et cet endroit n’a pas l’air de vouloir de moi. Tant mieux, je ne veux pas de lui non plus.
Je m’engage dans un couloir qui me méne dans le batiment de gauche, ou il n’y a toujours aucunes présences. J’entends une voix mais elle est lointaine, sûrement un professeur en plein cours. Le carrelage par terre me fait penser à un échéquier, aux carreaux blancs et noir, et moi je suis le Cavalier. Mais ou sont donc le roi et la reine ?
Ma valise glisse sur le sol avec un bruit qui arrive à recouvrir le silence, et je vagabonde dans les couloirs, bien conscient qu’avec toutes ces pièces, toutes ces grandes salles et ces corridors, jamais je ne trouverais le dortoir B.
L’odeur ici, c’est vraiment bizarre. Ça m’agresse le cerveau, ce parfum d’eau de javel, de désinfectant et de pelures d’oranges. Je pourrais me croire dans un hôpital. L’endroit est vaste et innacueillant. Je ne vois pas le moindre signe qui m’indique que des centaines d’adolescents vivent ici toute l’année.
A un moment ou j’en ai marre de marcher, je m’assois sur un banc qui se trouve contre un mur dans un couloir large éclairé par de grandes fenêtres décorées de vitraux chrétiens. J’enlève mon sac à dos et le pose sur le banc, ainsi que la valise. Je croise les jambes et dans ma colère, et avec toute l’injustice que je ressens ( pourquoi moi, pourquoi ça, pourquoi ici ) je ne parviens pas à faire autre chose que fixer le mur en face de moi, mes sourcils froncés. A un moment, je n’ai même plus conscience du fait que j’ai mal au front et que le bleu de mes yeux se mélangent avec mes larmes.
- Salut ?
Je tourne la tête vivement, surpris, et me frotte les yeux pour faire disparaitre les traces de mes pleurs. Il y a un garçon devant moi, dans un uniforme pathétique, et il a l’air de se demander ce que je fais ici. Je me demande la même chose.
- Salut, je réponds, la voix un peu cassée.
Il s’approche et hausse un sourcil.
- Ben dis donc, ça a pas l’air d’aller.
Je ne dis rien. Il a des cheveux bruns, un peu trop long, qui vont sous ses oreilles. Ça ne lui va pas. Je l’imagine un court instant avec des cheveux de la même taille que les miens. Ça lui va mieux. Il a un air nonchalant, un peu trop à l’aise dans ses vêtements et dans sa tête, il a mis ses mains dans ses poches et offre un petit sourire confiant.
- Tu t’apelles comment ?
Au moment ou je vais lui répondre, il s’exclame :
- Enfin non ! Je ne veux pas le savoir.
Tiens donc. Celui là m’a l’air bien indécis. Mais il tombe à pic. Je me lève du banc et m’approche de lui, si bien que je le distingue mieux. Il a des yeux gris, perçants, qui ne laissent rien entrevoir de ce qu’il est et de ce qu’il veut. Il arbore ce sourire en coin que j’ai envie de lui retirer. Je m’apprêtais à lui demander de l’aide, mais change d’avis, trop irrité.
- C’est quoi ton costume ? Y’a un carnaval pas loin ?, lui dis – je, mordant.
Il sourit toujours et baisse les yeux pour regarder ses propres habits. C'est-à-dire, un pantalon noir bien lissé, des chaussures en cuir avec des lacets marrons qui lui donnent un air de clown, une chemise blanche, avec par-dessus un blazer noir. Sur sa poitrine, cousu sur le blazer, se trouve l’insigne du pensionnat, une bougie. Mais la flamme de la bougie est bleu. Il y a par-dessus l’insigne une phrase, Il n’y a pas de réussite sans peine , c’est le slogan, ça me donne envie de vomir.
Mais, pire que tout, autour du col de sa chemise, il y a une cravate rayée rouge et bleu.
- J’aime bien. Ça me donne un air intelligent, dit il en souriant toujours.
Je souris aussi, et son regard me balaye de la tête au pied. Je suis vêtu d’un sweat vert et d’un pantalon élimé, ainsi que mes baskets rouges.
- Toi aussi tu vas te retrouver avec cet l’uniforme, dit il avec un ton désolé en retirant ses mains de ses poches.
J’hausse les épaules.
- Pas sur. J’ai déjà l’air intelligent, moi.
Il rigole, l’air désinvolte.
- Ha oui ? Je ne sais pas. Tu as plutôt l’air perdu.
A ce moment là, je décide d’être honnête. Aussi énervant est – il, il n’en est pas moins sympathique. Mélange étonnant.
- Oui, je concède, impuissant. Je ne trouve pas ce foutu dortoir B.
- Dortoir B ? Je vais t’y emmener. C’est le mien aussi.
Sur ce, il se dirige vers un escalier que je n’avais pas vu, dans l’angle du couloir, et je dépêche de prendre ma valise et mon sac. Il n’est déjà plus là.
Vite, je le rattrape, déjà essoufflé. J’essaie de me caler sur ses pas, mais ses jambes sont plus longues que les miennes, il a l’air un peu plus vieux, un peu plus musclé. Ce doit être un de ces sportifs agaçant qui pense qu’un ballon de rugby est la 7éme merveille du monde. Je ne dit rien pendant quelques secondes et fixe mes chaussures en continuant de le suivre. On passe devant une salle de cours et j’aperçois un professeur qui réprimande un élève par une petite fenêtre. On monte un escalier, je porte ma valise à bout de bras.
- Tu veux que je la prenne ? Demande t-il en me voyant galérer avec mon bagage.
J’hésite quelques secondes puis lui tends ma valise avec un sourire un peu désolé.
- C’est lourd, attention…
- Je suis plus costaud que j’en ai l’air, le nouveau.
Le nouveau ? C’est mon nom maintenant ?, je ne peux m’empêcher de songer, un peu agacé.
On continue de monter les marches de l’escalier en colimaçon qui débouche sur un corridor large. Des tapisseries ornent certains pants du mur, je m’arrête un moment pour en observer une mais l’autre garçon est déjà 5 mètres devant. Je le rattrape rapidement, à bout de souffle.
- On est ou ici ? Dis je en rangeant une de mes mèches blondes derrière mon oreille dans un geste machinal.
- L’aile ouest, répond il avec un sourire. C’est très grand ici. Ce pensionnat est le plus grand de France, d’après ce que m’a dit Monsieur Cassier.
- Monsieur Cassier ?
- Le professeur de Mathématiques. Un peu sévère mais sympathique, tu verras.
Il s’arrête devant une porte blanche à la poignée polie et argentée. Il me fait signe d’entrer et je m’ éxécute. Il passe après moi , ma valise toujours entre ses bras.
- La salle de bain. Commune, bien entendu. Les garçons du dortoir B se douchent ici le soir et font leur toilette là le matin.
Je grimace. Je n’ai pas l’habitude de partager mon intimité avec des personnes que je n’ai jamais vu auparavant. Je n’ai pas l’habitude de partager mon intimité, tout cours.
La pièce est carrelée, partout. Les murs sont carrelés, le sol posséde ce même carrelage blanc et froid, ainsi que la matière des lavabos qui s’alignent par dizaine sur le mur de droite. Sur celui de gauche se trouve des casiers, sûrement là ou les autres pansionnaires rangent leurs affaires de toilettes. Il y a des bancs et des douches au fond. Ici, c’est spacieux, et ça sent la lavande. Je me retourne vers mon guide qui s’est adossé dans l’encadrement de la porte, les bras croisés. Il a posé ma valise dans un coin.
- Il n’y a pas de filles ici ?
- Non.
- Comment vous faites… Pour en rencontrer ?
Je ne dis pas du tout ça dans le sens comment vous faites si vous voulez sortir avec un fille, je n’aurais jamais demandé ça, jamais, mais plutôt dans le sens Se faire des amis du sexe opposé, quoi, c’est bien, ça fait un cercle d’ami plus divers, et j’espère vraiment qu’il l’aura compris ainsi.
Il a un petit rire et décroise les bras.
- Le samedi, les plus grands ont le droit à une sortie dans le Harly’s Park. C’est un vaste espace publique qui se trouve non loin du pensionnat, les filles de l’orphelinat pour jeunes filles y vont également ce jour là. Ça nous permet de faire de nouvelles connaissances. Mais si tu veux pouvoir y aller, il faut être exemplaire en cours. Et apprendre à te discipliner. Sinon, tu seras privé de sortie et ça, c’est ce que tout le monde redoute ici.
Je ne réponds pas. Je ne crois même pas avoir envie d’aller dans un parc minable pour friquoter avec des filles. Je préfère m’enfermer dans ma chambre et essayer de ne pas exister.
- Tu peux ranger tes affaires de toilette ici, le nouveau, m’indique t-il en me montrant un casier vide.
Je sors de ma valise ma brosse à dents et mon gel douche ainsi qu’un savon que m’a emballé ma mère et le fourre dans le casier sans entrain, essayant de me détacher mentalement du fait que je m’installe ici pour de bon. J’aimerais tellement que l’on soit riche, pour que ma mère n’ait pas à travailler et qu’elle puisse me garder à la maison.
- Voilà, dis je en me tournant vers le garçon.
- Ce n’est pas grand-chose.
- Non, c’est vrai. Mais je ne crois pas avoir besoin de grand-chose.
Il hoche la tête et me fait signe de sortir. Je vais à sa suite, et il traverse le couloir en direction d’une autre porte à deux battants. Je fais rouler ma valise à l’intérieur de la pièce, un vaste dortoir rempli de lits aux mêmes couettes et aux mêmes oreillers. Comment croire au fait que 30 garçons différents partagent leur nuits ici ? C’est comme si tout était pareil. Les barreaux noirs et métalliques du lit, les petites tables qui vont avec et ou est entreposés une lampe de chevet et un verre d’eau, ainsi que les chaussons blancs à fourrure au bas de chaque couchette.
- Tiens, ce doit être ton lit, me dit il en faisant un signe de tête en direction du fond de la pièce.
Le mien est loin des autres. Tant mieux, je serais plus tranquille.
- Tu as un tiroir dans la table de nuit pour mettre tes affaires personelles. Tes habits ne serviront à rien ici, tu es obligé de mettre l’uniforme chaque jour. Il y a un pyjama sous ton lit, normalement. Tu es obligé de mettre celui-ci.
Je laisse ma valise sur mon lit, décidant d’attendre d’être seul pour ranger mes affaires. Je vais m’assoir à côté de mon guide qui s’est affalé sur un lit. Le sien, de toute évidence. J’essaie d’ignorer le fait que sur la table de nuit se trouve une photo de lui et ses parents, qui ont l’air tellement fiers.
- Comment t’apelles tu au fait ? , Je demande en me tenant droit alors qu’il se laisse retomber sur son oreiller.
Le contraste entre ses manières nonchalantes et ma posture de statue pourrait être comiques dans d’autres termes.
- Haha ! Penses tu que je vais te dire le mien si je ne connais même pas le tien ?
- Mais… C’est toi qui m’a demandé de ne pas le dire, dis – je, sceptique.
- C’est vrai. Alors comme ça, toi qui semble tout détester ici, tu veux savoir mon nom ?
J’hausse les épaules. Lui ais je paru tant froid que ça ? Je m’affaisse sur son matelas en me tenant avec mon coude pour essayer d’être un peu plus comme lui. Peut être que cette tentative veine pour paraître moins désobligeant fonctionnera.
Il fixe le plafond et semble avoir tout oublier de notre conversation, cependant il finit par relever la tête au bout d’un instant d’éternité ou ma respiration est venu combler le silence.
- Je m’appelle Julian Llorim.
- Enchanté Julian, moi c’e…, dis- je par simple courtoisie.
Soudain il plaque sa main contre ma bouche et je le fixe, étonné. Ses yeux gris me scrutent avec inquiétude.
- Hé, je t’avais dit de ne pas me dire ton nom. Tu resteras le nouveau.
Il retire sa main et se tient un peu plus droit sur le lit. Je me tait quelques secondes, puis rouvre la bouche.
- D’accord.
Soudain, la porte du dortoir s’ouvre et une dizaine de garçons déboule dans la chambre en riant et en parlant en même temps. Je me lève immédiatement et tire sur les cordons de mon sweat tandis que Julian les rejoint. Je m’ éloigne de son lit et le regarde leur parler. Ses amis, sûrement. Je vais m’asseoir sur mon lit aux draps propres et bien faits, mon lit parfait mais si peu acceuillant. Si peu chaleureux. Je fixe les garçons avec qui je vais partager le dortoir, la salle de bain et les salles de cours. Ils ont l’air si heureux, si… adolescents. Ils sont tous vêtus du même uniforme, bien sur, et se tiennent par les épaules dans un geste très virile. Je tourne mon visage du côté opposé pour ne plus avoir à les regarder, et fais semblant d’être occupé.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 2

Quelques minutes après que les pensionnaires de l’aile ouest aient déboulés dans le dortoir, ils commencent à quitter la pièce. Etonné, je cherche du regard Julian que je trouve en pleine discussion avec un garçon qui le dépasse en taille et en masse musculaire. Il est roux et je n’ai jamais vu quelqu’un qui ait l’air plus bête.

Les deux garçons sont eux aussi en train de partir. Encore quelques instants et je me retrouverais seul ici. Je prends mon courage à deux mains et me lève du lit pour me fondre dans la masse et les suivre, ou qu’ils aillent. A présent je fais partit du pensionnat, que je le veuille ou non. Ils se dirigent tous vers la salle de bain commune.

Je jette un coup d’œil à ma montre. 18H30. Je me souviens des paroles de Mme Popkins qui évoquait la douche obligatoire à cette heure fixe. Horrifié, je me met à jurer contre elle et ma mère en entrant dans la pièce ou les autres garçons commencent déjà à se déshabiller comme si cela est naturel. Ils parlent dans de grands éclats de voix en plaisantant, et j’essaie de me fondre dans la masse, même si il est clair que je suis le plus crispé ici. Je me dirige lentement vers mon casier comme un mort que l’on enverrai à la guillotine et en sors mon gel douche et mon savon que je sers contre moi comme une bouée qui viendrait me sauver des eaux pleines de requins. Je m’assois sur un banc et commence à retirer lentement mon sweat.

Personne ne me regarde, bien entendu, mais je ne me suis jamais déshabillé en publique et cela me paraît la pire chose qui puisse m’arriver.
Il faut que j’accélère. Les autres sont déjà sous les douches. Bientôt ils remarqueront tous que je suis le seul à ne pas m’être dévêtu. Je retire mon t-shirt et le roule en boule avec mon sweat sur le banc, puis enlève mon pantalon et mes sous-vêtements. Une fois nu, entièrement nu, je me dirige vers un jet d’eau inutilisé et appuie sur le bouton en ignorant les autres garçons qui sont tous en grandes conversations. Je me lave rapidement, et regarde le sol pendant toute la durée de la douche.
Puis je prends une des serviettes imacculées de blanc qui se trouvent dans un placard et me sèche, puis mets le vêtement qui nous sert d’uniforme pour la soirée et la nuit. Ce n’est pas le même que celui de la journée, mais il ne ressemble pas pour autant à un pyjama, il est plus classe.
Le vêtement se compose d’une chemise bleu pâle, d’un pantalon de la même couleur et d’un pull bleu nuit à col blanc. La matière est très fine et très douce. J’enfile le tout en restant silencieux dans un coin de la pièce, puis sors avant tous les autres.

J’aurais du mal à trouver le réfectoire seul, et décide d’attendre les autres dans le couloir pour les suivre.
Pendant ce cours instant ou je les entends parler bruyamment à travers la fine porte en bois, je tripote l’ourlet de mon pull en regardant le plafond. Comment ais – je bien pu me retrouver ici ?
Dans ma tête défile les souvenirs que j’ai de chez moi, de ma chambre et des livres que je lisais toute la journée jusqu’au retour de ma mère. Je n’allais même plus en cours, le lycée ne voulait plus de moi. De toute manière, je suis assez malin pour me débrouiller seul. Je n’ai jamais eu besoin de qui que ce soit. Et puis certaines choses s’obtiennent plus facilement qu’on ne le pense réellement.
Soudain j’entends la porte se claquer et du coin de l’œil je vois Julian et ses amis se diriger dans l’escalier par lequel je suis arrivé ici. Je me glisse à leur suite et les suits à travers plusieurs couloirs, jusqu’à ce que l’un d’eux débouche sur une grande pièce au plafond très haut. Six longues tables en bois qui me paraissent interminables s’alignent dans la pièce. Dessus sont posés des couverts, des assiettes en porcelaine et des verres à pieds ou se reflètent la lumière qui filtre par une fenêtre étroite en haut d’un mur, bien au dessus de nous. La lumière d’un début de soirée
.
Des plats énormes d’haricots verts, de soupe et de pain sont mis sur les tables par le personnel du pensionnat. Les autres garçons vont tous s’asseoir à une place, toujours dans une ambiance d’effervescence et d’exclamations. Je reste planté au milieu de la pièce quelques secondes avant de rejoindre une table. Je m’assois tout au bout, prés d’une tapisserie qui représente l’insigne du pensionnat. La bougie bleue et le slogan. Il n’y a pas de réussite sans peine.

Cette phrase me fait frissonner. Soudain, le calme revient sur la salle et j’entends la voix du directeur, Henri Twelsy, qui est assis à une table avec d’autres professeurs, prononcer le début d’une prière.

Les garçons joignent tous leurs mains et ferment les yeux pour le suivre dans la prière et même si quelques uns ont le sourire aux lèvres ou ouvrent les yeux, il n’y a que moi qui regarde, hébété, la pièce qui semble s’être rassemblé en une seule et même personne. Puis le directeur déclare « Amen », et tout le monde reprend sa conversation et les professeurs ainsi que les élèves commencent à manger. Ils se servent et je reste au bout de la table, les coudes posés sur la table à les observer discuter. La seule idée de manger me répugne, j’ai passée une journée horrible, je ne peux rien avaler et je peux seulement me résigner à
commencer ma nouvelle vie ici, parmis ces gens que je ne connais pas.

Ils ont tous l’air heureux d’être ici, personne n’est à l’écart comme je le suis. Et personne semble m’avoir remarqué. Non pas que ça me blesse ; et c’est mieux ainsi, mais je me serais attendu à ce que les gens soient intrigués par l’idée d’un nouveau pensionnaire.

De toute façon je ne compte pas me faire des amis. Je n’en ai jamais eu, aussi loin que je me rappelle.

Le repas semble durer des heures. Je n’avale rien, et le directeur ne me quitte pas des yeux lors du dessert. Les miens se rivent immédiatement sur mon assiette quand je croise le regard de Julian, ce qui dure seulement une seconde, mais qui suffit à faire soulever une sensation désagréable dans la poitrine. Quand tout le monde a fini de manger, le directeur se lève en premier et quitte la pièce. C’est le signe que les élèves peuvent quitter le réfectoire. Je me souviens que Mme Popkins, l’adjointe qui me semble tout à fait détestable, a mentionné le quartier libre de 19h30 à 21h. J’ai donc 1h30 à tuer.

Je sors à la suite des autres alors que les garçons se dispersent. Certains vont dans leur dortoir, d’autres se rassemblent dans le gymnase pour s’entrainer, ou vont se balader dans la cour du pensionnat. Je décide d’aller prendre l’air, mais remonte d’abord au dortoir B pour prendre un pull. Il fait tout de même froid, dehors. Heureusement je me souviens du chemin que j’ai emprunté avec Julian et je le retrouve sans mal. Je croise quelques élèves qui ne font pas attention à moi, puis fais le chemin sens inverse et me retrouve dans le hall. Celui dont le carrelage noir et blanc me rappelle un échéquier. Mes pas retentissent en écho contre les murs tandis que je me dirige vers les coursives qui entourent la cour.

Le vent frais de cette soirée me balaie le visage, mes mèches blondes me tombent sur les yeux et j’inspire une goulée d’air.
Mes pas s’enfoncent dans l’herbe verte, dans la cour est amassée assis contre le tronc d’un arbre un groupe ou j’identifie quelques têtes déjà vues, il y a la fontaine ou je reconnais un garçon roux. Le flot de la fontaine coule et son bruit m’apaise quelque peu, mais je reste énervé et j’aurais du manger quelque chose car à présent la faim se fait sentir. Mais j’étais trop anxieux pour avaler quoi que ce soit.
Je vais m’asseoir derrière un buisson, un peu à l’écart des autres. Je jette un regard à ma montre ; 19h36. Que vais-je bien pouvoir faire. Je commence par compter le nombre de couleur présent sur mon uniforme, ce ridicule costume avec cette chemise et ce pantalon abjecte. Je regrette sincérement mon sweat à capuche et mes baskets rouges élimées.

Finalement, je finis par m’allonger dans l’herbe, caché à la vue des autres par le bosquet, et pose ma tête sur mes bras croisés. Je ferme les paupières et tente de m’ évader par mes pensées loin d’ici, mais c’est presque impossible, je ne peux pas m’empêcher de réfléchir à des millions de choses comme ma faim, mon ennui, l’impression d’être habillé comme un élève d’élite, et je pense aussi un peu à ma mère. Est-ce que je lui manque ?
Une dizaine de minute s’écoule durant laquelle mon esprit s’éparpille au milieu de beaucoup de questions différentes et de pensées inutiles. J’oublie quasiment ou je suis. Soudain, se rappelle à moi le fait que je suis allongé dans l’herbe quand une main se pose sur mon épaule. Je sursaute et ouvre les yeux d’un coup.

- Tu m’as fait peur, dis – je d’une voix amère en me relevant de manière à être en position assise.
Julian esquisse un sourire et s’assois à côté de moi. Heureusement, il est sans ses amis.
- Pas grand-chose suffit pour t’effrayer, le nouveau.
- Je ne m’attendais pas à …toi, dis – je en retirant un brin d’herbe de mes cheveux.
Il hausse les épaules et jette un regard par-dessus son épaule puis revient à moi.

- Qu’est ce que tu faisais ?
- J’essayais de me réveiller de ce cauchemard, sans doute.
Un pli se creuse entre ses sourcils.
- C’est si difficile pour toi d’être ici ?
Il ne sait pas de quoi il parle, et il ne le saura jamais. Lui a l’air de bien s’accomoder au fait de vivre ici. Tant mieux.
- Je perds un temps précieux. Au lieu d’être ici à discuter avec toi, je pourrais être en train de faire des choses intéressantes. Et puis je n’aime pas être entouré d’autres gens. Partager une chambre, une salle de bain et tout mon lieu de vie avec vous, c’est faire de ma vie une répression totalitaire.

- Dans ton monde, ouais, se moque Julian en rassemblant ses genoux contre sa poitrine. Moi ça fait 4 ans que je vis ici. On s’habitue.
Mais je n’ai aucune envie de m’y habituer. Pourquoi trainer avec des garçons qui ne pensent qu’au football et aux filles quand je pourrais être à l’ombre de ma chambre, sur mon lit, en train de lire Baudelaire ou Victor Hugo.
Je ne suis pas à ma place ici. Lorsque j’ étais petit, ma grand-mère venait souvent rendre visite à moi et à ma mère. Elle l’aidait à ranger la maison ou s’occuper de moi, lui prétait des sous pour qu’elle puisse payer le loyer et allait faire des courses pour la laisser se reposer. Ma mère était totalement effondrée ; elle s’est toujours débrouillée pour qu’on ait un toit mais à cette époque elle tenait à peine émotionellement. Mon père est partit de la maison quand j’avais 2 ans, je me souviens à peine de lui.
J’ai le souvenir d’une voix grave et chaleureuse qui souffle des mots doux à mon oreille en me faisant sauter sur ses genoux pour m’amuser. Rien d’autre. Ma mère a fait disparaitre toutes ses photos à son départ. Et elle ne me parle jamais de lui.
J’étais un enfant calme, heureusement. Ma grand-mère s’occupait de moi pendant que ma mère travaillait et elle n’avait pas à beaucoup se dépenser. Toutes deux m’ont toujours dits que j’était un bébé silencieux et intelligent, ainsi qu’un petit garçon surdoué dans pleins de choses et pas très bavard.

Peut être que c’est la mort de ma grand-mère qui a décidé ma mère à m’envoyer ici. Que sais- je. Ou alors seulement l’envie de se débarasser de moi.
- Tu vas venir avec nous à Harly’s Park ce week end ? demande Julian, le regard rivé vers le soleil qui est en train de disparaitre du ciel.
- Non.
- Pourquoi non ?
- Parce que j’en ai pas envie, dis- je en me laissant retomber sur l’herbe.
Comme il est assis et moi allongé, il ne peut pas savoir que je l’observe. Il jette de temps en temps des regards vers son groupe d’amis pour être sur qu’il ne leur manque pas. Ceux – ci sont quelques mètres plus loins à discuter bruyamment.
- Tu devrais venir. On va aller voir des filles.
- Ça ne m’intéresse pas …
Il me regarde furtivement et baisse la tête.
- Toi, le nouveau, tu aimes bien être seul.
- Disons que je suis plus dérangé par le fait d’être entouré…
Il à l’air un peu agacé du fait que je refuse d’aller draguer de pauvres adolescentes dans un parc ce week end. Il secoue la tête légérement comme si je lui faisais défaut et ses boucles brunes balayent son front.
- Tu pleurais, la première fois que je t’ai vu.
- Oui et alors ? Dis – je, sur la défensive en me rapellant le désespoir qui s’était insinué en moi ce matin même.
- Et alors tu n’es pas si insensible que tu n’y parais.
Il dit ça en se levant. Son uniforme est recouvert de brins d’herbes et il les enlève distraitement.
- Salut, dis – je en voyant qu’il s’apprête à partir.
- A demain.
Puis il rejoint ses amis et je me retrouve à nouveau seul.

Le lendemain, je me réveille avant tous les autres. Le soleil n’est pas encore levé et le dortoir est plongé dans l’obscurité. La respiration lente et rythmée des autres garçons fait écho entre les murs, et je me lève en essayant de ne pas faire de bruit. Je récupére dans le tiroir de ma table de chevet mon uniforme et sors de la pièce discrétement.
Le couloir est silencieux lui aussi. La lumière est tamisée et par la fenêtre j’aperçois encore la lune. Il doit être 6h du matin, et toute la nuit j’ai gardée mes yeux rivés vers le plafond, mes pensées divaguant entre plusieurs souvenirs de mon enfance. Ce n’est que vers 4h du matin que mes paupières se sont fermées.
Je me glisse dans la salle de bain. Je ferais de bien de me laver avant que d’autres décident de venir prendre leur douche. Je me déshabille et un frisson me parcours l’échine car l’aube et son atmosphère est rafraichie. Je me dépêche de me glisser sous le jet d’eau chaude.
L’eau s’écoule par la bonde en faisant ce bruit apaisant et mon esprit se vide progressivement des sombres pensées de cette nuit. Je reste sous le jet plusieurs minutes, laisse les gouttes se frayer un chemin sur mes joues et sur mon corps, mes cheveux dégouliner d’eau et l’odeur du savon embaumer la pièce.

Puis je prends une serviette et marche pied nu sur le carrelage blanc, laissant quelques traces d’humidité sur le sol. Je me sèche et m’habille, frotte sur le miroir pour enlever la buée et rencontre le reflet de mon regard. Mes yeux bleus, profonds mais clairs me jettent un regard présomptueux et un souffle chaud s’échappe de mes lèvres entrouvertes. Je passe la serviette dans mes mèches blondes devenues presque brunes à cause de l’eau et me regarde dans le miroir une nouvelle fois. L’uniforme me va plutôt bien en fait, la cravate n’est pas si horrible que ça.
Les chaussures en cuire sont un peu désagréable à porter, c’est vrai, mais tout cela est bien mieux que ce que l’on doit porter le soir pour aller manger.
Je sors de la salle de bain et j’entends dans le dortoir que quelques garçons se sont levés et parlent à voix basse. Je me dirige alors vers le réfectoire ou il se trouve déjà une douzaine de garçons qui viennent d’autres dortoirs. Certains ont l’air épuisés, ils n’ont pas du beaucoup dormir, comme moi. J’effleure du doigt mes cernes et prend place à une table. Des boites de céréales recouvrent les tables, ainsi que du beurre, de la confiture et plusieurs sortes de pain. Il y a aussi du thé et du café, et je me sers une tasse de thé noir. Comme je n’ai rien mangé depuis assez longtemps, je me fais une tartine au beurre que je mange du bout des dents, pas très enthousiaste en pensant à la journée de cours qui s’annonce.

Après avoir récupéré mon emploi du temps dans le bureau de Mme Popkins, et les manuels dont j’aurais besoin, je remonte me brosser les dents dans la salle de bain. Comme les autres sont au réfectoire, je suis à nouveau seul.
Je balaie du regard mon emploi du temps. Je commence presque tous les jours à 8h, et les cours finissent tous à 18H. Heureusement j’ai quelques heures de trous. Aujourd’hui, je commence avec Langue et Littérature, en salle 23, au premier étage côté Est.
Je prends du temps pour trouver la pièce. Quand j’y parviens enfin, mes camarades de classes sont en train d’entrer dans un brouhaha uniforme. Je devine que le professeur ne doit pas être très sévère. J’entre à mon tour, et quelques personnes me jettent des regards curieux en me voyant arriver.
Les bureaux forment quatre rangées et vont par deux. J’aperçois Julian, à côté de son ami roux, entouré devant et derrière par les autres garçons de sa bande. Je reste dans un coin de la pièce, ne sachant pas vraiment ou aller, et je découvre avec stupéfaction que j’ai les mains moites. Je les frotte contre mon pantalon. Le professeur entre, referme la porte derrière lui et salue la classe. Les garçons lui répondent en chœur. Soudain, il me voit et un large sourire se forme sur son visage. Sa main m’agrippe l’épaule mais je ne bouge pas.
- Mes chers élèves, nous accueillons aujourd’hui un nouvel élève au sein de notre établissement et de notre classe, entonne t-il joyeusement. Vous l’avez peut être déjà croisé et j’attends de vous un comportement exemplaire avec lui. Montrons – lui qui nous sommes et quelles sont nos valeurs.
Je dois faire un immense effort pour ne pas tourner la tête vers les élèves qui ont tous le regard rivé sur moi. Ses doigts raffermissent leur emprise sur mon épaule et je me dégage lentement, un peu agacé.
- Présente-toi, mon garçon.
- Pardon ?
- Présente toi, répète t-il avant d’avoir un petit rire désagréable.
J’inspire pour me donner du courage. Tout le monde me fixe, je fixe tout le monde. Comme je prends un peu de temps à parler, j’entends quelques garçons qui ricanent et font semblant de s’endormir.
J’avale ma salive.
- Je m’appelle Alex. J’ai 16 ans et je viens d’une petite ville du coin.
- C’est tout ? Demande le professeur en remettant ses lunettes bien sur son nez.
Que pourrais – je dire d’autre ? Merci beaucoup chers élèves pour cet accueil chaleureux dans votre humble paradis ou je me plais à vivre ? Merde, quoi.
- Oui.
- Bien, alors… Tu peux aller t’asseoir. Va… Il regarde la classe en cherchant une place de libre. Tiens, va à côté de Neil Keating.
Il montre du doigt un garçon élancé à l’air un peu trop imbu de lui même, qui arbore des pommettes larges et des yeux marrons sous des sourcils épais. Je pousse un soupir silencieux et me rend là ou il m’indique, passant entre les rangées sous le regard de chacun.
- Salut, me dis ce certain Neil Keating en se balançant sur sa chaise.
- Salut.
Il m’observe quelques secondes tandis que je m’assois, puis reporte son attention sur le professeur qui a déjà commencé son cours.
- Bien, comme nous avons finis l’étude de David Copperfield Jeudi, nous allons commencer un nouvel ouvrage digne des plus grands auteurs de Langue. Ouvrez vos manuels page 256 et commencer à lire le texte en haut de la page. Vous m’en écrirez une synthése.
Je tourne les pages jusqu'à celle donnée, sors un stylo et une feuille et me met au travail.
- Mon frère s’appelle Alex aussi, me dis mon voisin de table en mordillant son stylo.
- D’accord, dis-je sans trop savoir sur quoi rebondir.
Je suis raide sur ma chaise, un peu mal à l’aise, et lui met presque ses pieds sur la table. Le contraste est saisissant entre son attitude et la mienne, et je ne peux pas m’empêcher de le souligner dans mes pensées. Je remarque toujours ce genre de détail.
- Tu connais Voltaire ? Me demande t-il en faisant un signe de la tête nonchalant en direction du manuel.
- Oui. A vrai dire j’aime bien lire, dis – je en me grattant la nuque.
- Moi aussi. Enfin, ça dépend quoi. Mais en général je lis plutôt de tout. Enfin… Sauf les histoires à l’eau de rose, style Roméo et Juliette. Faut pas me faire avaler ces conneries.
J’hoche la tête, même si je ne suis pas d’accord, et commence à écrire la synthèse. Lui ne bouge pas le petit doigt et continue de se balancer en me regardant, un regard qui me donne l’impression de transpercer ma nuque.
- Tu viens d’où ?
- Une petite ville dans le coin…
Je croyais que me présenter à la classe servirait au moins à éviter les questions.
- Ah, oui. C’est vrai, tu l’as dit. Je viens de Suisse.
- Et tu es ici depuis combien de temps ? Dis – je en continuant d’écrire, même si je n’ai pas très envie de discuter.
- Depuis que j’ai 13 ans. Qu’est ce que ça fait long…
Lui-même a l’air de ne pas y croire. Il arrête enfin de se balancer sur sa chaise et se décide à lire le texte avec une moue ennuyée. Enfin, le silence revient à mes oreilles. Ce silence me va bien, même si j’aurais voulu avoir le courage de demander pourquoi il est dans le pensionnat.
Est-ce que toutes les personnes ici ont-elles perdues leurs parents ? Qu’est il arrivé pour que tant d’adolescents se retrouvent là ?
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 3 :

Neil Keating se trouve être un garçon complètement désastreur en terme de rédaction. Quand vient la fin du cours, je rends ma synthèse au prof en même temps que lui et en jettant un rapide coup d’œil à sa fiche je vois qu’il a à peine écrit 4 lignes. Au cours suivant, je vais m’asseoir à côté de lui et il me sourit.
Peut être est il un peu bête mais je ne parle jamais et il est très bavard ; il peut tenir la conversation à lui seul, ce qui m’arrange fortement.

En cours d’Art Moderne, il commence à parler de ce qu’il a fait hier soir, et explique le souci qu’il a eu à retrouver sa pantoufle après l’avoir lancé par une fenêtre du 3éme étage. Je n’ai qu’à hocher la tête toutes les 30 secondes.
Il ne me demande jamais mon avis et ne me pose pas de questions. Il est le camarade de classe idéal. Je décide que dorénavant, j’irais m’asseoir à côté de lui. De plus ses quelques amis ne sont pas dans sa classe et ça semble l’arranger que je sois là.
- Ensuite, je suis allée voir Mme Popkins, qui m’a simplement suggéré d’aller chercher une corde pour rattraper la pantoufle tombée dans le buisson, me dit il en écrivant dans son cahier en même temps.

- Hmm.
- Tu dois te demander ce que j’ai fait, hein ? Eh bien figure toi que j’ai répondu à ce vautour que je préférais me pendre avec que l’utiliser pour attraper ma pantoufle. Elle a fait une drôle de tête, ça je te l’assure.
Je n’écoute qu’a moitié à et regarde sa main écrire toute seule. Les mots sont penchés et son écriture est brouillonne, mais pas étonnant puisqu’il me regarde en écrivant.
- Mr Keating, ceci est un cours d’Art Moderne, pas un salon de thé, le rappelle à l’ordre Mme Valentour.
Il rougit et se tait deux minutes avant de reprendre le cours de son récit, la voix plus basse. Sa voix accélère comme si il me comptait une histoire avec particulièrement d’action et de suspens.
Lorsque nous sortons du cours et que nous prenons la direction du réfectoire pour le repas du midi, l’air s’est alourdit, et un orage semble se préparer. Je pressens les gouttes de pluies dans l’atmosphère et l’ambiance un peu plus froide que d’habitude.
- Tu sais, Alex… Je peux t’appeller Alex ?
Je ne réponds pas mais il poursuit.

- Tu n’es pas très bavard. Depuis ce matin, je te raconte ma vie en long et en large, tu sais même que j’ai un chat du nom de Nougat et que je possède une grande sœur qui m’a un jour cassée le petit doigt, mais tu n’as pas ouvert la bouche.
Tiens ? J’ignorais qu’il avait un chat et une sœur. Il faut dire que je n’étais pas particulièrement attentif à ce qu’il me disait.
Alors que je ne lui ai même pas répondu, il pose sa main sur mon épaule et se tourne vers moi. Etonné, je m’immobilise.
- Tu sais, tu n’es pas obligé de parler. Je ne t’obligerais pas à m’expliquer ce qui a causé ton mutisme et ton renfermement. Je veux simplement te dire que…, continue t-il avec un air exagéré, comme si il y mettait sa vie ou que cette réplique sortait d’une pièce de théâtre, que moi je suis assez bavard pour nous deux.

- Je ne suis pas muet… Et je ne suis pas renfermé, dis – je en m’asseyant à ma table, serrant mon sac contre moi.
Il me fait un clin d’œil, comme si c’était un secret qu’il garderait pour lui. Exaspéré, je regarde d’un œil vide l’assiette devant moi, hésitant à me noyer dans le surplus de sauce qu’ils ont mis. Neil, lui, s’est déjà jeté sur la nourriture. Je me mets donc à manger moi aussi, sans joie. Du coin de l’œil, j’aperçois le groupe d’amis de Julian, qui paraissent si heureux et épanouis. Un goût acide que je reconnais comme celui de la jalousie me chatouille désagréablement la langue.
Deux jours plus tard, tout le monde semble déjà m’avoir oublié. Je ne suis plus le nouveau qui les intriguait tant. Et la routine morne du pensionnat, je semble la connaitre par cœur. Le matin, je me lève avant tout le monde, vais discrètement me doucher seul et évite de le faire avec les autres le soir. Puis commence ma journée de cours, si longue. Je mange au réfectoire avec Neil Keating, que je commence à apprécier un peu. Il ne m’a posé aucunes questions sur ma vie et cela me soulage vraiment. Lui semble être content d’avoir quelqu’un à qui parler de sa vie. Il me raconte que sa sœur s’est mariée l’été dernier avec un certain « Arthur Mennel » qu’il a hâte de rencontrer. Quand il en a marre de parler de sa famille et de lui, il parle du temps, des rumeurs qui trainent au pensionnat, des professeurs. Quand c’est enfin le soir, Neil va retrouver ses amis pendant la pause, et je suis à nouveau seul.
J’aime le silence. Je monte au dortoir, personne n’y est. Tout les autres sont dehors, à profiter du léger vent frais. Je sors un cahier reluisant à la couverture noir et épaisse. Dedans, je compose des partitions, écris les notes que j’entends dans mon casque audio. Ça passe le temps, et j’apprécie voir ma main former les signes avec le crayon, de voir les lignes s’arrondir ou en barrer d’autres pour devenir des notes. Parfois, je lis juste. Mais j’essaie de le faire le moins souvent pour avoir encore de la lecture. Mon livre est bientôt fini et je n’en ai aucuns autre.

Il m’arrive de sortir dans les jardins du pensionnat, parfois. Les autres sont regroupés, parlent bruyamment, et j’essaie de m’écarter d’eux. J’écoute le bruit du vent dans les feuilles et la musique des oiseaux. Je m’étends dans l’herbe, m’allonge juste en gardant les yeux rivés sur le ciel. Dés que j’entends quelqu’un approcher, je me relève brusquement et pars aussitôt. Grâce à ça, les pensionnaires m’ignorent complètement, ce qui n’est pas le cas des professeurs. Plusieurs veulent me parler, disent que je devrais participer plus en classe et être moins discret. Mais ceux – là ne se plaignent pas plus, car ils savent que je suis leur meilleur élève. Quand je croise le proviseur dans les couloirs du pensionnat, ce qui arrive rarement, il me jette des regards amicales. Un jour, Neil l’a vu.
- J’y crois pas que tu sois le chouchou du proviseur.
- Je ne le suis pas.
Il a levé les yeux au ciel.
- Evidemment, alors pourquoi te regarde t-il comme si tu avais sauvé sa famille d’un incendie ?
J’ai juste haussé les épaules, mais Neil n’en a pas démordu. Peut être avais je réellement sauvé sa famille.
- Tu es son chouchou. Peut être même que tu es plus que ça, oh oui je sais, j’ai compris ! S’est il exclamé.
Ses yeux ont affichés une lueur de malice et il a rigolé.
- Alex, petit coquin ! Toi et le proviseur ? Tu m’en caches des choses, toi. Je ne savais pas que vous étiez si proches.
- Quoi ?! Me suis- je insurgé, les joues rouges et la voix soudain très basse.
Je ne comprenais pas qu’il puisse faire de tels sous entendus.
- Hé, je plaisantais. Je sais bien que t’es pas pédé.
Mon teint est passé de rouge vif à pâle comme le linge, et je n’ai rien ajouté. On est juste entrés en cours et on s’est installé à nos places habituelles. Neil avait tout dit.

Ce matin, je me réveille avec un mal de tête insupportable. Je m’habille dans l’ombre du dortoir, rapidement avant que les autres s’éveillent eux aussi, puis vais voir l’infirmier du pensionnat. Il doit bien avoir 50 ans, et il parle si lentement que ça me donne sur le moment envie de lui arracher la tête. Une envie sûrement amplifiée par mes maux de tête.
- Hum, eh bien, hum, c’est peut être… He bien une insolation, hein…
- Mais nous sommes en Automne.
- Oui, oui je sais… Tu as simplement un peu de fièvre alors.
Il me donne un doliprane et je jure en mon fort intérieur contre la capacité de cet infirmier. J’avale le médicament avec un verre d’eau puis vais prendre mon petit déjeuner.
En entrant dans la pièce, je croise le regard de Julian qui est assis à une table, seul. C’est rare qu’il soit seul. D’habitude il est toujours entouré de ses amis que j’ai du mal à apprécier.
J’arrête de marcher quelques secondes, puis détourne le regard et vais m’asseoir en essayant de paraitre détacher. Pourquoi est ce qu’il me fixe comme ça ? N’est ce pas impoli ? Je croise les bras devant mon bol et risque un regard dans sa direction. Il me regarde toujours mais n’a pas l’air de s’apercevoir qu’il me dévisage. Peut être réfléchit il juste et que ses yeux sont dans le vide. Un peu mal à l’aise, alors qu’il ne devrait pas y avoir de mal, je mords dans mon bout de pain et fait absolument tout pour avoir le regard occupé, car je sais très bien que sinon il déviera vers Julian.

Cette situation me fait me sentir un peu mal.

A la fin du petit déjeuner, je me lève et lui jette enfin un coup d’œil. Il est toujours là mais ses amis l’ont rejoint.
Comme j’ai une heure devant moi avant que mon cours de Science Sociale commence, je décide de me rendre dans le salon communautaire du pensionnat. Comme il est souvent plein de monde, je n’y vais jamais, mais c’est le seul endroit ou il fait chaud le matin lorsque le vent souffle dans les jardins.

Quand j’arrive là bas, un groupe de garçons plus âgés que moi sont en train de réviser prés de la cheminée et quelques autres sont éparpillés autour d’une table ou prés de la haute fenêtre ou du billard. Je m’assois dans un fauteuil et trouve un livre sur la table basse. Je m’en empare en regardant autour de moi pour vérifier qu’il n’est à aucune personne présente, et le feuillette. La pensée fugace de le voler me prends ; j’ai fini le livre que j’avais apporté et sans lecture je ne vais pas tenir longtemps. Celui-ci est un recueil de poésie.

J’ai lus les deux premières pages quand mon livre est soudainement arraché de mes mains. Je me retourne vivement sur mon fauteuil, étonné, et tombe alors sur Julian. Un peu agacé de le croiser après tous mes efforts pour ne pas le regarder au petit déjeuner, je tends ma main pour qu’il me rende le livre. Mais il fait semblent de lire le résumé au dos et je dois attendre qu’il ait fini.
Quand il a enfin fini, je me dis que c’est bon, il va me le rendre, mais il le garde dans sa main.
- C’est ton livre ?
- Non.
Je dis la vérité. C’est plus fort que moi. Et si le livre était à lui ?
- Tu es un voleur dans ce cas là.
- Pas du tout. Je l’ai simplement emprunté et je le reposerais là ou je l’ai trouvé si tu acceptes de me le rendre…
Ce qui ne sera sûrement pas chose aisée.
- Je vais devoir arrêter de t’appeller le nouveau.
Pourquoi change t-il aussi rapidement de sujet ?! Mon dieu que c’en est rageant.
- Et pourquoi ça ? Non pas que ça me déplaise que tu stoppes cette manie.
- Tu t’es présenté en cours, il y a quelques jours. Tu t’apelles Alex. Je le sais à présent, c’est trop tard…
- Tu es déçu de ne plus pouvoir me donner ce surnom très original ? C’est sur que tu as dû te creuser la tête pour le trouver, dis je sur le ton de l’ironie amer.
Il fronce les sourcils.
- Tu es de mauvaise humeur aujourd’hui.
Je met mes mains dans mes poches, abandonnant, et pousse un soupir. Je ne vois pas ce que je pourrais lui dire. Il ne me comprendrait pas ; pourquoi lui le ferait ?
Il me tend le livre, et j’attends quelques secondes, lèvres pincées, avant de le saisir et de le poser sur la table. Je le remercie doucement et il hausse les épaules. Dire qu’il ma vu pleurer un jour…
- Tu sais qu’on a une bibliothèque ici ?
- Vraiment ? Je ne savais pas, dis je, surpris mais content.
Au moins je pourrais continuer à lire sans devoir « emprunter ».
- Oui. Si tu veux je peux te montrer.
- Ok, je veux bien.
Il sort du salon et je le suis à travers les couloirs. Il passe dans l’aile ouest du pensionnat. Cette fois , il ne va pas aussi vite que la précédente, il m’attend au tournant d’un escalier et cale ses pas sur les miens.
- Tu finis par t’y retrouver ici ?
- Assez bien. Je regrette seulement qu’on ne m’ait pas filé de plan.
- Je comprends. C’est dur pour les nouveaux de se retrouver.
Je me demande comment il était quand il est arrivé pour la première fois, lui. Si il avait déjà cet aplomb et ce trait un peu arrogant. Ou alors était il apeuré et solitaire ? J’ai du mal à l’imaginer ainsi.
- C’est quoi le plus dur pour toi ?
- Sérieusement ?
Je réfléchis. On continue de marcher, un bon mètre sépare nos deux corps, mais nous sommes sur la même horizontale.
- Les dortoirs et les douches communes. J’aime être seul et avoir de l’espace pour moi.
- Vraiment ? Moi ça ne me dérange pas.
Bien sur que ça ne le dérange pas…
- Et toi ?
Il ne semble pas réfléchir à sa réponse. Alors que nous arrivons devant la bibliothèque, il passe sa main dans ses cheveux et se tourne vers moi.
- Ne plus voir ma famille. Je pense.
J’acquiesce en silence et on ne dit plus rien. On entre dans la pièce, très haute et assez vaste ; avec des rangées de livres et des étagères remplis de vieux bouquins ou de BD, une lumière tamisée recouvre la pièce qui est complètement dépourvue de fenêtre. Quelques élèves sont en train de lire, assis sur les canapés ou debout contre un meuble. L’ambiance est calme, apaisante.
- Je dois aller rendre un livre au bibliothécaire. Tu m’attends ici ?
Je fais oui de la tête. Ou irais-je ?
Il part et je poirote quelques secondes à la même place avant de me tourner vers une étagère et je l’observe pour m’occuper, en comptant le nombre de livres qui s’y trouvent. Quand Julian revient, j’en ai compté 27.
- Qu’est ce que tu regardes ? Me demande t-il en s’approchant.
Ses yeux gris brillent à la lumière jaunâtre qui éclaire la fine allée et je détourne la tête rapidement.
- Rien.
Il jette un œil sur l’étagère que je regardais comme si il s’y cache l’objet de mon intérêt mais bien sur il ne peut pas deviner que je me suis juste amusé à compter les livres.
- Je peux te conseiller quelque chose ?
- Ça m’étonnerait que nous lisions les mêmes choses, je soupire en mettant mes mains dans mes poches.
J’écarte une mèche blonde qui traine sur mon front et m’approche de la fenêtre la plus proche. D’ici, on voit l’arrière du pensionnat, une plaine en pente ou se trouve une cabane à outils puis le grillage qui sépare le domaine scolaire du reste du monde. Encore plus loin, j’aperçois la forêt et quelques maisons.
- Pourquoi tu es là ?
Je ne répond pas. Il n’insiste pas et ouvre un livre. Je crois qu’il lit un passage aléatoire, l’air intéressé, mais en réalité ses yeux ne quittent pas la première ligne. En le regardant, je ne peux que noter ses cheveux bruns qui dépassent en dessous de ses oreilles. Il a les cheveux bien trop long ; ça ne lui va pas.
- Pourquoi n’es tu pas avec tes amis ?
- Tu n’es pas mon ami ? Répond il en levant ses yeux du livre.
- Je ne vois pas en quoi on le serait.
Il hausse les épaules.
- Je ne vois pas pourquoi tu es si distant. La première fois que je t’ai vu j’ai cru que tu étais un gars sympa.
- Et moi la première fois que je t’ai vu je ne pensais pas que tu serais ce genre de mec qui se pavane et qui aime attirer l’attention, je réponds sans réfléchir.
Je n’aime pas être blessant. Et ce n’était pas mon intention. J’ai simplement perdu l’habitude de parler à des gens de mon âge. Je ne suis pas retourné au lycée depuis des mois, et j’ai toujours été seul de toute façon.
Mais quand je croise son regard, j’aperçois une lueur dans ses yeux qui est blessée par ce que je viens de dire. Mais c’est une toute petite lueur.
- Tu dis ça parce que toi tu es tout le temps seul dans ton coin, renchérit-il en remettant le livre à la mauvaise place.
J’hausse les épaules, sans chercher à nier. Il a sûrement raison. Je retourne vers la fenêtre en lui tournant le dos.
- Bon, je devrais y aller. Salut, dit – il sombrement.
J’ai du mal à deviner ce qu’il pense, surtout sans le voir. J’aimerais aussi savoir pourquoi il a laissé entendre qu’on serait amis. J’ai hâte d’être à nouveau seul… Ce garçon occupe mes pensées d’une façon contrariante.
- Salut Julian, je murmure en fixant un point à travers la vitre.
J’ignore si il m’a entendu. Quand je me retourne cinq secondes plus tard, il n’est pas là mais un livre a été posé sur le rebord de la fenêtre sans que je m’en aperçoive. Etonné, je le prends et le glisse dans ma poche.

Quand je sors de la bibliothèque, je peux sentir le livre me bruler la peau à travers le tissu de l’uniforme.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 4 :

Les familles peuvent rendre visite une fois par mois, un Dimanche matin. Certaines viennent aussi le week end mais c’est informel. Ma mère n’est pas venu depuis qu’elle m’a laissé ici.
J’attends dans la pièce assez maladroitement, je ne sais quelle posture adopter au milieu de tous ces parents heureux de voir leurs enfants et de tous ces enfants heureux de voir leurs parents. La salle des visites est sûrement la plus large de toutes les salles, mais sûrement pas la plus haute, et je crois manquer d’air en voyant un pensionnaire enlacer sa mère.
Je desserre un peu ma cravate et vais attendre dans un coin de la pièce en attendant ma mère. Si elle vient bel et bien. En fait, elle ne m’a jamais confirmé le fait qu’elle viendrait aux visites.
Mais tout compte fait, est ce que je veux vraiment la voir ? Que lui dirais – je ? Elle est sans doute très occupé par son travail. Elle ne viendra pas.
Je commence à me frayer un chemin dans la foule pour sortir d’ici, et soudain je remarque une femme brune aux yeux bleus qui semble perdue. Elle porte une robe à fleurs et semble chercher des yeux quelqu’un. C’est ma mère.
Je vais vers elle, soulagé et un peu gêné. Je sens une étrange boule de chaleur dans ma gorge qui est vraiment désagréable. En allant vers elle, j’aperçois du coin de l’œil Neil qui parle avec ses parents.
- Maman ?
Elle se retourne et son visage s’illumine quand elle m’aperçoit. Elle lève les mains, comme pour me prendre dans ses bras, mais s’arrête dans son élan et ceux – ci retombent le long de son corps. Je n’esquisse pas non plus le moindre mouvement vers elle. Nous sommes juste en face, nous nous regardons comme pourraient le faire de parfaits inconnus.
- Salut maman. Qu’est ce que tu fais là ?
- Comment ça ? C’est le jour des visites. Je peux bien aller voir mon fils.
- Je croyais que tu étais à ton nouveau travail.
- J’ai pu me libérer pour une heure.
On sort de la pièce pour être un peu seuls loin du bruit. Les couloirs sont quasi vides. Tout le monde doit être avec sa famille respective. Je l’entraine jusqu’à l’extérieur et on s’assoit sur un banc. Il fait bon, les nuages ont laissés place à un ciel bleu et tout le monde a enlevé son blazer pour moins de chaleur.
- C’est bien ici ? Tu t’es fait des amis ?
- On s’habitue… dis – je sans répondre vraiment à la question.
Elle hoche la tête, l’air un peu triste et je m’en veux un peu.
- Notre ville me manque. La maison me manque.
Elle passe sa main dans mes cheveux et je ne bouge pas, la laisse faire.
- Je ne comprends pas pourquoi je ne peux pas être à la maison.
- Tu ne peux pas ne plus aller au lycée. Aucuns ne sont adaptés pour toi Alex. Et mon travail me prend beaucoup de temps… Tu sais que c’est mieux ainsi.
J’aimerais le croire autant qu’elle… Mais j’ai du mal à le penser réellement.
- Et… les professeurs sont gentils ? Continue t-elle comme je ne dis rien.
- Ça va. Normaux.
- Bon, tant mieux… Et tu manges bien ?
- Mais oui, maman… Je vais bien. C’est bon.
Elle murmure quelque chose que je n’entends pas et me fais un bisou sur la joue. Je ne bronche pas et quand le directeur arrive pour la saluer, elle reste assise prés de moi. Ils discutent tous deux un moment puis il nous laisse seuls.
- Cet uniforme te va bien.
- Je ne crois pas non.
Elle n’insiste pas, et me parle de son patron, de son travail, de la maison et de la météo. J’écoute sa voix douce, sa voix de mère et je me demande si toutes les mères ont cette même façon de parler. Elle me raconte les courses qu’elle va faire et chaque détails de ses journées, comme si ça pouvait combler le temps qu’on passe éloignés.
Quand elle finit, elle me regarde et je comprends. Je commence alors à moi aussi lui parler, avec moins d’enthousiasme, mais c’est déjà ça. Je lui raconte ce qu’on mange, les horaires strict et les cours. Je lui parle de Neil et des professeurs, ainsi que du dortoir. Elle m’écoute attentivement et me pose beaucoup de questions.
- Il faut que je rentre, déclare t-elle au bout d’un quart d’heure en regardant sa montre. Excuse moi mais je n’ai pas beaucoup de temps…
- D’accord, dis – je simplement alors qu’elle se lève.
Sa main effleure mon épaule, elle me sourit et j’ai l’impression qu’elle est malheureuse en cet instant présent. Je reste assis sur le banc tandis qu’elle s’éloigne vers la grille, son sac à main pendouillant dans sa main.
Je reste assis sur le banc un bon quart d’heure, à juste regarder le ciel en attendant que les visites finissent et que toutes les familles s’en aillent. Les parents passent devant moi sans me voir, descendent le sentier qui mène à la route, remontent dans leurs belles voitures.

Je remonte dans le dortoir et me change avant que que celui-ci soit plein, puis vais prendre le repas du midi. A table, Neil me parle de sa sœur et de son chat, ainsi que de ses parents et il prend plaisir à me détailler leur discussion qui me parait bien insipide. Tout le long de sa tirade, je garde les yeux rivés sur mon assiette, le visage fermé. Il me demande deux fois si je vais bien et je réponds oui aux deux, puis m’excuse et quitte la table. Il me regarde partir, abasourdi, mais ne me suis pas.
En traversant le couloir, je comprends que tout cela était un peu trop pour moi. Revoir ma mère, essayer de lui pardonner et qu’elle m’enlace, cela, tout cela, m’étouffe.
Je désserre ma cravate et inspire et priant pour que mon cœur ralentisse. Ce n’est pas le moment de vriller. Vraiment pas.
Je me dirige vers la bibliothèque, cette pièce est apaisante. Les lumières tamisées et jaunâtres me font penser à la lumière de l’aube, et l’odeur de livre ancien qui y règne améliore ma respiration.
Seulement, je dois paraitre un peu affolé ou perdu quand j’entre, car le bibliothécaire me jette un regard et s’approche de moi, l’air bienveillant.
- Ne me touchez pas, dis – je d’un ton sec quand sa main se pause sur mon épaule.
Il la retire aussitôt, l’air vexé et toujours soucieux.
- Ça va mon garçon ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette, dit il et sa voix n’est pas complètement stable.
- Je…
Ma respiration se perds quelques secondes, siffle étrangement et je crois que ça parle suffisament pour moi.
- Tiens, assis – toi, me dit il en m’indiquant une chaise tout prés.
Je fais un signe pour lui montrer qu’il n’a pas besoin de me soutenir jusqu’à la chaise, puis m’assois et déboutonne deux boutons de ma chemise. Mon visage est tout pâle et je ne comprends pas pourquoi mon corps s’affole autant. Qu’est ce qui a dégénéré ?
Heureusement, aucun élève n’est présent, tout le monde est en bas en train de dînner. Le bibliothécaire, Mr Olwes, se baisse vers moi, sourcils froncés.
- Eh ben, ça à pas l’air d’aller fort. Tu veux que j’alerte le proviseur ?
- Surtout pas, j’arrive à répondre en fermant les yeux pour reprendre mes esprits.
J’entends le sang pulser dans mes veines et parcourir mon corps, je peux aussi sentir la présence de Mr Olwes tout prés. Je n’aime pas la proximité d’autres corps. Je n’aime pas les bruits sourds et trop puissants, je n’aime pas les lumières vives. Tout ça me donne la nausée, et en même temps tout ça me rend différent.
- Laissez moi, je peux me débrouiller, dis – je en rouvrant les yeux.
- Tu es sur ? Tu devrais quand même aller voir l’infirmier.
- Peut – être. J’irais si je ne me sens pas mieux.
Il n’a pas l’air satisfait mais ne se risque pas à insister.
- Bon… Rejoins les autres alors. Ne reste pas seul.

Je me lève, vacille un peu mais j’ai assez d’équilibre pour ne pas aller m’écraser contre l’étagère de romans à ma gauche. Le bibliothécaire me suit du regard tandis que je quitte la pièce.
En allant à la salle de bain commune, pas une seule fois je ne songe à aller voir cet infirmier qui m’insupporte tant.
Au dessus d’un lavabo, je m’asperge le visage d’eau froide et cela suffit à me faire me sentir mieux. Je m’observe dans le miroir, croise mon propre regard bleu puis baisse la tête vers mes chaussures. J’ai cours de Littérature Anglaise dans 10 minutes, il faut que je me dépêche si je ne veux pas arriver en retard.
Lentement, je sèche mon visage, respire quelques goulées d’air et sors.
Une fois en cours, je vais m’asseoir comme d’habitude dans le fond, à côté de Neil. Celui-ci me regarde bizarrement et je lui demande pourquoi, peut être d’un ton trop agressif.
- T’as pas l’air bien Alex.
- Tant que ça ? J’ai fait un petit malaise, rien de grave.
Inutile de lui mentir.
- Tu es sur que ce n’est pas grave ?
- Sur.
- Bon… Alors.
Il me sourit et me donne une tape amicale dans le dos. Je lui souris également, sans me forcer, me sentant déjà comme neuf.
Le professeur interroge Thierry, un garçon au premier rang, et pour une fois Neil ne me raconte pas sa vie de long en large. On reste tout les deux silencieux et seul le bruit du stylo sur la feuille nous parvient.

Le Lundi suivant, je me réveille à l’aube. Tout le monde dort encore, Neil également qui laisse échapper des ronflements phénoménaux. Le week end dernier, les pensionnaires pouvaient rentrer chez eux pour le passer avec leur famille, et rentrer le dimanche soir. Tout le monde avait hâte, et j’ai commencé à avoir hâte aussi, gagné par la fébrilité des uns. Mais ma mère m’a envoyé une lettre pour me dire qu’elle était très occupée au magasin et qu’elle ne pourrait pas m’accueillir. Bien sur, je n’ai pas été déçu. Je m’y attendais et finalement je n’avais pas vraiment envie d’y retourner et de revoir la maison et mon ancienne chambre. La pièce m’aurait paru habitée par des fantômes, pas des fantômes sous des draps blancs qui se promènent pour faire peur, mais plutôt les fantômes de mes souvenirs, ceux à discuter, assis sur mon lit avec ma grand-mère sans pouvoir m’endormir car j’avais trop peur. Elle me racontait alors des histoires, et ce n’était qu’après qu’elle ait fini d’en raconter plusieurs que je m’assoupissais.
Sa mort fut sûrement le jour le plus sombre de mon existence.

Quand j’eu quinze ans, cette chambre était l’endroit ou je passais toutes mes journées. Je n’étais pas adapté pour le lycée, jugé précoce, au dessus de la moyenne, et j’avais été donc déscolarisé.
J’ai toujours pensé qu’on renvoie un élève quand il est en dessous de la moyenne, pas au dessus. Mais certains adultes sont trop stupides.
Lorsqu’on m’a annoncé que j’étais renvoyé, j’ai d’abord été surpris, puis bizarrement aussitôt soulagé. Soulagé de ne plus devoir me promener dans la foule bruyante et étrangère de lycéens, soulagé de ne plus devoir conter dans ma tête les secondes puis les minutes qui me séparent de la fin d’un cours. Le lycée représente pour moi le malaise, l’ennui, la sensation de n’être pas à ma place.
Une fois renvoyé, je passais mes journées à lire ou composer de la musique. La seule chose de valeur, à la maison, était un piano. J’ai appris à y jouer tout seul, mais ma mère l’a vendu il y a quelques mois.
Perdu dans mes pensées, replongé dans mon enfance, je ne vois pas Julian arriver. Il porte son uniforme, déjà de si bonne heure alors que tout le monde dort encore dans le dortoir.
Mais je le porte aussi. Assis sur mon lit, je me redresse, étonné de le voir là.
Il pose son doigt sur ses lèvres pour me dire de ne pas faire de bruit et j’obtempère. Un léger sourire dévoile sa fossette.
- Viens, chuchote t-il.
Il sors de la pièce et j’enfile mes chaussures en vitesse avant de le rejoindre. Il m’attend, adossé contre un mur, les bras croisés, sourire confiant.
- Ou va-t-on ? Je demande en m’approchant.
- Au Harly’s Park, fait – il en décroisant ses bras.
Il affiche un air sur de lui et fier de l’effet de surprise que cette réponse peut déclencher.
- Es tu fou ?! Dis – je en m’arrêtant d’un coup.
Ses yeux gris ont l’air si confiants que ça m’agace. On est seuls dans le couloir, les seules personnes déjà réveillées se préparent pour partir chez elles.
- Je ne veux pas y aller.
- Alex, je t’en pris… Amuse toi un peu ! Tu es si seul, partout.
- C’est faux.
Julian doit être aveugle pour ne pas remarquer Neil qui me suit partout pour me raconter sa vie.
- Ho allez ! Keating est sympathique dans son genre, mais tu ferais mieux de rencontrer le grand monde.
- Le grand monde ! Tu en parles comme si toi et tes amis êtes les étoiles montantes du futur. Un peu de modestie, Julian.
Il écarquille les yeux mais n’a pas l’air le moins du monde vexé. Je lui souris pour compléter mes dires et aussi lui exprimer le fait que je ne suis pas sérieux, et il sourit aussi.
- Bon, ok. T’as raison. On peut aussi apeller Keating une étoile montante du futur, comme tu dis. A sa façon.
- Et moi ? Je fais partit du grand monde ?
Il fait semblant de réfléchir.
- Hmm… Je vais devoir y songer. T’évaluer.
- M’évaluer… J’espère que ce ne sera pas trop dur pour moi.
- Si ! Très dur !
Et sans ajouter un mot, il s’élance dans le couloir. Je le suis en courant, ma cravate me bat le visage tandis qu’on traverse la salle de chant vide à cette heure là et que je vais à sa suite dans l’escalier de colimaçon.
Mes cheveux blonds filent au vent, sur ma tête et sur ma nuque. Devant moi, il en est de même pour Julian. Nos deux corps si distincts mais si similaires en même temps, l’idée que je construis une sorte d’amitié avec lui, et qu’on est différents ; toutes ces pensées suffisent à me couper le souffle. On vient tout les deux de deux mondes opposés, on ne sait rien de l’autre et c’est aussi ce mystère qui me plait tant dans la situation.
Il sort des coursives et s’arrête de courir une fois dans la cour centrale, désertée.
- Bon…, articule t-il, essouflé.
Il se plit légérement et pose ses mains sur ses genoux pour reprendre son souffle. Je l’imite, ma respiration hâchée et mes joues me brulant. Je sens mes yeux me bruler, à cause du vent sans doute.
- Pourquoi tu t’arrêtes ?
- … J’ai été collé. Je n’ai pas le droit d’aller me promener à Harly’s Park, normalement. Et puis ce n’est pas l’heure pour aller là bas normalement…
- Eh bien nous voilà bien avancés ! Dis – je en levant les yeux au ciel, hésitant entre l’exaspération et l’amusement. Grace à toi.
Mon rire, léger et fin, me fait l’effet d’une bombe. Je ne me rappelle pas la dernière fois que c’est arrivé. Ça doit faire des plombes que je n’ai pas pu entendre mon rire. Il est furtif mais valable. Julian me regarde, l’air un peu embêté, mais pas découragé pour autant.
- Arrête de te moquer et regarde faire le pro !
Il va alors prés de la grille et commence à l’escalader. J’arrête de rire immédiatement et lance des regards autour pour vérifier que personne ne regarde.
- Tu es fou. Arrête ça !
Je m’approche et lui tire le pied doucement pour qu’il redescende. Mais il se dégage et continue d’escalader tout en ayant l’air si sur de lui.
- Ce n’est pas la première fois que je sors d’ici en douce, Alex.
- Ça ne m’étonne pas…
Cependant, je ne suis pas sur que ce soit une bonne idée. Un peu inquiet, je reste en dessous, juste au cas ou.
Je guette du regard le moindre mouvement aux alentours, mais heureusement personne ne vient. Je suis soulagé quand il atteint enfin le sol, de l’autre côté de la grille. Il époussette ses vêtements et me lance un regard provocateur, me mettant au défi de l’imiter.
J’ai envie de rentrer aussitôt à l’intérieur du dortoir et de ne plus jamais me laisser entrainer quelque part par Julian Llorim. Pourtant, quelque chose me retient ici. Je ne peux pas partir. Mais je balaie la grille du regard, persuadé que je vais rester embroché sur ce truc.
- Dis donc, t’en mets du temps. Tu me rejoins ou tu restes planté là ?
- J’arrive.
Je prends ma respiration. De l’autre côté, il me regarde d’un air un peu trop fier de lui que j’ai envie de lui faire ravaler.
- Je prends mon temps, c’est tout.
- Ok, dit-il en étouffant un petit rire.
Je lui lance un regard qui en dit long, et me décide à grimper. Je place mon pied gauche entre deux barreaux et le monte de quelques centimètres. Il ne glisse pas, correctement positionné, et je continue d’avancer en priant fort pour que personne ne soit en train de regarder par une fenêtre.
Que verrait – il alors ? Un blondinet escalader la grille de bon matin ? Ou un voyou en uniforme essayer de fuguer ?
- Tu t’en sors bien.
Ce n’est sûrement pas pour ça que je vais le remercier.
Je poursuis la montée, et une fois en haut, jauge les cinq bon mètres qui me séparent du sol, puis entreprends de descendre en me retournant et en faisant la même chose. Mais un bouton de mon blazer se casse alors que la ficelle qui l’accrochait au vêtement se fait transpercer par une pointe dans la grille.
Julian se baisse pour le ramasser et le laisse dans son poing fermé. Je reprends mon souffle et continue jusqu’à ce que je sois assez prés pour sauter.
J’atteris parfaitement et il hausse les épaules.
- Alors, tu vois que ce n’était pas si dur.
Je ne réponds pas et il me rend le bouton de mon blazer que je mets dans ma poche. Nous regardons la cour du pensionnat que nous avons quitté, puis sans un mot on se dirige vers l’opposé.

Nous longeons une route caillouteuse pendant une dizaine de minutes. Le soleil est déjà haut dans le ciel pour cette heure matinale, et il fait considérablement chaud. Nous allons marcher à l’ombre des pins pour nous protéger des rayons ardents. On avance côte à côté, silencieux. Seul le son de nos pas sur le gravier vient briser la petite bulle de paix qui nous enveloppe.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 5 :

Je me sens bien. J’ai grimpé une grille et nous nous sommes partit du pensionnat sans en avoir le droit, mais je vais bien. Je ne suis même pas inquiet du fait qu’ils pourraient s’apercevoir de notre petite excursion. Les cheveux bruns de Julian sont collés à sa nuque par la transpiration, il a retiré son blazer et respire doucement.
Je crois qu’il se doute que je l’observe, bien que je cherche à le cacher. Mais lui regarde loin devant lui.
- Nous y voilà, dit-il après un moment.
Je suis son regard. Un chemin de terre jouxte la route de gravier, qui semble mener à une étendue d’herbe infinie et de grands arbres. Des sols pleureurs et leurs magnifique feuilles fines et longues, mousseuses comme de éponge.
Une simple barrière en bois en signe l’entrée.
- C’est ici, Harly’s Park ?
- Oui. Tu es déçu ?
- Non.
Il pousse la barrière, déjà entrouverte, et nous entrons. C’est magnifique. L’herbe basse rayonne aux reflets du soleil et les oiseaux chantonnent dans le ciel.
- A cette heure ci, nous sommes seuls, murmure t-il en effleurant doucement les feuilles d’un buisson.
Je frissonne malgré la chaleur ambiante. J’ignore si c’est la perspective d’être seul avec lui qui me procure cette sensation glaciale ou simplement la peur d’être disputé par le proviseur si il prend connaissance de notre balade improvisée.
- C’est bien, ici…
Je ne trouve rien de mieux à dire. Julian esquisse un sourire, comme si il devinait ma gêne, et on marche dans le parc.
Celui-ci est beaucoup plus vaste qu’a première vue. Il se poursuit en contre – bas et est même doté d’un bois. La diversité ici est luxuriante et l’air est frais. J’aime cet endroit, mais je crois que je l’apprécierais plus si ce n’était pas le point de rendez vous de centaines d’élèves.
- Est-ce que tu t’habitues au pensionnat ?
- Je crois que je finis par m’y faire.
- Est-ce que… C’est ta mère que j’ai aperçu avec toi, le jour des visites ?
Je tressaille un peu, surpris qu’il m’ait vu.
- Oui. Et toi ? Tu n’étais pas avec la tienne ?
Il a une sorte de ricanement forcé qui ne lui ressemble pas. Il glisse ses mains dans ses poches et donne un coup de pied dans un caillou.
- Tu rigoles…
- Je suis très sérieux.
On continue de marcher, moi en tête.
- Mes parents ne viennent jamais me rendre visite.
Je ne dis rien d’autre, je sens bien que c’est un sujet fragile et je ne souhaite pas m’aventurer sur ce genre de terrain.
On arrive devant un étang. L’eau y est claire et bleu comme le ciel, mais pas transparente , et la berge baigne de soleil.
Une goutte de sueur coule le long de mon dos.
Je me retourne, mais ne voit pas Julian. Perplexe, je me tourne de nouveau vers l’étang, et j’ai à peine le temps de le discerner qu’il saute à l’eau. Son saut provoque des éclaboussures et des milliers de petites gouttelettes m’atteignent.
- Qu’est ce que tu fais ?! Je m’exclame, abasourdi.
Il émerge en riant. Je remarque son uniforme qui a été jeté en vitesse sur l’herbe. Quand son corps est hors de l’eau, sauf sa taille et ses jambes battant l’eau de l’étang pour ne pas couler, je vois son buste et son ventre humide briller sous le soleil. Ses épaules sont carrées, hautes bien sur, et il est assez musclé, je le vois au premier coup d’œil.
Il sourit et plonge à nouveau dans l’eau, puis réapparait. Ses cheveux dégoulinent d’eau et ses yeux gris reflètent la couleur de l’eau, d’un bleu si perçant.
- Julian, sors d’ici !, je dis en baissant la voix comme si quelqu’un pouvait nous entendre.
- Toi, viens ! Elle est super bonne.
Non, c’est pas possible…
Enfin.
C’est vrai qu’il fait chaud. Et j’ai terriblement envie de m’y plonger moi aussi. Pouvoir oublier l’espace de quelques minutes tout ce qui est désagréable. Sentir l’eau couler sur ma peau. Mais je n’ai aucuns maillots de bain. Lui en avait – il prévu un depuis le début ?
- J’y suis en sous vêtement, dit – il comme si il avait lu dans mes pensées. Tu peux faire de même.
- Hors de question. Je ne veux pas le mouiller, dis – je d’un ton catégorique qui en cache un autre, l’incertitude d’y résister.
- Tu vois une autre solution ?
A vrai dire, oui. Mais cela suffit à me donner envie de rebrousser chemin. Pourtant je suis attiré par cette idée et mon corps est comme attiré vers l’étang. Je sens mon visage s’embraser. L’hésitation s’empare de moi mais il ne me faut pas plus de quelques secondes. Julian patiente, m’observe en pataugeant dans l’étang.
- Retourne toi, je lui ordonne, les mains tremblantes.
- Quoi ? Mais…
- Fais ce que je te dis. Sinon je rentre immédiatement.
J’essaie de paraitre sur de moi mais ça n’est pas le cas.
Il pivote sur lui-même dans l’eau et semble comprendre car il ne se retourne pas vers moi. J’enlève mon uniforme à la hâte, mes chaussures et mon caleçon, puis saute dans l’eau, nu.
Mon corps tout entier est immergé par la fraicheur du flot. Quand je remonte à la surface, des petites vaguelettes se sont créées à l’endroit ou j’ai sauté et Julian s’est retourné vers moi. Dieu merci, l’eau n’est pas transparente. Je passe ma main dans mes cheveux blonds qui ont pris une teinte châtain à cause de l’eau et les repousse pour qu’ils ne me tombent pas dans les yeux.
Julian m’éclabousse et je lui rends la pareille. Nous nous arrosons d’eau en riant, mais je veille à ce qu’une assez bonne distance nous sépare. Je l’asperge encore et il riposte, puis il disparait au fond de l’eau avant de réapparaitre à la surface soudainement, quelques mètres plus loin.
Nous restons dans l’étang une quinzaine de minutes, puis il remonte sur la berge en s’aidant d’une branche et s’allonge dans l’herbe pour sécher.
Je ne peux pas faire la même chose et reste là, le regardant en faisant du surplace. Il ferme les yeux et place ses bras sous sa tête.
Ses lèvres sont légèrement entrouvertes et son caleçon est mis un peu bas, ce qui me laisse entrevoir un grain de beauté quelques centimètres sous son nombril. Je détourne le regard immédiatement, me sentant mal de l’observer ainsi.
- Alors, tu aimes bien cet endroit ?, demande t’il sans se redresser, les paupières toujours closes.
En réalité, j’apprécie être ici. Je me sens en paix avec moi-même et j’aime aussi être avec Julian. Mais je ne le lui avouerais pour rien au monde.
- Il fait chaud, dis – je simplement en réponse.
Il rétorque quelque chose que je n’entends pas car je replonge dans l’immensité de l’eau. Celle-ci me submerge et je reste quelques secondes au fond de l’étang, mes pieds frôlent la terre tout au fond et je remonte en quelques mouvements.
Je profite du fait qu’il ait les yeux fermés pour sortir de l’étang et me sécher partiellement avec ma chemise.. J’en prendrais une propre au pensionnat.
Puis je me rhabille et attends, debout dans l’herbe, qu’il se relève lui aussi.
- Qu’est ce que tu fais ? Geint t’il quand je lui met une légère tape sur l’épaule.
- Ils vont s’apercevoir que l’on est partit, au petit déjeuner. Nous devrions y retourner.
- Non, pas tout de suite, dit – il en tirant sur mon bras pour me faire m’asseoir.
J’obéis à contre cœur et m’assois en face de l’étang. Julian se redresse également pour s’asseoir à côté de moi. Je me concentre pour que mon regard ne se tourne pas vers lui et son corps quasi nu. Si il se rend compte que je l’observe parfois, il me prendra pour un malade et ne voudra jamais plus m’approcher.
- Je reviens cet après midi, quand les filles du pensionnat voisin seront là et mes amis viendront aussi. Tu y seras ?
- Non. J’ai des choses à faire.
- Dommage.
Je ne sais pas si il le pense vraiment. Ses longs doigts effleurent l’herbe et je remarque la chair de poule qui a gagné la peau de sa nuque, sous ses mèches de cheveux brunes. Il a déjà un corps d’homme, et moi je suis toujours au stade de l’adolescent. C’est terriblement frustrant.
- Parfois j’aimerais bien faire en sorte que tout le monde m’aime, murmure t’il en fixant un point devant lui.
Cela m’étonne que ce ne soit pas déjà le cas. Il est sûrement adulé par tout le pensionnat et par toutes les filles du monde. Les professeurs l’apprécient aussi. Qui ne l’aime donc pas ?
Je ressens un léger agacement en me disant sa superbe. La perfection devrait être un terrible péché.
- On a pas toujours ce qu’on veut dans la vie, je marmonne en pliant mes genoux contre ma poitrine.
- Je sais…
Je croise son regard une fraction de secondes. Le sien à l’air… triste. Je ne l’ai jamais vu aussi vulnérable, et même si il est plus grand et plus musclé que moi, plus beau aussi, il me parait être plus jeune, plus tendre et sûrement a-t-il quelque chose d’un peu enfantin dans sa manière de s’ouvrir ainsi. Je n’avais jamais entendu une personne s’exprimer avec autant de résignation. Comme si elle avait perdu une chose qui ne reviendra jamais.
- Bon, on rentre maintenant ? Dis – je pour passer à autre chose.
Il acquiesce et se lève. Je me retourne machinalement pour qu’il puisse se rhabiller, et nous prenons silencieusement le chemin du retour.
On est de retour au pensionnat en un clin d’œil. Perdu dans mes pensées, je n’avais pas vu l’énorme batiment se profiler au bout de la route. Julian escalade la grille en premier, puis je fais de même, plus sur de moi qu’a l’allé. J’atteris convenablement dans la cour encore vide. Il doit être huit heures, tout le monde est en train de prendre le petit déjeuner. On se dit au revoir et il se rend dans la salle des repas tandis que je vais changer de blazer.
Le mien ne ferme plus à cause du bouton qui a sauté quand j’escaladais la grille. Je vais dans le bureau de la directrice adjointe, Mme Popkins, et j’essaie d’adopter un air naturel, comme si nous ne venions pas de fuguer , le temps d’un plongeon dans l’étang d’à côté.
- Comment est ce que tu as pu casser ce bouton ? Me demande t’elle en se saisissant du blazer.
- Aucunes idées. Ce matin, je l’ai mis et je me suis rendu compte que le bouton avait sauté. Je l’ai sûrement mal manié à un moment ou à un autre sans m’en rendre compte.
Pour compléter le mensonge, je souris humblement, l’air presque désolé. Son regard, d’abord méfiant, se transforme en un mélange de « ce n’est absolument pas grave, on va réparer ça mon petit » et « j’ai l’impression que tu ne dis pas toute la vérité ».
Heureusement, le « ce n’est absolument pas grave, on va réparer ça mon petit » l’emporte et la vieille femme me sourit en retour.
- Je vais l’apporter à notre couturière et il sera comme neuf pour demain, d’accord ? Tu t’en passeras bien aujourd’hui.
Je la remercie puis sors du bureau. Quand j’entre dans la salle du petit déjeuner, je cherche Julian du regard, mais il est déjà sortit. Neil me fait un signe de la main et je le rejoins. Il est en compagnie d’un garçon que je n’avais jamais vu jusque là.
- Bonjour Alex, me dit celui-ci de sa voix grave en me présentant sa main qui fait deux fois la taille de la mienne.
Il est grand et mesure une tête de plus que Neil et moi, ses traits sont plus durs que les miens et ses yeux verts sont soulignés de cernes violets. Il est rasé en brosse et ses cheveux sont châtains, tirants sur le roux.
Il ne sourit pas.
Je lui serre la main et le geste est désagréable. Ses doigts calleux transpirent et il me tient un peu trop fort la main. Je la retire rapidement mais il ne semble pas s’en rendre compte. Il commence aussitôt à manger une tartine en l’engloutissant d’un coup, puis se lève brusquement, la bouche pleine de miettes et part sans un mot. Neil me sourit.
- C’est qui ?
- Steven Gobb. Paraît qu’il vient des Etats – Unis.
- Qu’est ce que tu fais avec lui ?
Il hausse les épaules en sirotant son café.
- Il m’aide pour mes devoirs. On s’entend bien.
Puis il se lève pour débarasser, ne me laissant pas répondre.
Mais qu’aurais – je dit ? Que ce Steven me met particulièrement mal à l’aise, ou que j’ai un mauvais sentiment en ce qui le concerne ?
Neil me prendra surtout pour un fou.
Je finis mon jus avant de le suivre.

- Pour le cours d’aujourd’hui, vous vous mettrez en binome. Nous allons observer au microscope le tissu musculaire du cœur, autrement dit la Myocarde. Je sais que vous avez déjà fait ça, mais nous faisons un rappel. Ne protestez pas, allez, mettez vous par deux !, s’exclame notre professeur de Physique Chimie cet après – midi là.
Mon regard va vers Julian immédiatement à la notion de binomes.
Mais celui-ci est déjà en train de discuter avec quelqu’un d’autre et semble pris. Je propose donc à Neil tout en cachant ma déception qui n’a pas lieu d’être. Depuis ce matin, nos regards ne se sont pas croisés une seule fois, il n’a même pas cherché à ce qu’il y ait un quelconque contact. Je ne devrais pas donner de l’importance à ce genre de choses. Julian est juste un ami, je ne devrais pas me sentir mal simplement parce qu’il ne m’a pas jeté un seul coup d’œil ou ne m’a adressé la parole depuis.
J’ai l’impression de devenir fou. Jamais pareille sensation ne m’était parvenue, comme un dépendance à l’attention qu’il me porte. Tout ce que je peux espérer, c’est que ce sentiment parte aussi vite qu’il est venu et que je ne sois pas malade.
- Ou t’étais ce matin ?
Je suis tiré de mes pensées par la question anodine de Neil. Celui-ci ne me regarde pas, occupé à régler l’objectif du microscope à la bonne hauteur. Il ne semble pas donner trop d’importance à sa question, balancée comme ça pour faire la conversation.
- Comment ça ?
- Je ne t’ai pas vu dans le dortoir en me levant ce matin, et au petit déjeuner tu semblais arriver de quelque part.
Il continue de s’occuper du travail, sors une feuille pour noter nos observations, sans préter attention à mon regard fuyant.
- J’étais juste à la bibliothèque.
- Oh, cool. Tu es matinal alors.
- Assez, oui. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
- On est mal foutus alors ! Dit il avec un sourire.
Je fais mine de lui mettre un coup de coude pour plaisanter mais le cœur n’y est pas. J’ignore pourquoi je lui ai menti. Il n’aurait répété à personne que j’ai quitté le pensionnat sans autorisation. Je me rends compte que ce n’est pas de ça que j’ai peur, mais c’est qu’il se mette à croire des choses simplement parce que j’étais avec Julian.
J’aurais très bien pu aussi ne pas lui dire que j’étais avec lui. Ou alors est ce éxagéré ? Je m’imagine sans doute n’importe quoi. Neil est un gars sympa, je ne vois pas pourquoi je réfléchis autant pour une broutille. Et Julian est mon ami maintenant, aussi bizarre que cela puisse paraître. C’est normal que nous fassions des choses ensembles.
Ami… Ce mot sonne bizarrement dans ma tête. Sûrement car je n’y avais jamais pensé auparavant. D’ailleurs peut être ne sommes nous que légérement amis. Il y a sûrement certains degrés d’amitié… Mon dieu, je n’y connais absolument rien. Je ne sais rien de ce sentiment.
- Eh, tu m’écoutes ?
Je cligne des yeux plusieurs fois comme si ça pouvait aider à faire disparaitre mes pensées bizarres.
- Pardon, j’étais ailleurs.
- Je vois ça oui, marmonne Neil en griffonnant sur sa feuille, la tête baissée sur ce qu’il écrit alors que ça a l’air très peu intéressant.
- Tu me disais quoi ?
- Seulement que ce week end je vais aller à Harly’s Park avec Steven Gobb. C’est lui qui me l’a proposé mais il y aura aussi quelques potes à moi. Tu veux venir ?
- Heu, non. Pas vraiment.
Je crains d’avoir été trop direct mais il ne semble pas blessé, juste sceptique.
- Et peut – on savoir pourquoi le Prince Alexandre va rester cloitré au pensionnat toute son existence ?
Si il savait ou je me trouvais ce matin même il ne dirait pas ça.
Je pousse un petit soupir exaspéré et lui prend la feuille des mains.
- Voyons plutôt ce que tu écris. Je n’aimerais pas avoir un zéro par ta faute, idiot de Keating, dis – je sur le ton de la plaisanterie.
Il sourit, l’air penaud :
- Tu as raison. Tu es meilleur que moi dans toutes les matières, il vaut mieux que tu t’en occupes…
- Keating, tu n’es pas ici pour bavarder. Fais ton travail, je ramasse les copies dans 10 minutes, le coupe le professeur en lui lançant un regard noir.
Neil souffle discrètement et lève les yeux au ciel.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Voilà, 5 Chapitres d'un coup ! Si vous avez n'importe quel conseil ou correction n'hésitez pas. Je posterais la suite d'ici peu.
J4u5

Profil sur Booknode

Messages : 1702
Inscription : sam. 25 juil., 2020 4:41 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par J4u5 »

Saluuuuu ! Alors je viens juste de finir le premier chapitre donc j'ai pas tout lu (logique si je viens de finir le premier chapitre :lol:) mais en tout cas j'aime beaucoup comment ça commence et j'adore le fait que tu écrives une romance M/M, tu en as déjà écrite ? Brefff, j'aime trop ton style d'écriture, c'est hyper fluide et t'as envie de lire la suite!
Boonnn en tout cas bonne continuation dans ton histoire :D
JaneSerpentard

Profil sur Booknode

Messages : 2311
Inscription : mar. 04 févr., 2020 9:35 am

Re: J'irais en Enfer

Message par JaneSerpentard »

Tellement fière de toi <3
Trop contente que tu l’es aussi posté sur BN, j’attendais ce moment depuis le jour où tu m’as fait part de ton projet.
L’histoire est juste incroyablement bien écrite, et j’adore Julian et Alex. Franchement, hâte de lire la suite !
Encore merci pour cette histoire parce que franchement, ton écriture m’avait vraiment manqué. Heureusement que tu fasses un peu ton « grand retour » sur ce forum depuis que tu as arrêté En Amour et À Mort.
Bisous et bonne fête de fin d’année ma belle,
Charlotte <3
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

J4u5 a écrit : sam. 31 déc., 2022 4:32 pm Saluuuuu ! Alors je viens juste de finir le premier chapitre donc j'ai pas tout lu (logique si je viens de finir le premier chapitre :lol:) mais en tout cas j'aime beaucoup comment ça commence et j'adore le fait que tu écrives une romance M/M, tu en as déjà écrite ? Brefff, j'aime trop ton style d'écriture, c'est hyper fluide et t'as envie de lire la suite!
Boonnn en tout cas bonne continuation dans ton histoire :D
Coucou ! Je suis trop contente d'avoir ton avis à nouveau.
Merci beaucoup. C'est un peu la première fois que j'en écrit, en tout comme comme personnages principaux car il y a déjà eu des couples gays dans certains de mes écrits mais je ne rentrais pa vraiment dans le " coeur du sujet ", et ouais j'aime beaucoup ce sujet.
Re - merci ! J'espère que la suite te plaira.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

JaneSerpentard a écrit : sam. 31 déc., 2022 4:59 pm Tellement fière de toi <3
Trop contente que tu l’es aussi posté sur BN, j’attendais ce moment depuis le jour où tu m’as fait part de ton projet.
L’histoire est juste incroyablement bien écrite, et j’adore Julian et Alex. Franchement, hâte de lire la suite !
Encore merci pour cette histoire parce que franchement, ton écriture m’avait vraiment manqué. Heureusement que tu fasses un peu ton « grand retour » sur ce forum depuis que tu as arrêté En Amour et À Mort.
Bisous et bonne fête de fin d’année ma belle,
Charlotte <3
Rhooooooo mais moi aussi mais merci mais toi aussi mais rhooo t'es trop sympa !!!
Que dire de plus que merci ? Tes mots sont trop bien et c'est hyper gentil et je pense qu'on devrait trouver des synonymes de merci, mais la blague a déjà été faite xD
Bref, je t'aime, bonne fête de fin d'année à toi aussi !
Zél <3
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 6 :

Neil est partit avec Steven et ses amis à Harly’s Park depuis une demi – heure. Je lui ai dit au revoir l’air serein et satisfait de rester ici, mais à présent je me sens seul.
Je crois bien que c’est la première fois que je me sens seul. Ma propre compagnie me suffit d’habitude. Quelques pensionnaires parlent dans le dortoir en me jetant de temps à autre des regards curieux. N’oublions pas que je suis le nouveau. Moi qui aurait voulu passer inaperçu…
Je peux sentir leurs regards qui suivent chacuns de mes gestes lorsque je mets mon blazer à présent racommodé et que je sors du dortoir, sans but précis en tête. Juste me changer les idées. J’ai dans ma poche un crayon et un carnet de poche à la reliure doré. Il m’a été offert par ma grand-mère et c’est celui que j’utilise pour écrire des poémes ou composer de la musique. Je compose surtout pour du piano mais parfois je tente à la guitare, alors que je n’ai jamais su en jouer.

Je sors du pensionnat, pour la deuxième fois de la semaine, mais aujourd’hui j’en ai le droit, et précise au concierge que je me rends seulement à Harly’s Park. Il me répète bien que je n’ai pas le droit d’aller plus loin que le village le plus proche et j’hoche la tête. De toute manière je ne m’imagine pas fuguer, pas un seul instant. Je ne saurais pas ou aller… et je n’en ai pas non plus envie. Au fil des jours je déteste de moins en moins habiter ici. Les cours sont faciles, et j’ai du temps pour lire ou faire ce que je veux. Personne n’est réellement désagréable avec moi.

Lorsque j’arrive enfin devant le parc, j’ai un sursaut en y voyant autant de monde, même si je m’y attendais. Le pensionnat des filles est presque au complet et se mélange à celui des garçons. L’un deux est assis au bord de l’étang ou je me baignais avec Julian il y a quelques jours, et embrasse une adolescente aux longs cheveux blonds.
Je détourne mon regard de cette scène de démonstration affective et m’enfonce dans les bois pour un peu plus de calme. Les arbres ici sont hauts et la terre est jonchée de brindilles et de buissons. L’air est embaumé par l’odeur de la nature et du bois, des fleurs et du pollen. Je m’assois sur une branche à deux mètres du sol facile à escalader, et sort mon carnet.
Je commence à griffonner des partitions et à imaginer un tempo lorsque j’entends des pas qui viennent vers moi. Je lève la tête vivement. C’est une fille.
- Bonjour, me dit – elle avec un grand sourire.
Ses yeux verts – gris me fixent avec intensité et elle se dandine dans son uniforme, une jupe et une chemise ainsi qu’une cravate rouge rayée noir. Elle est sûrement de l’autre pensionnat. Je bredouille quelques secondes des paroles incompréhensibles, surpris qu’elle m’adresse la parole, puis arrive à répondre :

- Bonjour.
Elle rougit et baisse la tête avant de la relever.
- Je t’observe depuis quelques instants…
- Ha, dis – je, la bouche un peu sèche.
Je ne sais comment prendre cette information. Peut être devrais – je me sentir flatté mais ce n’est pas le cas. Je suis surtout désorienté et un peu effrayé. Que me veut – elle ? Je passerais sûrement pour quelqu’un de stupide quoi que je dise.
- Tu n’es pas comme les autres, constate t-elle en plissant ses yeux, et même ce geste ne la rend pas moins jolie.
Ses cheveux châtains tombent avec grâce sur ses épaules en formants de belles boucles, et tout en elle donne une impression de douceur.
Pour être honnête, le lycée que je fréquentais avant d’être renvoyé était pour garçon seulement. Les seules filles que je connaissais étaient ma mère et ses amies de 40 ans, voilà pourquoi je n’ai pas l’habitude de parler avec une personne du sexe féminin. Mais c’est vrai que je me suis beaucoup demandé quelle était cette manie de vouloir séparer les garçons des filles.
- C’est vrai, je réponds simplement.

C’est une chose dans certains se vantent. Mais je ne vois pas en quoi être à part te rend meilleur. Et pourtant je n’aimerais pas être comme tout le monde.
- Je m’apelle Adriana. Et toi ? Demande t’elle en s’approchant.
Je la regarde arriver sans trop savoir pourquoi elle vient me parler, à moi. Mais sa venue n’est pas désagréable. Parfois, j’ai l’impression de devoir toujours être sur mes gardes quand je parle à quelqu’un. Mais c’est épuisant de devoir contrôler ce qui sort de ma bouche à longueur de journée.
Peut être est – ce pour cette raison que je ne parle pas souvent.
- Alex.
- Alex. Enchantée alors ! Je crois bien que c’est la première fois que je te vois ici. Tu es seul ? Moi aussi je suis seule. Je me suis disputée avec mes amies.
Quand elle me dit ça, sa voix se brise légérement et je remarque à ses yeux rouges qu’elle a pleuré.
- Pourquoi cela ?
Elle semble hésiter, comme si ce n’était pas une histoire pour moi. Mais finalement son désir de me répondre l’emporte sur son doute.
- Un garçon de ton pensionnat m’aime bien, apparemment… Sauf que ma meilleure amie est amoureuse de lui. Moi je n’y peux rien, mais elle, elle est jalouse et a liguée à peu prés toutes les filles de notre dortoir contre moi. Cela fait trois jours que je dois toutes les éviter.

- Comment s’appelle ce garçon ?, je demande précipitamment en espérant qu’elle ne fera pas de remarque sur la fébrilité de ma voix.
Et si c’était…
- Henri. Ça te dit quelque chose ?
- Non, je m’empresse de répondre devant son regard interrogateur.
- Est-ce que ça te gêne que je te parle ? Je me sens très seule depuis ces trois jours.
Je fais non de la tête et elle vient s’asseoir sur la branche à mes côtés. L’idée d’avoir un peu de compagnie ne me déplait pas, je suis un peu lasse de Neil et de ses monologues incessants.
- Qu’est ce que tu écris ?
Elle regarde le carnet que je tiens dans mes mains et je le range dans ma poche machinalement pour être sur qu’elle ne le lira pas. Geste idiot.
- Mais depuis quand est ce que tu m’observes, en fait ?
Ses joues s’embrassent aussitôt et elle baisse la tête, un peu honteuse.
- Longtemps. Je t’ai vu sur la pelouse, tu avais l’air perdu et seul, comme moi. Je t’ai suivi jusque ici.
La seule chose que je retiens est qu’elle a pensée que j’étais perdu et seul. Mensonges.
- Je ne suis pas perdu et seul…

Elle me jette un regard étonné.
- Ou juste seul, j’avoue en levant les yeux au ciel. Mais ça ne me dérange pas d’être seul.
- Est-ce que ça veut dire que je devrais m’en aller ?
- Non, non… Tu peux rester. A condition que tu arrêtes de me suivre.
Elle fait la moue pour plaisanter.
- Ok, je crois que je peux accepter cette condition.
- Encore heureux.

Elle me sourit et je lui souris brièvement en retour, avant de reprendre une façade impassible.

- Je peux voix ce que tu écris dans ton carnet, alors ?
- Non, dis – je catégoriquement, ne laissant pas de place au doute.
Je ne pense pas être prêt à ce que quelqu’un regarde mes compositions, même si elle ne connait sans doute rien à la musique. Adriana me fait penser aux filles du lycée que je fréquentais, toujours le nez dans les affaires des autres, à chercher des ragots un peu partout comme si ça importait réellement. Je ne suis pas de nature curieux, alors je ne peux peut être pas comprendre ça.
Un long silence gênant suit ma réponse durant lequel Adriana se recoiffe et je fais mine d’être dans mes pensées.
- Tu as une petite amie ? Questionne t-elle brutalement, brisant le silence.
- Quoi ? Non ! Dis – je en reculant un peu.
- Ah bon. J’aurais pensé… Un garçon mignon et mystérieux, ça ne court pas les rues.
C’en est trop. Je ne suis pas mignon, et je ne crois pas non plus être mystérieux. Cette fille est un peu trop intriguée à mon goût. Elle a à mon égard une attitude que j’ai du mal à comprendre.
Je me lève de la branche, époussette mon blazer et bredouille quelques excuses. Je lis dans son regard la surprise tandis que je lui explique que je dois rendre un devoir, qu’on m’attend au pensionnat.
- Att…
Je pars avant qu’elle ait pu s’indigner.

La semaine qui suit me semble durer des siècles. J’ai toujours en tête ma rencontre avec Adriana et je m’en veux un peu d’avoir fui sans même dire au revoir. Je n’ai pas beaucoup d’expérience avec les filles, et je ne ressens pas le besoin d’avoir des petites amies, pas du tout. Ce n’est sans doute pas aussi bizarre que les gens le pensent quand je leur dit que je n’ai jamais eu d’amoureuses.

Je ne comprends pas pourquoi tous les amis de ma mère, qui représentent prés de la totalité des adultes que je fréquente, font cette mine étonnée quand je leur dit ne pas être intéressé.
Ou alors, bon, que je comprends pourquoi mais que je m’en fiche complètement.
- Un beau garçon comme toi, les filles devraient te courir après ! S’est un jour exclamée notre voisine alors que ma mère l’avait invitée à prendre le thé.
J’ai pensée que si cela arrivait, il ne me resterait plus qu’à déménager à l’autre bout du pays. Je crois bien que cette pauvre femme a regretté ses mots en voyant ma grimace.
Je pensais à Adriana, et pensant à elle d’une façon très platonique, à notre rencontre, mes pensées se tournaient vers Harly’s Park, sur cette matinée là et donc inévitablement sur cette autre matinée avec Julian. Je repensais au soleil qui avait brillé fort ce matin ci, pour venir illuminer la surface de l’étang, transformer les gouttes d’eau en milliards de diamants et le regard de Julian en un joyaux ardent qui, se posant sur moi me provoquait ce drôle de sentiment. Un sentiment qui me réchauffe de l’intérieur et pourtant me fait frissonner.

Je sors de mes pensées et regarde autour de moi pour voir si quelqu’un me regarde, me voit rougir, et devine mes pensées, mais c’est impossible, personne ne peut savoir ce que je pense et il n’y a personne qui me regarde. Je n’en suis pas pour autant soulagé et me presse pour arriver à l’heure au cours d’éducation physique et sportive. Le terrain d’athlétisme se situe dans le côté ouest du pensionnat, en intérieur. Il est juste à côté du gymnase et les murs du fond sont orné de grandes vitres qui donnent sur la forêt environnante. J’aimerais cet endroit si je ne m’y ridiculisais pas, car si quelqu’un devait trouver une torture plus terrible que tout pour moi elle n’hésiterait pas et choisirais le sport, le sport quel qu’il soit.
- Hé Alex, je te cherchais justement.
Une main me tapote dans le dos et je devine aussitôt à qui elle appartient. C’est Neil, bien sur. Je ne me retourne pas et attend qu’il arrive à côté de moi.
- Et tu m’as trouvé !
- Ouais. Je voulais savoir si tu étais d’accord pour m’aider avec cette dissertation…
- Bien sur. Mais tu sais qu’il n’y a pas de réussites sans peine…, dis – je en citant le slogan du pensionnat pour plaisanter.
Il sourit.
- Si seulement ça pouvait être faux, hein ? Je me tuerais si ces cours d’athlétismes devaient continuer toute l’année.
- Moi de même. Devoir vous reprendre à tous mes cours, Mr Keating, commence à faire long, surgit une voix derrière nous.
Pris d’effrois, nous nous retournons et découvrons que le professeur d’éducation physique et sportive, Mr Edelweiss, est derrière nous et ne semble pas très content de notre conversation. Neil s’excuse en balbutiant et moi-même me sens mal pour lui. Il n’écope que d’une réprimande sévère de la part du professeur, puis nous allons nous échauffer avec les autres sur le côté du terrain.
- Tu ne t’es pas ennuyé hier quand on est allé à Harly’s Park ? Je me suis sentit un peu mal de te laisser.
- C’est moi qui te l’ai demandé. Ne t’inquiète pas, comme ça j’ai pu réviser.
Je ne me pose même pas la question de si ce mensonge va passer. Je lache ça d’un ton détaché, désintéressé, en faisant rouler mes épaules pour l’échauffement, jetant des regards éparpillés dans la pièce comme si je ne prétais pas attention à la conversation.
Un moment, on n’entend que le vent souffler à travers les vitres épaisses, puis d’un coup c’est la pluie qui s’écrase en grosses goûtes partout, sur le toit, contre les fenêtres, et même si nous sommes à l’abri, j’ai l’impression que l’eau pourrait me submerger.
- Tu plaisantes ou quoi ? Tu as les meilleures notes de tout le pensionnat, répond – il sans vraiment remettre en question ce que je lui dis.

- Je ne crois pas avoir de meilleures notes que qui que ce soit en sport… ça, c’est sur.
Je fixe la pluie qui se déverse dans le paysage, face aux vitres mouillées, qui brunit les arbres et donne cette teinte triste au ciel nuageux, et la route qui méne au pensionnat dont le béton se fonce et devient glissant.
Même si le temps n’est pas chaleureux et qu’il ne peut donner le sourire à personne, j’ai toujours trouvé la pluie réconfortante, plaisante. Bientôt, ce sera l’hiver et l’atmosphère sera différente. Plus lourde. Plus grise. Moins… torride.
Est-ce que cela changera quelque chose à la chaleur vivante que je ressens depuis quelques temps ?
Après l’échauffement, le professeur nous fait courir pendant une dizaine de minutes sur le stade tandis que l’eau bourrine toujours, au dehors. Quelques mètres devant moi courent Julian et ses amis hyper cool... Parmis eux traine Steven Gobb, ce gars que m’a présenté Neil. Il ne m’inspire pas confiance. Parfois, je le croise en sortant d’un cours, il me voit lui aussi à chaque fois et il me sourit, mais dans son sourire il y a quelque chose d’inquiétant, de malsain. Et son regard aussi, qui me glace le sang et me donne l’impression que quelque chose s’est bloqué au fond de ma gorge.
Je ne sais pas ce qui me donne ce mauvais pressentiment. Il n’a jamais rien fait que je puisse lui reprocher pourtant.
Perdu dans mes pensées, je ne préte plus attention à ce qu’il se passe, et je continue de courir. Le professeur parle à un élève et ne regarde pas lorsque soudain, quelque chose change. Le groupe d’élèves qui courait devant s’arrête, des exclamations inquiètes retentissent. Je m’approche, un garçon blond qui je crois s’appelle Maurice demande au professeur de venir voir. Il dit qu’un pensionnaire s’est blessé en courant.
Je cours en petites foulées pour les rattraper plus vite, j’ai conscience qu’autour d’autres élèves se sont arrêtés, pour venir voir ce qu’il se passe.
- Llorim ! Qu’a-t-il donc fait ?
- Je ne sais pas monsieur, on courait et il est tombé, répond Maurice.
Au centre du petit groupe, Julian est assis et il se tient la cheville en soufflant bruyamment pour extérioriser la douleur. Même là, s’étant fait très mal et en position vulnérable, il me parait intimidant, sur de lui. Je ne sais pas si c’est le fait qu’il m’impressionne en toute circonstance qui joue ou si c’est normal, mais je ne suis pas inquiet, je ne déborde pas d’empathie pour lui, je me dis juste « Putain, il est magnifique ».
Mr Edelweiss semble, lui, vraiment embêté. Il s’accroupit auprés de Julian et lui serre l’épaule comme pour le rassurer.
- Ça va aller ? Tu as très mal ?

Je ne suis pas sur qu’il dise les bonnes choses. Il me semble évident qu’il a très mal. Les gens autour se lancent des regards faussement inquiets, je suis convaincu qu’au fond, ils jubilent d’avoir un nouveau sujet de conversation et que quelque chose vienne briser l’ennui de cette heure de sport platonique. A côté de moi, Neil a mis ses mains sur ses hanches et semble prêt à reprendre la course. Il ne préte pas attention à Julian, je sais bien qu’il ne le porte pas dans son cœur.
- Il faut l’emmener à l’infirmerie, Monsieur, interviens – je.
Le prof lève la tête vers moi, et semble soulagé que quelqu’un lui vienne en aide. Une lueur s’allume dans ses yeux, maintenant cela lui semble évident , il doit se demander pourquoi il n’y a pas pensé tout de suite.
- Oui, j’allais demander à quelqu’un pour l’accompagner.
J’en doute fortement mais ne dis rien.
- Tiens, Keating, tu veux bien emmener Julian à l’infirmerie ? Avec sa cheville, il lui faut de l’aide pour se déplacer.
Neil sors de ses pensées aussitôt et à l’air outré qu’on lui demande, à lui. Et moi, je brule d’envie d’y aller. Les autres pensionnaires se sont éloignés, ils ne semblent plus aussi catastrophé que tout à l’heure. Julian, lui, se tient toujours la jambe en soufflant. Il ne m’a pas jeté un regard depuis qu’il est tombé et sa cheville, elle, a augmenté violemment de volume.
- Je vais y aller à sa place, dis-je de façon réthorique, et Neil qui croit que je fais ça pour lui me lance un regard de grattitude.
- Heu… Comme vous voulez, bredouille le professeur en se relevant, l’air toujours perdu.
Je me baisse pour aider Julian à se lever. Il s’accroche à mon bras sans croiser mon regard, et pousse un gémissement de douleur quand je le tire pour qu’il puisse se mettre debout. Il passe un bras autour de mon épaule pour se hisser à ma hauteur. Je le soutiens fermement et on avance lentement vers la sortie de la salle, je fais bien attention à ne pas le brusquer.
Je sens le regard de Neil qui nous suit tandis que l’on quitte la pièce, et j’entends derrière nous les autres parler à voix basse.
Une fois dans le couloir, quand plus personne ne nous regarde et que le seul bruit qui survient autour de nous est la pluie qui tambourine toujours, je sens que Julian se détend.
- Merci, dit – il en serrant les dents à cause de la douleur.
- Pas de problèmes, je réponds en sentant mes mains devenir moites et ma nuque se couvrir de chair de poule.
- Tu vas réussir à me soutenir jusqu’à l’infirmerie ? Je dois être lourd.
- Je ne compte pas te laisser au milieu du couloir, dis – je d’un ton ferme.
De plus, il n’est pas lourd du tout et j’apprécie la proximité. J’aime son bras passé autour de mes épaules pour s’équilibrer et nos corps qui se frolent quand j’avance.
- Est-ce que tu es vraiment tombé ? Je questionne au bout d’un instant silencieux.
Je ne suis pas le premier à savoir que Julian est un sportif adroit et qu’il n’est pas du genre à vaciller sur le terrain.
- Faut croire que oui, répond – il simplement.

Je continue de marcher et il se tient fermement à moi. Je sais qu’il ne veut pas m’ennuyer en se tenant à moi, et qu’il essaie de ne pas mettre tout son poids alors qu’il souffre, et il ne m’embête pas du tout. C’est moi qui ait proposé de l’amener. Et heureusement que je l’ai fait, car Neil n’aurait pas supporté de l’aider, et je sais que l’envie d’être seul avec lui me tiraille depuis quelques jours. Parfois je me surprends à essayer de le trouver dans la foule d’élèves.
J’espère voir ses cheveux bruns décoiffés qui sont trop longs à mon goût, ses muscles se dévoiler sur sa peau hâlée et parfois croiser son regard gris et perçant. Il n’a pas de cernes, ne semble jamais fatigué, il a toujours cette spontanéité mêlée à une nonchalance qui me rend incertain avec lui.
J’ai du mal à comprendre si cette sensation fait partit de l’amitié. Dans ces moments là, je regrette de ne pas avoir plus d’amis pour pouvoir comparer.
On tourne à l’angle du corridor et j’aperçois la porte de l’infirmerie. Je ne pensais pas que nous serions arrivé si tôt. Je toque sur la porte en bois, la peinture jaune est écaillée, la poignée a changé de couleur avec le temps, l’or est devenu du bronze.
L’infirmier nous ouvre. Je lui explique ce qu’il s’est passé, il n’a pas l’air alarmé, assure que Julian ne risque pas grand-chose, au pire une entorse très légère. Il le fait s’asseoir sur le lit blanc qui trône dans la pièce d’à côté, la chambre pour les blessés. Elle est vide, il n’y a que lui, l’infirmier lui fait avaler quelques cachets et manie sa cheville. Il lui a retiré sa chaussure et légèrement remonté son jogging.
- Est-ce que ça vous fait mal quand j’appuie là ? Demande t-il en palpant au dessus de son pied.
- Non… souffle Julian en se tenant la jambe, ses mèches brunes lui cachent les yeux, et j’ai l’impression qu’il n’ose pas croiser mon regard.
- Et là ? Dit l’homme en appuyant à un endroit gonflé.
Julian étouffe un cri en se redressant vivement, et j’esquisse un mouvement pour repousser l’infirmier qui commence à me faire douter sérieusement de sa profession. Heureusement je ne vais pas au bout de mon geste et parviens à rester calme.
- Apparemment oui. Je ne pense pas que vous ayez besoin de passer une radio. Je vais simplement vous garder ici pour le reste de la journée et pour cette nuit, et demain vous irez déjà mieux. On va vous mettre une attelle.
- Génial… soupire Julian que l’idée ne semble pas enchanter.
L’infirmier saisit une pommade dans un tiroir et ouvre le couvercle : la matière est poisseuse, grise et gluante. Il en prend un peu sur ses doigts et l’applique plus doucement sur la cheville enflée de son patient.
- Tu peux partir, Alex, me dit Julian sans lever les yeux.
Sa voix est floue, basse, comme si il ne me prêtait pas vraiment d’attention.
- Tu es sur ? Je demande inutilement, et aussitôt je me maudis de paraître si envieux de rester, si dépendant.
- Sur, dit il abruptement.
J’ouvre la bouche pour le saluer, mais renonce. Il me congédie sans même un regard, semble me détester à présent, je ne sais même pas pourquoi. Je ne devrais pas user de la moindre politesse avec lui.
Peut être regrette t-il de s’être rapproché de moi. Cette idée laisse un vide douloureux en moi alors que je quitte la pièce le plus violemment possible.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 7 :

Je décide de revoir Adriana.
Le week end suivant, je me rends à l’endroit ou on s’est rencontrés, et j’attends, attends longtemps, mon carnet toujours rangé dans ma poche.

Il ne pleut plus. L’atmosphère s’est rafraichie, certes, et le soleil a disparu, mais les arbres sont toujours pourvus de leurs belles feuilles vertes et ce n’est toujours pas le temps des pulls et des écharpes. Quelques élèves se baignent dans l’étang de Harly’s Park, profitants de cet entre – deux qui ne durera pas longtemps. Bientôt l’hiver s’installera définitivement.
Je ne suis plus le « nouveau », plus personne ne chuchote sur mon passage ou me demande qui je suis, si je me suis perdu. Neil m’a montré ses amis qui sont dans la classe C ou D. Je retiens quelques noms, salue parfois des camarades de classe. Et cela fait une semaine que je n’ai pas parlé à Julian. Parfois, entre – vue dans des couloirs ou en cours, mais son attitude à l’infirmerie m’a refroidit et lui non plus ne semble pas envieux de m’adresser la parole. Il va beaucoup mieux, porte toujours une attelle mais marche normalement. Une fois ou je passais devant lui et ses amis pour me rendre à la bibliothèque, je l’ai entendu geindre et se plaindre d’avoir atrocement mal, mais qu’il faisait des efforts pour marcher et ne comptait pas rater un cours. J’ai compris qu’il cherchait seulement à impressionner.

Je n’ai pas résisté et ait lâché un ricanement au moment ou il se tournait vers moi par hasard, sans m’avoir vu au préalable. Bien sur, ses amis ne pouvaient deviner que ce rire sarcastique lui était destiné, mais lui le savait. J’ai vu son visage pâlir et j’ai poursuivis mon chemin.
- Alors tu ne cherche plus à me fuir ?
Je relève la tête, souris en voyant Adriana à quelques mètres de l’arbre. Ses yeux verts me scrutent avec la même bonté et l’innocence que la dernière fois.
- Désolé pour l’autre fois. Je n’étais pas prêt.

Elle s’approche de moi et je lui fais signe de s’asseoir sur la branche. Je suis content qu’elle soit venue, on ne s’était donné aucun rendez vous, et pourtant elle est là comme si elle m’attendait.
- C’est moi qui suis désolée. Parfois je suis trop indiscrète. Et tu es différent des autres garçons.
Aujourd’hui, elle a fait une queue de cheval et porte un fin gilet qui lui aussi est doté du blason de son pensionnat pour filles.
- Est-ce que tu t’es réconciliée avec tes amies ?
Je me souviens de l’histoire qu’elle m’avait racontée, ses amies lui reprochant qu’elle attire le prétendant d’une autre. J’avais trouvé ça complètement niais mais la détresse dans son regard et la tristesse qu’elle portait, tout cela m’avait rendu inhabituellement compatissant.
- Non. Mais tant pis, je crois que tout ça n’était qu’une excuse pour me faire comprendre que je ne suis pas assez bien pour elles.
- Ça c’est faux, je lui assure en éprouvant une sincère colère envers ces filles. Je te trouve… très…
Comme rien ne sort, comme si le compliment se bloquait dans ma gorge, elle esquisse un sourire.
- J’ai compris Alex. Merci.
J’hausse les épaules. Je ne sais pas ce qu’elle a compris, je ne sais même pas ce que j’aurais dit. Belle ? Sympathique ? Différente ?

Rien de ce que j’aurais pu dire ne l’aurait consolée.
- De toute façon, c’est mieux comme ça. Elles m’auraient rejetées de toute manière.
Elle passe une mèche de cheveux derrière son oreille.
- Mais tu vas être seule sans tes amies, dis – je, vraiment navré.
- Ce ne sera pas la seule fois ou je serais seule. Ne t’inquiète pas pour moi.
J’hésite quelques secondes. J’aimerais pouvoir lui remonter le moral, mais je ne sais pas quoi faire, je ne suis pas sur de moi. Un moment, je pense à lui préter mon carnet pour qu’elle le lise, elle en avait envie la dernière fois et je le lui avais refusé immédiatement.
Mais je ne le fais pas car ce n’est pas ce que je veux, moi. Je ne suis pas prêt pour que quelqu’un le lise. Je garde ce carnet précieusement dans ma poche en attendant de trouver un moment idéal pour l’exposer à une quelconque critique, ce moment viendra sans doute jamais.
- On est amis alors ? Demande t-elle de sa voix chantante.
- Oui, je lui promet.
Et je le pense vraiment.

Elle s’assoit un peu mieux sur la branche ; prend ses aises à côté de moi, nous sommes à présent amis et la nouvelle l’enchante comme elle m’étonne.
- Est-ce que tu as déjà été amoureux ?
Pas besoin de réfléchir pour répondre à cette question. Je sais d’avance qu’Adriana sera déçue de ma réponse, mais je n’y peux rien. Elle a l’air d’être une fille qui connait beaucoup de choses et a vécu beaucoup d’expériences malgré son jeune âge, mais je suis tout le contraire. J’ai l’impression de ne savoir rien de la vie et de ne pas avoir fait grand-chose, et cette idée me rend parfois mélancolique.
- Non.
- Moi si. Une fois.
En disant ça, son regard se trouble, ses yeux verts deviennent lointains et ce n’est pas de la comédie. Je sens que parler de ça lui ravive des souvenirs profonds et cette idée me tourmente. Comment une simple personne peut te faire éprouver tant de choses ?
- Et… c’était comment ? Je ne peux m’empêcher de demander.
- Tu sais, on avait juste quatorze ans, nous étions encore des enfants. Ce n’était rien de sérieux et pourtant je n’ai jamais connu rien d’aussi puissant.
- Tu te souviens de lui ?
Je ne sais d’où me vient cette curiosité. Mais l’entendre parler de ça m’intrigue. J’en suis presque jaloux.
- Pas beaucoup. C’est comme si mon esprit avait voulu effacer des souvenirs pour que ce soit moins douloureux. C’est à l’époque ou j’étais en famille d’accueil. Mes parents sont morts quand j’avais six ans. Je ne me souviens pas beaucoup d’eux, y penser ne m’attriste pas… Je fus envoyée à onze ans dans une famille noble de la région, les Tradec. Je me souviens que leur maison était immense, et se situait au beau milieu d’un champ de blé. Toutes les terres de la colline leur appartenait. Ils étaient très riches et passaient leur temps hors de la maison. Ce fut une de leur employée, Miss Fanny, qui s’occupa de moi. Je fus élevée avec leurs trois fils durant des années. Jusqu’à ce qu’ils décidérent finalement de m’envoyer en pensionnat. Ou je suis depuis trois ans à présent…

- Mais pourquoi est ce que tu as été envoyée en pensionnat ?

- Je m’entendais très bien avec leurs fils, l’ainé et le dernier étaient, eux, comme mes frères. On s’est beaucoup amusés ensembles. Quant à l’autre frère, lui, je le considérais plutôt comme mon meilleur ami, puis bientôt comme… plus proche. N’étant pas liés par le sang, ça n’avait rien de problématique, mais sûrement Mr et Mme Tradec n’ont pas supportés de voir leur fils tomber amoureux de l’orpheline, et se sont vite occupés de me placer dans cet orphelinat. Notre amour n’a pas duré longtemps.

J’éprouve beaucoup d’admirations pour Adriana qui a vécu l’amour, cette chose si mystérieuse à mes yeux.
- Au moins étais – ce réciproque. Comment s’apellait il ?
- Ernest. Blond, sourire taquin et yeux sombres. Il me manque mais je suis persuadée que lui ne m’attends pas.
- Et toi tu l’attends ?
Elle me jette un regard vif. La tristesse a disparu de ses yeux, je ne décèle pas de nostalgie, mon amie brille de cette joie qui me surprends un peu.
- Je ne suis pas quelqu’un qui se morfond. Cela fait trois ans, je suis passée à autre chose. Bon, je te l’ai racontée, mais toi tu ne m’as rien dit sur toi. Comment t’es tu retrouvé ici ? Si ce n’est pas trop indiscret de ma part…

Ma vie n’est pas aussi romancée que la sienne, ni autant tragique. Je doute que ce que je puisse lui dire sur moi l’intéresse réellement. Et je n’ai pas pour habitude de m’ouvrir aux gens.
Mais elle l’a fait, ce serait malpoli de ne pas le faire aussi.
- Je n’ai jamais connu mon père. J’ai été élevée par ma mère et ma grand-mère. C’est cette dernière qui m’a tout appris : La musique, la poésie, et de ne pas faire confiance aux gens trop facilement. A l’école, je n’ai jamais eu d’amis mais j’étais toujours le premier de la classe. Mon maitre de Cm2 voulait que j’aille voir un psychologue, mais ma mère n’avait pas assez de sous pour le payer. Ma grand-mère disait que j’étais précoce, mais je ne sais pas vraiment si elle a eu toute sa tête à ce moment là. Elle est morte peu après.

Je m’arrête dans mon récit comme si je ne savais plus quoi raconter, alors que les souvenirs déboulent en avalanche et que je voudrais juste évacuer les paroles qui sont au seuil de mes lèvres. Mais je me tais, je regarde Adriana. Celle-ci est attentive, elle m’écoute.
- Quand je suis arrivé au pensionnat, il y a un mois, je ne pensais pas me faire des amis. Je croyais que cet endroit était le pire endroit au monde et que personne ne serait comme moi. Je me suis toujours sentit à l’écart. Dans le même monde que les autres, mais en version accélérée… Décalée. Pas à la même fréquence.

Elle hoche la tête, semble comprendre.
- Tu es fils unique ?
- Oui.
Je me suis toujours demandé si je serais différent en étant frère. Est-ce que je serais moins solitaire, plus cool, plus.. normal ?
- Moi non. J’ai une sœur aînée. Mais je ne la connais pas.
- Comment… ?
- Quand mes parents sont morts, on a été séparées elle et moi. Je suis allée chez les Tradec, dans cette grande maison sur une colline, et Cécile, qui avait déjà onze ans, a été envoyée chez un vieux monsieur qui avait besoin d’une aide pour cuisiner, faire le ménage, lui tenir compagnie.
- A onze ans ta sœur est devenue femme de ménage ?!
Je n’arrive pas à croire qu’une telle chose pour une enfant si jeune soit possible.
- Je sais, c’est assez dur. Depuis, je ne l’ai jamais revue, peut être a-t-elle été mise elle aussi en pensionnat ou encore est – elle morte. Je n’ai comme souvenirs d’elle qu’une photo qui date de quand nos parents étaient encore en vie. Je te la montrerais, un jour, si tu veux.
- Merci, je veux bien. Et vous ne vous êtes pas envoyés de nouvelles ? Vous êtes sœurs, vous ne devriez pas être inconnues l’une pour l’autre.
En disant ça, je me rends compte qu’en fait je ne suis pas sur de ce que je dit, peut être que des sœurs peuvent se séparer aussi violemment. Ce n’est sans doute pas aussi horrible que je me l’imagine…
- J’étais jeune et bouleversée par la mort de mes parents. Voir ma soeur au début ne m’a pas paru important. La tristesse avait pris la place de tout… Puis avec le temps sa présence a été lourde à porter, mais cela faisait tellement longtemps que je ne me rapellais plus vraiment d’elle. Maintenant, je peux vivre en sachant que je ne la reverrais sûrement jamais.

Nous continuons à parler, pendant un long moment. J’apprécie énormément être en sa compagnie et lui partager des choses que je ne dit à personne. On se ressemble, tout les deux, et elle attire ma confiance. C’est la première fois que j’ai autant de facilité pour parler à quelqu’un. Adriana a l’air triste et mélancolique la plupart du temps, sa vie est exceptionnellement dure, mais lorsqu’elle sourit, c’est plus beau que tout.
Sur le retour, je marche à l’ombre des arbres, l’après – midi est doux, calme, et je suis de nouveau seul, ce qui m’avait un peu manqué. Je reviendrais ici demain car Adriana m’a donné rendez vous. Elle veut me montrer la photo ou il y a sa sœur, et elle semble avoir hâte que nous discutions de nouveau.
Je marche sous les arbres, personne aux alentours, soudain une main agrippe mon blazer, et, sous l’effet de la surprise, je me retourne et sans regarder met un coup de poing au garçon derrière moi.
Il n’a pas été violent, c’est de ma faute, juste de ma faute. Je n’ai pas réfléchi.

Il tombe à la renverse et plaque ses mains sur son visage aussitôt. Complètement choqué, je me met à genoux devant lui et répète bêtement : « Est ce que ça va ? ». Il a ses mains sur son visage, réflexe à la douleur, mais je sais que c’est lui, c’est Julian, et je l’ai frappé. Il retire ses mains et je m’arrête de parler lorsque je vois l’hématome qui s’est formé sur sa pommette gauche, juste en dessous de son œil. Il est violet et semble s’agrandir à vue d’œil.
- Mais qu’est- ce qu’il te prend ?! S’exclame celui-ci, les yeux pleins d’incompréhension.

Je me relève, j’ai envie de me frapper moi.
- Pardon, pardon… je…
Je me tais. Je ne sais même pas pourquoi d’un coup j’ai eu si peur, pourquoi j’ai donné ce coup sans même voir qui m’avait hêlé. Julian se lève lui aussi, vacillant, le bleu est impressionant. Ses cheveux bruns sont décoiffés ; comme d’habitude, et sa peau est livide.
- Il te faut de la glace. Je t’emmène à l’infirmerie, dis – je d’un ton un peu plus sur.
- Non. On ne peut pas y aller. Sinon ils sauront que tu m’as frappé et ils te renverront.
Il me jette un regard dur, comme si il me mettait au défi de le contredire. Il a raison. Si quelqu’un apprends que je l’ai frappé, je serais sûrement expulsé du pensionnat. Je dois bien avouer que je suis soulagé ; Julian veut que je reste. Je sourirais si je ne venais pas d’user de violence envers lui.
- On fait quoi alors ?
- Rien. Ça va aller. Je vais emprunter à une fille du fond de teint, ça devrais faire l’affaire pour cacher tout ça…
Il s’assois. Je me demande à quelle fille il va demander ça.
Je m’assois à côté de lui, sincérement désolé. Je range mon poing dans ma poche et laisse mon regard divaguer sur la route qui nous fait face.
- Tu as de la chance que ce fut moi.
- Crois moi, j’aurais préféré frapper quelqu’un d’autre.
- Non, je veux dire… Cette autre personne aurait sûrement ripostée.
Je reste silencieux, conscient qu’il a raison. Julian ne m’en veut pas au point de me rendre la pareille ; mais peut être que quelqu’un comme Steven Gobb ou Pierre Lefevre n’aurait pas hésité.
Aucuns de nous deux ne bouge. On est assis côte à côte, et pourtant j’ai l’impression qu’il est à des kilomètres de moi. Sa main droite palpe par réflexe sa joue meurtrie, mais ses yeux gris se portent loin, dans le vague, dans ses pensées. Je suis surpris qu’il ne se lève pas. J’aurais pensé qu’après ça, il voudrait ne plus me parler. Enfin, il ne me parlait déjà plus, non ?
- Pourquoi est ce que tu ne m’as plus reparlé depuis que tu t’es blessé en cours de gym ?

J’ai posé cette question en essayant de paraître le plus détaché possible, mais dans ma voix suinte le désir de comprendre. Il ne répond pas tout de suite, j’ai même l’impression qu’il ne m’a pas entendu, pas écouté.
Mais il tourne la tête vers moi et approche ses mains de mes cheveux.
- La bagarre te décoiffe, dit il doucement en passant ses longs doigts dans mes mèches blondes, faisant mine de les remettre en ordre.
Je retiens ma respiration, ne fais aucuns gestes pour l’arrêter. J’espère qu’il n’a pas remarqué que mes poils s’hérissent sur ma peau, et qu’un frisson me parcours tout entier.
Il finit par se remettre droit, retire ses mains, pousse un petit soupir.
- Je croyais que tu me trouvais bizarre.
J’écarquille les yeux. Julian Llorim, LE Julian, que tout le monde admire, le sportif aux multiples amis. Toutes les filles sont folles de lui ; il ne déteint pas dans le décor, il est tellement à sa place ici. Qui penserait ne serais – ce une seule seconde que Julian est bizarre ?
- Toi ?! Bizarre ?!, je m’exclame, retrouvant la parole. Non, c’est moi qui suis bizarre. Tu ne sais pas à quel point.
Il me toise comme si, oui, il savait à quel point.
- Je crois que tu n’as pas la bonne définition de ce qu’est être bizarre, étrange… Différent. Je crois que tu ne sais rien de ces choses là. Tu es peut être le plus intelligent en cours, celui qui aura tout le temps de bonnes notes, ou le plus malin. Mais tu ne sais pas pour autant qui je suis.
Je ne peux pas m’empêcher d’être abasourdi. Si l’un de nous deux doit être différent, c’est bien moi. A quoi pense t-il en me disant ça ? Et comment est ce que cela pourrait justifier qu’il m’a ignoré des semaines durant ?
- Je ne te trouve pas bizarre.
- Tu changeras d’avis.
- Et pourquoi moi je te trouverais étrange et les autres non ?
- Car c’est avec toi que je suis le plus moi – même, dit il en perdant cette assurance que je lui connais si bien.
- Eh bien si un jour il s’avère que je te juge mal, tu seras le premier avertit. Mais je croyais que nous étions amis.
Il semble hésiter. Si il est soulagé, il n’en montre rien. Peut être même est ce l’inverse. Comme si il voulait que nous redevenions des inconnus l’un pour l’autre. Je n’arrive pas à croire que nous ayons cette conversation et que les rôles soient inversés comme ça. Il lève ses yeux vers moi, ils sont perçants, bien plus beaux que les miens. Le gris est plutôt argenté, maintenant que j’y pense. Un argent liquide.
- Nous sommes amis, Alex.
Il se lève, et je comprends que la conversation est close. J’aurais aimé lui parler plus, et je ne suis pas complètement satisfait de la discussion. Je ne suis pas une des ces personnes qui rassure ou console, je ne le serais jamais. Mais avec lui, c’est différent, et je sens que j’aurais pu faire plus.
Je me lève aussi, et le suis jusqu’au pensionnat dans un silence profond.
A partir de ce moment là, Julian continua de me parler et nous continuâmes à être bons amis. Je fus un peu soulagé de constater le lendemain qu’il était toujours nonchalant et arrogant avec moi. Quelque peu agacé, certes, comme toujours, mais il avait cette allégresse retrouvée, comme si mes simples mots avaient pu le rassurer quant à sa bizarrerie ( totalement inexistante pour moi.)
Surtout, il ne me prit plus par surprise, gardant un souvenir cuisant de mon poing.

L’hiver s’installa doucement, prévisible. Les journées étaient plus longues, plus dures aussi. Pas pour moi ; bien sur, n’ayant pas de soucis avec le travail donné. Mais Neil parlait un peu moins en cours, semblait plus concentré, chose à laquelle il ne m’avait pas habitué.
Ma mère ne vint plus à aucunes visites, et m’envoya une lettre d’excuse. Elle disait être très occupée. Je m’en fichai. Mes compositions se multipliaient dans mon carnet et je continuais, le week end, à aller voir Adriana. Nous ne faisions pas que rester sur assis sur la branche d’arbre, lieu de notre première rencontre, nous nous baladions aussi dans Harly’s Park. On parlait à tour de rôle de choses que nous avions vécu ou que nous connaissions de la vie, mais je ne rentrais jamais dans ce qui était trop intime.
Ce Dimanche matin, j’ai rendez vous avec elle prés de l’étang. Nous serons seuls à coup sur car il a neigé dru ce matin.
Je me rends là bas avec hâte. J’aime nos balades, à Adriana et moi.
JaneSerpentard

Profil sur Booknode

Messages : 2311
Inscription : mar. 04 févr., 2020 9:35 am

Re: J'irais en Enfer

Message par JaneSerpentard »

elohane a écrit : dim. 01 janv., 2023 6:24 pm Rhooooooo mais moi aussi mais merci mais toi aussi mais rhooo t'es trop sympa !!!
Que dire de plus que merci ? Tes mots sont trop bien et c'est hyper gentil et je pense qu'on devrait trouver des synonymes de merci, mais la blague a déjà été faite xD
Bref, je t'aime, bonne fête de fin d'année à toi aussi !
Zél <3
Merciiiiiii <3 Merci merci merci merci !!!! J’avoue qu’un synonyme nous aiderait bien, mais effectivement, on l’avait déjà dit :lol:
Moi aussi je t’aime, et merci encore :lol: <3 Je lis le chapitre 7 sur Wattpad dès que je peux, promis <3
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

JaneSerpentard a écrit : dim. 01 janv., 2023 8:52 pm
elohane a écrit : dim. 01 janv., 2023 6:24 pm Rhooooooo mais moi aussi mais merci mais toi aussi mais rhooo t'es trop sympa !!!
Que dire de plus que merci ? Tes mots sont trop bien et c'est hyper gentil et je pense qu'on devrait trouver des synonymes de merci, mais la blague a déjà été faite xD
Bref, je t'aime, bonne fête de fin d'année à toi aussi !
Zél <3
Merciiiiiii <3 Merci merci merci merci !!!! J’avoue qu’un synonyme nous aiderait bien, mais effectivement, on l’avait déjà dit :lol:
Moi aussi je t’aime, et merci encore :lol: <3 Je lis le chapitre 7 sur Wattpad dès que je peux, promis <3
Oki! Oui wattpad c'est plus pratique pour les com
Yaya2408

Profil sur Booknode

Messages : 127
Inscription : lun. 14 mai, 2018 5:13 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par Yaya2408 »

Ouiii je suis tellement contente de pouvoir lire une autre de tes histoires. C'est fou comme ton écriture s'est améliorée.
Pour l'instant je suis giga méga trop fan de l'histoire et Alex et Julian <3
Et je commence à énormément apprécier le personnage d'Adriana.
Bises et à la prochaine ;)
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Yaya2408 a écrit : lun. 02 janv., 2023 12:17 am Ouiii je suis tellement contente de pouvoir lire une autre de tes histoires. C'est fou comme ton écriture s'est améliorée.
Pour l'instant je suis giga méga trop fan de l'histoire et Alex et Julian <3
Et je commence à énormément apprécier le personnage d'Adriana.
Bises et à la prochaine ;)
Merciii! !! Trop contente d'avoir à nouveau tes magnifiques commentaires. Je suis contente que ça te plaise et les personnages aussi. C'est vrai que mon écriture s'est améliorée, je pense que rien n'améliore mieux l'écriture que d'écrire...
Bref, merci beaucoup ! Bises 😋
Erelljh

Profil sur Booknode

Messages : 675
Inscription : ven. 16 août, 2019 11:56 am

Re: J'irais en Enfer

Message par Erelljh »

Attends attends… j’ai bien lus la 200 pages !! Mais WAOUW quoi je m’incline là 🙏
Bon assez parler allons donc lire ces fameux 200 pages
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Erelljh a écrit : lun. 02 janv., 2023 11:35 pm Attends attends… j’ai bien lus la 200 pages !! Mais WAOUW quoi je m’incline là 🙏
Bon assez parler allons donc lire ces fameux 200 pages
Coucou :lol:
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 8 :

Le vent frais siffle à mes oreilles, mes chaussures s’enfoncent dans la neige à mesure que je marche le long du chemin qui mène à notre point de rendez vous. Aujourd’hui, c’est le puit en ruine qui se trouve à l’opposé de l’étang, au nord du parc. Je regrette l’été et le soleil, maintenant que les pulls sont revêtus et qu’il neige tous les deux jours.
Je n’aime pas le froid. Certains diront que je n’aime pas grande chose, mais la morsure du vent ou les flocons glacés, toute l’ambiance de l’hiver, ce n’est pas quelque chose qui fait mon bonheur, loin de là. Et puis je ne vois pas quel est le problème à ne pas aimer grand-chose. C’est justement que j’ai des goûts que je soigne et que je ne me laisse pas séduire facilement par quelque chose.
L’hiver est violent. Les arbres ont perdus toutes leurs feuilles et se retrouvent nus et maigres, le ciel est nuageux, grisatre ; et la beauté que certains trouveront à la neige n’est que secondaire quand celle-ci fond sur la terre pour devenir une bouillasse puante.
Et je ne dis pas ça parce que je viens de tomber dans une flaque de boue aussi large qu’une rivière, non, quand même pas…
… Mais j’avoue que c’est assez agaçant d’avoir le pantalon trempé et sale.

J’arrive prés du puit, l’air massaude. Adriana m’y attends déjà, frottant ses mains l’une contre l’autre pour se réchauffer. Heureusement, l’uniforme qui est imposé aux pensionnat des filles change l’hiver et elles ne sont plus contraintes de porter des mini jupes ridicules. Elle porte également un pull bleu foncé, large, lui arrivant mi – cuisses. En me voyant, un sourire nait apparait sur son visage et elle me fait un signe de la main. Je me rapproche en répondant à son sourire en essayant d’oublier la neige et le froid.
- Salut. Quel temps, hein ?
- Hmmm…
- Tu n’aimes pas la neige ? Me demande t-elle, curieuse, en commençant à marcher le long du chemin.
Je soupire, exaspéré que le sujet vienne sur le tapis.
- Non. Je n’aime pas le froid.
- Oh. Moi c’est justement le chaud que je ne supporte pas. L’hiver est ma dose de fraicheur annuelle.
J’hausse les épaules. Si elle aime être trempée jusqu’aux os, tant mieux pour elle.
- J’ai l’impression que ça ne va pas, Alex…
- Si. Ça va, je rétorque en essayant d’être plus améne.
J’ai compris qu’être ami signifiait devoir être de bonne humeur même si tu ne veux pas. Il faut savoir faire des compromis…
Elle ne semble pas convaincue mais ne dit rien et on marche côte à côte pendant quelques minutes ou je garde les yeux rivés au sol.
- Qu’est ce que tu feras quand tu quitteras le pensionnat ? Je questionne soudainement, étonné moi-même de demander ça.
Elle ne réfléchit pas pour répondre. Adriana a sûrement passé du temps à imaginer ce qu’elle ferait, une fois libre, majeure.
- Peut être que j’irais retrouver ma sœur, mais je ne suis pas sure que ce soit une bonne idée. Ce qui est sur, c’est que la première chose que je ferais sera d’acheter un appartement en centre ville. Tu imagines, un appartement rien que pour moi ? Avec les sous que m’ont laissés mes parents, je crois qu’il me restera même assez pour me payer un ticket de bus. J’irais au cimetière de la ville ou ils ont été enterrés et je mettrais des fleurs sur leur tombe. Ensuite, j’entamerais des études pour devenir institutrice, si la vie me le permet.
Je médite un instant cette réponse qui me paraît plus que correcte.
- C’est bien, mais pourquoi penses – tu que ce soit une mauvaise idée d’aller voir ta sœur ?
Adriana me lance un regard triste.
- Pour commencer, je ne suis pas sure qu’elle soit toujours là ou on l’a envoyée quand nos parents sont morts. J’aurais sûrement du mal à la retrouver. Et j’ai peur d’être déçue… D’apprendre qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre, ou qu’elle ne se rappelle plus de moi. Ou alors qu’elle ne soit pas comme je me l’ai imaginée… Tiens d’ailleurs, j’ai ramené la photo dont je t’avais parlé. La seule qu’il me reste d’elle.
Elle cherche dans les poches de son pantalon un moment avant de pousser un petit cri triomphant. Mon amie extirpe le bout de papier de sa poche et me le tends. Je le prends aussitôt, m’arrête de marcher pour mieux voir.
La photo est en couleur, ce qui est plutôt rare. Dessus, on y voit une petite fille, pas plus de douze ans, assise sur une chaise. Elle est le seul objet de la photo, elle sourit, semble adresser un message à sa petite sœur, qui, elle le sait, verra l’image. Elle ne ressemble pas du tout à sa sœur, pourtant.
Si il se trouve qu’elle a les mêmes yeux verts qu’Adriana et la même forme du visage, fin et menu, le reste est tout autre. Elle semble plus garçonne, peut être cet air de sauvagerie sur son visage qui contraste avec la bonté douce d’Adriana. Son nez est moins rond, plus pointu, comme son menton, et ses cheveux se déversent sur ses épaules dans de grosses boucles blondes.
Mais peut être que maintenant, devenue jeune femme, elle ressemble plus à sa petite sœur que sur la photo. Et en réfléchissant, il se peut qu’Adriana ait été blonde dans son enfance et que ses cheveux aient foncés avec le temps.
- Cecile, donc ?
Je me souviens qu’elle a énoncée son prénom plusieurs fois. Adriana hoche la tête et reprends la photo avec un air doux sur le visage.
- Je suis sur qu’il faut que tu la retrouves, dis – je avec conviction. Vous êtes sœurs après tout… Elle n’a pas pu t’oublier. Elle t’attends sûrement. Ou alors, elle est déjà à ta recherche.
J’essaie de m’imaginer ce que c’est que d’avoir un frère ou une sœur, mais je n’y parviens pas. Quel lien est – ce, la fraterie ? Un lien fort à toute épreuve, ou faut – il l’entretenir réguliérement, juste parce qu’il le faut ?
J’imagine que c’est différent pour tout le monde… Mais cette chose éveille de la curiosité en moi pour la première fois de ma vie.
On continue à parler, longtemps, et je me rends compte le premier qu’il est déjà l’heure du dîner. On se quitte à regret.

Ce soir, en rentrant dans le réfectoire, j’aperçois immédiatement Julian. Il me fixe, un air indescriptible sur le visage. Je m’empresse d’aller m’asseoir à côté de Neil en essayant de ne pas dévisager Julian.
C’est lorsque je pose mes fesses sur la chaise que je me rends compte avec mécontentement que Neil mange en compagnie de Steven Gobb. Si j’avais su, j’aurais prétexté ne pas avoir faim et je serais partit. Ce pensionnaire là n’attire vraiment pas ma confiance… j’ai l’impression que ses yeux lisent à travers moi et qu’il sait tout de mes sentiments. Ses larges mains pourraient facilement m’étrangler si il le voulait.
- Salut, dit Neil en m’apercevant.
Je lui réponds par un sourire et commence à manger sans vouloir m’introduire dans la conversation. C’est seulement au bout de quelques instants que je comprends que mon arrivée les a fait taire. Je lève la tête vers Neil, n’osant pas regarder Steven.
- Qu’est ce qu’il y a ?
- Hein ? Non, rien.
J’arrête de manger, sceptique, et laisse retomber mes couverts dans mon assiette. Neil regarde Steven et moi tour à tour, l’air gêné.
- Il y a un problème ?
Je pris pour que mon ton ait l’air sure et grave, mais malheureusement ces bonnes paroles sortent dans un filet de voix bas, presque tremblant.
- Je te vois de moins en moins souvent en ce moment, dit mon ami, l’air à la fois méfiant et embarassé.
Je fronce les sourcils. J’espère sincérement que ce n’est pas de ça dont Neil parlait avec son charmant interlocuteur. Et j’espère encore moins que Steven lui parle de moi en sous – entendant que je passe mon temps à faire des choses secrètes.
- Je suis occupé. Il y a plus de devoirs en ce moment.
Gros mensonge.
- Ne me dis pas ça… Je sais bien que tu n’as pas besoin de faire tes devoirs pour comprendre n’importe quel cours.
Je pousse un soupir et fait mine d’être agacé. Comme si ce qu’il prétendait était faux.
Que lui a dit ce putain de Steven ?!
C’est vrai que je ne parle pas à Neil d’Adriana, ou de quand je sors à Harly’s Park seul, mais je ne suis pas un enfant qui a besoin de dire tout ce qu’il fait. Et je doute d’avoir fait quelque chose de vraiment mal pour l’instant. Qu’est ce qui lui prend ?
- Ecoute, franchement Neil, tu devrais savoir mieux que personne que je ne m’amuse pas à te cacher des choses, dis – je en m’efforçant de rester poli. Alors, oui, c’est vrai que je ne vais pas aller te raconter quel caleçon je met ou combien de douches je prends par semaine, mais c’est parce que je crains que ce genre de détails ne t’intéresse.

Bizarrement, ce que j’ai dit semble l’avoir rassuré, car il me sourit et rigole. Juste à côté, Steven me fixe avec une froideur qui pourrait me figer sur place si je n’étais pas sur d’avoir gagner cette bataille. Il se lève abruptement et part du réfectoire.
Neil ne semble pas l’apercevoir et me présente ses excuses.
- C’est Steven… On parlait et il a sous – entendus que tu pourrais me cacher des choses. Il a du se tromper. Ce type est parfois bizarre, mais sympa, je te le promets.
- Je n’en doute pas, dis – je, amer.
De quoi voulait parler Steven ? Qu’a-t-il vu qui puisse justifier ça ? Tout en réfléchissant, mon regard dévie vers Julian qui me regarde toujours, assis à la table d’en face.

La soirée se passe sans autres incidents notables. Après manger, nous avons notre une heure et demi de libre avant de devoir rejoindre le dortoir. J’occupe cette heure à la lecture, avançant sur le livre que j’ai emprunté à la bibliothèque. Celui-ci est pas mal, le personnage principal me ressemble. Solitaire.
Mais depuis que je suis arrivé ici, je ne suis plus autant solitaire qu’avant. Neil, Adriana, Julian… Ces personnes semblent me façonner pour me rendre plus normal. Plus heureux, sans doute. Même si être heureux est un concept trop fantaisiste pour moi. Il faudrait sourire, dire des mots gentils, être plus aimable… Non ? Et, bon, je me sens incapable de toutes ces choses.
Je suis installé confortablement dans mon lit, allongé sur les draps défaits, seul au beau milieu du dortoir, lorsque j’entends des pas tout prés. Je me relève immédiatement, persuadé que c’est Steven qui vient m’espionner.
Il faut que j’arrête de m’imaginer des choses.
- Eh, c’est juste moi, dit Julian en me voyant plus pâle que d’habitude.
« C’est juste moi », ne marche pas dans le cas de Julian Llorim. Ça ne peut jamais être « juste » lui.
- Je sais, dis – je en grimaçant, ayant l’impression vague de devenir parano.
- Tu as l’air déçu. Tu attendais quelqu’un d’autre ? Je peux partir si tu veux.
- Non. Reste.
Pense t-il vraiment que je vais lui dire de partir ?
- Tant mieux, parce que je ne comptais pas m’en aller de toute manière.
Il s’approche en souriant, l’air sur de lui. Je me déplace pour qu’il puisse s’asseoir sur le lit mais il reste debout devant moi, me toisant, imposant comme un dieu. Je cligne des yeux, éblouis.
- Ça va mieux ta joue ? Je demande, surpris de ne pas bafouiller.
- J’en ai connu d’autres. Ne croit pas que tu es le seul à m’avoir envoyer ton poing dans la gueule.
Je reste silencieux, n’ayant pas l’intention de m’excuser une deuxième fois. Mes excuses son rares.
- Je réitère : ça va mieux, ta joue ?
Il lève les yeux au ciel.
- Mais oui, arrête de t’inquièter.
Je déteste qu’il dise ça comme ça, je ne m’inquiète pas beaucoup, quand il le dit de cette manière ça donne l’impression que je suis une mère poule. Bon dieu, je suis juste poli. Et peut être un peu sur les nerfs à cause de Steven Gobb.
- Personne n’a remarqué quoi que ce soit. Le fond de teint a été efficace.
Je brule d’envie de lui demander à qui il l’a emprunté, car cela me donnerait le nom d’une fille à qui il parle, avec qui il est assez en relation pour lui avoir demandé du fond de teint…
- Enfin, je ne suis pas venu te voir pour parler de ça.
Etonnant.
- Pourquoi es – tu venu, alors ?
Un sourire malicieux s’affiche sur son visage. Un sourire qui ne me dit rien de bon.
- Ce soir, on sors.
Je reste bouche – bée, ayant beaucoup trop de choses à relever dans cette affirmation stupide. Finalement, je réussis à aligner des mots.
- Mais… Il va bientôt faire nuit…
C’est la pemière chose qui m’est passée par l’esprit, et je me sens comme un enfant de dix ans en disant ça. Julian semble penser la même chose car il a l’air énervé.
- On a bientôt dix – sept ans. Demain matin c’est séance de ping pong : nul et peu grave si on la rate. Et ce soir, il y a une soirée organisée par le village des environs.
- Justement. Deux adolescents habillés en uniformes dans une guinguette de village, ça passera pas inaperçu.
- D’abord, ce n’est pas une guinguette ! Il y aura de la musique, de l’alcool, beaucoup de gens… Avec la foule et la pénombre, personne ne remarquera rien. C’est juste pour s’amuser un peu !
- Non.
Cette réponse me semble la plus intelligente. Si on se fait prendre à sortir tard le soir pour aller à une fête, on se fera renvoyer aussitôt. Et puis les fêtes, la foule, l’alcool, ça ne me dit pas du tout. Je déteste la foule. Et je doute qu’il y ait à cette soirée la musique que j’écoute moi. A moins que leurs DJ soient des dingues de Chopin ou Mozart.
Julian grince des dents, agacé mais déterminé à m’y emmener.
- Tu ne t’amuses donc jamais ?
Je souffle, conscient que je n’aurais pas de répit avant d’avoir accepter.
- Pourquoi moi, d’abord ? Tu pourrais demander à n’importe lequel de tes amis super cools, et tu t’embêtes à me demander à moi ?
Il semble ne pas s’être préparé à la question. Je vois bien dans ses yeux que lui-même n’a pas trop de réponses. C’est sa mine déçue quand il comprends que je ne viendrais pas qui me pousse à songer de nouveau à sa proposition.
- Bon, comment on irait, si j’accepte ? Même si c’est le village le plus proche à des kilomètres à la ronde, on ne peut décemment pas s’y rendre à pied.
Son visage s’illumine quand il comprends que je suis prêt à dire oui.
- A vélo. Le prof de sport en a bien loué une trentaine pour les cours de VTT qui auront lieu bientôt. Je le sais car je l’ai vu les rentrer dans la grange.
J’ignorais qu’il y avait une grange ici…
- Et, heureusement, poursuit il, il ne prend pas la peine de fermer la grange à clé.
Bizarrement, son plan me semble être un bon plan. Et en étant sur le point de lui répondre, je sais que ce pensionnat me change complètement. Il y a trois mois, je n’aurais jamais envisagé de me rendre à une fête ou il y a beaucoup de monde, le soir…
Mais Julian aussi me change. Car si ce n’était pas lui, j’aurais trouvé bien plus d’arguments pour refuser catégoriquement.
- Bon, ok. On y va.
JaneSerpentard

Profil sur Booknode

Messages : 2311
Inscription : mar. 04 févr., 2020 9:35 am

Re: J'irais en Enfer

Message par JaneSerpentard »

J’ai adoré ce chapitre !!! J’ai laissé les com sur Wattpad ;)
Bisous <3
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

JaneSerpentard a écrit : mar. 03 janv., 2023 8:00 pm J’ai adoré ce chapitre !!! J’ai laissé les com sur Wattpad ;)
Bisous <3
Je t'aime, merciii ;)
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 9 :

Je dois bien avouer que je suis surpris de la facilité avec laquelle nous sortons du batiment. Lorsque tout les pensionnaires vont se coucher dans un brouhaha de discussion tardive, nous nous faufilons jusqu’à la sortie de secours, la seule qui reste toujours ouverte au cas ou. J’ignorais sa présence jusqu’à aujourd’hui, mais je crois que ce n’est pas la première fois que Julian doit sortir du pensionnat quand il fait nuit car il connait les escaliers et le couloir qui mènent du côté Est des jardins, là ou sont rangés les vélos dans la grange, par cœur.

Je me demande, lorsque nous arrivons au bout d’un instant plus rapide que je ne le pensais à l’extérieur, si il est déjà sortit accompagné. Si oui, qui étais – ce ? Un de ses amis populaire ou bien un garçon juste… comme moi ? Mais cette deuxième hypothèse s’efface aussitôt dans mon esprit : Julian n’est pas comme ça. Il n’embrigade pas tout les gars solitaires du pensionnat dans des escapades défendues.

J’écarquille les yeux lorsque Julian s’introduit dans la grange et récupère deux vélos en bon état. C’est vraiment déconcertant la facilité avec laquelle nous parvenons à sortir du pensionnat, jetant d’abord les vélos au dessus de la cloture qui délimite les jardins de la propriété ( ils tombent dans un bruit sourd de feraille, mais la chute légère ne les abîme pas ), puis escaladant juste après.
C’est plus facile d’escalader la clôture que la grille à l’entrée qui est bien plus haute de trois mètres. Je suis moi-même étonné de la fluidité avec laquelle je monte dessus, et réattéris, mon uniforme intact.

On monte chacun sur un vélo, et c’est Julian qui s’élance le premier le long du chemin caillouteux, faisant le tour du domaine pour arriver sur la route principale. Je le suis en pédalant rapidement, essayant de se hausser à son rythme, mais il est trop sportif pour moi. Je peste contre mon corps frêle au moment ou il accélère, l’air joyeux.

Heureusement, au bout de quelques minutes, je réussis à garder une vitesse convenable et il ralentit un peu pour que nous soyons côtes à côtes. Ses yeux sont rivés sur la route, et je lui lance des regards quand je suis sur que je ne vais pas me vautrer par terre ou rentrer dans un fourré. Le vent frais ébouriffe mes cheveux et entre dans mes poumons brûlants ; pour apporter cette dose d’adrénaline qui fait trembler mes doigts sur le guidon. J’entends mon cœur battre fort dans ma poitrine, à cette heure je devrais être dans le dortoir, dans mon lit en train de m’endormir. Je n’arrive pas à croire que nous soyons sortits et que nous nous dirigeons vers un village ou je n’ai jamais mis les pieds pour faire une fête – célébrer quelque chose ? Je n’en sais rien, je m’en fiche – et que ce nous soit Julian et moi.

Autour de nous, la neige a fondu, mais je sais que cet instant de répis ne durera pas longtemps.
On pédale encore longtemps, et je songe à l’entorse de Julian qui a, certes, disparue, mais qui a affaiblie sa cheville. Tout ça est – il bien raisonnable pour lui ?

Au bout d’un moment, nous distinguons au loin des maisons, une église et des lumières vives. Il y a de la musique, et beaucoup de gens, comme je l’avais imaginé. On continue jusqu’à arriver sur la place, en plein cœur de la fête. Autour de nous les gens dansent, ou discutent, un verre à la main, il fait sombre, comme Julian me l’avait dit, même si des dispositifs posés sur les côtés envoient des taches de couleur par bribes ou illuminent les danseurs d’une lumière artificielle. On met les vélos dans une rue déserte proche de là ou se passe la soirée, on les cale sous un banc pour que personne ne puisse les repérer.
Puis Julian m’entraine au milieu de la foule et se fraie un chemin, veillant aussi à ne pas me perdre de vue. Les gens autour de nous ne nous regardent pas, personne ne fait attention aux deux adolescents en uniforme, ils dansent. Des serveurs déambulent dans la fête et l’un d’eux passe juste à côté de nous. Julian récupère deux verres posés sur un plateau et m’en tends un des deux.

- C’EST QUOI ? Dis – je fort pour qu’il puisse m’entendre à travers la musique.

- AUCUNE IDEE.

Il dit ça avec sa nonchalance habituelle, puis vide le verre d’un trait. Je le fixe des yeux, éberlué, puis porte à mon tour le verre à mes lèvres. Le goût m’est familier, c’est de la bière, j’en ai déjà goûté par le passé. Mais je n’aime pas trop ça. Je vide le restant du verre par terre à un moment ou Julian ne regarde pas, et la moitié se déverse sur les collants d’une femme. Je m’éclipse avant qu’elle ait pu s’en apercevoir.

Des banderoles un peu partout m’annoncent que cette fête a lieu pour célébrer la fin de la chaleur et du soleil, l’arrivée de l’hiver, ce que je ne comprends pas. Comment célébrer une chose pareille ?! Ce serait plutôt à déplorer.
Julian vient vers moi, approche sa bouche de mon oreille pour que je puisse entendre convenablement.
- JE VAIS VOIR LE SERVEUR. JE REVIENS.
J’hoche la tête et le regarde disparaitre, sa silhouette engloutit dans la masse de personne. Je reste immobile, n’osant pas danser, ne sachant pas trop quoi faire. Ici, l’ambiance est brûlante, l’air est empreint d’une odeur d’alcool, les gens transpirent autour de moi et la musique retentint bruyemmant à mes oreilles. Je tente de m’extirper de là, de rejoindre le bord de la piste, plus dégagé. Un homme me bloque le passage, il ne fait pas exprés mais ne m’a pas vu. Je passe sous son bras levé et réussis à atteindre là ou l’air est plus frais. Je passe ma main sous mon front, il est recouvert d’une fine couche de sueur ; je m’assois sur un banc et désserre ma cravate.
- Tu vas bien ?
Je sursaute et tourne la tête vers ma droite. Une jeune femme, vingt ans maximum, me regarde avec un air d’inquiétude qui me semble factice. Elle ne me connait pas, comment pourrait – elle s’inquiéter pour moi ? Mais elle semble vouloir me parler. Elle sourit largement.

- Oui.
- C’est à cause de la foule ? Ou de la musique ? Insiste t – elle.
- Non, ça va, dis – je sans la regarder, cherchant des yeux Julian dans la foule.
- Tu es venu avec quelqu’un ?
Elle doit juste se demander si mes parents sont avec moi, non ? Pas si je suis avec une fille…
- Non, je décide de mentir, pris par un élan étrange.
La jeune femme se rapproche et s’assois à côté de moi. Elle porte une jupe en jean qui lui arrive juste au dessus des genoux, qui dévoile des jambes fines et noueuses. Au dessus, elle a un chemisier blanc simple. Je m’écarte un peu pour que nos jambes ne se touchent pas, mal à l’aise.
- Tu as quel âge ? Attends, je crois deviner… Vingt ans ?
Je suis surpris qu’elle me donne autant. Peut être que dans l’obscurité elle ne me discerne pas très bien. Ou que l’uniforme me vieillit.
- C’est ça, dis – je en continuant mes mensonges.
- Je le savais. C’est la première fois que tu viens ici ?
Tout en disant ça, je la vois se rapprocher de moi sur le banc, discrètement pour que je ne m’en aperçoive pas, mais c’est raté. Que me veut – elle, bon sang ?! Cette soirée est assez désagréable comme ça pour qu’une femme vienne se frotter à moi. Je me décale de plus belle, cherchant à entretenir une bonne distance.
- Heu… oui.
- Tu es très beau, tu sais ?
- … Ah… ah bon ? Je réponds, gêné, ne sachant ou me mettre.
Je crois qu’elle est alcoolisée plus que de raison. Je déglutit difficilement alors qu’elle se rapproche encore, sa cuisse touche la mienne.
- Oui. Tu ressembles à…
Mais je ne saurais jamais à qui je ressemble, car en disant ça, elle met sa main sur ma joue, et je me lève immédiatement en poussant un cri surpris. Elle hausse les sourcils, elle ne s’attendait pas à cette réaction de ma part. Je recule de quelques pas, embarrassé. Un homme me bouscule sans faire exprés, je vacille. Je sais que je n’aurais pas du venir. C’était une mauvaise idée.
- Mais qu’est ce qui te prends ?! S’exclame la jeune femme en se levant du banc. T’es pas bien ou quoi ?
Je ne réponds pas, me contente de la fusiller du regard. Elle met ses poings sur ses hanches, souffle, mécontente, et s’apprête à partir mais je lui attrape le poignet avant.
- Attendez !
Elle me fixe, étonnée, irritée aussi. C’est là que quelque chose se produit dans mon cerveau. Je pense à la photo que m’a montré Adriana, celle de sa sœur, Cecile. La petite fille qui souriait en affichant cet air de rebellion.
J’observe le visage de celle dont je tiens fermement le poignet, persuadé que c’est la même personne. Elle a les mêmes boucles blondes que sur la photo et les mêmes yeux verts qu’Adriana. Je cligne des yeux, abasourdi.
- Comment vous appelez vous ? Dis – je dans un souffle, en relachant la prise que j’ai sur elle.
Elle se dégage d’un coup, l’air perdue. Elle ne s’attendait pas à ce que je lui demande ça. La ressemblance de cette femme avec la sœur d’Adriana me donne le vertige.
- Lisa.
Puis, après m’avoir jeté un dernier regard indigné, elle s’en va.
Je reste debout, pantois. Ce n’était donc pas elle. Et pourtant… Elle lui ressemblait tellement. Peut être que c’est la gorgée de bière qui a joué dans ce jugement, mais pourtant j’aurais juré que ce fut elle. Déçu, je m’en vais aussi, décidé à trouver Julian pour rentrer au pensionnat. Cette altercation avec cette femme m’a fatigué. Je ne rêve plus que de mon lit.
Et surtout, ça n’a qu’empiré mon état. Alors que tout à l’heure, j’étais au bord du malaise, je suis bel et bien en train d’en vivre un. Mon souffle est saccadé, presque inexistant. Je tremble, j’ai chaud pourtant, très chaud. Mon uniforme me colle de partout, me serre le cou. J’ai l’impression que la femme a laissée sa main sur ma joue, je la sens qui me brule, me démange. Elle n’aurait pas du me toucher, elle n’en avait pas le droit.

Je marche, titubant, entre les silhouettes, la musique retentit partout dans mon corps, de ma tête jusqu’à mes orteils. Elle vibre dans mon cœur, fracassante, tueuse. Je réussis à tourner à l’angle d’une rue, elle est heureusement calme et il n’y a aucun passant. Je me laisse glisser le long d’un mur, la tête entre les genoux.
Des lumières vives dansent sous mes paupières, j’ai fermé les yeux mais pourtant j’ai l’impression qu’on a allumé une centaine de flash devant moi. Je gémis, persuadé que je vais m’évanouir. Je n’ai plus d’air…
- Alex.
C’est cette voix familière, sure d’elle et protectrice, qui me donne la force de relever la tête et d’ouvrir les yeux. Julian se tient devant moi, accroupi à ma hauteur, la mine soucieuse. J’ignore depuis quand il est là, mais il est là et j’en suis heureux.
- Tu…
Je ne finis pas ma phrase. Pourtant, j’aimerais, mais ma voix se bloque à mi chemin. Il passe sa main sur mon dos doucement, faisant des aller – retours pour me rassurer, me calmer, je n’en sais rien. Mais ça marche, et ça me fait du bien.
- Je suis désolé, j’aurais du t’écouter. Elle est nulle, cette soirée. Il n’y a que de la bière.
J’étouffe un rire. Je ne lui en veux pas.
- Ça t’arrive souvent, d’avoir des vertiges comme ça ?
Je fais oui de la tête, toujours incapable de répondre. Je me souviens de la dernière fois, c’était il y a pas longtemps, dans la bibliothèque.
Le bibliothèquaire avait voulu m’aider mais j’avais refusé, assez impoli, d’ailleurs.
- Merde. C’est grave ?
Je fais non de la tête.
Il m’aide à me relever, et je réussis à retrouver mon souffle. Je tiens sur mes deux pieds, même si mes jambes tremblent un peu. Je retrouve l’usage de la parole et lui raconte à voix basse la rencontre avec la jeune femme que j’ai pris pour Cecile – même si je ne raconte pas ce passage, j’évite d’ailleurs de lui parler d’Adriana, je ne raconte que son insistance auprés de moi et surtout sa volonté de me coller – et il rigole, bien sur.

- Elle avait vingt ans ? Si j’avais été à ta place, je n’aurais pas refusé sa compagnie. Les belles filles ça ne courent pas les rues quand on habite en pensionnat.
Je préfère ne pas demander les détails. De toute manière, il ne sera jamais à ma place.
- Comment peux tu savoir si elle était belle ?
- Tu as raison.
On marche le long de la rue, un seul but en tête : récupérer nos vélos et rentrer au pensionnat. L’air s’est raffraichie, et je regrette sincérement de ne pas avoir pris de pull.
- Et toi, qu’as-tu fait ?
- J’ai bu. J’ai dansé. Même si la musique était de la merde. J’ai dragué le serveur.
Je le regarde, stupéfait. Ais – je bien entendu… ? Il me regarde lui aussi d’un air sérieux avant de rigoler.
- Je plaisante, Alex. Détends toi.
- Ha, ha, dis – je, impassible. T’a-t-on déjà dit que tu avais un humour mordant ?
- En fait, on me l’a déjà dit.
J’ignore si c’est là une autre de ses plaisanteries ou si quelqu’un lui a déjà fait la remarque. Je ne demande pas, il y a dans nos discussions une part de secrets qu’on aborde à peine, on ne se pose pas les mauvaises questions, il y a un tact certain entre nous. C’est comme si nous savions que certaines choses ne peuvent être dites mais qu’elles ne sont pas cachées pour autant.
Je regarde Julian, qui marche dans cette rue, en pleine nuit, comment un être qui soit si différent de moi puisse m’être autant lié ?
- Ho, merde ! S’exclame t-il soudain alors que nous arrivons devant le banc ou on a glissé les vélos.
Je suis son regard, désarçonné, et découvre avec stupéfaxion que les vélos ont disparus. On échange un regard désespéré, conscients de notre erreur. Evidemment que ces vélos finiraient par se faire voler, dans ce village noir de monde ! Je m’assois sur le banc, tourmenté. Que va-t-il se passer à présent ? On ne peut pas retourner au pensionnat à pied, c’est impossible, nous n’arriverions pas à temps pour les cours de demain. Et on ne va pas rester ici, pas question. Il faut trouver une solution… Je prends ma tête entre mes mains, ça n’aurait pas pu plus mal se passer. J’entends Julian lancer des insultes sans prendre la peine de baisser la voix, et je n’ai pas le courage de lui dire de se taire.
Je ne vois plus qu’une chose : on va se faire renvoyer.
- Alex ?
Je ne l’entends que dans une dimension parallèle, je ne peux pas discerner sa voix dans le brouillard de mon esprit.
- Alex !!!
- Quoi ?!
Julian a arrêté d’insulter le monde entier, il a un petit sourire à la fois agaçant et magnifique. J’hausse les sourcils, énervé.
- On a qu’a faire du stop. Il y a pas mal de voitures qui passent dans les environs, et on sera de retour au pensionnat avant minuit.
- Julian, tu m’énerves. On ne va pas faire du stop, c’est…
- Bon, fais ce que tu veux, moi je compte bien rentrer au pensionnat aujourd’hui. Bye bye monsieur j’ai toujours une solution mieux que la tienne.
En le voyant partir, je me lève du banc, pousse un soupir, et le rattrape. Bien sur, il n’y a que sa solution.
JaneSerpentard

Profil sur Booknode

Messages : 2311
Inscription : mar. 04 févr., 2020 9:35 am

Re: J'irais en Enfer

Message par JaneSerpentard »

Tellement hâte de lire la suite !!! J’avoue que je lis encore sur Wattpad parce que je forgive ça plus pratique pour les commentaires, et puis, maintenant, il y a les médias >>>
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

JaneSerpentard a écrit : jeu. 05 janv., 2023 6:55 pm Tellement hâte de lire la suite !!! J’avoue que je lis encore sur Wattpad parce que je forgive ça plus pratique pour les commentaires, et puis, maintenant, il y a les médias >>>
Oui moi aussi je préfère quans vous commentez sur wattpad :)
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 10 :

On reste au bord de la route pendant une quinzaine de minutes avant qu’une voiture s’arrête. J’ai des courbatures dans les jambes et des fourmis dans le dos, et je commence à m’endormir.
La voiture qui s’arrête devant nous est en fait une camionette bleue, toutes vitres ouvertes. Un homme d’une trentaine d’année est à l’avant, seul. Il y a trois places à l’arrière. Il nous fait signe de monter et on s’éxécute. Julian va à l’avant place passager et je m’assois sur la place du milieu à l’arrière.

Une odeur de bois règne dans l’habitacle, et le moteur fait un bruit douteux lorsque la voiture démarre ; les sièges sont en cuir marron et ne m’apportent pas beaucoup de chaleur.
- Alors, que font deux jeunes garçons frigorifiés sur cette route ?, demande t-il d’une voix forte et grave.
C’est Julian qui s’occupe de faire la conversation, bien sur.
- On est cousins. On voulait aller à la fête du village, vous savez, le village des environs…
- Oui, je vois ce que c’est.
- … On a loupé le dernier bus et notre tante va s’inquiéter si elle ne nous voit pas rentrer avant minuit. Vous savez, elle se fait vieille, elle s’inquiète encore de l’heure à laquelle nous rentrons.
- Elle a raison. Vous me paraissez jeunes pour être sur le bord de la route à cette heure ci.
- Si jeunes que ça ? Je viens d’avoir dix – huit ans.
Ce qui est un mensonge, bien sur. Je suis abasourdi de voir Julian mentir avec autant d’abilité, mieux que moi.
L’homme garde les yeux rivés sur la route, il ne peut pas vraiment nous détailler en profondeur. Il n’a sans doute pas remarqué nos uniformes. Ses petits yeux noirs sont soulignés de cernes violets, et il est très maigre, presque flottant dans son t – shirt gris délavé.
L’homme doit m’avoir vu claquer des dents car il explique qu’il y a deux pulls dans le coffre que je peux atteindre avec mon bras. J’obtempère, bien trop heureux de pouvoir me réchauffer, et en prends un pour Julian et un pour moi.
Je le mets avec empressement, me débattant avec la ceinture de sécurité. Il est chaud et réconfortant, mais malheureusement dégage une odeur d’essence qui agresse atrocement mes narines et je me vois obligé de respirer par la bouche.
- Je m’apelle Paul. C’est quoi vos noms ?
- Jules, ment Julian en souriant.

Pourquoi est ce que le pull lui va à merveille ?! C’en est presque indécent, cette manière que le tissu a à mouler son corps pour dévoiler ses épaules carrées et les muscles de son ventre. Je dois réfléchir cinq bonnes secondes pour réussir à répondre également sans le fixer des yeux.
- Alexis.
Le reste du voyage est une conversation entre Julian et Paul, qui parlent un peu de tout, du temps, du foot, de la végétation des environs, et bien sur Julian prend plaisir à poursuivre son mensonge, nous invente un oncle après la tante. Paul parle aussi de sa femme, mais je ne retiens pas son prénom qu’il répète pourtant beaucoup.
Je colle ma tête à la vitre, suivant des yeux le paysage qui défile dans la nuit. Il n’y a pas beaucoup d’autres voitures sur la route. Je me sens bien, à présent que je suis réchauffé et que j’entends Julian discuter allégrement. Si il est confiant, je le suis. Je m’assoupis un instant, mais me réveille pas longtemps après.
- Je vous dépose ou ? Demande Paul alors que je reconnais l’endroit.
Nous ne sommes pas loin de Harly’s Park.
- Ici, ça fera l’affaire.
La voiture se gare dans un coin légérement en pente perpendiculaire à la route, et on sors de la voiture. On s’apprête à enlever les pulls lorsqu’il stoppe nos mouvements :
- Vous pouvez les garder.
- Merci.
- Pas de quoi. Et n’oubliez pas de vous excuser auprès de votre tante, elle doit se faire un sang d’encre.
- C’est promis. Merci beaucoup, et au revoir.
- Au revoir.
Julian referme la portière et la camionette bleue redémarre, roule, poursuis sa route. Je la regarde s’en aller, épuisé et soulagé.
- On jette ces pulls dés qu’on arrive, n’est ce pas Alexis ? Soupire Julian avec un sourire.
- Bien sur Jules. Ils empestent vraiment.

On échange un regard qui en dit long, et je suis soudain gagné par un sentiment de joie. Je me sens beaucoup mieux maintenant que nous ne sommes plus qu’à cinq minutes du pensionnat et que je pourrais retrouver mon lit. Et surtout, la satisfaction d’avoir vécu cette soirée particulière avec Julian est particulièrement apaisante. Bizarre.
On marche le long de la route, à côté des voitures qui se font de plus en plus rares à mesure que nous approchons du domaine. Un vent léger souffle dans les arbres et dans nos cheveux, notre silence est agréable. Au bout d’un moment, pourtant, il est cassé par la voix grave de Julian.
- Je… je suis vraiment désolé. Je ne pensais pas que ça finirait comme ça. Je voulais juste qu’on s’amuse.
- Tu me trouves ennuyeux ? Je questionne en éludant ses excuses que je pense illégitimes. ( après tout, c’est de ma faute, j’aurais du être plus responsable et refuser dés le début ! )
- Pas du tout. Je te trouve… un peu différent.
Je le prends comme une pique. Vexé, je rétorque :
- Et moi je te trouve un peu trop banal.
- Hé, ce n’était pas méchant de ma part ! Pourquoi penses tu que j’ai demandé à TOI si tu voulais venir ce soir ?
C’est réthorique, bien sur, mais je me calme et esquisse un sourire.
- En fait, tu n’es pas banal à mes yeux.
- Ah parce que je le suis à ceux des autres ? S’esclaffe t-il pour plaisanter.
Je doute que les autres le regardent comme je le regarde ou ressentent ce frisson étrange quand il les touche. Non, c’est vraiment avec moi qu’il n’est plus banal.

En arrivant au pensionnat, on fait le tour, au passage je me fais griffer les jambes par des ronces, puis nous escaladons la cloture comme à l’allée. Maintenant qu’il fait encore plus noir, c’est devenu ardu, et on retombe en étouffant des exclamations de douleurs. Mais on se relève, demandant à haute voix – presque en même temps – si l’on va bien, questions auquels il répond oui d’un ton assuré et fier, et je fais de même. On passe par la sortie de secours toujours pas vérouillée, et nous glissons dans les couloirs si familiers du pensionnat. Heureusement que Julian connait l’endroit par cœur.

Nous arrivons enfin au dortoir B. Julian se glisse le premier dans son lit, mais je retire d’abord mon blazer et mon pantalon avant de rejoindre le mien également. Je n’entends plus sa respiration, il a du s’endormir. Alors que je suis épuisé, j’ai du mal à trouver le sommeil. Les évènements de la soirée tournent en boucle dans ma tête, je pense à la fille que j’ai pris pour Cecile, à la bière qui avait mauvais goût, mon malaise et l’homme qui nous a pris en stop.
Je ne m’endors qu’au bout d’une heure longue ou je reste immobile dans mon lit à fixer la pénombre.

Le lendemain matin, je me lève aux aurores. Tout le monde dort, mais bientôt le silence qui enveloppe le pensionnat aura disparu et des centaines d’adolescents s’habilleront dans un tumulte de voix infernale, auquel je m’habitue de jour en jour un peu plus. Je traverse discrètement la chambre, passe entre les lits ou dorment mes camarades, contourne celui de Neil. Il ronfle. J’étouffe un rire en voyant le filet de bave qui coule sur son menton, je sais que c’est méchant mais le regard qu’il a échangé avec Steven Gobb, un regard de doute – et c’est de moi qu’il doutait – me reste en travers de la gorge.
J’avance dans le dortoir silencieusement, presque à l’aveugle car il n’y a qu’une seule fenêtre dons les volets sont ouverts, et la pièce est bien trop spacieuse pour être éclairée en entier. Si quelqu’un se réveillait, là, maintenant, et me voyait debout au milieu de la pièce, nul doute qu’il me prendrait pour un fou.
Je me dirige vers le lit de Julian. Il est dedans, bien sur, immobile, paupières fermées. On croirait presque qu’il est mort dans son sommeil, idée qui me dégoûte. Je ne peux pas penser à une chose aussi horrible. Pour me sentir mieux, je continue de l’observer, me sentant assez coupable de le regarder à son insu. Son visage est si paisible, sa peau a l’air d’être formidable au toucher. J’aimerais poser ma main sur sa joue, juste quelques secondes pour confirmer mes pensées, mais n’ose pas. Ses mèches brunes lui arrivent presques aux épaules, encadrant sa machoire carrée et ses oreilles si petites, qui ont l’air fragiles alors que le reste de son corps est si musculeux.
J’ai l’impression de faire quelque chose de défendu en le regardant. Je ne me suis jamais sentit aussi déconcerté. Je me tourne d’un coup, comme si quelqu’un allait me crier dessus d’un moment à un autre.
Pour me laver de toute cette angoisse et cette culpabilité, je me dirige vers les douches et me déshabille, puis me glisse sous le jet d’eau brûlant. Les gouttes se déversent partout sur moi, aucun carré de peau n’est épargné. Je ferme les yeux, serre les poings.
C’est lorsque je suis en train de mettre mon pantalon que Julian surgit dans la salle de bain commune sans que je n’y sois préparé. Il s’arrête dés qu’il me voit, à moitié habillé, l’air surpris.
- Désolé. Je vais… attendre à l’extérieur.
J’hoche la tête. Il ressort, ferme doucement la porte, et je reste figé une longe poignée de secondes encore, essayant de me remettre de mon hébététude. Je boutonne mon pantalon et met la chemise de mon uniforme, puis mon blazer et mes chaussures. Prenant une inspiration qui me parait plus courte que ce qu’elle n’est réellement, je sors ensuite de la pièce. Le pensionnat est toujours silencieux, il doit être encore tôt. Il n’y a que Julian, lui seul, déjà vêtu de son uniforme, adossé au mur en face de moi. Il hausse un sourcil en me voyant, un sourire flottant sur ses lèvres.

- Alors monsieur ? On s’est mal réveillé ce matin ? C’est quoi cette tête ?
Il doit sûrement faire référence aux cernes qui soulignent mes yeux bleus ou mes lèvres serrés qui forment une ligne droite. Ou le fait que je n’ose pas sourire au risque que quelqu’un surgisse et en fasse une conclusion hâtive.
Qui sait.
Les gens se font parfois de ses idées…
- Tu es levé depuis quand ?
- Quelques minutes seulement, dit – il en essayant même pas de se rappeler.
J’espère seulement qu’il ne m’a pas vu le fixer, debout au dessus de son lit.
- Et toi ? Questionne t-il anodinement en croisant les bras.
- Pas longtemps non plus.
Je m’adosse au mur d’en face.
- Je suis désolé… que tu m’ais vu dans un état pitoyable hier soir. Je ne fais plus de malaises depuis l’âge de quatorze ans, mais depuis que je suis arrivé ici je crois que ma santé n’est plus ce qu’elle était.
Je dis ça comme une personne âgée qui se plaindrait, mais je suis sincère. Les crises d’angoisses n’étaient plus ré – apparus depuis très longtemps. Au fond de moi, je sais que c’est dû au pensionnat. Il me change, et même si je commence à m’y habituer et à apprécier le lieu et mes camarades, peut être devrais – je songer à la rédemption douloureuse qui m’attends pour ressentir ce que je ressens pour Julian.
- Ne t’inquiète pas pour ça. Tu sais… à quoi c’est dû ?
J’ai un sourire ironique, qui cache des pensées amères.
- Tu disais que de nous deux tu étais le plus bizarre, moi je m’accroche sévèrement à l’idée que tu te trompes…
Il a un haussement de sourcil irrité, comme si il pensait que je me trompais, alors que je suis sur d’avoir raison.
- Ce n’est pas ce que j’ai demandé, le nouveau.
On échange un long regard. Je note au fond de moi que cela fait longtemps qu’il ne m’a pas appelé comme ça, et que ce surnom me procure une sensation de chaleur – qui me plaît un peu trop – , ce qui n’était pas le cas avant, j’en venais même à détester qu’il me donna ce nom…
- Eh bien, je ne sais pas vraiment. Ma mère a toujours refusé d’aller voir un médecin et lui faire part de mes … étourdissements. Je la comprends, j’étais déjà différent à l’époque, elle ne devait pas être pressée de rajouter un nouveau problème à la liste de son fils. Mais je crois que la foule, le bruit, un contact involontaire et déplaisant avec quelqu’un qui marche prés de moi… Tout ça.
- Mais tout le monde le ressens, pourquoi tu…
- Je ne sais pas. Peut être suis – je… ( je songe à un mot qui définirait bien ce qui enclenche ces malaises. Sensible ? Non, sûrement pas, je ne veux pas qu’il me pense faible… ) Enfin, je ne pense pas percevoir le monde comme les autres…
- Jamais entendu un aussi gros narcissisme, dit – il pour rigoler, me coupant la parole.
Je fais un mouvement énervé du bras pour lui intimer au silence. Depuis quand coupe t-on la parole aussi souvent ?
- Ce que je veux dire, c’est qu’il m’arrive d’entendre le bruit comme si il vibrait dans ma tête, dans mon cœur, partout. Il retentit dans mon crâne d’une manière désagréable, parfois insupportable. La musique, c’est encore pire si elle est forte. Et lorsque je suis entouré d’un nombre trop élevé de personnes, je me sens étouffé. Ce n’est pas tout le temps, mais en ce moment beaucoup trop… Et j’ai du mal à respirer. Des larmes affluent dans mes yeux, je sens que ma gorge me démange et si on me touche quand je me sens mal, c’est encore pire.
Il ne fait plus du tout la même tête, semble contrit… inquiet. Ses yeux gris flamboient d’une lueur inexplicable, et je les trouve magnifique. La véracité de mes paroles me sautent aux yeux, j’ai si bien réussi à lui expliquer ce que je ressens… Je ne l’avais jamais fait, jamais aussi bien dit, à personne.
- Alors… Quand j’ai passé ma main dans ton dos pour que tu ailles mieux, hier soir, est ce que ça t’as dérangé ?
Il le demande prudemment, ne semble pas sur de ce qu’il faut dire, bien sur. Je déglutit, baisse les yeux, gêné. L’idée que nous sommes les deux seuls garçons réveillés pour l’instant et qu’il n’y a personne autour de nous, que personne ne peut nous entendre…
- Non, pas du tout. C’était… bien.
Il me sourit, puis s’avance vers moi, et je ne sais plus quoi faire, dois – je me pousser ? Que fait – il ? Puis je comprends, avec un mélange de déception et de soulagement, mélange compliqué, qu’il veut juste entrer dans la salle de bain à son tour. Je me décale et il entre, ferme la porte, et je l’entends marcher et ouvrir un casier de l’autre côté du mur. Au moment ou j’entends ses vêtements tomber par terre, je décide de partir.
En tournant à l’angle d’un couloir, je réalise que mes joues sont brûlantes et mes pas désordonnés. Ce constat me plonge dans des pensées sceptiques qui me font vite culpabiliser. Qu’est ce qu’il m’arrive ? Il faut que je me reprenne, sinon Julian va me prendre pour un fou et il ne voudra plus être mon ami.
J’essaie de respirer normalement en entrant dans le réfectoire, ou personne ne prends encore son petit déjeuner. Il est tôt, mais les mets ont déjà été déposés sur les tables et je choisis une pêche dans une pannière de fruit.
Je suis en train de manger, essayant de me concentrer sur le contrôle que j’aurais en littérature cet après – midi, lorsque je sens que quelqu’un s’est assis sur la chaise à ma droite. Je sais qui c’est, et ne tourne même pas la tête dans sa direction, irrité.
- Tu t’es bien amusé, hier soir ? Me demande Steven Gobb entre deux bouchées.
Quand il parle, je peux voir les aliments se broyer dans sa bouche et les miettes affluer aux comissures de ses lèvres, c’est dégoûtant. J’essaie de paraître détendu, mais sa simple présence me crispe. Je ne comprends pas comment Neil peut être ami avec lui.
- De quoi est ce que tu parles ?
Je pose ma pêche sur la table, l’appétit coupé. Fait il allusion à… Sait – il que Julian et moi avons empruntés les vélos dans la grange ( ces vélos d’ailleurs volés ) et sommes allés à la fête du village voisin ? Nous a-t-il vu ?
Je jette un regard mauvais à Steven, essayant d’y mettre toute mon aversion pour lui. En réponse, il souris simplement, comme si il était l’ange et moi le démon. J’ai envie qu’il n’ait jamais existé.
- Tu sais de quoi je parle, Alex, dit il simplement, l’air détendu.
- Ne m’apelle pas comme ça.
Je déteste le fait qu’il m’ait nommé par mon surnom comme le fait ma mère ou mes amis ( amis, ce mot toujours étrange à penser ). Pour lui, ce sera toujours Alexandre, et si possible rien. Mieux vaut qu’il ne me parle plus jamais.
- Oh, désolé. Calme toi. Désires tu que je parle au directeur de quand tu sors le soir sans autorisation ?
- Est-ce que tu m’espionnes ? Tu sais, Steven, je sais que tu as une obsession envers moi, et je te comprends, dis – je pour donner le change, mais tu ne peux pas empiéter sur ma vie privée comme ça. Et le chantage ne marche pas avec moi.
C’est complètement faux, mais j’espère que ce mensonge lui fera changer d’avis. Il prends ma pêche, celle que j’avais posée devant moi, et mord dedans en me fixant méchamment. Le jus coule sur son menton et il ne cherche pas à l’essuyer. J’esquisse une grimace, me sentant désolé pour l’aliment. Rien ne devrait entrer en contact avec la bouche de cet homme.
- Arrête de mentir, Alex, arrête, arrête, arrête. Tu ne fais que ça, mentir. Mentir à Neil, mentir au Directeur, me mentir, à moi, et je déteste les mensonges.
- Ne m’apelle pas comme ça !
- Oups, j’ai pas fait exprés. Tu me crois j’espère ? Moi, je ne mens pas.
Je me lève brusquement, ma chaise se renverse sur le sol au passage, heureusement qu’il n’y a personne d’autre. Mes pas résonnent bruyemment dans la pièce tandis que je pars sans répondre, sans même jeter un regard vers ce malade.
En partant, je réalise que j’ai peur de deux choses : qu’il en parle au Directeur et que je sois renvoyé, mais aussi, et c’est encore plus terrible, qu’il devine ce que je ressens lorsque je suis en présence de Julian. Si ce n’est pas déjà fait.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 11 :

Noel approche. Dehors, la neige tombe considérablement,formant une couche de dix bons centimètres sur le chemin qui mène à Harly’s Park. Ce week end, Adriana m’a donné rendez vous prés de l’arbre ou nous nous asseyons parfois pour parler ou juste regarder le ciel. La dernière fois, j’avais apporté mon casque et un radio cassette, un cadeau de ma mère qui ne laisse pas possibilité d’écouter beaucoup de musiques.

On est restés dans le parc trois heures, oubliant juste de manger et de rentrer, nous avons loupés le repas du midi et je me suis endormi sur la branche. Heureusement, j’étais sur le point de tomber et une impression de vertige s’est introduit dans mes rêves pour me réveiller avant la chute.

J’arrive au lieu de rendez vous avant elle. Enfin, c’est ce que je pense car je ne regarde pas au dessus de moi.
- Hello blond boy, me dit – elle joyeusement en m’apercevant sous l’arbre.
Elle est déjà montée dessus, vêtue de son manteau beu, son cou sous une écharpe de laine étouffante, tout ça faisant bien sur partit de l’uniforme d’hiver. Je suis déterminé à ne pas porter d’écharpe ou de bonnet, de mon côté. Je trouve ces trucs tellement désagréables, il ne manquerait plus que je m’évanouisse à cause de ces imbécilités.

- Ne tombe pas !
- Tu n’as pas confiance en mes talents d’équilibriste ? Demande Adriana en haussant un sourcil, tout sourire.
- Pas vraiment, honnêtement… Dis – je en montant à mon tour, m’aidant de petites branches ici et là.
- Ça m’étonne de toi. Tu vas bien ? Tu as l’air fatigué.
Je ne suis donc pas le seul à avoir remarqué les cernes violets qui sont de plus en plus larges sous mes yeux bleus. Pourtant, je ne peux m’empêcher de les trouver jolis, du contraste foncé qu’ils apportent à mes iris pâles.
- Disons que le sommeil ne se trouve pas facilement…
On s’assois et elle me lance un regard inquiet.
- Qu’est ce qu’il se passe ?
Je suis sur le point de la rassurer lorsque j’entends des voix, juste en dessous. Je baisse la tête et découvre avec stupéfaction que nous ne sommes pas les seuls à connaitre ce coin. Julian et toute sa bande d’amis se baladent sur le sentier de terre, parlant bruyamment et se donnant des accolades de mâles viriles. Adriana étouffe un rire en les voyant, ce que je ne comprends pas vraiment. D’habitude les filles trouvent ce genre de garçons cools et attirants. Je lui intime le silence, peu désireux qu’ils nous remarquent.
Mais je devrais être habitué à ne pas avoir de chance. Au moment ou ils passent sous l’arbre, Julian lève la tête, sans raison apparente, peut être voulait – il tout simplement regarder les nuages, ou a-t-il sentit une présence au dessus de lui. Je croise son regard, il a l’air surpris.

Surpris de me voir ici, perché dans un arbre ? Ou surpris que je sois en compagnie d’une fille ?
Il ralentit et je reste silencieux. Va-t-il héler ses amis ?
- Qu’est ce que tu fais là, Alex ? On ne t’a jamais dit qu’espionner était un vice ? Demande t-il de sa voix arrogante en m’adressant un léger sourire.
- On ne vous espionnait pas ! Lance Adriana à ma place, l’air agacée. Vous pouvez passer votre chemin, merci.
Je la regarde, étonné. Depuis quand a-t-elle autant de mordant ? Toujours est – il que les amis de Julian ne tardent pas à revenir sur leurs pas en entendant notre petite discussion. Ils murmurent en riant, ont l’air de se moquer de nous, mais je m’en fiche. Seul la présence de Julian compte. Il fixe Adriana, impassible, semblant se rendre compte de son existence, tout d’un coup.
- Tu ne m’avais jamais dit que tu avais une petite copine.
Je n’arrive pas à déceler l’étrange pointe qu’il y a dans son ton, quelle est cette émotion qu’il transporte dans sa voix.
- Ce n’est pas…
Je suis coupé par un de ses amis, roux et me dépassant d’au moins quatre têtes. Il a un rictus méprisant sur les lèvres.
- Descendez les tourteraux, on ne va pas vous faire de mal.
Adriana lève les yeux au ciel, et j’esquisse un mouvement pour descendre, mais elle saisit mon poignet, le regard froid.
- Ne me dis pas que tu vas vraiment descendre ! Regarde les, ils sont pathétiques.
J’hausse les épaules. Je me fiche de ce qu’ils sont ; je suis trop heureux de croiser Julian ici et de pouvoir lui parler sans que personne ne se fasse des idées.
- Je connais le brun. Celui qui a les yeux gris. C’est mon … ami.
- Ami, tu es sur ? Questionne t-elle, ayant l’air de dire que je me trompe.
- Bon, écoute, fais ce que tu veux, moi j’y vais.
Elle finit par pousser un soupir et je dégage mon poignet. Bien sur, comme je m’y attendais, elle me suit en bas. On passe de branche en branche jusqu’à atterir sur le sol, et je me précipite d’enlever les brindilles dans mes cheveux.
- Enfin, vous voila. On espère ne pas avoir interrompu des petites calins entre amoureux… S’exclame un autre garçon aux boucles châtains qui je crois s’appelle Gaston.

- Tais toi, dit Julian en levant les yeux au ciel, l’air sérieux. Je le connais.
- Ouais ben ou devrait peut être se dépêcher de rejoindre le lieu de rendez vous plutôt que de faire parlotes avec tes amis secrets, Julian.
Gaston semble un peu exaspéré et reprends la tête du groupe, continuant leur route vers ce lieu de rendez vous dont ils parlent. Quelques – uns des garçons me regardent bizarrement mais je ne leur prête pas attention et me tourne vers Julian.
- Je suis désolé pour eux, ils sont assez stupides, murmure t-il avec un clin d’œil.
- Non, je m’en fiche, je réponds, sincère. Ou est ce que vous allez ?
Il n’hésite pas une seconde avant de répondre, comme si il était évident que je puisse savoir ou ils vont. J’aime cette confiance qu’il a envers moi.
- On s’est donnés rendez vous avec des filles du pensionnat féminin. On les connais bien et parfois on se retrouve quelque part pour parler ou autre… Et puis plusieurs de ceux là, dit il avec un coup d’œil vers les garçons qui se sont désintéressés de nous, sortent avec ces filles, alors je les accompagne, et… Bref. Ça vous intéresse ? Tu veux venir ?
Il me regarde, l’air d’attendre une réponse, et je me tourne vers Adriana.
Celle-ci a l’air irritée que nous ayons été coupés par l’arrivée de Julian et son groupe d’amis mais elle s’est un peu écartée de moi, comme pour reprendre de l’assurance. Derrière son masque impassible, elle se sent juste intimidée, je le sais. Je le devine dans ses yeux. Et puis, je commence à très bien la connaitre.

- On y va… ?
Elle hausse les épaules en regardant Julian.
- D’accord.
Je me retourne vers mon ami :
- C’est d’accord, on viens. Ça ne dérangera pas tes amis ?
- Non, pas du tout ! C’est cool !, dit – il avec un grand sourire.
Nous suivons ses amis qui se sont regroupés devant, à quelques mètres de nous. Je ne crois pas qu’ils soient enchantés que nous nous joignons à eux, mais tant que Julian le veut, lui, je viens. Ces garçons ne me font pas peur.
- Alors… Tu t’apelles Julian ? Demande Adriana à celui – ci, interdite.
- C’est ça. Julian Llorim, pour vous servir !
Il fait une petite révérence pour plaisanter.
- Et toi c’est…
- Adriana.
- Adriana ! Magnifique prénom.
Tous deux parlent de tout et de rien jusqu’à ce que nous soyons arrivés au point de rendez vous. Etonnemment, ils ont l’air de bien s’entendre, Adriana s’est détendue et arbore un sourire timide, et Julian la dévore du regard, l’air ravi. Je ne participe pas à la conversation, leur jetant des regards, parfois.
Les voir parler tout les deux est chose que je n’aurais jamais cru possible. Adriana, tellement douce et pleine de bonté, et Julian, arrogant, toujours allègre et parfois cynique. Ils viennent de deux mondes différents, mais se rejoignent dans le mien.
- Nous y voilà…
Le point de rendez vous n’a rien de particulier, c’est toujours dans la forêt, à un endroit dégagé d’arbres et de buissons. La terre est jonchée de brindilles et de verdures, aussi de neige, mais très peu à cet endroit – ci. Des rondins de bois ont été posés à l’avance pour former un cercle énorme ou pourrait se réunir une quinzaine de personnes. Les filles du pensionnat d’Adriana sont déjà là, emmitouflés dans leurs menteaux bleu, saluant les garçons qui sont enchantés de les voir là.
Julian nous dit les prénoms de toutes à une vitesse démesurée et je ne retiens que Daphnée et Madeleine, deux filles côtes à côtes qui se ressemblent comme deux goûtes d’eau, sûrement des jumelles. Adriana en connait quelques unes même si aucunes ne sont dans sa classe.
- Regarde Hannah, la brune là bas, la manière dont elle regarde Julian… me souffle t-elle à l’oreille en me désignant discrètement une fille qui fixe Julian intensément.
J’hausse un sourcil.

- Oui, en effet ça devient presque une agression sexuelle par le regard…
Cela m’agace qu’il ne le remarque même pas lui-même. Il ne lui accorde pas un regard, ce qui est quand même satisfaisant. Je ne peux pas m’empêcher de ressentir un sentiment de supériorité face à Hannah.
- Alors, chers amis, dit Gaston en se mettant debout sur un rondin. Veuillez prendre place ! Moi et deux de mes acolytes allons vous servir la meilleure bière de la région.
Le groupe de filles gloussent et s’assoient sur les rondins, et les gars rient en les imitant et je m’assois aussi entre Adriana et Julian. Gaston sors de son sac une bouteille d’alcool et un de ses amis, Pierre je crois, prend des gobelets.
- Ou est ce qu’ils ont trouvés ça ? Je demande à Julian en faisant attention de ne pas me faire entendre par quelqu’un d’autre.
- Aucune idée.
Il n’a pas l’air sincère mais je décide de ne pas insister. Ça ne me regarde pas, de toute manière…
Pierre distribue des gobelets à tout le monde et Adriana refuse. Il la regarde bizarrement puis me donne le mien que je prends à contre – cœur.
- Tu ne vas quand même pas…
- C’est pas si grave, dis – je en prenant une gorgée de bière sous le regard alarmé de mon amie.
C’est bien sur dégueulasse, mais je m’efforce de finir le verre en voyant que Julian a déjà vidé le sien.
En face, les filles ne semblent pas dégoûtées, aucunes ne rechignent à boire et les gobelets se retrouvent vite vides, mais la bouteille l’est aussi et quelques – uns semblent déçus de ne pas pouvoir se resservir.
- Et si on faisait un jeu ? Propose Hannah sans détourner le regard de Julian.
- Bonne idée, lance Pierre en s’asseyant prés d’elle. Mais quoi ?
- Jambe – bon as ? Propose un garçon à la gauche d’Adriana.
- Tu es le seul à connaitre ce jeu, soupire Gaston en faisant une grimace. Non sérieux mec, faudrait arrêter de sortir des noms de jeux qui n’existent pas…
- Qui n’existent pas ?! S’énerve l’autre, les joues embrasées par la colère. Ça n’existe pas, peut être Squead Time ?
- Oh je sais ! Dit celle que j’identifie comme Madeleine. Faisons un Action ou Vérité !
Des murmures parcourent le groupe des filles qui semblent toutes excitées à cette idée. Je n’ai jamais joué à ce jeu, mais dans mon ancien collège il n’était pas rare de voir des adolescents y jouer. A l’époque, je les méprisais et ça ne m’intriguait pas le moins du monde.

- Vous êtes tous d’accord pour y jouer ? Demande Gaston d’une voix autoritaire – c’est sûrement lui le leader de ce groupe – même si la manière dont lui a parlé Julian tout à l’heure laisse à entendre que ce dernier se fait respecter ici.
Tout le monde hoche la tête, moi également, peu désireux de détonner parmi toutes ces personnes qui ont l’air enchantées de faire ce jeu. Adrianna semble sceptique, mais réponds oui tout comme moi.
- Bien, continue Pierre avec un sourire carnassier, je commence. Action ou Vérité… Hannah !
Elle tripote une mèche de ses cheveux bruns de la main gauche, l’air gênée tout d’un coup. Je ne l’aime pas beaucoup. Elle m’a l’air idiote.
- Action…
Pierre esquisse un sourire, satisfait de ce choix.
- Alors, fais un bisous sur la joue du garçon que tu trouves le plus attirant !
Cette Action m’a l’air futile et sans interêt, pourtant les filles se mettent à glousser et les garçons à rigoler. Je ne vois pas bien en quoi c’est drôle. Hannah fait une moue agacée mais je lis à travers son masque qu’elle est heureuse d’avoir été choisie et d’être au centre de l’attention. Elle balaye du regard la petite assemblée de garçons, moi y compris, puis s’avance vers Julian. Elle s’avance, il ne fait aucun geste pour partir et elle se baisse pour lui asséner un léger baiser sur la joue. Julian reste impassible et elle retourne s’assoir ; ça n’a pas semblé être très concluant pourtant tout le monde semble content et certains pensionnaires sifflent et l’un deux glisse à l’oreille de Julian quelque chose comme « Veinard ! », et j’ai du mal à voir en quoi il l’est.
C’est au tour d’Hannah. Elle choisit une de ses amies, bien sur.

- Action ou Vérité Sophie ?
La dénommée Sophie fait semblant d’hésiter.
- Vérité.
- Bon. Alors dis nous, est ce que c’est vrai que tu as couché avec Guillaume Beil ?
Hannah semble très joyeuse de pouvoir embarrasser son amie et lui faire avouer une chose pareille devant tout le monde. Sophie fusille du regard son amie, reste muette. Puis finalement elle avoue que non. Elle prétend que c’est une rumeur.
Je suis un peu déçu de voir que tout le monde lance des défis ou posent des questions tournés sur la sexualité et les relations entre les pensionnaires ; leurs esprits sont tellement guidés par leurs hormones, c’est comme si la puberté des adolescents prenaient le dessus dans ce jeu alors que des choses bien plus intéressantes pourraient être dévoilées.
Sophie pose la question à Gaston, qui répond Action et doit être torse nu pendant deux tours, ce qu’il fait sans se plaindre, même le sourire aux lèvres, et j’ai de la peine pour lui en pensant au froid qui doit le geler ( en fait non, je n’ai pas de peine pour lui ).
Puis le jeu continue encore, Julian se fait poser la question cinq fois, il est très populaire auprés des filles. Je le comprends sans mal. Madeleine, Daphnée, Pierre, et d’autres encore sont choisis pour répondre à la fameuse question, Action ou Vérité ?
Evidemment, Adriana et moi passons inaperçus ce qui n’est pas étonnant. Et puis, ce jeu est tellement lassant.
- Julian ! Action ou Vérité, demande un de ses amis à la peau métisse.
Pour la énième fois, Julian lève la tête, réagissant à l’appel de son nom – lui aussi était un peu déconnecté du jeu – et semble réfléchir.
- Eh bien… Vérité, dit il au hasard.
Le garçon a une moue déçue, il est évident qu’il avait en tête de lui faire faire quelque chose d’extravagant.
- Je sais pas… Heu…
Il a l’air perdu. Gaston se penche vers lui et lui chuchote quelque chose à l’oreille, un air de parfait démon sur les lèvres.
- Dis nous, quelle est la personne ici que tu serais le plus susceptible d’embrasser ?
Le groupe de fille commence à gigoter, elles ont l’air perturbées par la question, perturbées dans le bon sens. Toutes s’attendent à ce qu’il les dise elles. Moi-même suis – je très intrigué de connaitre la réponse. Tout d’un coup, mes yeux s’illuminent et je lève la tête vers lui, alors que je ne prenais même plus la peine de regarder les autres personnes. Ce que je pense est complètement idiot ; mais un infime espoir s’est allumé au fond de ma poitrine ; dans mon cœur, en fait. A ce moment précis, j’aimerais pouvoir me frapper pour reprendre mes esprits et réaliser que je pense à quelque chose qui n’arrivera jamais et qui n’existe nulle part.
Il a l’air déconcerté par la question, ça se voit qu’il n’y avait pas réfléchi. Il ne doit pas avoir de réponse évidente, sûrement choisira t-il une fille un peu aléatoirement. Enfin, j’espère.

Soudain, il déplace sa jambe de manière à ce que nos deux genoux soient collés et le contact déclenche un long frisson en moi. Il l’a fait tellement discrètement, personne ne s’en est rendu compte, et je croirais presque au hasard si il ne m’avait pas lancé un regard vif juste après. Tellement rapidement, mais assez longtemps pour que mes yeux bleus se plongent dans les siens, gris, argentés, et qu’une flamme s’embrase en moi. J’ignore pourquoi il a fait ça, je suis le seul à l’avoir remarqué.
Peut être… ?
- Hannah, déclare t-il ensuite d’une voix égale.
La concernée semble s’étouffer de joie et essaie d’offrir une mine indifférente même si elle est flattée et rougit considérablement. Si ses amies sont jalouses, elles n’en montrent rien.
Inexplicablement, je suis jaloux aussi. Je sais que c’est fou d’être jaloux de ça, mais je n’y peux rien. Je sais que quelque chose est anormal en moi, et c’est lié à Julian. Mais bizarrement, ça ne me dégoûte pas, je suis juste surpris. Déconcerté… Je ne déplace pas mon genoux, le laissant toucher celui de Julian volontairement.
Elie_Saurceucos

Profil sur Booknode

Messages : 195
Inscription : mer. 28 août, 2019 11:52 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par Elie_Saurceucos »

Oula Oula Oulalalala!!!! Je viens de tout lire ^^ et dcp je te fais mon retour:
1. C'est excellent! Vraiment je le pense. Tu t'es beaucoup améliorée depuis la dernière fois que je t'ai lu et franchement... c'est sans comparaison. Les mots sont fluides. Tu as un vrai style.
2. J'attends avec impatience la suite (même si, tu me connais, edt chargé etc)!
3. Alors c'est vrai que j'ai repéré quelques fautes d'orthographe et des mal-dits... enfin ça reste tout de même incroyablement bon! Tu as un vrai talent.
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Rousseau2238 a écrit : mer. 11 janv., 2023 3:07 pm Oula Oula Oulalalala!!!! Je viens de tout lire ^^ et dcp je te fais mon retour:
1. C'est excellent! Vraiment je le pense. Tu t'es beaucoup améliorée depuis la dernière fois que je t'ai lu et franchement... c'est sans comparaison. Les mots sont fluides. Tu as un vrai style.
2. J'attends avec impatience la suite (même si, tu me connais, edt chargé etc)!
3. Alors c'est vrai que j'ai repéré quelques fautes d'orthographe et des mal-dits... enfin ça reste tout de même incroyablement bon! Tu as un vrai talent.
Merci beaucoup ça me fait extrêmement plaisir ! J'essaie de m'améliorer. :D
elohane

Profil sur Booknode

Messages : 3060
Inscription : ven. 27 mars, 2020 3:16 pm

Re: J'irais en Enfer

Message par elohane »

Chapitre 12 :

Les filles du pensionnat sont rentrées pour arriver à temps avant le déjeuner. Hannah a décochée un long regard langoureux à Julian avant de partir elle aussi, et les amis de celui-ci ont quittés les lieux également, mais Julian a préféré rester avec moi et Adriana encore un peu, pour une raison qui m’échappe. Gaston a soupiré.
- Alors, demande Adriana, qui s’est détendu en compagnie de mon ami, et lui parle à présent amicalement ; ce sont eux tes amis ?

Nous marchons dans la forêt sans but précis. Il a recommencé à neiger et une épaisse buée se forme hors de notre bouche à chaque fois que nous parlons. Je me tiens un peu derrière, les écoutant discuter. Ils ont l’air de bien s’entendre, chose qui ne me préoccupe pas vraiment mais… C’est sans doute mieux si ils ne deviennent pas amis, non ? Je suis différent lorsque je suis avec Julian de quand je suis avec Adriana. Et je ne souhaite pas que ces deux parties de moi se rejoignent ; ce serait trop compliqué.
Il fait froid ; j’ai mis mes mains dans mes poches, les flocons de neige fondent sur mes cheveux qui sont mouillés à présent. J’ai hâte de rentrer au pensionnat, et j’ai hâte d’être à nouveau seul. Ça m’a manqué de m’avoir pour compagnie seulement.
- Ils ne sont pas vraiment mes amis. Juste de bons camarades.

Elle hausse les sourcils.
- Je ne vois pas comment tu peux les apprécier. Ils ont l’air idiots.
Il sourit.
- Tu as peut être raison, mais je suis un idiot aussi, et les idiots ne méritent que les idiots.
- Non, toi tu es intelligent. Ça se voit, murmure t-elle, l’air sincère.
Sûrement Julian n’est pas habitué aux compliments, mais il perds un peu de son assurance et rougit légèrement, ce qui a le don de m’agacer. Oui, il est intelligent, tout le monde le sait.
- Merci.
- De rien, dit – elle, pleine de bonté.
J’aime beaucoup Adriana, mais en ce moment précis j’ai du mal à me rappeler comment nous avons pu devenir amis. Elle est douce, gentille et amicale, et je suis froid, silencieux et solitaire. C’est la vérité.
Et puis je croyais qu’elle n’aimait pas Julian.
Je ralentit de quelques pas, souhaitant m’éloigner un peu. J’ai mal à la tête rien qu’en les entendant se faire des compliments.
- Dis, je me demandais, comment se fait il que vous soyez amis, toi et Alex ? Il n’est pas du genre à trainer avec des gens comme toi. Sans vouloir te vexer.

- Tu ne me vexes pas. Mais disons qu’il n’a pas vraiment eu le choix d’être mon ami, plaisante t-il, et cela suffit à déclencher l’hilarité de son interlocutrice.
Il la fixe intensément pendant qu’elle rit, et je sais qu’elle est plus jolie encore quand elle rit, je l’ai remarqué. Je ne suis pas intéressé par beaucoup de choses, mais je sais observer les gens. Ses boucles châtains, presques blondes, semblent briller encore plus ; et c’est magnifique sous la neige. J’envie à Adriana ce regard que Julian a pour elle.
Et puis la raponse de ce dernier ne m’a pas convenu. C’est vrai qu’au départ je ne l’aimais pas beaucoup, mais il me semble qu’il pourrait dire pourquoi il est venu pour moi, au moins que je le sache.
C’est sur que son intérêt envers moi est un vrai mystère. Lui, lui, il n’aurait pas du venir vers quelqu’un comme moi.
- Vous vous connaissez depuis quand ? Demande t-elle en souriant.
- Bon, ça suffit, dis – je en me saisissant du poignet de Julian pour qu’il arrête de marcher. Je crois que tu devrais rentrer à ton pensionnat Adriana, ou tu ne seras pas à temps pour le déjeuner.
Je fais des efforts pour réussir à sourire normalement mais je sais qu’elle a vu que quelque chose n’allait pas. Julian s’est raidit, je me force à ne pas le regarder. Je lui sers le poignet amérement ; un peu trop fort. Mais il ne dit rien.
- Bon… Alors à bientôt ?
- A bientôt, dit – il calmement.
- C’est ça… Je soupire.

Elle fait un dernier signe de la main, l’air un peu inquiète, puis s’en va rapidement. Une fois qu’elle est hors de vue, je relâche doucement son poignet.
- Qu’est ce qu’il y a Alex ? Je n’ai pas le droit de parler à ton amie ?
Je lève les yeux au ciel. Une boule semble s’être coincé dans ma gorge et j’ai du mal à retrouver la parole.
- Si, bien sur. Mais je ne crois pas qu’Hannah serait très heureuse si elle voyait comment tu la regardes. N’est – elle pas celle que tu es le plus susceptible d’embrasser ?
Je fais évidemment référence à Action ou Vérité. Moi-même je ne crois pas à la jalousie qui suinte dans ma voix, je suis sur qu’il l’a repéré. Il doit vraiment me prendre pour un fou.
- Je me fiche d’Hannah. Et, ne fait pas l’idiot, tu sais bien qu’elle n’est pas celle que je suis le plus susceptible d’embrasser.
En fait, je l’avais vraiment cru. Mais bon, qu’est ce que ça change ?
- Tu es jaloux ? Réncherit – il, avec un ton que je n’identifie pas.
Je ne réponds pas. Le silence est pourtant le pire des aveux.
- Ne t’inquiète pas, je ne parlerais plus à Adriana si c’est ce que tu souhaites. Je te la laisse…
Je relève la tête, étonné. Je ne pensais pas qu’il penserait que j’étais… jaloux dans ce sens là, mais c’est à mon avantage.
- Tant mieux, dis – je.

On reste muets pendant quelques minutes, et il me regarde pendant tout ce temps. Mes yeux me brûlent, et je crois que c’est à cause des flocons de neige sur mes paupières, mais comment être sur que ce n’est pas à cause de l’angoisse qui me tord l’estomac ? Je lève la tête vers lui. Si un jour je le perds, il vaudra mieux me tuer. Son manque sera insuportable.
- J’y vais, dis – je tout bas, car si je parle plus fort ma voix risque de dérailler dangereusement.
Il ne réponds pas et j’arrive à partir avant de comettre l’irréparable.


- Tu me passes les petits pois ? Demande Neil d’une voix égale.
Il m’observe depuis tout à l’heure ; mais je suis tellement plongé dans mes pensées que je n’ai même pas pris le temps de lui adresser la parole depuis que nous nous sommes assis à la table du fond, au centre du réfectoire qui fourmille de pensionnaires.
- Hein ?
- Laisse tomber, soupire t-il.
Je fais mine d’être concentré sur mon assiette, comme si ce poisson était tout d’un coup d’un intérêt singulier. En vérité, je me rejoue dans ma tête la conversation que nous avons eu ce matin, moi et Julian.
Si les gens autour de moi savaient à quoi je pensais, je pourrais dire adieu à ce pensionnat ; à ma vie. Comment comprendre ce que je ressens ? Je m’afflige moi-même. Je ne me suis jamais autant attaché à une personne, pas si… fort. Et pas à un garçon. Dans ma vie, il n’y a jamais eu comme être aimé que ma mère et ma grand-mère, depuis pas longtemps Adriana. Je n’ai jamais été proche d’un homme ou d’un garçon, pas mon père en tout cas. Je n’ai jamais connu ce dernier.
- Alex, à quoi tu penses ?
Neil me pose cette question l’air ennuyé. Il semble vraiment inquiet et je remarque qu’il n’a touché à rien dans son assiette depuis le début du repas, chose anormale.
- A Noel qui arrive.
Bien sur c’est faux, mais Noel occupe tellement les esprits en ce moment qu’il ne pourra pas me contredire. Lui-même m’a parlé de ce qu’il comptait faire pour l’occasion.
- Ah. Est-ce que tu comptes aller le fêter chez toi ?

Je doute que ma mère ait le temps ou l’argent pour Noel. Non, il vaut mieux que je reste ici.
- Je pense le passer au pensionnat.
- Mais… Tu sais il n’y aura presque personne à ce moment là. Tu veux rester deux semaines dans un pensionnat presque vide ? Tu vas sûrement t’ennuyer, il n’y aura même pas de cours.
Etre seul pendant deux semaines ? Je ne serais jamais mécontent de ça. J’aime être seul, et j’apprécie le pensionnat. Cela va faire des mois que j’y vis et je me suis habitué.
- Oui. Il suffit que j’en parle à Mme Hopkins.
- Bonne chance…
Il hausse des sourcils éloquents puis débarasse. Il n’a toujours rien avalé. Neil change un peu, en ce moment… Et il traine de plus en plus avec Steven Gobb, ce que je n’aime guère.
Après le repas, je me retrouve dans le bureau de l’adjointe directrice, Mme Hopkins. Elle est en train de remplir des fiches et me jette un regard noir lorsque j’entre sans frapper – un oubli, évidemment.
- Qu’est ce qu’il y a encore ? Maurice a encore déclenché une bataille de stylo, ou c’est Pierre qui a amené de l’alcool dans l’enceinte du pensionnat ?
- Rien de tout ça, j’assure en prenant place devant son bureau en marbre.
Elle se redresse et ré – ajuste ses lunettes sur son nez.
- Bon, dis moi vite, j’ai un rendez vous dans pas longtemps.
- Je me demandais si je pouvais rester au pensionnat pour Noel ? S’il vous plait, j’ajoute en m’efforçant de sourire.
Elle souffle et me jauge du regard pendant un court instant.
- Toi ? Mais il me semble que ta mère peut te prendre pendant les vacances.
- Oui, mais je préfère rester ici. Et puis je suis sur qu’elle travaillera. Je vous en pris… Je serais sage.
Elle n’a pas l’air étonnée, j’ai toujours été sage. Pas que je veuille me vanter, mais un professeur n’a jamais eu à me reprendre et j’ai des notes excellentes. Après tout elle n’a pas de raisons de refuser…

- Bon… Si tu es sur que tu ne t’ennuyeras pas… Je vais apeller ta mère pour le lui dire. Alexandre c’est ça ? Tu es le fils de Margarette.
- Exact. Merci beaucoup !
Elle plisse les lèvres étrangement comme si elle voulez sourire mais ne s’y autorise pas, et je me lève pour sortir.
- Une seconde !
Je me retourne, surpris.
- J’ai posée cette question à nombre de tes camarades et jusqu’à maintenant aucun n’a su me répondre… Le pensionnat a été victime d’un vol il y a quelques jours. Deux vélos, qui se trouvaient dans la grange, ont disparus. Si il se trouve que tu es au courant de qui a fait ce vol, et si c’est un pensionnaire, tu dois nous le dire. C’est très important, et nous t’en serons gré.
J’essaie de rester le plus normal possible, bien que mon visage se soit figé. Je déglutit, la bouche sèche. De l’autre côté du bureau, la femme me fixe derrière ses lunettes de vautour.
- Non, je ne sais rien à propos de ça madame. Excusez moi.
Elle m’observe intensément et je me dépêche de sortir de la pièce, gagné par une bouffée de chaleur. Une fois sortie, mon corps lâche de lui-même et je glisse contre le mur, mes deux mains parcourant mes cheveux dans un geste angoissé ; allant presque jusqu’à en arracher. Un garçon passe dans le couloir et me jette un regard étonné, je l’ignore et entoure mes genoux de mes bras, baisse ma tête et essaie de rassembler mes idées.
Rien ne prouve qu’elle a des soupçons. Je suis le pensionnaire le moins dissipé, elle ne penserait pas à moi tout de suite. Mais… elle penserait à Julian immédiatement, évidemment. Julian est le garçon le plus indiscipliné, le plus effronté du pensionnat. Et en ce moment on nous voit souvent ensembles ; peut être a-t-elle fait le rapprochement…
Terrifié, perdant mon sang froid de manière inhabituelle, je me dépêche de retrouver le garçon en question pour lui faire part de mes inquiètudes.
Il faut au moins que je le prévienne… Je monte jusqu'au dortoir ou jouent aux cartes cinq adolescents, parmis eux je ne vois pas celui que je cherche. Je referme la porte alors qu’ils n’ont même pas eu le temps de m’apercevoir puis redescends les escaliers et traverse un autre de ces couloirs large et baigné de lumière ; il est possible qu’il soit en train de manger, même si il commence à être tard. En passant dans le couloir, soudain j’entends sa voix. Je la reconnais tout de suite, elle ne m’échapperait pour rien au monde.
Je pivote et fais marche arrière de quelques mètres, juste devant la bibliothèque. Je dois sûrement avoir l’air paniqué mais tant pis.
Un groupe de terminales parlent dans un coin, une pile de livres conséquente prés d’eux. Je les dépasse et marche entre les tables qui croulent sous les romans et les étagères débordantes d’écrits. J’ai entendu sa voix, il ne peut pas être allé bien loin.
Enfin, j’arrive dans un coin plus reculé, une alcôve avec des fautueils et un canapé, ce que le bibliothècaire appelle le coin lecture calme et que personne n’utilise comme tel. La fenêtre de cet endroit donne sur la grange ou sont rangés les vélos. Je discerne par la vitre un ciel gris, porteur de mauvais présages. Je serre la machoire, maussade, avant de me retourner.

- Alex ?
Julian est là, à l’entrée de l’alcôve, je suis entré si vite que je ne l’ai même pas vu. Il est avec Gaston, je le constate avec un des plus grands agacements. Lui aussi n’a pas l’air très content de me voir.
- Encore ton ami…, gromelle t-il assez fort pour que je puisse l’entendre.
Julian l’ignore et s’avance vers moi, interdit. Il n’a pas oublié la façon dont on s’est quitté ce matin, en froid. Sa cravate est anormalement bien mise, droite sur sa chemise, et il n’a pas remonté les manches de son blazer pour une fois. Mais sans cette attitude nonchalante et avec cet air sérieux, il est encore plus déstabilisant et beau que j’en oublie un instant la raison de ma venue. J’entrouvre les lèvres, bafouille.
- Bah dis donc, il ne trouve plus ses mots, le petit intello maintenant… Se moque Gaston en haussant un sourcil.
Julian ne répond rien mais n’a pas l’air enchanté que j’arrive alors qu’il parlait avec son ami ; un ami peut être plus proche que moi de lui.
- J’aimerais juste t’adresser quelques mots, dis – je en regardant Julian dans les yeux.
Je suis moi aussi impassible, si ne laisse rien transparettre moi non plus. Il semble hésiter, mais finalement hoche la tête doucement.
- Je te retrouverais plus tard, dit il à Gaston sans même le regarder.
Ce dernier souffle avant de partir.
Dans cet endroit règne une ambiance étrange, nous sommes encore dans la bibliothèque mais j’ai l’impression que nous sommes séparés du monde. Si quelqu’un arrivait là, maintenant, j’aurais du mal à le croire.
- Qu’est ce que vous faisiez ? Dis – je en montant sur le rebord de la fenêtre, côté intérieur bien sur.
Je m’assois contre la vitre, histoire de paraître plus décontracté, moins affolé que lorsque je suis arrivé.
- Ça ne te regarde pas, le nouveau.
Je déglutit, j’ai du mal à regarder autre chose que lui. Qu’il m’apelle ainsi me fait toujours bizarre. J’aime avoir le souvenir de ce surnom avec lui.
J’aimerais pouvoir m’approcher de lui, même lui prendre la main, rien que pour pouvoir sentir sa peau qui brule la mienne, mais c’est trop fou pour pouvoir se réaliser un jour.

- En effet… Il y a plus urgent. Mme Hopkins m’a posé des questions sur les vélos qui ont disparus.
Julian écarquille les yeux, surpris. Je suis content que lui aussi réagisse comme ça. Même si il est sans doute moins excessif que moi… Un tas d’émotions semblent le submerger, mais son visage finit par revenir inexpressif, ce qui m’est presque décevant. Mais comment lui reprocher d’avoir un tel sang froid ? Aussi frustrant soit – il ?
Il s’approche de la fenêtre.
- Tu es sur ? Elle te suspecte ?
- Pas vraiment. Elle demande ça à tout ceux qui viennent dans son bureau. Elle finira par te poser la questions à un moment. Il est plus probable qu’elle croit que c’est toi que moi…
Il ne semble pas vexé, mais fronce les sourcils.
- Qu’est ce que tu veux dire par là ?
- Tu sais bien.
- Non, non. Je sais pas, dit – il un peu plus fort.
Je me lève du rebord, face à lui. Heureusement, je n’ai pas besoin de lever la tête pour pouvoir lui parler. J’ai du prendre quelques centimètres depuis que je suis là.
- Tu déranges les cours, te pavane en parlant fort, attire l’attention. Les résultats scolaires ne sont évidemment pas ta priorité. Tu serais plus âpte à commettre des vols que moi.
Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre en lui disant ça ; je veux juste qu’il puisse se préparer à mentir si on lui pose des questions. Je ne voudrais pas qu’il soit renvoyé. Jamais.
Julian hausse les sourcils, moqueur.
- Je ne suis pas plus un voleur que toi. Ce n’est pas ma faute si ces vélos ont disparus, tu sais que je comptais les ramener. On a pas eu de chance. Et je me rappelle t’avoir un jour surpris avec le livre d’un autre dans les mains.
Ça c’est un coup bas. Je pousse un soupir, irrité qu’il revienne à ça.

- En tout cas, de rien. Je suis venu te prévenir pour que tu puisses t’y préparer mais je crois que ça t’es égal, dis – je dans un nouvel élan de frustration.

Je voudrais qu’il me soit reconnaissant. J’ai toujours l’impression que même si je suis avec Julian et qu’il semble heureux d’être avec moi, il m’échappe. Il ne sera jamais complètement mon ami, il n’appartient à personne.
- Ho ho, dit il en esquissant un sourire. Alex est en colère.
Il s’avance vers moi sans vraiment y faire attention, je prends soin de reculer vers la fenêtre, histoire d’entretenir un peu de distance. Ma gorge se serre.
- Je ne suis pas en colère, dis – je, la bouche sèche.
- Moi non plus, dit – il, l’air sincère. Merci de m’avoir prévenu pour Mme Hopkins. Je ferais attention à elle.
- Bien…
J’essaie de reprendre de la contenance. Mais il est beaucoup trop prés. Je discerne merveilleusement bien toutes les touches de gris dans ses yeux et l’éclat particulier que prend ses mèches dans cette pièce à peine éclairée. Ses lèvres sont entrouvertes, mais forment un léger sourire que je ne lui connais pas.
- Bon, dis – je en clignant des yeux.
- Bon, répète t-il.
On reste là à se regarder sans rien faire pendant une fraction de secondes durant laquelle j’entends mon cœur tambouriner fort dans ma poitrine.
- Ho, et… Fait t-il en mettant fin au silence, je pensais que l’on pourrais partir à nouveau ce soir. Quelque part.
J’ouvre de grands yeux. Est – il sérieux ?
- Tu m’as écouté ?! Mme Hopkins suspecte quelque chose, il vaut mieux être prudents que récidiver bêtement !
- Je sais, mais… En ce moment j’ai besoin d’être avec toi, Alex. Tu dois sûrement me trouver bizarre mais tu es vraiment mon ami, plus que Gaston ou que n’importe quel autre gars ne le sera jamais.
Comme toujours, j’ai du mal à trouver une réponse. Je ne le trouve pas bizarre, Julian est tout sauf bizarre. Combien de fois devrais – je lui répéter que c’est moi qui suis le plus dérangé, de nous deux ?
Mais bien sur je ne lui révélerais jamais pourquoi.
- Moi aussi j’aime être avec toi. Mais je ne veux pas que l’on se fasse renvoyer.
- Mon dieu, Alex, tu es si… agaçant. On aura pas seize ans deux fois, alors hors de question de jouer à l’élève modèle. Tu es heureux à passer les soirées de ton adolescence dans le dortoir de ce pensionnat ?
Il me fixe intensément, et j’ai l’impression de brûler sous l’incandescence de son regard.
Je ne suis pas un garçon joyeux. Je ne fais pas de blagues, passe beaucoup de temps seul et je n’ai jamais vraiment cherché à changer cela. Etre heureux me semble à conditions, et je n’aime pas les conditions.
Mais depuis quelques temps, mon goût pour la vie est apparu et je ressens des choses surprenantes que je n’aurais jamais ressentit auparavant. Et puis, je le regarde, et il est tout simplement magnifique et je me demande pourquoi il m’a été accordé cette chance de pouvoir le rencontrer, qu’ais – je fait pour le mériter ?

- D’accord, mais on ne prends plus de vélos. Cette fois tout ce qu’il faudra faire nous le ferons à pieds.
Il est ravi de ma réponse. Presque pousserait t-il un cri de gloire si nous n’étions pas dans une bibliothèque.
- Très bien alors, parce que je compte t’emmener quelque part qui n’est pas très loin.
- Ou ça ?
- Tu verras, dit – il avec un clin d’œil.
- Et… tu es sur que personne ne s’en apercevra ? Je demande en baissant la voix, songeant surtout à cet emmerdeur de Steven Gobb.
- Arrête de te prendre la tête.
J’acquiesce, peu rassuré pour autant.
- Je dois y aller, mais rendez vous ce soir devant la sortie d’urgence que nous avons emprunté la dernière fois. A minuit moins le quart, d’accord ?
- D’accord, dis – je en essayant de dissimuler ma hâte.
Répondre

Revenir à « Essais et créations en plusieurs parties »