Bonjour à tous.
Mon histoire est une pure fiction. La fin est crue. J’espère qu’elle ne vous choquera pas, j’ai raconté comme j’ai ressenti les choses sous ma plume.
Un homme
Je posai ma jambe droite sur la dernière marche, qui se prolongeait en un large trottoir. Lourde, pesante comme un bloc de plomb, je me traînais, boulet de condamnée attaché à la cheville.
Malgré la fatigue qui pesait des tonnes, je sortis tant bien que mal de la station de métro, au beau milieu d’une foule grouillante et agglutinée autour de moi. J’avais le vertige. La nausée montait en puissance, j’avais eu trop chaud dans les galeries tièdes et surpeuplées du métro. Prête à vomir les tripes, je me rapprochai d’un mur et je m’y cramponnai.
Respire!
La nausée, heureusement s’atténua pour se dissiper complètement. Je restai brouillée mais capable de tenir debout adossée à ce mur.
Par là, ça sentait les frites et les burgers. Le Mac Do était tout près de la bouche de métro. Il débitait uns à uns de jeunes ados chargés de sacs en papier kraft, comme une machine débite à la chaîne de petits soldats de plomb. C’était rythmé, aussi rapide et régulier, ils sortaient tous à la queue leu leu de ce restau gras, pour aller s’asseoir sur un banc au soleil et avaler leur repas qui suintait, les yeux rivés sur le Vieux Port.
Moi je peinais à retrouver mes esprits et à me repérer. Je tournais sur moi même, en tentant de saisir un indice qui m’indique où j’étais arrivée.
- Voyons… Oui c’est ça, j’ai pris le métro à La Rose et je suis arrivée sur Le port.
Regarde comme c’est beau, me disais-je.
Les mats des voiliers s’entrecroisaient sur un fond couleur bleu dense, dessinant un maillage serré sur le ciel dégagé. Ils émettaient le bruit aigu et sifflotant des vibrations provoquées par le vent qui les frôlait tour à tour. Le son était presque mélodieux.
Je me tournai vers la mer et je laissai entrer le soleil jaune blé tout au fond de mes yeux mi-clos. C’était bon!
La brise à peine fraîche redonna peu à peu vie à mes joues, on aurait dit que le sang recommençait à y circuler.
Jusque là j’étais restée vide et asséchée de tout. J’avais erré et traversé une partie de la ville dans ce souterrain bruyant où se croisaient à toute vitesse des rames pleines à craquer et où l’air chaud et vicié m’étouffait.
J’avais quitté au hasard ma rame à l’odeur douceâtre et dérangeante et je m’étais engagée dans un escalator bondé. Pendant la montée vers l’air libre, je regardais ceux qui descendaient, je fixais chaque mine que je croisais, je les voyais trop heureux à mon goût tous ces gens. Ils descendaient lentement puis, semblant parfaitement immobiles, disparaissaient de ma vue, comme par le jeu d’un tour de magie.
J’étais arrivée là par hasard parce que j’étais descendue à la station Vieux Port pour respirer. Je me rappelais qu’en partant de chez moi, avant de tourner ma clé dans la serrure, j’avais pressé le bouton du disjoncteur.
Je ne reviendrais plus ici, l’appartement resterait sombre.
J’avais décidé que c’était un jour pour s’arrêter. S’arrêter ou arrêter quelque chose, je ne savais pas encore. S’arrêter, supprimer moi, stopper le cours de ma vie, ou arrêter quelque chose. ce qui me détruisait.
Ce serait aujourd’hui, je déciderais, mais je ne savais pas ce que j’allais choisir, ce que j’allais faire, ni quand ou comment. Il fallait que les choses prennent fin et j’allais en trouver le moyen.
Les idées tournaient dans ma tête, circuit de vitesse enfermé sous mon crâne. J’ouvris les yeux pour mieux me rendre compte du décor environnant.
Mon regard balaya l’espace : les piétons, les voitures, les camionnettes, les camions, les bus, les deux roues motorisés, les vélos les trottinettes, la grande roue qui dominait le Port, l’eau lisse, calme, huileuse et irisée, parfumée au pétrole des bateaux à moteur.
La vie me cernait.
Je plongeai la main dans mon sac. J’y avais dissimulé le Magnum 44 que je détenais depuis des années. Détention légale pour aller tirer au club sur des silhouettes-cibles en carton, «tir sportif autorisé».
Ce jour-là, j’avais plutôt envie de regarder des cibles en chair et en os, de les mettre en joue et de les tenir en respect, d’entendre leur souffle court, de voir leurs yeux effrayés par mon arme chargée.
Je ne savais pas ce que je ferais après m’être accordé ce plaisir de frustrée.
Il fallait que je prenne forme, je voulais qu’on me remarque. Pour une fois être vue. J’allais me rendre intéressante. Et j’optais pour me faire repérer en menaçant des innocents, en en faisant mes victimes terrifiées. J’allais attendre sans faillir que les flics arrivent, je le voulais. Mais au moins on m’aurait vue.
J’allais quitter l’anonymat, et écrire mon histoire qui n’avait jamais commencé. J’allais le faire en explosant la barrière et en franchissant la ligne des interdits. Ils m’arrêteraient et on parlerait partout de moi, la déséquilibrée du Port. L’idée me séduisait, et rien n’aurait pu me faire reculer.
Je levai lentement mon bras droit pour l’aligner soigneusement avec l’arme et mon regard.
Les secondes passaient, mes otages de rue étaient pétrifiés, figés dans des positions diverses.
Personne ne faisait le moindre mouvement.
Après quelques secondes interminables fractions de temps, je sentis le geste doux de quelqu’un qui venait derrière moi de poser délicatement ses mains sur mes épaules. Il arrivait sans bruit, je n’avais rien entendu. Je sursautai sans peur, il m’effleurait calmement, il me voulait du bien.
Il se pencha et chuchota au creux de mon oreille. Sa voix m’enveloppait, grave et sûre comme j’aimais les voix de mecs.
Je laissai ma tête peser contre la sienne pour pouvoir jouir de ses mots mais je ne lâchai
pas des yeux la foule des anonymes apeurés.
Tiraillée entre le désir brut de la violence sur cette foule, et le désir débridé de cet homme qui sentait bon, je me tortillais comme une femme seule en quête d’orgasme.
Je m’imaginais, actrice pitoyable de ce spectacle de rue insensé et ridicule.
- Je t’ai vue, je t’ai remarquée, tu es belle, murmura-t-il.
Je veux te regarder sereine, calme. Je ne veux pas te voir plisser les yeux, je ne veux pas te voir crispée.
Je m’appelle Marc.
Et toi ?
Il acheva sa phrase en effleurant le lobe de mon oreille de ses lèvres charnues. Le désir ne cessait de croître au creux de mon ventre, animé de spasmes de plaisir pur et intense. Comme je n’en avais jamais ressenti.
Je lâchai alors, sans m’en rendre compte, mon arme qui chuta lourdement au sol et émit un bruit sec et métallique en touchant les pavés.
Effet hypnotique d’une voix de mec, de vrai mec que je n’étreignais que dans mes rêves depuis très longtemps.
Je me retournai pour lui faire face.
Il était exactement comme dans mes nuits de fantasmes.
Grand, fin, coupe courte décoiffée, jean boy friend détendu sous le ventre, ceinture de biker, torse, que je devinais musclé juste comme il fallait, sous une chemise en jean délavé.
Je l’imaginais nu, s’approchant de moi, ventre plat dévoilant une musculature de statue, parfaite. Peau satinée, nette, lisse, bronzée pain doré.
Il venait à moi, son sexe dur tendu vers mon corps affolé d’envie et nu aussi. Il s’apprêtait à faire de moi une femme. La seconde, ou plutôt la première qui n’avait jamais vécu et allait naître sous ses coups rythmés et à peine retenus en moi.
Je crus que j’allais jouir là, dans la rue, sur le port, aux yeux de tous. Sans aucun contact, juste en m’imprégnant du spectacle irrésistiblement excitant de cet homme de passage.
Le plaisir débordant me coupait les jambes, je m’affaissai sur le trottoir les yeux fermés. Poupée de chiffon sans rebond, apaisée, molle et désarticulée.
La foule se dispersa immédiatement sans aucun bruit, comme si j’étais sourde. Je n’entendais plus rien. Je les voyais fuir, silhouettes sans intérêt.
Nous n’étions plus que nous deux, seuls, les yeux rivés l’un sur l’autre.
Il se pencha sur moi et me sourit comme si les premiers secours prodigués avaient été pour lui une évidence.
- Venez, tout va bien aller maintenant.
La police n’est pas venue, avais-je vraiment menacé tous ces gens?….
Je n’ai jamais su qui il était. Nous avons traversé la rue et sommes allés prendre un café sur une terrasse ensoleillée, sans prononcer un mot. Seuls nos yeux se parlaient.
Nous nous sommes séparés et je l’ai fixé jusqu’à ce qu’il disparaisse au coin d’une rue étroite, pour ne plus réapparaître dans mon champ de vision.
J’ai pensé à lui chaque fois qu’un homme s’est plié avec douceur sur mon corps. Je pense à lui chaque fois que ce corps désormais flétri, s’abandonne au plaisir pur. Je fais l’amour avec un partenaire dont je rêve toujours, glissé dans une autre enveloppe.
Il y a vingt cinq ans, Marc m’a mise au monde, il m’a guidée. Il m’a fait préférer le désir d’une étreinte chaude et d’une folle sensualité, au désir de la violence que j’avais si longtemps crue réparatrice.
Je suis rentrée chez moi après qu’il ait disparu.
Peu après, j’ai vendu mon arme, déserté le stand de tir.
J’ai déménagé, j’ai changé de boulot.
L’homme que j’aime et dont je partage la vie est grand, fin, musclé et excitant. Ses lèvres sont charnues ….