Mellifluence a écrit : ↑sam. 14 janv., 2023 1:44 pm
Bonjour à tous et merci pour l'ouverture du topic Evan !
Vanget, il s'agit d'un très beau texte, écrit avec talent, comme toujours, et plein de mystères.
Cette phrase est incroyable : "la haine arme encore mon bras vainqueur, et si j'avance avec peine et raideurs, je suis toujours en vie !"
Je me permets de te notifier quelques détails, mais enfin ce sont vraiment de tout petits détails car je n'ai rien d'autre à redire :
- tu as oublié un tiret entre dévoile et nous ;
- tu as mis une majuscule à l'incise intima ;
- au contraire, tu as oublié la majuscule à j'ai, ici et à l'histoire.
Tout comme Vanget, j'ai écrit un conte. C'est amusant que ce thème nous ait tous les deux orientés vers cette idée, d'autant plus que c'est la première fois que je m'essaie à ce genre. J'avoue avoir un peu bâclé la fin car je ne voulais pas y passer autant de temps, j'espère que ça ne se ressentira pas trop à la lecture... mais je pense que si, car je ne suis moi-même pas convaincue.
Il était une fois un petit garçon nommé Tristan qui aimait à parcourir les bois dans le vain espoir d’y rencontrer quelque créature merveilleuse. Il demandait régulièrement aux champignons et aux fleurs qu’il croisait sur sa route s’ils n’avaient entraperçu une fée ou un dragon, mais ses informateurs se montraient plutôt taciturnes. Peu enclin au découragement, l’enfant poursuivait son chemin au hasard, certain de parvenir un jour à percer le mystère de ces bocages.
Régulièrement, il inscrivait sur une carte qu’il avait lui-même confectionnée les nouveaux lieux qu’il découvrait, n’omettant jamais d’indiquer quelle faune et quelle flore s’étaient offertes à sa vue, à la manière d’un herboriste ou d’un zoologue passionné. Quand il ignorait le nom de tel arbre rachitique ou de tel insecte coloré, il attendait le crépuscule pour rejoindre sa maison et feuilleter la lourde encyclopédie qui trônait sur la plus haute étagère de la bibliothèque. Le lendemain, il repartait à l’aventure, fort de nouvelles connaissances et d’une détermination que rien ne semblait capable d’entamer.
C’est ainsi qu’un après-midi, Tristan décida de marcher plus longuement pour atteindre un point de sa carte encore vierge. Au bout de plusieurs heures et de maintes chasses données aux papillons virevoltants, il pénétra enfin dans une vaste clairière. Ses beaux yeux ronds d’enfant s’écarquillèrent davantage, éblouis par le spectacle inattendu de ce paysage inédit. Un maigre ruisseau dont émergeaient des pierres facilitant le passage d’une rive à l’autre s’élargissait à quelques mètres de là en un imposant bassin, surmonté d’une haute cascade.
Le petit garçon courut le long de la berge puis s’amusa à bondir sur les pierres. Très vite, il fut trempé de la tête aux pieds, mais il faisait assez chaud pour qu’il ne s’en inquiétât guère. Soudain, il se rappela un livre d’images que sa maman lui lisait et dans lequel une chute d’eau dissimulait en fait derrière son rideau aqueux une cavité secrète. Il songea que ce serait merveilleux d’avoir une telle cachette et s’empressa de rejoindre la cascade.
Tristan ne pouvait accéder à cette dernière sans entrer dans la rivière, dont le niveau semblait plutôt profond à cet endroit. Il ôta donc son pantalon, son t-shirt et ses chaussures qu’il déposa sur le rocher le plus proche. Il fit bien : il n’atteignait pas le fond et dut nager pour atteindre son objectif.
Une fois devant la chute d’eau, l’enfant hésita, ne sachant comment procéder. Il passa une main peu sûre derrière le rideau qui lui fouettait parfois le visage, tâtonnant pour chercher à savoir s’il y avait là un espace suspect. Sa paume tendue ne rencontra que du vide et il s’enhardit alors : il plongea sous la cascade et garda les yeux ouverts malgré la douleur que cela lui causait. Quand il ressortit de l’autre côté, la première chose qui le surprit fut la couleur de l’eau. Celle-ci était devenue émeraude et luisait, éclairant la grotte dans laquelle il se trouvait, et déposant sur sa peau des dépôts semblables à de la poussière d’étoiles.
Le petit garçon poussa un cri émerveillé et rejoignit promptement le sol rocheux pour entamer son exploration. À peine eut-il émergé qu’une voix forte et empreinte de colère l’apostropha :
— Eh, toi ! Sors de mon repaire fissa si tu ne veux trépasser.
Tristan, plus surpris qu’inquiété, chercha d’où provenait cet avertissement. Il s’aventura vers le fond car, même s’il n’y voyait guère, le son lui avait paru éloigné. Une nouvelle menace résonna alors, nettement plus proche, cette fois :
— Si tu me désobéis, humain, tu ne sortiras pas indemne de cette aventure. Tu paieras le prix de ton outrecuidance !
L’enfant ne comprit pas tous les mots, et d’ailleurs il se moquait bien de ce que racontait son mystérieux hôte. Non, tout ce qui l’intéressait, c’était de découvrir s’il s’agissait là de quelque créature merveilleuse. Après tout, cet antre phosphorescent ne pouvait que receler de noirs secrets… Tristan avança donc encore, mais il ne trouva rien d’autre qu’un cul-de-sac. Il songea que son interlocuteur était peut-être une fée ou un lilliputien : il pouvait se cacher n’importe où. Il devait d’ailleurs bien prendre garde à ne pas l’écraser.
Il aperçut alors dans le mur rocheux un petit trou ressemblant à s’y méprendre à une serrure. Étonné, le garçon s’approcha pour y appuyer son œil et tenter de voir ce qu’il y avait de l’autre côté. Sa bouche s’ouvrit en grand quand il comprit que la créature fantastique avait eu la même idée que lui : son œil aussi noir que la nuit était presque collé au sien. Il entendit alors un cri et le bruit d’une chute, tandis que l’iris sombre disparaissait. Tristan pouffa : pour un être menaçant, il était bien maladroit, et avait tout du simple humain !
— Je t’interdis de te moquer ! fit-il justement d’un ton geignard fort peu approprié.
Les rires de l’enfant redoublèrent et il tomba à son tour à la renverse, se tenant le ventre. Lui qui espérait rencontrer un dragon se retrouvait face à un garçon pleurnichard, qui n’avait sans doute guère plus que son âge ! Cependant, des interrogations l’assaillirent, et il parvint ainsi à se contenir pour mieux interroger son interlocuteur :
— Comment es-tu arrivé de l’autre côté ?
Il se releva pour regarder la disposition de la cavité dans le trou, mais celle-ci semblait totalement fermée, comme s’il s’agissait d’une prison qu’on ne pouvait ouvrir qu’avec une clef. L’œil noir réapparut toutefois, bouchant la vue à Tristan.
— C’est une longue histoire. Je suis séquestré ici depuis des décennies… mais maintenant, à cause de toi, je vais mourir ! Je t’avais pourtant bien dit de ne pas t’approcher.
Ces paroles sibyllines laissèrent son interlocuteur circonspect.
— Je ne comprends rien à ce que tu racontes. T’as un pète au casque, ou quoi ?
Un cri indigné lui répondit, bientôt suivi d’un soupir résigné.
— Elle m’a interdit de raconter quoi que ce soit et elle a aussi dit que, si quiconque me regardait dans les yeux, je subirais une affreuse transformation. C’est sa manière de me punir pour « mes complots et mon orgueil » : « plus jamais tu n’échangeras avec tes pairs pour ourdir quelque plan machiavélique ».
Tristan put presque l’entendre dessiner des guillemets dans les airs. Mais ce beau discours ne lui disait pas qui était cette femme ! En outre, il s’agissait probablement d’un mensonge : l’autre garçon ne désirait sans doute pas partager sa cachette. Comme s’il pouvait lire dans les pensées, celui-ci ajouta alors :
— Reviens demain, et tu comprendras.
Un rire macabre accompagna l’enfant quand il sortit de la grotte en repassant par la cascade. Tout cela était bien étrange…
Le lendemain, il se précipita dès son réveil dans la forêt pour aller voir le garçon de la prison. Il courut la plupart du temps, trop pressé pour marcher. Toutefois, quand il rejoignit le fond de la grotte pour coller son œil à la serrure, il se rendit compte que la paroi rocheuse manquait : il pouvait entrer sans encombre. L’enfant de la veille avait disparu, mais quand Tristan baissa le regard, il découvrit sur le sol un enchevêtrement d’épaisses racines. Il s’en approcha pour les examiner, mais l’une d’entre elle bougea alors et se referma autour de sa cheville. Quand il se servit du poids de son corps pour tâcher de se dégager, une deuxième emprisonna son autre pied, le laissant impuissant. Des lianes surgirent de chaque côté de la grotte et entourèrent à leur tour ses bras.
— Content de te revoir, dit soudain la voix de la veille dans un rire effrayant. Tu es vraiment un petit idiot.
Tristan tourna la tête et découvrit avec horreur l’œil noir qui l’avait fixé incrusté dans la paroi. D’autres s’ouvrirent et tapissèrent bientôt entièrement les murs : ils étaient de toutes les couleurs et de toutes les tailles et le dévisageaient. Un chœur de voix résonna alors :
— Tu es un petit curieux, toi, tu ne peux pas t’empêcher de laisser fureter ton regard partout. Vois donc ce qu’on fait aux garçons comme toi.
Un rire fou éclata et un mur descendit doucement du plafond dans un bruit feutré, rendant impossible toute tentative d’évasion : c’était celui muni d’une serrure par laquelle Tristan avait eu le malheur de regarder…
— Que ton plus grand défaut devienne ton seul attribut ! clama la paroi.