3200 le dernier périple

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Vanget

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3200 le dernier périple

Message par Vanget »

Le premier janvier 3100, au sein des quatre niveaux de la cité souterraine creusée dans l’écorce de la planète Mars, la fête culmine à son plus haut.
Il est trois heures du matin, voilà cent ans que l’immense ville prospère dans les entrailles de l’astre rouge.
Au plan supérieur, les milliardaires s’empiffrent de caviar, au second, les techniciens s’enivrent de champagne, au troisième, les domestiques se régalent de crudités et au quatrième, les serviteurs de serviteurs se nourrissent d’espoir…
Petit à petit, les vives trépidations fissurent la roche. Venus du magma liquide, les gaz mortels s’échappent… La vie s’éteint étage par étage.
Le lendemain, les seuls bruits qui arrivent à Houston proviennent des ventilateurs géants, comme le cliquetis de cette girouette rouillée d’une ville fantôme abandonnée par les chercheurs d’or des siècles passés…
Sur terre, le gouvernement mondial verrouille l’information. Les vols quotidiens vers Mars reprennent. Cette fois-ci, ils emportent : les criminels, les parias, les contestataires, ceux qui pensent autrement avec quelques innocents injustement dénoncés par convoitise ou cupidité. Officiellement, les voyageurs partent pour reconstruire les dégâts. En vérité, pour les condamner à mort par asphyxie. L’ordre nouveau doit régner… L’Histoire balbutie, elle bégaye en murmurant les échos noirs des siècles les plus sombres.
Quelques mois plus tard…
Depuis trois jours, j’avance à grand-peine dans le désert brûlant du Sahara. La température avoisine les cinquante degrés le jour et près de zéro la nuit.
Je suis un condamné à mort.
Ce n’est pas le terme que les autorités emploient. Pour eux, il s’agit de : rééducation.
En 3100, elles se divisent en deux sortes et luxe ultime, le délinquant possède la liberté du choix…
Soit un exil définitif sur la planète rouge comme serviteur de serviteur.
Soit un abandon dans le Sahara, largué par un hélicoptère à huit jours de marche de l’oasis la plus proche avec une réserve d’eau et de pain pour trente-six heures. Quand ils vous quittent, ils disent :
L’espoir fait vivre !
Une cruauté de plus, pour eux : un raffinement !
Cependant, moi, j’ai opté pour le désert… Et je sais pourquoi !
Le problème passé de la surpopulation carcérale est résolu ! Les anciennes geôles sont démolies au profit de gigantesques tours de verre.
À partir de l’an 3000, la montée des eaux a submergé toutes les villes côtières, l’espace habitable s’amenuise…
Je suis un rebelle, un insoumis, le sable dans les rouages.
Le sable ? Je ne devrais pas employer ce mot !
J’ai mis au point un système qui leurre la reconnaissance faciale. J’utilise à tour de rôle les visages des 150 autorités du gouvernement mondial pour avoir accès aux véritables informations. Je diffuse les plus essentielles auprès de mes concitoyens. La catastrophe du premier janvier 3100 qui a décimé les villes souterraines de la planète mars se transmet désormais chez tous les terriens… La révolte gronde.
Ma tête est mise à prix.
Malgré toutes mes précautions, je fus livré par un proche collaborateur. Il y avait une place à prendre, celle d’un milliardaire… Une position temporaire… Les dictatures n’aiment pas les traîtres ! Même ceux qui les servent.
L’aube du quatrième jour se lève. Pour avoir plus chaud la nuit, je m’enterre sous le sable. Je sais, c’est dangereux, les tempêtes peuvent m’ensevelir, mais je n’ai pas le choix. J’ai divisé au minimum les rations pour aller plus loin… Jusqu’où ? Je ne saurais le dire, réfléchir devient pénible.
J’avance un pas, puis un autre, toujours un pas… L’exemple d’Henri Guillaumet me redonne du courage. Après le crash de son avion dans la cordillère des Andes, il a marché sans s’arrêter durant cinq jours, sans équipement, en plein hiver austral… Il a fini par être sauvé.
Sauvé ! un mot qui rebondit comme un ricochet, droit devant moi, vers la vie.
Parfois, il faut un peu de folie, ou bien, est-ce l’instinct de survie, venu du fond des âges farouches qui nous fait tenir…
Au milieu de la journée, la chaleur devient insoutenable et je m’effondre. Dans mon inconscience, j’ai entendu une voix qui déclarait : « Relève-toi ! » À cet instant précis, j’ai senti une ombre qui sortait de mon crâne. Elle a pris la forme d’une silhouette étrange et m’a tendu deux coupes d’or en disant :
— L’une contient l’immortalité et l’autre, un poison fatal pour abréger tes souffrances, choisis sans crainte ! Dans les deux cas, tu es gagnant !
— Qui es-tu ?
— La somme de tes idées noires, celles que tu accumules depuis ta naissance !
Je n’avais pas assez de mauvaises nouvelles ! Il ne manquait plus que celle-là ! J’ai repris mon chemin et j’ai crié :
— Comme Han Suyin, je n’ai que la pluie pour ma soif ! Et assez de temps pour l’attendre, ici chaque seconde contient l’éternité !
Le cinquième jour, j’ai encore un peu de vigueur. C’est le début d’octobre : la saison humide au Sahara. Voilà pourquoi j’ai choisi le désert ! La pluie peut s’abattre à tout moment, mon dernier espoir… Sauf si les ultimes dérèglements du climat n’ont pas tout bouleversé…
Le sixième jour, j’ai fini toutes mes rations. Il n’y a pas de traces d’animaux, de végétation ou de crevasses dans le sol pouvant indiquer une source et la pluie n’est toujours pas tombée… Je suis si faible que la moindre pierre me fait trébucher.
Épuisé, je me suis allongé près d’un modeste rocher en essayant de profiter du peu d’ombre qu’il offrait, j’ai écarté les mains et j’ai fermé les yeux, pour un instant, me suis-je dit… C’est à ce moment que les premières gouttes sont arrivées, toutes petites d’abord, ensuite très grosses, énormes ! Tout autour, le sable explosait, en peu de temps je fus trempé, noyé : un bain divin !

Rimbaud aurait dit : comme un vin de vigueur !
Moi, j’ai pensé : comme une eau-de-vie !




En janvier 3200, la moitié du globe est ravagé par les tempêtes tropicales. Sous la conduite du dernier érudit, les terriens ne sont plus que 5000 à errer vers le nord, seul lieu encore tempéré…
Au milieu d’un long chemin aride parsemé de pierres saillantes, le sage désespéré, à bout de souffle, cria vers le ciel :
— Pourquoi les hommes que tu chéris se haïssent-ils autant ?
La réponse résonna limpide dans son esprit.
— Le mal ne demande aucun effort, il suffit de se laisser porter. La victoire surgit, immédiate, surtout quand le glaive transperce les plus vulnérables, leurs blessures profondes anéantissent toutes défenses.
— Le bien n’existe donc pas ?
— C’est un cheminement, un état de conscience et surtout : une abnégation ! Il ne peut s’exécuter sous les feux de la rampe comme sous les trompettes de la Renommée. Il nécessite de beaucoup donner sans attendre de recevoir. Qui accepte d’agir ainsi ?
— J’ai lancé mes forces dans cette voie depuis trop longtemps, lorsque je me retourne, nous progressons peu nombreux, le dos courbé par nos peines en laissant de grands intervalles entre nous. Je crains de m’égarer avec tous…
— Crois-tu possible d’avancer en regardant derrière toi ? Tes inquiétudes lient tes chevilles et ta peur clôt ton horizon : tu te construis une prison de douleur. Tu prétends servir d’exemple et tu te restreins pour vivre petit. Personne ne suivra un épuisé !
— Malgré tout, nous avons réalisé le bien, ne l’as-tu pas perçu, ni aimé ?
— Trop de larmes me brûlent les yeux et m’empêchent de le voir.
— Pourquoi n’agis-tu pas ? Pourquoi laisses-tu accomplir cela ?
— Derrière vous : l’obscurité et le chaos, devant vous, la lumière et l’espoir… Personne ne vous a condamné, pourtant chacun de vous roule sans cesse le rocher de Sisyphe !


Gérard Taverne (Vanget) le 23/08/2023
Dernière modification par Vanget le jeu. 07 mars, 2024 1:04 pm, modifié 1 fois.
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