Le Conteur

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Alexia_Dan

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Le Conteur

Message par Alexia_Dan »

Qui suis-je ?
La question tournait encore et encore dans sa tête, accentuant la migraine qui maltraitait son esprit depuis un bon moment déjà. Il pouvait voir les longs brins d'herbe qui oscillaient dans la brise nocturne. Avec l'obscurité ambiante, leur lent mouvement ressemblait à la danse des flammes qu'il avait l'habitude de regarder contemplativement. Mais il n'y avait pas de feu ce soir. Seulement l'herbe. Seulement les étoiles. Seulement le sang. Un filet de sang s'échappait de sa bouche, teintant ses dents blanches, et coulait sur son menton en un sillon écarlate qui finissait sa course en de petites gouttes tombant sur un coquelicot aux pétales aussi rouges que ce liquide vital.
L'herbe. Les étoiles. Le sang. Trois éléments dans son champ de vision. Trois souvenirs d'une autre vie.
Qui suis-je ?

L'herbe.
Il se souvenait d'une forêt baignée dans la brume. De délicates gouttes de rosée scintillaient sur les hauts brins d'herbe, reflétant la lumière du soleil dans l'air rendu presque opaque par le brouillard argenté. Un garçon se tenait là, adossé à un arbre, les mains serrant ses genoux sur lesquels reposait son front. Ses longs cheveux d'un noir de jais tombaient sur ses épaules, cachant son visage. Mais les mèches les plus proches de son visage étaient mouillées: des gouttes suivaient ces lignes sombres jusqu'à tomber dans l'herbe, se mêlant à la rosée. Le garçon pleurait. Sa bouche se tordait en une grimace exprimant toute la douleur qui devait assaillir son esprit. Parfois elle laissait échapper un sanglot à peine dissimulé qui semblait résonner dans le silence paisible des bois. Ses yeux, arborant une très claire nuance de brun, faisaient presque penser aux braises d'un feu de camp éteint à l'eau tant les larmes coulaient à flots ; et tant ils étaient rougis qu'on aurait pu les penser injectés de sang. Le garçon pleurait. Pourquoi ? D'où venait son chagrin ? Que faisait-il seul au milieu d'une forêt brumeuse, assis dans l'herbe mouillée ? Seul. Le garçon était seul. Peut-être était-ce cela ? La solitude. Le rejet. Le monstre. Monstre ? Non, il n'y avait pas de monstre. Monstre. Comment ? Monstre. De qui venait cette pensée ? Monstre. Du garçon ? Monstre. De lui ? Monstre. Qui pouvait penser cela ? Monstre. Stop ! Monstre. Mais qui était ce garçon ? Monstre ! Lui ?
Qui suis-je ?

Les étoiles.
Il voyait des fleurs aux pétales d'or se balancer au gré du vent. La pleine lune de cette soirée les illuminait, faisant ressortir leur beauté. Ainsi parées, nimbant dans le rayon argenté de l'astre, elles rivalisaient presque avec les étoiles qui parsemaient le ciel, scintillant comme des milliers de bougies. Une femme se tenait là, ses pas légers dansant allègrement dans l'obscurité. Ses cheveux, aussi sombres que les ombres alentours, volaient autour d'elle, aussi vifs que sa danse. C'était sur sa robe immaculée qu'on avait brodé les fleurs d'or mais avec une telle expertise qu'elles paraissaient presque vraies. La femme chantait. Sa voix s'élevait dans les ténèbres, douce, claire et magnifique, semblant portait en elle toute la beauté du monde. La femme n'était pas seule. Un homme se tenait à ses côtés, souriant avec tendresse. Il était beau de visage et noble de traits et il portait de somptueux habits brodés au fil d'or. Il jouait une flûte taillée dans un bois clair, accompagnant la chanson de la femme, semblant même la compléter. L'harmonie entre eux était parfaite. Il était difficile de contempler autre chose que leur duo alors même qu'ils étaient difficiles à distinguer dans la lumière vacillante des astres... Abandon. Non. Abandon. Non ! Abandon. Cela n'allait pas recommencer ! Abandon. Mais d'où venait donc ces pensées ? Abandon. Il n'y avait pas d'abandon ! Abandon. Qui ? Qui allait abandonner l'autre ? Abandon. Il voulait la réponse ! Abandon ! Lui ?
Qui suis-je ?

Le sang.
Des ruines... Une ville en ruines. Il pouvait voir les restes de bâtiments de pierre blanche. Et là, ce qui devait un jour avoir été un parc. La terre avait été retournée, les bancs détruits, les parterres de fleurs désormais fanés. Un homme se tenait pourtant là, envers et contre tout, assis en tailleur, les mains sur les genoux. La boue s'accrochait à ses bottes, ses vêtements, se mêlant au sang. Le sang. Il s'échappait d'une blessure qui lui barrait le visage de la tempe droite à la joue gauche, créant un saisissant contraste entre le rouge écarlate du liquide et la blancheur d'albâtre de sa peau. Cependant, malgré la douleur que devait provoquer une telle plaie, sa bouche restait résolumment fermée, ne laissant échapper le moindre gémissement. Ses yeux, pourtant bleus et froids, brûlaient d'un feu puissant, destructeur, haineux, un feu de vengeance. La vengeance du feu et du sang. Echec. Encore ? Echec. Pourquoi ? Echec. Quel échec ? Echec. Celui de la vengeance ? Echec ! Son échec ?
Enfin il comprit.

Je suis le Conteur.
Il ouvrit les yeux brusquement. La respiration haletante, il se redressa, ses doigts effleurant légèrement l'herbe. Les étoiles dans le ciel brillaient aussi fortement qu'avant. Les gouttes de sang continuaient de tomber sur le coquelicot. Rien n'avait changé. Sauf une chose.
Je suis le Conteur.
L'herbe. Les étoiles. Le sang. Trois éléments dans son champ de vision. Trois souvenirs d'une autre vie.
Mais ce n'était pas sa vie. Le garçon en pleurs, la femme chanteuse, l'homme blessé, ce n'était que des contes, des histoires qu'il racontait, des souvenirs de personnes qu'il avait un jour connues. Cela était tout. Il ne les avait pas aidées. Il les avait laissées à leur chagrin. Monstre. A leur désespoir. Abandon. A leur doute. Echec. Il avait seulement... conter leur histoire.
Je suis le Conteur.
Etait-ce cela, être le Conteur ? Entendre les souffrances des autres pour écrire des vers ? Pour ensuite les abandonner à ces mêmes peines ? N'était-ce pas lui, le monstre ? Ne les avait-il pas abandonnés ? N'avait-il pas échoué ? Monstre. Abandon. Echec. N'était-ce pas là ses pensées ? Ses regrets à lui ? Il observait des milliers de vie sans jamais rien changer. Mais était-ce une règle ? Etait-il obligé de demeurer omniscient observateur, silencieux jusqu'à l'heure du conte ? Ne pouvait-il pas agir ? Ne pouvait-il pas... aider ? Il se sentit soudain empli d'une profonde détermination, une détermination ardente, inflexible, inébranlable.
Je suis le Conteur !
Sa main cessa d'effleurer l'herbe, se déplaçant pour essuyer le filet de sang. Les étoiles pâlissaient doucement tandis qu'une légère lumière se levait à l'ouest. Il se leva, marchant à pas silencieux. Son regard brûlait comme les flammes qu'il avait l'habitude de regarder contemplativement. Mais cette fois, il ne regarderait plus. Il serait le feu.
Je suis le Conteur.
Et c'est à moi de changer les contes.
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