Lavandes [one-shot sur le personnage de Lavande Brown- HP]

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louille

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Lavandes [one-shot sur le personnage de Lavande Brown- HP]

Message par louille »

Hello à tous.tes.

Je partage un one-shot de 9000 mots et quelques sur le personnage de Lavande Brown, souvent réduite à la fonction de peste insipide utile à l'action, j'ai voulu lui donner une autre profondeur:)

Je l'ai écrit dans le cadre d'un fest avec les contraintes suivantes :
Prompt : « Elle était femme, elle était différente, et ils la haïssaient pour ça ».
Personnage : harcelée ou harceleurs
Type de fin : mort ou vengeance

TITRE. Lavandes.

RÉSUMÉ. « La malédiction de l'acteur, c'est qu'il est toujours à la recherche d'un public. Et quand le public sent cette faim, c'est comme s'il sentait l'odeur du sang. Sa cruauté commence. » (Blonde, Joyce Carol Oates) Lavande Brown ne joue pas à l’actrice, elle ne joue pas non plus à l’autre Lavande, encore moins à être La Femme. Mais tous, pourtant, sentent l’odeur du sang.

/!\ TG : texte cru aux sujets très sensibles (j’ai du mal à détailler les trigger warning pour des raisons évidentes de spoil, mais ce texte aborde les violences sexuelles).

***



— rêve de Ernie —

Ernie Macmillan rêve qu’il est monté sur un sombral mexicain au creux d’une plaine brûlée. Son chapeau aux bords relevés signe son panache et avec sa baguette en bois de pacanier et poils de bisons coincée dans la ceinture, il sait qu’il porte le cuir comme un rancheros qui a sillonné la poussière et qui en a vu d’autres. Il le sait, même là, entortillé dans ses couvertures, au fond de son rêve aux couleurs chaudes, il sait qu’il chevauche comme quelqu’un qui sait dégainer — et ce rêve a les allures crapuleuses de l’ego masculin. Au loin, il aperçoit soudain celle qu’il est venu chercher : sa chevelure lourde éclate en boucles caramel dans ce soleil de rouille et son coeur s’emballe. Immobilisée, les mains retenues par un sort dont Ernie pourrait aisément deviner le contre-sort, il en est sûr, elle est prisonnière du chef indien qu’il est prêt à tuer. Le calumet magique de ce dernier lui défend de s’approcher, mais Ernie en a vu des calumets, des baguettes de navajos et des ponchos à plumes — il rêve beaucoup, le Ernie. Il sait ce qu’il a à faire. L’âme du sauveur assise dans sa poitrine, il s’apprête à élancer son coeur et son courage à la rescousse de la belle aux yeux dorés — qui sait ? Elle l’appellera peut-être Ernio. Au moment où son sombral envoie son premier coup d’aile, Ernie est soudainement maintenu au sol par une poigne aux doigts crochus. Au bout de ce bras vêtu de noir, une peau parchemin qui aurait fait pâlir le vieux Dumbledore, un voile rouge qui lui couvre les cheveux, et des yeux charbons qui luisent au milieu de son visage brun — la sorcière goule. Le sombral renâcle et Ernie hoquète : que fait-elle là, l’affreuse ? Il faut toujours qu’elle vienne ruiner ses exploits en insufflant son venin d’acromentule, à apparaître, comme ça, dès que la belle apparaît. À croire que la Goule suit la Belle de près, comme un double. Elle lui agrippe le col avec la vigueur insoupçonnée qu’ont les vieilles mauvaises : « Ernie, Ernie, mon petit. Il est temps de me regarder d’un peu plus près : ne crois-tu pas que ta belle deviendra comme moi un jour ? Crois-tu vraiment qu’elle restera jeune et pulpeuse à l’infini ? » Elle ricane ses paroles de fiel et Ernie se réveille en sursaut.

Il faut toujours qu’il rêve des deux ensemble. La Belle et la Goule. Celle qui porte de beaux colliers, plonge directement l’éclat doré de ses yeux dans son coeur, le suppliant de venir la sauver, et puis la sorcière hideuse qui s’émacie en affreux sourires. Il adore regarder celle qui se peint les lèvres ; il hait l’autre et ses rires méchants. Goule goule goule.

La première lui évoque Lavande Brown. La seconde, sa mère, toutes les autres femmes de sa famille — et puis la Granger aussi. Avec sa toison hirsute et ses sourcils constamment renfrognés.

Oui, il n’y a que deux types de femmes dans ce monde. Celles qui bouclent avec joie et offrent leurs sourires sans calcul et celles qui vous plantent leur laideur en plein coeur. Les belles et les goules, les princesses et les putes.

—- novembre —


Souvent elle se réveille la nuit et elle pense à ce qu’il lui a dit. Les mots creusent leur chemin, des petites pattes noires grignotent sa peau, ses cuisses, les morceaux roses qui se coagulent dans sa poitrine — et quelque chose en elle se sent sale.

Il arrive parfois que même le jour, elle sente les pattes noires glisser cette odeur aigre en elle. Une crispation dans le sourire, le souffle surpris, désarmé devant l’invitation hardie, honteuse : « Allez Brown, tu pourrais faire ça pour moi, pas vrai ? On dit même que ça t’excite, que tu ferais tout pour te mettre à quatre pattes ». Mais, oh !, l’humiliation qu’elle ressent ne lui vole qu’une fraction de son charme, car vite, vite !, surgit le rire féminin oh, si féminin ! qui vient masquer le trébuchement, et sa honte n’est plus qu’un gloussement aux grandes boucles. Oui, elle rit soudain, ses boucles tressautent et racontent comme il est drôle, comme il n’est pas si loin de la vérité, celui qui l’a frappée comme ça, et comme elle est sale, elle, mais sale pour eux, avec eux, et ils se mettent à rire tous ensemble et, tandis qu’un éclat dur fissure quelque chose en elle, qu’elle se morcelle en petits morceaux de détresse, que les couvertures l’enserrent la nuit, elle oublie tout ça devant leurs molaires voraces qui rient, rient, et elle glousse sa honte sans pudeur.

Parvati le lui avait dit, pourtant. On ne dit pas “je t’aime” à un gars aussi vite, Lavande. Tu vas tous les faire fuir à la fin.

Ce n’était pas qu’elle tombait si vite amoureuse. Ce n’était pas non plus qu’elle souffrait tellement qu’elle désirait qu’on l’aime. L’amour, elle savait ce que c’était ! Il y avait eu l’amour de sa mère bien sûr, étrange, tordu parfois, mais aimant, elle en était sure : oui, elle l’aimait, au fond. L’amour de sa grand-mère : ses mains chaudes, ses biscuits oranges, leurs joies croquées de confiture. Il y avait eu, un moment, l’amour de son père. Avant que le ciel n’étale son gris bâtard à l’horizon. Et puis elle avait l’amour de Padma, de Parvati, de Helena : à échanger des mots entre les teintures de leur lit pendant des heures, la nuit. Il y avait eu l’amour d’Arthur : de ça aussi elle était sure. L’année d’avant, leurs quatorze ans passés à explorer la peau de l’autre — jusqu’aux blessures. Elle le lui avait dit à lui, je t’aime ; puis elle avait fini par le regretter devant le vomi, les heures à cacher les marques de ses doigts sur sa peau. Ce n’était pas de sa faute si, sur le moment, quand les yeux de l’autre s’ouvraient sur elle, sur son corps, sur son corps pris dans le sien, sur sa main croisée dans son dos, sur tout le bleu écarquillé de ses yeux à elle, et l’aspiraient, l’avalaient, elle était dévorée par le désir de le dire. Je t’aime.

Ce n’était pas vrai, pas vrai, elle ne voulait pas seulement qu’on le lui promette. Elle ne voulait pas seulement qu’on l’aime. Aime-moi, aime-moi, aime-moi.

Padma le lui avait dit, pourtant. Quand une femme a trop d’attentes affectives, l’homme se couche comme un cafard.

Ça l’avait fait glousser, sur le moment. Des cafards. Elle les voyait grouiller, vrombir sous les placards, avec les visages de Ernie, James, Justin, Arthur plaqués sur leurs gros yeux.

Plus tard, elle les avait vus dans son lit. S’agiter dans le pli des couvertures, forcer leurs antennes et leur corps noirâtre sous ses draps. C’était une vision vorace qui rongeait tout sur son passage, les pensées tendres, les rêves superficiels, les doux souvenirs, l’amour de soi, la douceur de soi. Elle les sentait venir en elle, trouer son intimité, sa confiance, les grignoter — festin noir. La première fois, elle avait hurlé LUMOS en écartant ses draps, avait frotté sa peau et frappé les formes qu’elle était certaine d’avoir vues.

Elle n’avait rien trouvé bien sûr.

Imaginées, les formes.

Il n’y avait rien sur le lit, rien qui ne grimpait sur elle, rien sous le tremblement de ses doigts. Elle avait soufflé l’idiot cauchemar avec un pauvre rire et son coeur avait lentement retrouvé ses repères. Ce n’est qu’en murmurant le contre-sort qu’elle avait prit conscience que ses tentures s’étaient illuminées sans baguette. Un lumos informulé ! Elle voyait la tige d’érable qui pointait son bois de lumière depuis sa table de nuit. Ça l’avait frappée, cette idée. Elle.. ! Un sort informulé ! Elle, avec son Piètre en métamorphose, son Troll en histoire de la magie (elle avait eu Acceptable en Sortilèges et Effort exceptionnel en Divination, quand même) ! Est-ce qu’Hermione Granger savait le faire ? Elle avait roulé sous ses couvertures, presque honteuse de cet exploit. Elle ! L’aimerait-il toujours autant ?

Le lendemain, elle s’était pendue au cou de Ernie Macmillan et avait respiré l’air sucré contre son cou. Là, elle sentait la force, le chaud, la chair de poule qui disait l’attention de cette peau pour sa peau à elle. Les cafards n’étaient qu’un souvenir aspiré par les tapis usés du dortoir. Les voix de Padma et Parvati qui s’amusaient de leurs rêves, la voix nerveuse de Granger qui se maudissait des quinze minutes de sommeil excessives avaient fait taire les bruissements et là, tout contre Ernie, Lavande se sentait bien.

Ce n’est qu’après le dîner que la bulle chaude avait craqué. C’était à cause de cette lettre, satané endoloris dans le noyau dur de son bonheur présent. Une lettre de sa mère. Que venait-elle lui écrire de ses pattes nerveuses qui étripaient les n, boursouflaient les lettres à boucles ? Elle avait déchiré l’enveloppe avec une impatience fiévreuse : était-ce un bon jour ? Allait-elle trouver ce qu’elle y cherchait, immanquablement ? Elle avait parcouru les lignes avec avidité, suivant le rythme haché de sa mère et les mots lui avaient sauté dessus. Ma chérie (…) Maman va bien ! (…) Je suis sortie hier, tu te rends compte ma Lavande ? (…) Des heures et des heures pour moi seule, rien que pour moi. Son écriture, fébrile, penchait sous le poids de cet emportement fiévreux. Je suis allée voir Alan, il m’a invitée à dîner. Oh si tu savais ! Comme c’était bien. (…) Comme avant, comme avant, comme avant. (…) Du rose à lèvres et des perles! pour moi, de Alan. (…) Elle disait tout de Alan, et du dîner, et du cinéma et la façon dont il l’avait raccompagnée dans sa chambre — l’euphémisation se ficha dans la grimace de Lavande. Et puis, enfin, quelques mots pour elle. Tu n’oublies pas d’être propre ma fille, comme je t’ai élevée — élevée ! Comme c’était un grand mot. Avant ou pendant l’hôpital ? —, il faut que tu sois belle, en toute occasion, pour tous les hommes, comme toutes les femmes de ta famille — pas les Brown, ces sales machabbées au grand menton. Elle la voyait renifler sa désapprobation. Heureusement que tu as hérité des cheveux de ma lignée - aucun homme n’y résiste! C’est ta force ma fille, ta seule force : la force divine de la femme devant les hommes. N’attends pas d’être vieille, tu as 15 ans maintenant, tu es prête (…). Elle continuait encore une ligne. XX, ta mère.

À la fin de sa lecture, tout le corps de Lavande lui faisait défaut. Un léger tremblement lui arrachait les mains, un gout aigre dans la gorge et un sentiment poisseux qui s’étaient installés sans mot dire. Elle sentait la moiteur de ses aisselles, les plis d’humidité sous ses seins, trop larges, trop lourds. La force divine de la femme. Les hommes, Alan, Alan, Alan. Et, elle ? Sa fille, qu’elle n’avait pas vue depuis l’été, quand elle s’était avancée dans sa chambre à Sainte Mangouste avec toute la joie de la revoir, des cadeaux dans les mains, le désir de l’enlacer. Maman ! Le pli dur qu’avait pris la bouche d’Edith Fawley - peuh! Pas une Brown, elle -, n’était rien comparé à son allure : son corps maigre, ses hanches osseuses, ses yeux bleus décillés, furieux, protubérants sur leurs cernes. Et cette odeur d’urine et de tabac froid qu’elle dégageait. Oh, maman. Elle avait voulu l’enlacer, prendre ce corps fantôme qui avait dévoré celui de sa mère dans ses bras, mais Edith Fawley avait reculé avec violence, son doigt brandi qui lui défendait de l’approcher. « Médicomages !! », avait-elle hurlé. « Une intruse dans ma chambre. Je veux être seule. Laissez-moi ! ».

Oh, le cogneur dans le ventre. Elle avait vacillé sous le coup — n’était-elle donc plus que ça ? L’intruse.

L’intruse qui avait déchiré leur bonheur à deux, celle qui avait flanché la première : main sur le téléphone, ce soir-là, la respiration stridente. « Allô.. ? Je crois… je crois que quelque chose ne va pas avec ma mère ». Elle avait dit quelque chose ne va pas aux médicomages d’urgence, mais plus tard elle apprendrait qu’il fallait dire relation fusionnelle abusive avec sa fille. On avait emporté sa mère très vite après cet appel et les blessures qu’on avait retrouvées sur Lavande.

Intruse, oui. Parce qu’elle n’avait pas tenu.

Et en dépit des mots rassurants de la médicomage affectée, en dépit de ses longues fiches explicatives où des noms latins venaient enserrer sa mère et ses grands gestes agressifs, en dépit de sa grand-mère qui embrassait ses boucles, ce n’est pas toi ma chérie, pas toi, Lavande avait senti une porte claquer brutalement en elle. Je suis tellement désolée maman.

En revient-on ? De tout l’amour qu’on donne à celui qui n’en veut pas.

Elle avait mis toutes les vacances d’été de sa quatrième année à retrouver le son de sa voix. Sa grand-mère l’avait accompagnée dans son silence en pépiant tous les mots superflus de la vie légère qu’il lui manquait : « Regarde comme il fait beau ma chérie ! On pourrait aller se promener dans la campagne, tu ne penses pas ? ». Sa maison ronde au nord de York, dans la campagne battue par le vent, l’humidité et ses sourires chauds. Elle lui préparait ses tartines, versait des cuillerées de confiture de rhubarbe. « Ma Lavande, regarde c’est un pot de 1990 ! On l’a faite ensemble, il y a trois étés ». Elle lui essuyait les joues de ses mains parcheminées, lui touchait le front, les tempes : tous les endroits de sa peau qui ne voulaient que la douceur de maman.

« Hey, Lavande. On va dans mon dortoir ? Les gars sont partis ». La voix joueuse d’Ernie se fiche dans ses souvenirs et les éparpille brutalement. Retour au réel, les mains sur la lettre, la bouche agitée d’un tic. Lavande tressaille — ne le voit-il donc pas ? Tout son corps qui n’est prêt à rien d’autre qu’à verser toute son eau immonde, tous ses pleurs de petite fille fautive, ingrate, coupable. Elle a une respiration étranglée :

« Ernie… je… 

Allez Lav’, tu sais très bien que t’en as envie comme moi ». Le coin de la lèvre relevé, Ernie affiche la mine de celui qui a remporté la partie d’un jeu inventé par lui. Lui, et tous ses amis. « Thomas et Peter sont en cours et Simon et James ont quidditch. On a le dortoir pour nous deux ».

Devant sa mine réjouie, son sourire sincère et victorieux, sa mèche brune et ses traits ronds, joviaux, mal définis, bouffis de leur naïveté égotique, cette naïveté déjà calculée, croyance féroce en son charme simple et efficace qui s’en irait emporter la fille, Lavande ne peut que le suivre. Plus tard elle s’en voudra.

Ce n’est pas sa première fois à elle, mais presque. Sa première avec lui, en tout cas, ils n’avaient commencé à se fréquenter que deux semaines plus tôt, trois mois après la rentrée de cette cinquième année. Rien en elle ne le veut ce soir-là. Son corps pesant sur le sien, son souffle haché, maladroit, dans son cou, ses mains qui la palpent sans douceur. Peut-être que c'est la lettre, peut-être que c’est la façon dont il lui attrape une hanche et fait pivoter son visage contre l’oreiller : elle éclate brutalement en sanglots en plein milieu. Son sexe à moitié en elle, des gouttes de sueur qui dévalent son visage rouge, le corps de Lavande agité de spasmes, Ernie débande sur le coup.

La suite est assez floue pendant un temps. Elle se rappelle avoir pleuré sans discontinuer, des larmes violentes qui la malmènent pendant de longues minutes. En face, elle se rappelle sa perplexité, sa gêne, ses tentatives nerveuses : « Tu… tu veux que je fasse signe à quelqu’un ? » Il tente d’accio la boîte de mouchoirs aux couleurs jaunes et noires. Peut-être est-ce parce qu’elle prend un temps infini à cesser le bruit laid de ses sanglots, peut-être est-ce le fait qu’elle refuse de repartir après ça, peut-être est-ce simplement là depuis le début : la maladresse d’Ernie finit par prendre l’allure des egos froissés. Il arrête ses piètres tentatives et ses paroles démunies, idiotes, il éclate son humiliation en colère grotesque. Elle ne se souvient pas tout à fait des noms qu’il lance - pute pute pute -, ni tellement de la façon dont il l’attrape - il serre son cou, légèrement, puis plus fort, il veut la secouer, arrêter ces horribles pleurs - ni même de la façon dont il écarte ses demandes - serre-moi dans tes bras Ernie, c’est tout ce que je veux, tout ce que je veux. En revanche, elle se souvient de ce qu’il lui lance à la fin, avant de la quitter : « Toi, ça doit être dur de te dire je t’aime ».

Elle reste là pendant un temps infini. Toi, ça doit être, dur, de te dire, je t’aime.

Oui, Padma le lui avait dit, pourtant. Quand une femme a trop d’attentes affectives, l’homme se couche comme un cafard.

Ce soir-là, les cafards reviennent nombreux, prêts à ricaner leur haine grouillante. Cette fois, point de réussite informulée pour la sauver, seulement elle et les grouillements noirs.

— décembre —


Ils reviennent presque toutes les nuits, depuis. Elle finit toujours par s’endormir et ils disparaissent jusqu’au jour suivant. Ils grimpent, remuent près d’elle, infiltrent leurs pattes noires dans ses creux de vulnérabilité. Ils grouillent : Lavande, Lavande, tu es sale, tu es laide sous tous tes artifices. Tu sens la honte et le mensonge. Elle expire comme un sanglot. C’est ta punition, pour être une femme. Pourquoi tu les tentes comme ça ? Lavande, Lavande, tu pleures, mais t’es-tu déjà demandée pourquoi ils partent tous, pourquoi tu les rebutes tellement ? D’autres fois, ils répètent simplement les mots déjà entendus : Tu es belle quand tu m’embrasses là. Brown, je suis fou de tes lèvres. Ils poursuivent leurs exhalaisons mauvaises dans la nuit, frétillent leurs ailes de cafard qui la déshabillent, dévoilent qui elle est vraiment sous ses grandes robes - fausse ! Duplice ! - et ses pores à elle suintent son imposture. Toi, ça doit être dur de te dire je t’aime.

— janvier —


Elle n’est pas parvenue à s’y faire, à leur visite, pas vraiment. Avec le temps, ils finissent simplement par faire partie d’elle. Compagnons obscurs, laids, mais familiers de ses nuits : leurs paroles qui lui rappellent qui elle est vraiment, qui la marquent dans sa chair de fille. Elle les connait, maintenant.

— février —


Oui, maintenant, elle ne se débat plus, elle n’essaie plus ses lumos du bout des lèvres. Elle se tient simplement dans le poing humide de la nuit.

— mars —


Elle est dans les toilettes des filles. Elles sont quatre, l’une est à sa gauche, les deux autres derrière elle. Les lumières ne sont à l’avantage de personne et ombrent de leur couleur jaunâtre les cheveux raides de Hannah, Susan et Cho. Hannah se lave les mains, Susan s’essaie à un sort de maquillage pour allonger ses cils, Cho tresse ses longs cheveux noirs. La tête penchée, un sourire rêveur se perd au coin de ses commissures. Dans quelques minutes, la première, sérieuse, retournera en cours, la seconde, candide, tentera sa chance auprès d’un poufsouffle et la troisième, ses deux tresses encadrant sa beauté pure, soufflera son assentiment à Terry Boot.

Sérieuse, candide, pure.

Au milieu d’elles, Lavande fixe son reflet. Sa bouche, ses boucles, ses yeux. Elle voit la honte sous le gonflement sensuel de ses lèvres, la saleté incrustée dans ses noeuds, la vile séduction qui noie le bleu de ses yeux. Sur sa peau courent les doigts de tous ceux qui l’ont touchée — , aussi.

« Lavande, est-ce que je peux emprunter ta brosse ? »

Lavande sursaute. Susan la regarde gentiment depuis son miroir, la question en suspend. Elle fixe la brosse qu’elle agrippe depuis de longues minutes, ses ongles qui creusent leurs demi-lunes en rouge sur sa paume.

« Lavande ? »

Cette fois, c’est Cho qui la scrute. Elle a interrompu le ballet de ses doigts et l’observe avec une douce inquiétude. « Est-ce que tout va bien ? »

Lavande est prise de court — elle a l’impression d’avoir été saisie sur le vif. Mais, de quoi ? Car, elle est heureuse, pas vrai ? Ses pensées mauvaises éclatent sous le poids des regards soucieux de Cho et Susan et elle ne peut s’empêcher de glousser. Elle précipite les mots de sa voix aiguë, sa voix de petite fille qu’ils aiment tant, et sa réponse glisse maladroitement comme une question :

« Tout va bien…? » Mais elle reprend vite, plus assurée, stabilisée par son rire qui la rattrape toujours : « Oui, tout va bien, j’étais perdue dans mes pensées. » Elle détache son regard du miroir d’où elle ne peut voir qu’un morceau de Susan et se tourne vers elle, la brosse offerte : « Tiens ! ».

Et elle sourit avec fureur aux deux filles qui restent, elle continue de sourire en regardant Cho terminer sa tresse sombre, élégante, fine, en contemplant Susan déplacer la brosse dans ses cheveux blonds, ses longs cheveux blonds, lisses, lisses, propres, brillants. Elle a toujours cette grimace arrimée au visage quand elles quittent les toilettes en lui soufflant « À plus tard, Lavande », de leurs voix douces et pleines, elle ne la quitte pas quand elle frappe ses boucles de coups de brosse. Elle les étrille férocement, traque la saleté, la vulgarité, les cafards qui ont fait leur nid. Ce n’est pas grave, ce n’est pas grave, ce n’est pas grave, scandent ses pensées, fiévreuses, ce n’est pas grave : je vais retrouver Justin, Justin m’attend. Il m’a dit qu’il me voulait comme j’étais, qu’il aimait discuter avec moi. Moi ! Et alors qu’elle brusque ses cheveux pour être présentable, qu’elle martèle son coeur de Justin-qui-l’attend, elle sent un flot de sang qui s’écoule sous sa robe. Un coup de poing la cueille dans le bas-ventre avec la familiarité de la honte. Elle lâche la brosse. La saleté incrustée dans les cuisses. Jamais propre, jamais propre.

La lumière des toilettes crache son désespoir jaunâtre sur ses boucles éteintes.

— rêve de Justin —


Justin Finch-Fletchley rêve de sa mère, comme souvent. Elle a le visage froissé par la déception et lui offre sa fameuse expression “pourquoi tu me fais ça ?” En cet instant, il la hait. Lui, le gentil Justin, Poufsouffle dévoué, loyal, la fidélité chevillée à l’honneur, lui le grand lecteur, le grand lettrée, qui pourrait concurrencer Granger dans sa fréquentation de la bibliothèque, est agité par une rage boueuse qui menace de se répandre sur sa mère. Comment ose-t-elle ? Après tout ce temps : lui faire regretter d’avoir choisi le monde sorcier à Eton, ce lycée de vieux bouffons où l’on apprend les mathématiques, l’histoire de la seconde guerre mondiale, la physique, quand il a accès à la magie, la pure magie qui s’écoule de lui. Il serre les poings. Lui, le pacifique, influençable Justin. Qui lit Edna Shaw pour s’endormir, la grande poétesse sorcière pour l’union de toutes les races, lui qui veut écrire et qui écrira, d’abord des pièces de théâtre où éclatera l’hypocrisie de la fausse tolérance des sorciers bourgeois vis-à-vis des né-moldus. Puis des discours politiques, peut-être. Oui, son rêve secret qui brûle gentiment dans son ventre. Son rêve rien qu’à lui… Un mouvement furtif capte son attention sur sa gauche. Il détourne avec brusquerie son regard du piteux spectacle de cette horrible mère qui ne l’a jamais compris et… oh. Il s’immobilise. Lavande… ? Oui, il voit bien que c’est Lavande : il distingue sa beauté d’ici, ce morceau de sensualité qui met tout Poudlard en émoi. Oh, mais lui, lui ne la voit pas comme ça : lui, la voit vraiment. Il voit bien qu’elle souffre plus qu’elle ne le dit, il voit bien le petit tremblement de ses lèvres sous les remarques cruelles des garçons, il discerne l’éclat de détresse qui tremble dans son rire. Lui, elle l’émerveille pour autre chose : cette ignorance qu’elle a, inscience admirable qu’elle a, de ce charme ravageur. Jamais étudiés, ses gestes distribuent leur séduction dans une spontanéité qui l’émeut — et sous ses mots, il sent quelqu’un, quelqu’un qu’il est curieux de connaître. La petite fille emmurée sous les courbes, la personnalité vulnérable sous le sourire ravageur ? Il sait qu’elle vient d’un milieu pauvre et qu’elle a écopé d’une mère folle : il saura fouiller la vertu, la pureté sous ses couches de sensualité. Oui, lui, saura. Il la révélera. Quelle étrange paire ils allaient constituer : le lettré et la Belle aux douces courbes. Oui, décidément, quelqu’un qu’il est tellement désireux de connaître.

— avril —


Bien sûr, ça n’avait pas tenu avec Justin. Justin Finch-Fletchley qui était venu la trouver avec ses livres sous le bras, ses yeux doux, ses poèmes comme des promesses. Il n’était pas particulièrement beau : de longues cernes incrustaient leur fatigue sous son regard, sa peau portait la pâleur moins bien qu’un Malefoy et il nouait ses cravates avec l’empressement de celui que la compagnie des miroirs n’a jamais intéressé. Mais quel charme il avait ! Dans cette façon de passer la main dans ses cheveux bruns lorsqu’il lui exposait sa dernière idée de pièce, l’intensité de son regard quand elle parlait, bavassait ses inepties, ses pensées stupides. Quelle chance elle avait ! Quel lui! L’écoute ! Elle ! Son art de la faire se sentir intéressante ou, du moins, autre chose que Lavande Sexy Brown, Lav’, ou, pire, Lavrette. Lui, l’appelait « Lavande », en entier, en étirant le -ande comme les élèves de BeauxBâtons, et c’était si admirable qu’elle rougissait sous sa prononciation. Il aimait cette coloration qui troublait ses joues blanches et marquait le passage de ses mots à lui - là, sur sur sa peau laiteuse. Il la touchait peu au début, semblait presque faire la révérence devant son corps, sans savoir l’approcher, l’apprivoiser. Non, il osait à peine poser ses mains sur elle d’abord, puis quand il s’attela à l’aventure, c’était si doux, Merlin, quel amour avait-il.

Pourtant, ça n’avait pas tenu, non. Ni les poèmes griffonnés sur le parchemin, ni le regard captif de sa présence à elle, encore moins, peut-être, ces mains précautionneuses, adoratrices ; car il cessa, soudain, aussi simplement qu’il avait commencé, de la toucher. Était-cette fois de trop où il avait trébuché sur une de ses potions de sommeil où elle rajoutait du whisky pur feu ? Il avait repoussé la fiole et ses nombreuses soeurs si dégoûté. Ou était-ce cette demande pressante, aime-moi aime-moi aime-moi, qu’il sentait dans chacun de ses inspirations un peu trop coupées, de ses rires un peu étranglés ? Des tremblements mal embrassés, une plainte qui transperça le tympan plutôt que le coeur, un sanglot comme un cri d’enfant geignard et surgit sous ses yeux le gouffre de leur inadéquation, ce continent insoupçonné. Il avait cessé progressivement de plaquer sur ce corps de femme le souffle prisonnier de l’enfant pur écorché trop vite, trop tôt. Plus aucune poésie dans ses manières trop naïves, trop spontanées, trop corporelles, d’être au monde. Mais que croyait-il ? La déesse qui avait bouclé les cheveux de Lavannnde, n’était-elle pas le même monstre qui avait instillé son venin de détresse dans tous ses pores ?

Oui, qui, Justin Finch-Fletchley, avait-il cru embrasser tout ce temps ? Lavaannde, la Belle Innocence, la Pureté cachée sous une peau de femme ? Il ne voyait plus que Lavande Brown et son double vorace, mesquin, vulgaire, qui n’était pas une invention des pauvres garçons éconduits, comme il l’avait d’abord pensé, mais elle toute entière, elle sous tous ses pores. Lavrette.

— rêve de Alan —


Alan rêve. Il a quarante ans et il fait ce rêve qui l’accompagne depuis déjà si longtemps. Variations dépravées d’un même désir qui le travaille au corps depuis sa jeune adolescence — depuis Katya, la jolie Katya et son cou admirable de statue grecque, Aphrodite en douce pâte de lait. Ou bien ne ressemblait-elle pas plutôt à Bérénice, la Bérénice d’Aurelien, celle du poète français, qui porte sur son visage la figure de la noyée de la Seine ? Oui, cette fixité de plâtre sur laquelle il l’avait quittée… Elle se tient, comme avant à ses quinze ans, devant lui, timide, gentiment souriante. Un rictus de loup creuse son chemin sur sa face à lui. Il est ravi de se trouver là, avec elle. Il tourne autour de son joli corps chaud et il l’imagine il l’imagine il l’imagine — immobile, sous lui. Froide. Un léger souffle s’échappe de ses lèvres et il n’a plus qu’une envie furieuse au creux de l’aine : apposer ses mains sur son cou. Son si joli cou. Il pense au bruit qu’elle fera quand il relèvera ses boutons de manchette, dénudera ses avants-bras de gentleman pour révéler la vraie couleur de son épiderme, du souffre qui jaunit sa peau, et serrera doucement ce cou. Le délicieux gargouillis effrayé qu’elle laissera échapper. Ah. Il fait glisser la pointe de sa langue sur sa lèvre rouge. Et il s’avance, s’avance, doucement, leste, létal.

— mai : jour 1 des vacances —


Lavande referme sa valise avec une excitation qui déborde de tous ses gestes. Elle a fourré sans douceur une pile de vêtements froissés dans sa malle, quelques rouleaux de parchemin, ses affaires de toilette, le chiffon rose qu’elle tient serré contre elle la nuit. Elle tourbillonne dans le dortoir en grappillant de-ci de-là des affaires qu’elle accumule sur sa malle. Elle s’arrête devant le petit journal qui se tient mal près de son oreiller. Sa couverture sombre est abîmée, des marques violentes de plume font des cicatrices tordues sur le devant. Elle hésite, s’en empare, la main vacillante. La jeune sorcière jette un oeil à la lettre qui repose sur sa malle. Elle revoit les mots qui l’ont cueillie hier soir et la joie, l’espoir, intenses qui ne l’ont plus quittée. Véritable feudeymon sur les cafards, tenus tranquilles par les mots de maman. « Ma chérie, tu peux venir quelques jours à la maison pour les vacances. Maman va bien, elle a eu le droit de sortir, maman a du temps pour elle et tu lui manques. Ta maman qui t’aime et qui t’attend. P.S. : Alan sera là quelques jours. J’ai tellement hâte que tu le rencontres ! » Lavande avait été tellement transportée par l’invitation de sa mère, par l’ivresse de la revoir, que le « P.S. » ne l’avait pas troublée. Rien ne peut ternir l’euphorie brillante qui s’est répandue en elle. Enfin ! Elle rentrait chez elle ! Elle repose brusquement le carnet et sa première page vert sombre qui claque dans le vide. Elle ne lui adresse même plus un regard alors qu’il se tient en équilibre sur sa table de nuit. Elle n’en aura plus besoin, là où elle va. Un rire cristallin lui échappe à cette pensée. Elle n’en aura probablement plus jamais besoin après ça !

« Lavande ! Dépêche-toi, on risque de manquer le train ! » La voix agitée de Padma lui parvient ouatée depuis sa bulle chaude, électrique. Son ravissement s’exclame sans filtre :

« J’arrive Padma ! ». Et elle répète, plus doucement : « J’arrive, j’arrive, j’arrive ».

Dans le train, elle est assise en face de Padma et Parvati et à la droite de Susan. Elles s’échangent leurs cartes divinatoires de la journée, débusquées sous les chocogrenouilles de la sorcière au chariot.

« Susan, ton ascendant est traversé pile en son centre par la constellation du centaure ! C’est incroyable. » Padma agite la carte de son amie devant ses yeux. Lavande remarque qu’elle s’est tressée les cheveux, contrairement à sa soeur qui les lâche leur noir de jais sur son épaule. Elle se rappelle que Parvati lui avait confié, pendant leur première année, que c’était un moyen pour leur si grande famille de les différencier à l’arrivée. Les boucles de sa tresse ondulent leur chemin jusqu’au bas de son dos tandis que le rideau lisse de Parvati ombre son visage comme un crépuscule. Elle les trouve belles, là, les cartes en main, le rire volé au coin de l’expression. Et elle sursaute presque à la question qui chute sur ses pensées : combien de temps cela fait-il qu’elle n’a pas partagé d’instants complices avec ses seules amies, qu’elle a un jour considérées comme ses soeurs ? Elle pense à Ernie, Toi, ça doit être dur, de te dire, je t’aime, à Justin, mais qui es-tu ?, aux cafards sous son lit, à tout ce qu’elle a tenu froissé en son sein, loin d’elles.

« Lavande, regarde ! Le lion entre dans ta quatrième maison. » Parvati lui lance un clin d’oeil. « Le lionceau rentre enfin au foyer ».

Non, elle ne leur cachera plus rien. Lavande laisse le sourire chaud de son amie se couler dans son sourire et elle confie son corps au rythme de leurs prédictions espiègles — berceuse retrouvée.

Non, plus rien.


— mai : jour 3 des vacances —


La mélasse rouge tremblote dans le pot de confiture. Lavande regarde Alan qui étale de grandes cuillerées de fraise sur son pain blanc et fixe la trace vermeille qui marque le coin de ses lèvres. Cela fait trois jours que Lavande est rentrée chez elle et c’est le deuxième matin qu’elle passe en compagnie de Alan, sans sa mère. Elle laisse tomber son regard sur sa propre tartine qui repose solitaire, à peine grignotée sur les bords. Le bruit de mastication d’Alan accompagne ses pensées atones. Elle le regarde, sous ses cils, prend une courte inspiration :

« Alan, est-ce que tu sais quand ma mère va finalement descendre ? »

La question creuse un chemin douloureux le long de sa gorge. Cela fait trois jours que Lavande est rentrée chez elle et c’est le deuxième matin sans sa mère. Edith Fawley repose dans sa chambre depuis son arrivée et seul Alan est autorisé à lui rendre visite. C’est à peine si elle l’a accueillie sur le pas de la porte le premier jour : « Lavande, ta mère se sent indisposée depuis quelques jours. Laisse-moi me reposer et je m’occuperai de toi ». Sa voix sèche, dans son corps maigre. Lavande avait eu un geste d’inquiétude devant les mots et l’état de sa mère et elle avait élancé sa sollicitude vers cette dernière. « Je t’en prie. Pas d’effusion. Pas maintenant, je ne suis pas d’humeur ». Edith avait refusé d’un geste vif l’élan de sa fille. « Alan s’occupera de toi en attendant. Il connaît bien ma maladie et sait m’accompagner dans ces moments difficiles ». Oh, le recul écorché de Lavande à ces mots - lui, sait, l’accompagner, lui, sait -, animal blessé. Sa mère avait simplement laissé le bout de ses doigts caresser hâtivement la joue de sa fille et elle était montée rejoindre “ses quartiers”, comme elle aimait à dire maintenant, depuis Alan.

« Tu sais, Lavande, ta mère va très mal ». La voix de Alan a les inflexions forcées de la pédagogie. Elle flotte dans cette cuisine mal éclairée où la vaisselle traîne depuis plusieurs jours. L’évier rutilant que sa mère aime tant astiquer est marqué par des taches brunes et les étagères bleues, ce bleu si particulier qu’Édith avait peint en riant, Lavande, petite-fille, à ses côtés, abdiquent et écaillent leur délaissement. La jeune fille parcourt le reste de la pièce d’un regard lourd tandis que la réponse d’Alan infiltre sa mauvaise odeur dans ses narines. Il continue, comme un bande-son rouillée.

« Si je dois être honnête avec toi - et je te dois ça, tu es grande, je sais que tu es prête à l’accueillir », son ton trempe dans la commisération, « ta mère ne s’en remettra peut-être jamais. Tu dois être consciente de cette possibilité ». Il n’a pas cessé d’enduire ses tartines de cette fraise collante pendant tout ce temps. Il soupire, alors qu’il abaisse la cuillère une nouvelle fois. « Mais, tu pourras toujours venir me parler. Je suis l’adulte ici. Sache que je suis là comme une épaule toujours offerte, comme un compagnon. Comme un ami. » Il la regarde de ses yeux marrons de pitié et elle ne peut s’empêcher de penser à un loup — comme un museau aux longs crocs qui se cache derrière les paroles doucereuses. Alan pose sa main sur son bras et caresse son poignet de son pouce. Elle ne s’est jamais sentie aussi nue qu’en cet instant : la peau de ses bras découverte, sa longue chemise de nuit qui n’atteint plus que ses genoux depuis longtemps, ses cheveux tirés en arrière, et ce pouce qui marque sa présence sur sa chair. Elle frissonne.

— mai : jour 4 des vacances —


Elle inspire vivement devant la table de la cuisine, puis couvre instantanément ses lèvres de sa longue manche, comme pour cacher sa déception. Maman n’est pas là.

« Ah, Lavande. » Alan la regarde avec son petit sourire. Il porte le même costume moldu que les jours derniers. Cet ensemble trois pièces qu’elle n’a jamais observé que dans de vieux journaux moldus aperçus dans la chambre de Justin. Il a un air suranné qui lui évoque les faux gentils des contes pour enfants. Une montre à gousset est coincée dans la poche avant, tandis qu’une cravate violette frappe l’oeil de son contraste violent. « Bonjour. Matinale, aujourd’hui ».

Il est 8h00 et Lavande est habillée. Elle porte une de ses robes de sorcière qu’elle met pour rendre visite à sa grand-mère paternelle : celle qui la jauge toujours depuis son air pincé et qui laisse ses jugements couler le long de son nez aquilin. La robe qui la dissimule de partout. Elle hoche à peine la tête à son encontre et se sert un verre d’eau.

« Ils sont jolis coiffés ainsi, tes cheveux. » L’eau qu’elle vient d’absorber lui emplit d’un coup les poumons. « J’aime bien quand tu les offres détachés complètement. » Il se met à susurrer, la tête penchée sur la droite : « Ni de son chef le trésor crépelu,/ Ni son beau corps, le logis des Charites, / Ni ses beautés en mille coeurs écrites… » Il laisse la fin du vers en suspend, la scrute avec ce même petit sourire indescriptible affalé sur les lèvres, avant de retrouver sa voix douçâtre : « Du poète français Ronsard. Mais, contrairement à lui, je dirais : Tout son trésor crépelu, tout son beau corps, le logis des Charites, toutes ses beautés en mille coeurs écrites… » et, cette fois, il abandonne son rictus et l’accule contre l’évier de son regard fixe.

— mai : jour 6 des vacances —


Lavande n’est pas descendue hier et ne descendra pas ce matin. Elle regarde l’horloge qui monte son grand lit et ses draps mauves. Tout crie la noblesse désargentée dans cette chambre aux moulures flétries, à la peinture de fresques effacée. Elle repose son oreille contre le mur près de la commode qu’elle n’a pas ouverte depuis son arrivée. Aucun bruit. Si sa mère sort de sa chambre, elle l’entendra, elle en est sûre.

La sorcière regagne ses couvertures et souffle doucement en contemplant le plafond. Contre la porte repose un plateau en bois où sont disposées trois tartines blanches enduites de confiture. La gélatine vermeille lèche le pain sans jamais déborder, suivant les contours dans une géométrique lascive. À leurs côtés, un livre : La Nouvelle Continuation des Amours, Pierre de Ronsard. Depuis qu’Alan a toqué à sa porte et déposé le plateau devant en l’appelant doucement, elle n’est sortie que le temps de le pousser à l’intérieur sans le toucher. Un filet moite recouvre sa peau.

Si sa mère sort de sa chambre, elle l’entendra, elle en est sûre.

— mai : jour 7 des vacances —



Elle n’est pas sortie ce matin non plus. Elle ne sortira plus, maintenant. Ses pensées ne se frayent que difficilement un passage en elle et trébuchent de mots en images, d’images en sensations, demi-pensées, souvenirs brumeux. D’images en cris silencieux.

Un léger cognement l’appelle derrière la porte : « Lavande, c’est Alan. Je m’inquiète pour toi. Peux-tu me laisser entrer s’il te plaît ? » Une pause, tandis que le silence avale la pièce. « Ta mère s’inquiète aussi. Je crois qu’elle aimerait que tu viennes la voir ».

Sa mère. Lavande a la gorge qui se contracte et elle sent les larmes lui piquer les yeux. Sa mère. Une inspiration vive transperce les noeuds agglutinés dans sa trachée. Maman, j’ai besoin de toi. Oui, elle pense, c’est elle qu’il faut qu’elle aille voir, c’est elle qui saura quoi faire et elle ne sait plus pourquoi, soudain, elle n’y est pas allée plus tôt. Elle relève la tête, s’appuie sur un coude pour secouer la lourdeur abattue sur son corps. Des courbatures élancent ses adducteurs, ses hanches, ses épaules et quelque chose la gêne entre les cuisses.

Elle passe une main dans le creux de son aine pour se débarrasser de l’inconfort poisseux qui l’empêche d’aller voir sa mère. Ses doigts rencontrent soudain une douleur vive, là, en bas, et elle les retire dans un cri voilé. Ils ont la couleur rouge sombre des petits-déjeuners avec Alan.

Son corps retombe contre le lit. Elle ferme les yeux.

Le son d’une voix qui murmure contre sa porte « Alohomora », le plancher qui craque sous le poids de la trahison, une odeur de souffre qui se répand dans la pièce. « Stupefix ».

Non, non, non.

Trois coups de butoir qui la secouent et s’infiltrent en elle. Elle sent la main moite sur sa bouche, l’haleine chaude contre sa joue.

Sa respiration s’accélère, elle tente de trouver l’air à nouveau.

Soudain, deux mains qui lui enserrent le cou et appuient leur pouce contre sa jugulaire. Les coups qui entrent en elle plus vifs, plus forts.

La bile monte en elle avec une telle vitesse qu’elle a à peine le temps de se tourner sur le côté. Elle vomit sur sa robe, abandonnée près du lit.

« Lavande ? »

La voix douçâtre insiste encore avant de partir dans un soupir. Le corps de Lavande est secoué par les spasmes et ce n’est que lorsqu’elle entend la porte claquer en bas que la nausée se calme.

En cet instant, elle se tient, immobile, sale, au bord du lit, seule, sans voix pour dire à l’aide, sans voix pour parler de la déchirure au fond d’elle, sans preuve, sans mot, pour dire l’épaisseur de cette nuit-là. Son coeur frappe à peine contre sa poitrine — elle pense au sang noir qui sèche sur ses cuisses.

Non, elle ne sortira plus, maintenant.

— mai : rentrée à Poudlard —



Le Poudlard Express file sur la route tandis que les cerisiers s’ouvrent sur son passage. Au printemps, tous les arbres enchantés s’écartent à l’irruption des rails magiques, et certains perdent des fleurs qui glissent le long des vitres. C’est un des rares souvenirs de son père que Lavande conserve dans un pli chaud de sa peau : lui, qui lui raconte comment il a travaillé à l’amélioration du sortilège d’apparition du train pour que ni la voie ferrée, ni les wagons ne détruisent la nature à leur survenue, comme c’était le cas alors. Elle l’avait regardé depuis ses grands yeux bleus : « Papa, tu protèges les arbres ? » Il avait souri : « Oui, on peut dire ça ma chérie. Je protège les arbres en fleurs et toutes les vies qui les traversent ». Son père. Le roi du printemps.

Pour la première fois, Lavande ne pense pas à son père alors que le premier cerisier caresse sa fenêtre de ses fleurs roses. Elle contemple le dehors, absente, fixe un point invisible, perdu dans un coin sombre, qui échappe aux autres. Ni Padma, ni Parvati ne sont avec elle, rentrées deux jours avant, elles ne sont pas montées dans le Poudlard Express. Elle n’est pas seule, pourtant, dans son compartiment, deux deuxièmes années se chuchotent des rires à côté sans lui prêter attention. Elle non plus, ne les entend pas. Qu’entend-elle, à vrai dire ? Elle pense…

… elle pense à un livre que lui a lu sa grand-mère l’été dernier. Un auteur islandais, Jón Kalman Stefánsson disait la couverture, que cette dernière aimait lui lire, le soir, dans l’espoir que le poète, depuis les craquelures que creuse sa poésie dans l’hiver islandais, viennent la trouver au coeur de son hiver à elle. Elle n’avait pas beaucoup suivi le début du roman, ni même la suite, à vrai dire. Étrangement pourtant, certaines scènes avaient trouvé un chemin pour infiltrer son apathie et l'avaient perforée de leur lente douleur : elle se souvient des larmes qu’elle a versées pour les personnages, leur corps qui tremblent dans la lumière crue, et puis pour elle, aussi, enfin, tandis que sa grand-mère lui caressait les cheveux : « Oui, ma Lavande, toutes les femmes, toutes les femmes… mais ça ne veut pas dire que nous devons cesser de vivre pour autant. Tu vois, la force d’Ásta ? » Ásta, l’héroïne du roman, cette soeur miroir.

Elle pense à la nuit immonde qui s’abat sur Ásta et la terrasse, qui la tient dans son poing depuis qu’elle est petite fille, depuis qu’elle est fille surtout, depuis sa naissance des cuisses irresponsables de sa mère, depuis sa deuxième naissance sous les mains crues des hommes.

Oui, elle pense à cette nuit qui s’est abattue sur elle et aux mots d’Ásta elle-même : « Puis le soleil se lève et tout devient nuit ».

Puis le soleil se lève et tout devient nuit.

Elle ne sait pas pourquoi ces mots-là lui collent à la peau depuis. Et là, maintenant qu’elle sait, elle aussi, oui, là, dans ce wagon qu’elle connaît depuis toujours, mais que quelque chose en elle ne reconnaît plus, elle a l’impression qu’ils sont entrés dans sa chair.

Un bruit sourd disperse le souvenir et elle tourne la tête en même temps que les deux filles vers la porte du compartiment — seulement plus lentement, infiniment plus lentement. C’est Ron Weasley qui s’est cogné contre leur porte alors qu’il tire une malle immense. Il a renversé la quasi intégralité des boissons qu’il tenait dans les mains et affiche un air penaud, froissé. Elle voit Hermione Granger froncer les sourcils devant sa maladresse, les lèvres chatouillées par un sourire qui pointe malgré elle. Elle voit Harry Potter éclater de rire, derrière eux, la main offerte à Ron. Leur insouciance délicieuse la frappe dans le bas-ventre. Le rouquin extirpe sa baguette claire de sous le désastre et tente un premier sort pour faire sécher ses robes. Les deuxièmes années s’esclaffent devant l’échec ravissant qui s’étale sur ses vêtements - le sort a épongé le liquide en suivant une courbe déconcertante qui laisse de nombreuses zones encore trempées et vient former un coeur tordu -, et Lavande est traversée par une étrange pensée. Elle se voit, soudain, une main glissée dans celle de Ron, lui murmurer des phrases niaises, glousser sous ses blagues, ronronner contre son cou. L’appeler Ron-Ron, tandis qu’il l’embrasse sur les lèvres. La vision tourbillonne encore un instant devant ses yeux, l’infecte de sa coloration chaude, candide, douce, avant qu’elle ne saigne lentement au fond de sa gorge.

Elle ne sait pas d’où lui est venue ce possible impossible - de ces éclats de rire complices qui l’ont surprise, de cette couleur rousse, vive, vivante, qui lui frappe la cornée ? de cette maladresse adorable qui se fond dans les traits de Ron. La bile lui grimpe la gorge.

Soudain, tout lui est insupportable et elle se lève brusquement pour s’extirper de cette odeur niaiseuse. Au moment où sa main s’abat sur la poignée, elle est surprise par l’exclamation d’une des filles. Un cri d’horreur qui lui a échappé — et qui vient se ficher dans sa poitrine. Elle se retourne lentement, la main blanche contre la porte, crispée, le coeur glacé, douloureux, déjà lucide contre ses seins. Son regard bute sur la trace sombre qu’elle a quittée et suit le chemin laissé par le sang. Ses yeux remontent jusqu’à sa robe tandis que son autre main touche le vêtement — poisseux, gorgé, qui dégouline sa saleté en rouge.

Puis le soleil se lève et tout devient nuit.

— fin mai —


Lavande n’a passé que quelques jours à l’infirmerie. Pomfresh lui a tenu la main tout le temps où elle l’a recousue, ici, en bas, en murmurant le sortilège comme une prière. Puis elle lui baisé le front et administré une panoplie de potions - potion calmante, potion de guérison, potion de sommeil, potion pour “Traumatismes gynécaux”. Pour “déchirure vaginale”.

Elle a dormi les quatre jours, se réveillant pour vomir, avaler une autre potion, retourner dans ce monde froid où les rêves ont l’allure des chambres aseptisées.

Padma et Parvati ont tenté de venir la voir, mais Pomfresh les a chassées, ainsi que tous les curieux venus la renifler de près. Elle a vaguement entendu les sanglots des jumelles devant l’infirmerie et des voix lointaines, inconnues : « Lavande Brown ! Tu ne sais pas ?? Il parait qu’elle a été violée… C’est horrible, oui. » D’autres voix, moins pathétiques, plus suspicieuses. « Pourquoi tout semble coller particulièrement à sa peau à elle ? Elle ne fait qu’attirer les monstres… et si tu veux mon avis, on n’attire jamais un monstre par innocence ».

Bouffie d’une détresse qui lui dévore le ventre, les poumons, la gorge quand elle se réveille de ce sommeil ouaté, Lavande frappe tous ses moments lucides d’une potion différente. Parfois, elle en dérobe à ses voisins.

Elle se réveille un matin alors qu’une averse de mai trempe le château. Le plafond enchanté a un manquement et la pluie s’infiltre dans l’infirmerie, tambourine lentement contre ses tempes, dévale ses joues. Là, sous le poids de la pluie qui lui rappelle ces larmes qui ne veulent plus sortir, Lavande sent la déchirure qui fermente en elle, comme une grande blessure familière.

Et depuis son lit blanc et ses draps impersonnels, sa douleur suinte dans la solitude.

— rêve de Lavande —


Lavande rêve qu’elle est assise au bord d’une route. La route est brune et chaude, traversée par une longue ligne jaune, elle serpente son grand corps à travers des étendues immenses, ouvertes sur les montagnes. Ça ressemble au paysage américain que son père lui a montré, petite. Là d’où il vient — là où il a disparu. Les sequoias ombrent avec douceur l’endroit où elle se trouve et elle se sent bien là. Elle porte une robe moldue qui lui rappelle ses robes d’enfant : longue, fleurie, avec le vent qui lui caresse la peau. Un bruit sur sa gauche la fait se redresser légèrement et elle pose un coude sur les graviers. Elle grimace d’avance, l’imagination habituée au petits pics qui s’impriment sur sa peau, mais, — oh. Elle ne sent aucune douleur, le sol est chaud, tendre, sans animosité. « Lavande », appelle une voix depuis le mouvement qu’elle a aperçu plus tôt. Elle tourne si vite la tête qu’elle en a le tournis et son cou craque, mais elle n’en a cure, car la voix qui l’appelle, elle en est sûre, elle la connaît intimement. Elle inspire et… « Papa ? » L’homme lui sourit depuis sa peau tannée. La bienveillance qui se coule sur ses traits accentue les quelques rides qui s’éparpillent autour de ses yeux et sur ses joues et Lavande croit les voir la saluer. Un sanglot se précipite pour l’empêcher de répondre alors qu’elle voudrait tant, tant, elle voudrait tant lui dire que, oh, elle ne sait plus, mais, -oh! c’est bien lui, c’est lui, c’est tout ce qu’elle sait et… une première larme se décroche depuis son bleu écarquillé. L’homme, non!, son père, lui tend une main : « Viens, Lavande, il est temps. » Il se penche pour être plus proche d’elle et Lavande glisse ses doigts dans sa paume. Ensemble, ils se relèvent. Sa main chaude entoure la sienne et la guide doucement vers un grand sombral — il la tient, oui, et plus rien ne peut la mordre là. Lorsque l’animal s’envole, Lavande jette un dernier regard en arrière. Elle aperçoit des fourmis qui tracent leur chemin poussiéreux, des pins qui confient leurs épines au vent, et des petites formes noires qui creusent dans la terre - oh! tous ses cafards. Un rire la cueille brusquement dans ses émotions emmêlées et elle agite une main en contrebas. Adieu, murmure-t-elle. Et elle est trop loin, trop haut, maintenant, pour voir grouiller sur leurs antennes les visages de Arthur, Ernie, Justin, Alan. “Pardon”, remue le premier, tandis que le second gigote, ses gros yeux fuyants, “je ne voulais pas te frapper Lav’, je n’ai juste pas compris qui tu étais… la belle, la goule ? Je ne comprends plus rien…” Le troisième, immobile, murmure simplement : “Je me suis couchée auprès de Lavande Sexy Brown et je me suis réveillée avec juste Lavande.” Le quatrième fait claquer ses mandibules dans le vide, mais avant qu’il ne siffle ses mots noirs, les trois autres le poussent dans le trou qu’ils ont creusé. Il se débat, agite ses antennes, ses pattes crochues, mais ils lui frappent le thorax et, bientôt, le sable scelle son heure. Là-haut, loin de la petitesse de ces insectes, Lavande et son père disparaissent derrière une montagne. Le soleil coule son jaune à l’horizon, comme une caresse.

— 3 juin 1994 —



La mort de Lavande Brown n’atteint pas La Gazette du Sorcier, elle est ramassée dans un coin du New York Ghost en pattes de mouche assortie d’un petit ovale d’où elle nous sourit ingénument. “Suicide ou accident ? Une sorcière anglaise - Poudlard - retrouvée le corps démembré dans une tentative de transplanage entre l’Écosse et les États-Unis”.

Personne ne sut comment elle était sortie de Poudlard cette nuit-là, ni comment elle avait appris la formule du transplanage. L’article ne mentionne que la douleur de ses proches - “mère éplorée”, “Alan Grizeaux, beau-père effondré”, “grand-mère qui perd l’usage de la parole”, “camarades de Poudlard en deuil” - et les inconnues entourant sa mort. Accident ? Mais, qui tente un tel voyage à quinze ans sans expérience, quand même les plus grands sorciers risquent un membre sur une telle distance ? Suicide, alors. Mais aucune des sources interrogées par le journal ne peut le concevoir.

Ce n’est que fin juin, dans le dortoir des filles Gryffondor, alors qu’elles inondent leurs malles de tous les effets à prendre avant les grandes vacances, que Parvati trébuche sur un petit carnet. Sa couverture sombre est repliée sur les bords, comme un corps qui se recroqueville. Une étrange sensation la submerge alors qu’elle ouvre la première page et la sorcière reconnaît tout de suite l’écriture fébrile. « il y a de la saleté partout en moi, je saigne je saigne & j’ai tellement peur qu’il me sente ! »

Il lui faut la main d’Elena, le soutien magique de Hermione - apasio - et la force de sa soeur pour se résoudre à continuer.

« j’ai donné tellement d’amour dans ma vie! ma mère, Padma, Parvati, Susan. eux : Arthur, Ernie, Justin. alors pourquoi je suis si seule ? j’ai donné tellement d’amour dans ma vie… »

Les quatre sorcières lisent ensemble et à mesure que leurs yeux glissent de fragments agités en phrases qui se morcellent, elles se serrent les unes contre les autres, leurs mains se touchent, s’agrippent et leurs souffles expirent les morceaux de détresse.

« Je suis elle, mais je ne suis pas elle! La pulpeuse aux grandes boucles : c’est moi! & ce n’est pas moi : je vis je respire je transpire derrière elle. Aime moi aime moi pour moi, pas pour elle. »

Des centaine de cafards sont dessinés entre les pages et débordent sur les mots.

« ce matin, toilettes, je les ai vus dans mes yeux!! maintenant ils sont partout et je ne peux plus me cacher. j’ai attendu l’hiver tout le long pour les voir mourir - mais je suis toujours aussi désespérée et ils sont toujours là. maintenant tout le monde va les voir ».

« aide-moi je t’en prie! je n’arrive plus à bouger & dans mon ventre il y a il y a une tension qui me dévore ».

Les derniers mots sont presque illisibles tant l’écriture se hâte, mais, étrangement, elle semble dénouée.

« Je l’ai vu, hier. Il vient me chercher, je le sais. Il m’emportera avec lui et il n’y aura plus rien alors. Je ne serai plus elle, je ne serai même plus moi. & plus jamais seule. J’ai trouvé un chemin qui mène hors du monde ».


***



Note finale.
La dernière phrase est quasiment copiée du livre Ásta, mentionné plus haut dans le texte, où l’auteur écrit : « Mais où aller / où se réfugier / quand aucun chemin ne mène hors du monde ? », et celle de Justin-le-cafard dans le rêve de Lavande est tirée d’une phrase de Marilyn Monroe : « Les hommes se couchent avec Marilyn et se réveillent avec Norma Jeane... ». Lavande est elle-même inspirée de la Marilyn de Joyce Carol Oates, dans Blonde, livre qui m’a beaucoup, beaucoup marquée quand je l’ai lu à 15 ans, et qui est resté incrusté en moi. C’est plus largement un hommage à toutes les femmes réduites à une féminité outrancière, mal aimée, incomprise, trop touchée, trop modelée, trop désirée, trop sexualisée et sur lesquelles on a rabattue une peau qui n’était pas la leur en emmurant tous leurs désirs et tous leurs souffles de détresse.
Merci d’avoir lu <3
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