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Les gagnants du concours "Un jour à..."

Publié : dim. 12 juin, 2011 12:30 pm
par Virgile
Voici les textes des gagnants du concours "Un jour à..."

Re: Concours "Un jour à..." Premier mois : Juin 2011

Publié : dim. 12 juin, 2011 12:30 pm
par An@ë(L)(L)e
Un jour à Paris


Mercredi 2 septembre 2011

Je suis revenue. Après ma fuite 1 ans et demi plus tôt, me revoilà Paris. Tes charmes m’ont manqué, mais je ne t’ai pas oubliée. Pourquoi suis-je revenue ? Peut-être parce que tous mes espoirs de province se sont écroulés, peut-être parce que tu es pour moi le seul refuge, tel un doux cocon que j’aurai quitté trop vite. Tu sais tout de moi : j’ai marché pour la première fois sur tes pavés, j’ai ri, pleuré et crié alors que tu m’écoutais, j’ai vécu mes premières amours sur tes ponts. Mais je ne suis pas revenue pour toi. Je suis revenue pour la même raison que celle qui m’a fait partir, qui m’a fait fuir. Ne t’étonne pas, ville de l’amour, si je ne pouvais plus supporter la vue de ta tour Eiffel après l’avoir gravi avec lui, la vue de la Seine où nous avions jeté une clef fermant un cadenas doré, la vue des bateaux mouches où il m’a dit je t’aime pour la première fois, tes musées que nous avions décidé de tous visiter, tes écoles où nous nous sommes rencontrés. Alors me revoilà Paris, je descends du taxi, souhaite moi bonne chance je m’en vais le retrouver.

-Vous y êtes ma petite dame, me dit le chauffeur.
Je le remercie et le paye après avoir fermé mon journal où j’écris ma vie depuis le lycée. Je pose mes talons sur le trottoir pavé et me laisse enivrer de ce soleil d’été, de la douce clameur parisienne qui me parvient. La foule de gens qui passe, les bruits des rires et diverses discussions, les voitures et les vélos, les marchands, les peintres et les pigeons, que tout cela m’avait manqués !
J’étais partie dans une université en province, les étonnant tous, ma famille et mes amis. Primo parce que je quittais les Beaux Arts après une première année réussie, secundo parce qu’une université à Nantes, cela signifiait m’éloigner de Léo. C’était mon douloureux but et c’est ce que je fis.
Léo. Trois petites lettres qui ont provoqué en moi tous les sentiments. L’amour tout d’abord, mon deuxième seulement, et pourtant le plus grand, je ne me l’avoue malheureusement que maintenant. Ce n’était pas tout rose, non, c’était de toutes les couleurs : jaune amitié, rose romantique, rouge passion, blanc amour, mauve petite jalousie, vert calme, marron petites disputes,...mais à la fin, noir néant. Il y avait un trou dans ma poitrine, un abîme si profond que je n’y voyais plus rien. Et c’est ma faute, ma grande faute, tout est ma faute. Je n’ai réussi à partir que parce que je me répétais que ce n’était qu’une amourette d’adolescent, que j’étais jeune et que j’allais l’oublier. J’avais tort.
Devant moi se trouve l’immeuble de la rue Berrier, nous y avons vécu 2 mois ensemble. Je m’assois sur un banc et me replonge dans mes souvenirs.

Le dimanche 22 avril est gravé dans ma mémoire. Une journée parfaite, deux ans plus tôt. Je me réveille dans ses bras, il me regarde et j’imagine mon image dans ses yeux bleus presque gris. Une image aux yeux encore remplis de sommeil, les cheveux ébouriffés. Il me sourit et je me sens fondre comme toujours, quand il me sort son sourire adorable de gentillesse et d’amour. Il y a aussi son sourire malicieux/coquin/ironique, sincèrement je ne sais pas lequel je préfère.
-« Hé, tu ne pouvais pas me réveiller au lieu de me regarder en souriant bêtement, lui dis-je en rigolant, je te rappelle qu’on a prévu de faire l’ascension de la Tour Eiffel aujourd’hui.
-Désolé, j’étais occupé à admirer la huitième merveille du monde. »
Hé hop re-sourire hyper craquant mais cette fois-ci je riposte.
-« Espèce de baratineur, va, si tu voulais une faveur, le petit-déjeuner au lit aurait mieux marché ! »
Je lui balance l’oreiller dans la figure et file dans la cuisine. Bien sûr il me rattrape, se venge et on peut enfin attaquer le petit-déj’. C’est après ça que j’ai commencé à remarquer les premières anomalies, annonciatrices de la chute. J’enfile une robe légère et printanière quand lui est encore à se demander ce qu’il va mettre. D’habitude il prend ce qu’il lui tombe en premier sous la main, sans plus de considérations, et m’attend ; pas cette fois.
-« Ben dis donc, c’est plus long que lorsqu’il a fallu que je te présente à mes parents ! »
J’étais particulièrement d’humeur taquine ce jour-là mais pas lui à l’évidence. Il me renvoie une grimace crispée.
Dans la file d’attente pour monter en haut de la Tour Eiffel, il ne tient pas en place. Lui qui est si patient et arrive à me faire passer le temps en me parlant, ne dit pas un mot. Je le remarque mais ne lui en parle pas, je ne m’alerte pas.
Enfin, arrivés au dernier étage de la Tour Eiffel, la vue est dégagée, magnifique, on voit tout Paris et mes cheveux volettent au vent. Je le regarde, il est concentré.
-« Tu vois là-bas, le lycée Montaigne ? me montre t-il du doigt.
-Bien, sûr, année de seconde, ah la belle année 2005 où j’ai rencontré un adolescent boutonneux et pot de colle, je réponds en riant.
-Et moi, une dingue d’Orlando Bloom avec un appareil dentaire. Au final on est devenu assez beaux gosses.
-Qui a dit qu’en se rencontrant à 15 ans, on emménagerait ensemble à 18 ans et serait encore ensemble à 19...en tous cas certainement pas cette pimbêche de Melissa Javeau !
-... Eloïse ?
-Hum ?
-Tu sais quand tu voulais qu’on regarde une batterie de films romantiques un samedi soir et que j’avais préféré regarder un film de guerre...eh bien, j’aurai mieux fait de t’écouter parce que...eh, bien, je ne sais pas très bien comment m’y prendre...
Je l’avais regardé, ahurie, s’agenouiller et me tendre une bague.

Mon cœur se serre et sur mon banc, je me revois en boucle, rester là totalement coite, puis ma fuite ridicule pour lui échapper sans lui avoir adressé une parole.
Ma mère s’était mariée à 17 ans, m’avait eu à 18 et avait divorcé à 19. Elle m’avait élevé en me serinant que le mariage était une erreur avant 30 voir 35 ans. J’avais grandi en me serinant que le mariage était une erreur. J’avais 19 ans et j’ai eu peur, mais si je pouvais retourner dans le passé et changer les choses... J’aurai pu lui parler dès le début de ma réticence des mariages précoces, ou le moment présent réagir en adulte, dire oui ou dire non mais pas m’enfuir ! Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’avais peur qu’il attende plus de moi, qu’il ne m’aime plus après un refus, j’avais peur de souffrir en affrontant cette peur. Au final, j’ai souffert tout de même et en plus, je me suis éloignée de ma famille, de mes amis et de ma ville. Ce qui me fait encore plus mal, c’est que j’ai raté ma seconde chance, une chance de tout réarranger. Mais je ne l’ai pas saisie. A Nantes, après deux mois, ma mère m’a téléphoné pour me dire que Léo lui avait demandé mon adresse et qu’il comptait me voir. J’avais fui, encore. Je l’avais évité pendant des jours et il avait compris.
-« Ma faute.. »
Le petit enfant à côté de moi me regarde bizarrement, il croit sans doute que je suis folle, à parler toute seule.
Je crois qu’à la fin, je me suis convaincue que je méritais la douleur de son absence. J’avais essayé d’autres relations ; essais infructueux. Je revoyais tout le temps ses yeux bleus-gris, son sourire malicieux, ses cheveux bruns en bataille. Et à chaque fois que je voyais un musicien, je le voyais lui, quand j’envoyais des piques à un ami, c’est à nos joutes verbales que je pensais. Mais un déclic s’est fait dans ma tête et me voilà devant l’immeuble où il habite s’il n’est pas parti, l’immeuble où nous avions vécu ensemble.
Je me lève comme une automate, mes membres me semblent tout engourdis, et me dirige vers l’entrée. Deuxième étage, numéro 4. L’ascenseur m’oppresse. Je suis sur le palier, sur son seuil, devant sa porte. Je frappe une fois. Ba-boum ba-boum fait mon cœur. Je frappe une deuxième fois. Ba-b...
-« Si c’est Monsieur Pontcharte que vous voulez, il est parti, ma petite demoiselle ».
Je sursaute violemment mais la petite femme âgée qui se trouve devant moi n’a rien remarqué. J’ai le souffle coupé par la nouvelle. Espoirs déçus.
-« Léo...Léo Pontcharte est parti ? je dis comme une supplique.
-Ben oui, c’était un gentil garçon, il me manque un peu mais il vient me voir parfois avec cette sécheresse. C’est un gentil garçon, il fait bien attention à moi. C’était mon voisin depuis un bon bout de temps.
-Je suis une amie...Vous pourriez...s’il vous plait...me dire où je peux le trouver ?
-Une amie de Léo ? Mais entrez-donc, vous me paraissez toute essoufflée », me dit-elle, enjouée.
J’entre chez elle, m’assoie à son guéridon, elle nous sert une tasse de café.
-« Je suppose que vous l’avez pas vu depuis un petit moment car ça fait déjà bien huit mois qu’il n’est plus là.
-Effectivement...
-Je crois bien que c’est un chagrin d’amour qu’il l’a fait partir. Peut-être bien que l’appartement lui faisait trop penser à la gamine qui a habité avec lui un moment. »
J’avale difficilement, c’est de moi qu’elle parle.
-« Je m’en souviens plus trop de cette fille mais elle m’avait parut bien, et je me souviens bien que mon Léo était vraiment heureux. Ah... ! Il m’en parlait durant des heures et il savait que j’aimais bien ça, que voulez-vous, ça me rappelle mes belles années.
-Je...je vois de qui vous parlez. Comment...
-Comment ça s’est fini ? C’est bien triste mais Léo ne m’en a pas parlé de ce qui l’a fait partir mais il me répétait que c’était sa faute, il était abattu. »
Oh non, non, c’était la mienne, ma faute.
-« Je me rappelle au début, il était hébété, il ne pouvait pas y croire : « Quatre ans ça dure, elle va revenir c’est sûr » qui disait.
-Mais elle n’est pas revenue...
-Non. Au bout de six mois, il est parti.
-Où ? C’est très important... »
J’étais au supplice.
-« Je crois que c’est dans l’immeuble juste en face de son Conservatoire. »
-Oh, merci, merci ! »
Je la remercie encore et lui dis qu’il faut vite que j’aille le retrouver. Elle me raccompagne à la porte et enfin que je rentre dans l’ascenseur, me demande :
-« Je peux avoir votre prénom, mademoiselle, comme ça, si je vois Léo...
-Eloïse, madame. »
Je vois son visage se concentrer, elle se souvient. J’appuie sur le bouton RC.
-« Mais...C’est vous la gamine... ! »
Je ne dis rien. « Bonne chance ! » qu’elle me crie alors que les portes se ferment. Je souris.

Clac-clac font mes talons sur le trottoir ; un bruit régulier en opposition avec ceux de ma respiration et des battements de mon cœur. J’ai pris tellement de fois le chemin du Conservatoire que je me replonge à ces soirs où j’attendais qu’ils finissent ses cours pour qu’on puisse rentrer ensemble.
Tout le long de ma marche je fais attention à chaque détail car je sais que ma vie va changer de cap ; en bien en mal ? Je ne sais pas mais je n’ai pas peur, cela fait trop longtemps que je l’espère. Alors je remarque les dizaines de pigeons picorant le bitume, ne frémissant presque pas à mon approche. J’admire les merveilleux immeubles haussmanniens, les gratte-ciels vitrés au loin, en contraste avec les édifices anciens, pleins de charmes ; la multitude de pont enjambant la Seine ; la cathédrale Notre-Dame de Paris ; les bouquinistes aux abords du fleuve ; les cafés, restaurants et autres boutiques ; eh puis aussi les voitures, les bruits des moteurs, les détritus ; les gens qui marchent au pas de course sans voir autour d’eux ce que Paris leur offre et les chinois qui mitraillent la capitale, c’est ça aussi Paris.
Me voilà arrivée. Le conservatoire est devant moi et je me tourne vers les immeubles qui se trouvent à côté... mais je n’aurai pas besoin de beaucoup chercher. Il est là devant sa voiture, toujours le même, il me regarde.

Il ne bouge pas, je ne bouge pas. C’est à moi de faire le premier pas et les suivants, je le sais. Je m’avance vers lui, je ne peux me détacher de son regard, je n’arrive pas à savoir ce qu’il pense. Il est à portée de voix maintenant mais on ne dit rien. Maintenant je peux le toucher et j’essaye de lui dire tant de choses dans mon regard car je n’arrive pas à parler. Quand j’arrive à ouvrir les lèvres, c’est pour dire, d’une voix tremblotante dont je suis sûre que les battements de mon cœur ont recouverte :
-« Je t’offre un café ? »

Il a accepté. Nous sommes assis à une table, j’ai les mains crispés sur ma tasse, il a une main sur sa tasse l’autre est relâchée sur le dossier de sa chaise. Le Baroudeur, petit café d’en face, nous nargue, c’était le lieu de notre premier rendez-vous officiel. Il a le regard baissé. La seule chose qui m’a indiqué qu’il avait perçu ma présence c’est son hochement de tête quand je lui ai proposé un café. Je ne sais pas par quoi commencer. Je le regarde, il n’a pas changé sauf dans la façon d’être avec moi, mais ça je m’en doutais.
Je prends mon courage à deux mains, je commence mon explication, mes excuses et mes regrets ; il lève le regard.

Voilà j’ai fini. Rien n’est plus dans mes uniques mains, il est seul maître de mon sort ; j’attends ma sentence.
-« Mais pourquoi ne m’as-tu pas dit non, tout simplement ? me dit-il amèrement.
-J’avais peur de souffrir, de te faire souffrir, que ce ne soit plus comme avant, que tu attendes plus de moi. Mais je sais que j’ai eu tort, j’ai été lâche et je n’ai pas su te faire confiance. »
La fin de ma phrase n’est plus qu’un souffle. Le silence est pesant avant qu’il ne reprenne la parole.
-« Pourquoi es-tu revenue ? Pourquoi maintenant ?
-Parce que je me suis rendue compte que je n’étais pas heureuse ou plutôt, ça je le savais déjà mais j’étais persuadée que ça allait s’arranger. Alors, à un moment, je me suis rendue compte qu’il fallait que j’essaye de tout réarranger. C’était vital parce que... j’étais obsédée par le passé, par toi. Tu me manques et si je pouvais retourner dans la passé, j’aurai accepté de t’épouser même à 16 ans...
-Tu détestes tellement avoir tort, tu détestes t’excuser. Cela fait bizarre de t’entendre.
-Je déteste avoir tort, c’est vrai, mais je déteste encore plus être loin de toi. »
Les mots me viennent tout seuls maintenant, ils viennent du cœur et je ne les arrête plus alors qu’avant je les bridais.
-« Alors je te donnerai toute ma fierté, s’il le fallait, pour au moins que tu me pardonnes. Il fallait que je te voie, que tu m’accordes une seconde chance ou non, il fallait... Parce que même si tu me hais, et tu aurais bien raison, j’aurai essayé et j’aurai moins de remords. Mais ne t’inquiète pas si tu me détestes ou si tu as quelqu’un, je disparaitrais.
-J’ai bien essayé de t’oublier. Mais toutes ces filles n’allaient pas, elles n’avaient pas tes yeux, ta voix, tes cheveux où j’aimais passer ma main. Elles ne me disputaient pas à chaque fois qu’on loupait les bandes-annonces au cinéma, elles n’ont pas ton rire quand on regarde des comédies, elles ne pleurent pas autant que toi devant Titanic, elles ne savent pas me détendre avant un concert.... »
Ses paroles me font du bien mais j’ai quand même mal. Il ne m’a pas dit qu’il ne me haïssait pas.
-« J’ai toujours espéré que tu reviennes, continue-t-il, mais aujourd’hui je t’ai pris pour une hallucination, Eloïse... je sais que si je ne nous donne pas une autre chance, je vais m’en vouloir toute ma vie mais de toutes façons je crève d’envie d’être avec toi, te toucher, te parler...et je sais bien que ce n’est pas raisonnable. »
Mon cœur s’allège d’un poids et je frétille de joie mais vite, je m’assombris.
-« Mais, Eloïse,...
-Mais ? je demande avec effroi.
-Je m’en vais à la Julliard School. J’ai un appartement là-bas même si j’ai gardé celui-ci.
Ba-boum ba-boum. Je n’arrive pas à savoir ce que ça veut dire, je n’arrive pas à démêler mes pensées.
-La Julliard, à New York ! Mais c’est super...tu as toujours voulu aller là-bas.
-Et tu m’as toujours dit que j’étais assez doué pour y entrer, répond-t-il avec un sourire triste. Mais je dois partir ce soir, j’ai déjà mis les valises dans le coffre et je ne reculerai ni n’annulerai mon départ, Eloïse,...
-Je viens avec toi ! »
Je le hurle presque, c’est sorti tout seul pour moi c’est évident. Mais cela ne dépend pas de ma seule volonté alors je le regarde, il est surpris, mais est-il heureux ?
-« Enfin...Si tu veux bien sûr, je comprendrais si tu ne veux pas. »
Il est éberlué, je vois bien qu’il ne pensait pas à une fin heureuse, qu’il n’avait pas voulu se faire de faux espoirs. Je souris, triomphante, quand je vois son sourire, le vrai, celui que j’aime, illuminer son visage et des étincelles de joie s’allumer dans ses yeux.
-« Mais tes études ? Ta famille ?
-Je vais aller au Hunter College, je sais que j’ai un assez bon dossier pour y entrer. Et puis ma famille, c’est toi maintenant et j’ai bon espoir de plus te lâcher ! je dis, heureuse, en rigolant.
-Mince alors ! Il va falloir que je te sème ! »
Nos joutes verbales ont recommencé. Je suis heureuse.

Demain je passe un jour à New York. Et je compte y passer tous les jours suivants.
Avec lui.

Re: Concours "Un jour à..." Deuxième mois : Juillet 2011

Publié : mar. 12 juil., 2011 1:57 pm
par Fab007
Un jour à…

Heureux. Jamais, depuis cinq années, nous n'avions été aussi heureux. Tout était bientôt terminé. Cette journée-là, c'était la distribution du tabac. Je fumais, j'aimais beaucoup ça. Bernard lui, était venu pour prendre un peu de viande. « Pour fêter ça » m'avait-il dit en souriant.
En longeant les rails du tramway, nous croisions Monsieur Dupic qui venait d'amener ses enfants à l'école. « L'école le samedi ? » m'étonnai-je. Il m'expliqua qu'une visite médicale avait lieu aujourd'hui et qu'exceptionnellement, l'école ouvrait ses portes. Nous refîmes le monde tous les trois pendant une bonne demi-heure avant que M. Dupic ne reparte, non sans nous avoir longuement et chaudement serré la main. Du soulagement. Il devait retrouver sa femme. Il promit de nous inviter au grand banquet qu'il comptait organiser pour la fin de la guerre. Nous reprenions notre route.
Bernard, qui connaissait mieux le village que moi, me montra avec gourmandise le jardin du presbytère, derrière l'église. Depuis le début du rationnement, la privation faisait partie du quotidien et était difficilement supportable, surtout en cette belle journée. « Du poulet avec des petits pois... et du vin ! Ah ah ! Vivement que tout ça se termine tiens... » fit-il à haute voix. Les halles étaient vides, mais la place à côté de l'édifice religieux était pleine de vie. Les femmes et les hommes riaient de bon cœur, se délectant des exploits de la résistance face à l'ennemi tout en imaginant le futur proche, lointain... En face, un homme sortit de sa grange. Bernard reconnut le boulanger, Monsieur Bouchoule, et le salua d'un geste du bras. Pour ma part, je me contentai d'un signe de tête : l'entente n'était pas cordiale, mais qu'importe, les rancœurs passées devaient pouvoir s’effacer un jour comme celui-ci.
D'humeur badine, Bernard me proposa une course jusqu'au champ de foire, où la distribution avait lieu. Un peu gêné par le monde qui parcourait l'artère principale, je refusai, puis devant l'insistance enjouée de mon camarade, je cédai finalement. Nous prîmes le départ devant la grange de la famille Milord. La rue donnait directement sur la route principale et il suffisait de suivre la voie de tram pour arriver à l'entrée de la place. Bernard avait une longueur d'avance sur moi lorsqu'il trébucha sur les rails. Je stoppai immédiatement mon effort pour venir l'aider. Interpelé par le cri étouffé que mon ami poussa lors de sa chute, le docteur Desourteaux, le fils du maire, se précipita et m'aida à le relever. « Mon pauvre ami, je sais bien que les nouvelles sont bonnes, mais est-ce une raison pour vous casser une jambe ? ». Nous rîmes. Le docteur désinfecta la plaie et appliqua un pansement sur son genou ensanglanté. Après cela, il nous quitta et monta dans sa Peugeot 202 : il devait rendre visite à un patient.

Nous arrivâmes finalement au champ de foire. Il était midi. La distribution du tabac avait commencé. Je me joignis à la longue file d’attente qui s’était formée : Bernard me fit remarquer qu’il y avait beaucoup d’habitants des faux-bourgs ou des villages voisins. Une fois servis, comme de coutume, nous trouvâmes que notre ration était encore plus ténue que la dernière fois. Mais après tout, était-ce si grave ? En sortant du champ de foire, Bernard et moi fûmes rattrapé par un vieil ami, Monsieur Beaulieu. Ce dernier tenait un atelier en face de la pharmacie, à l’entrée du lieu où nous nous trouvions. Il discuta longuement avec nous, nous apprenant que les troupes allemandes remontaient vers le Nord, pour soutenir les soldats sur le front de Normandie. « Encore une bonne nouvelle » s’exclama Bernard, qui décida d’aller trinquer. Pour ma part, je préférai rentrer : il faisait chaud et n’ayant que peu mangé, je craignais de ne pouvoir supporter la boisson très longtemps. Et puis, Bernard tenait mieux l’alcool que moi. Avant de partir, je l’invitai à venir chez moi le soir même, avec sa future épouse, pour gouter à l’énorme gigot que j’avais conservé dans l’attente de bonnes nouvelles. Il accepta et suivit finalement M. Beaulieu dans un café.

Je repris la route qui nous avait menés jusqu’ici en sens inverse. En repassant devant sa grange, je saluai Madame Milord qui en sortait puis m’engageai vers l’entrée du village. Une légère brise vint caresser mon visage à mon passage sous un arbre. Cette sensation m’était enfin agréable. Elle n’était plus sans lendemain. Je vis deux femmes en grande discussion. Je reconnus Madame Rouffranche. Elle ne me vit pas. Je jetai un coup d’œil sur l’horloge qui ornait la façade de l’église. 12h40. Ma femme devait m’attendre. Le lendemain, le 11 juin 1944, marquait les dix ans de notre rencontre durant la kermesse intercommunale. Alors que j’allais emprunter le pont qui enjambait la rivière, mon regard s’arrêta sur une forme sombre qui s’étirait à l’horizon. Des troupes s’approchaient du village. Pris d’angoisse en les apercevant, je me rappelai soudain les mots de Beaulieu. Ces allemands devaient rejoindre le front normand, au plus vite. Aucune raison de s’inquiéter. Je décidai donc de continuer ma route, la maison n’étant pas loin. En repartant, ma main heurta une plaque métallique, ce qui me fit lâcher le paquet de tabac que je tenais. Après avoir juré, je le ramassai et jetai un coup d’œil vers le responsable de cette chute. Un panneau. « Oradour-sur-Glane ».

Re: Concours "Un jour à..." Troisième mois : Août 2011

Publié : mar. 16 août, 2011 8:57 pm
par Delph00
Un jour à Florence

Aujourd’hui c’est la fête !
Mon illustre maître Leonardo Da Vinci vient de terminer « L’annonciation » pour Laurent le magnifique. C’est une merveille, les lumières et les ombres, les visages et les mains… Je suis fier d’avoir participé à ce chef-d’œuvre, car moi, Alessandro, jeune apprenti de Leonardo, j’ai bel bien posé mon pinceau sur ce tableau. Je me vante en effet d’avoir entièrement réalisé le tapis de fleurs et d’avoir peint certains détails de la robe de la madonne. Mais laissons donc ces bagatelles techniques de côté pour revenir aux réjouissances. Je me suis réveillé aux aurores ce matin pour observer les préparatifs, car toute la ville est agitée. Dans la rue à peine éclairée d’un mince rayon de soleil, on aperçoit des gens courir de part et d’autres : des coursiers vont acheter aux marché des victuailles, des messagers font porter des invitations pour le bal de ce soir et des servantes vont choisir quelques rubans pour perfectionner les robes de leurs maîtresses. Ma matinée est ainsi vite écoulée et déjà la cloche de l’église Santa Croce sonne midi. Je descends en toute hâte l’escalier pour me retrouver face à mon maître qui me salue et m’annonce :
- Alessandro tu m’accompagneras chez Laurent le magnifique pour la présentation du tableau.
- Maître je vous suis très reconnaissant de me permettre de venir au Palazzo Pitti. Mais je voudrais vous demander une chose, puis-je assister au bal ?
- Ha ! Ha ! Ha ! Pour séduire une donzelle ! Non je ne peux rien faire pour toi. Cette soirée sera réservée aux personnes de qualités, dont tu ne fais pour le moment pas partie. Bon, je dois te laisser on m’attend.
Il me laissa là avec mon air dépité car mon plan pour séduire la belle et très riche signora Caterina durant le bal tombait ainsi à l’eau. Elle qui est si belle, si intelligente, si raffinée…
Mais voici déjà l’heure de partir au Palazzo, j’ai mis ma plus belle tenue pour l’occasion qui se résume à un veston turquoise sur un bas marron clair. Nous nous y rendons à cheval, je chevauche donc mon fier Libeo. Lors du passage de notre cortège, les florentins nous lancent des regards admiratifs et nous jettent des fleurs. Je me sens comme un prince ! Enfin, nous arrivons. Nous descendons de nos montures et entrons dans le palais. On nous fait un accueil enthousiaste et à la vue de l’œuvre, pour l’instant dissimulé sous un drap, des murmures sillonnent la cour. On nous introduit ensuite dans un salon où je suis finalement présenté au grand Lorenzo. Il est richement vêtu, ses vêtements sont bordés de velours et des pierres précieuses sont cousues à sa taille. Son ensemble est violet avec quelques touches de noir, au milieu de son torse on admire le célèbre lys blanc des Médicis. Après de nombreuses présentations très solennelles, nous rejoignons la cour pour assister au discours tant attendu de mon maître. Pour le résumé rapidement il explique la symbolique chrétienne du tableau et annonce à ma plus grande surprise son départ pour Milan où il vient de recevoir une nouvelle commande. Fort heureusement pour moi, il emmène également ses apprentis. Enfin le draps tombe et on peut admirer le tableau. C’est si beau qu’un long silence parcours l’assemblée, seulement quelques échanges de regards. Puis s’ensuit de nombreuses félicitations…
Je sens qu’on tapote mon épaule, c’est Caterina. Son père veut qu’elle prenne un professeur de dessin et elle désire que je le devienne pour un salaire raisonnable. Mon cœur fait des bonds dans ma poitrine, je ne crois m’être senti plus heureux qu’à cet instant. C’est à la fois un grand honneur mais également une grande joie pour moi de pouvoir voir plus souvent ma future élève. Il faut néanmoins l’annoncer à mon maître. Je m’approche de lui, il parle avec un grand monarque mais n’hésite pas à le délaisser pour m’accorder son attention. Avant même que je dise quoi que se soit, il me déclare :
- Vous allez devenir le professeur particulier de la signora Caterina, et vous ne pourrez ainsi pas m’accompagner à Milan. C’est cela, n’est ce pas ?
- Comment le savez-vous ?
- J’ai déjà tout arrangé avec son père, c’est moi qui vous ai conseillé.
- Je ne vous remercierais jamais assez. Merci !
- Une seule fois suffira Alessandro. Adieu, donc.
Ce furent les derniers mots que m’adressa Leonardo Da Vinci. En tout cas, cette journée restera la meilleure de toute ma vie.
Adieu, donc !!!

Re: Concours "Un jour à..." Quatrième mois : Septembre 2011

Publié : dim. 11 sept., 2011 11:31 am
par lily
Un jour à Bordeaux

Bordeaux. Une ville plus que magnifique culturellement et historiquement. J’y ai grandi, fait mes premiers pas, prononcé mon premier mot. J’y ai également découvert les livres et la lecture. Aujourd’hui encore, je me demande si cette passion serait telle qu'elle est aujourd’hui si je n’avais pas grandi là-bas. Une journée à Bordeaux ? Je pourrais vous en raconter une, qui s'est répétée encore et encore, à mon grand désespoir. Je préfère vous raconter celle qui m’a redonné espoir.

Les mercredis de ma jeunesse rimaient avec bibliothèque municipale. Il y en avait des plus beaux que d’autres, je ne me souviens pas forcément des bons.Avec une famille brisée, la fuite était mon pain quotidien. Chaque fois que je me sentais perdue ou seule, mes pas me menaient au même chemin. Je descendais la rue François de Sourdis, cette grande rue qui paraissait sans fin, arrivais devant la patinoire en me remémorant des souvenirs d’une famille unie qui me semblaient bien loin.

Et puis je la voyais. Mon refuge. Ce grand bâtiment vitré. Le soleil se reflétait sur toutes les vitres, étincelantes et magiques. Je me voyais déjà entre les rayons, assise par terre, entourée d’inconnus, qui feraient comme si je n’existais pas et ne me demanderaient pas de m’exprimer sur nos problèmes. L’anonymat comme seul remède, les livres pour récompense. Ce jour-là est particulier. C’est le jour où j’ai trouvé un livre qui m’a sauvé la vie.

Je suis entrée presque en courant dans le bâtiment. Direction les escaliers pour atteindre le premier étage, il y a toujours trop de monde dans les escalators, trop de monde quand on se sent dans l’urgence, oppressée par une vie qui n’est plus la vôtre, par une terreur qui porte un nom que personne ne comprend. Je me revois encore : je me dirige vers la section jeunesse, où personne ne remarquera que je suis seule, sans accompagnateur comme souvent. Je serais normale parmi d’autres gens normaux. Pas de différence ici. Pas de cris. Pas de larmes. Pas de violence. Pas d’instabilité. Pas d’insécurité.

J’avoue qu’avant toute chose, me cacher était ma plus grande priorité. La peur peut être ? Non, la honte surtout. Ne pas être aimée comme les autres, être ce vilain petit canard. La honte d’être sur cette liste. La liste des parents divorcés ou séparés. Pas pour la séparation en elle-même. Mais pour ce qu’elle a engendré. Lui. Et ce qu’il a amené. La peur. L’incompréhension. Le deuil. La solitude. Le malaise. La perte d’un statut. La honte.
Au fond de cette grande salle, sur la droite, il y avait des salles de projection. On y venait avec l’école autrefois, quand tout allait bien encore. Il y avait également des toutes petites salles qui servaient de « pose-manteaux ». C’est là que je me cachais.

C’était comme d’habitude. Je m’asseyais recroquevillée contre un mur et me concentrais sur le silence, le vide. Rien. Rien ne pouvait me faire de mal ici. Ni la violence et ni l’exclusion. Le silence. Ce silence si appréciable ici, loin des cris qui me terrorisaient dans notre appartement, mais qui était un poids trop lourd le reste du temps, dans le quotidien que je m’obligeais à vivre pour ne pas être remarquée.
Comment expliquer aux autres ce qui se passe chez vous ? L’indifférence d’un père, une mère perdue nous laissant son compagnon, Lui, ne sachant s’exprimer que par les coups. Un frère à protéger, aussi perdu que vous mais qui se plonge dans l’enfer de la drogue pour fuir la réalité. Se taire. De peur que des assistantes sociales s’en mêlent et vous séparent, ce qui serait la fin absolue. Plus d’amis parce qu’ils pourraient dévoiler votre secret. La confiance est un luxe que l’on ne pouvait plus se permettre. Les adultes sont tous des ennemis potentiels. Fuir la réalité tout en essayant de la combattre.

C’était ma cachette. Après, et seulement après cette étape, je m’autorisais à aller me chercher un livre.
La lecture m’a sauvée. Beaucoup de livres ont changé ma vie. « L’attrape cœur » quand j’ai eu 16 ans. « La traversée de l’été » quelques années plus tard. Sans oublier « Elise ou la vraie vie » et « Vers chez les blancs » qui ont ouvert mes horizons. Mais il y a eu ce premier livre : « L’île au trésor » de Stevenson. Certains n’y verront qu’un livre d’aventures, moi j’y ai trouvé l’espoir. Un écho. Jim était aussi seul que moi et il est parti à l’aventure chercher un trésor. Il a trouvé le courage de partir pour sa quête. Cherchait-il vraiment un trésor ? Ou était-ce seulement une quête pour tout fuir ? Jim est devenu moi et le trésor une vie changée, où je serais en sécurité. Jim m’a donné le courage d’avancer et de partir à l’aventure, d’oublier ma peur ou de la surmonter. Je me suis vue courageuse, conquérant un avenir paisible où maman serait toujours là, où mon frère redeviendrait un jeune homme débordant de joie de vivre, où papa ne serait pas parti. Un avenir où je redeviendrais cette fille studieuse et appréciée de ses camarades et de ses professeurs, non plus ce fantôme évoluant dans les couloirs d’un établissement où plus personne ne prononçait son prénom, comme si ce simple geste allait les éclabousser d’une réalité qu’ils ne pouvaient pas et ne voulaient pas connaître.

Ce jour-là a changé ma vie. Les livres sont devenus ma quête. Mon salut. Eux qui étaient déjà mon échappatoire, sont devenus un besoin vital. Mon père n’est pas revenu, cela n’a pas ramené ma mère non plus. Ni empêché de perdre mon frère d’une overdose. Mais ça m’a donné un but, une envie irrépressible de me battre pour m’en sortir. De ne plus jamais me cacher. Quant à Lui, il a disparu de ma vie, à tout jamais j’espère.

Vous me direz pourquoi le fait d’avoir grandi dans cette ville a changé les choses ? Ce souvenir m’a d’autant plus marqué car il se déroule dans la ville qui fut mon seul « chez moi ». Cette ville même où j’ai déambulé d’innombrables fois en fuyant notre appartement miteux. Cette ville qui me définit, à qui je me sens appartenir.

C’est l’appartenance qui fait de nous ce que nous sommes, qui nous donne une histoire. On a beau vouloir se démarquer, appartenir à un tout nous rend plus fort. A une famille, à un groupe d’amis, à une communauté. Surtout pour nous lecteurs. Sans cesse à se caser dans des styles de lecture pour nous définir.

Si j’avais découvert ce livre autre part, rien n’aurait changé je pense. C’est avant tout l’espoir que j’ai retrouvé ce jour-là, dans cette ville qui en sera toujours le synonyme.

Lily

Re: Concours "Un jour à..." Quatrième mois : Septembre 2011

Publié : mer. 05 oct., 2011 1:00 pm
par madiana
Un jour à Tuila.

Une entraînante agitation régnait en territoire Namiid. Nous étions tous réunis pour la fête d’Anès. C’était l’un des seuls moments de la révolution d’Erha permettant de rassembler quasiment l’ensemble de la communauté. Son attraction principale consistait, bien entendu, en une course à pieds. Les plus véloces d’entre nous s’affrontant dans une lutte sans merci à travers la forêt. Pour ma part, j’avais choisi le concours de capture de palains, sachant pertinemment que Oswan gagnerait la course, comme toujours.
J’avais donc décidé d’optimiser mes chances en me concentrant sur cette discipline qui n’a aucun secret pour moi. Je connais ces rusées petites créatures comme ma poche, et avec mon lasso, je suis imbattable.
Cette année là, la fête se déroulait dans une vallée située entre de Tiula, ma ville natale et Koom-Ea une épaisse forêt de Koom qui m’a vu grandir et dont les arbres au bois ferme et élastique constitue un matériau essentiel à bien des égards. J’avais d’ailleurs profité de l’occasion pour rendre visite à mes parents qui commençaient à me manquer sérieusement depuis mon départ pour la légion.
Je marchais lentement aux côtés de Reya, ma cousine, respirant à plein poumons l’odeur de l’herbe fraichement coupée pour l’occasion. Il nous fallait nous tenir la main pour ne pas nous perdre de vue dans la foule. Partout autour de nous, les bruyantes discussions, les cris de joie et les rires étouffaient la musique rythmée diffusée par des hauts parleurs cachés dans les arbres.
Nous nous arrêtâmes toutes les deux devant un stand de tir, jeu auquel elle excellait.
- Un petit défi ? me dit-elle avec un hochement de tête censé signifier « cap ou pas cap ? »
- Je ne dis jamais non à un challenge, surtout si tu finie humiliée en fin de partie !
Pour toute réponse, Reya arma son poing en direction de la cible et, sous mes yeux admiratifs, tout son corps se figea, se concentrant sur un point précis. Ces ailes, qui jusqu’alors battaient frénétiquement, s’immobilisèrent, grandes ouvertes, créant un halo translucide autour de sa silhouette concentrée. Elle était si immobile qu’elle ressemblait aux célèbres statues qui ornent la citadelle blanche.
En plein dans le mille. La flèche fut projetée hors de son arbalète, solidement attachée à son avant bras, fendit l’air et vînt se planter au centre du ballon en mousse qu’un talentueux pryion faisait tournoyer par la seule force de son esprit.
Je m’apprêtais à imiter mon amie et pointai également le bras, poing fermé pour armer ma flèche, en direction d’un second ballon, lorsque je fus troublée par un souffle suave à mon oreille et une main chaude posée sur mon ventre. Oswan chuchota doucement :
- Mon amour, tu es de loin ce que ce festival offre de plus joli à regarder.
Flute ! A cause de lui, ma flèche alla mollement se perdre quelque part au-dessus du stand de tir.
Mais la présence d’Oswan offrait une consolation de taille. Il n’y avait strictement rien entre nous, toutefois mon cœur bondit hors de ma poitrine de le revoir après tout ce temps.
- Oswan, espèce d’idiot ! j’étais sur le point d’infliger une sévère correction à Reya.
- Des paroles toujours des paroles…dit-elle sur un ton enjoué.
Et là nous nous sautâmes dans les bras, heureux d’être à nouveau réunis tous les trois et partîmes d’un bel éclat de rire devant ma désastreuse performance.
- La course n’a lieu qu’à la fin du cycle, vous avez un programme d’ici là mesdemoiselles ?
Oswan avait l’air mystérieux de quelqu’un qui a une idée derrière la tête.
- Hé bien, le concours de palains va bientôt débuter et Elyia est inscrite. Mais en dehors de ça, nous sommes complètement libres.
Les yeux de Reya se plissèrent du plaisir de revoir Oswan. Un peu trop à mon goût d’ailleurs.
- Tant mieux, parce que j’ai quelque chose à vous montrer. Si vous passiez plus souvent dans le coin, vous l’auriez sans doute découvert vous-même.
- De quoi parles-tu ? j’étais de plus en pus intriguée. Il avait réussi son coup.
- Je préfère vous la montrer directement. Nous lança- t-il tout sourire.
A cet instant retenti le son perçant de la corne de mufflo annonçant le début du premier jeu. Il était encore tôt et c’est vrai que nous aurions du temps à consacrer à Oswann. Une fois que j’aurai remporté ce concours.
- C’est à moi de jouer les gars !
Mes deux acolytes m’accompagnèrent jusqu’à l’enclos prévu pour l’épreuve. Nous jouâmes des coudes pour nous frayer un chemin à travers la foule qui s’entassait de plus en plus dense.
Je connaissais presque tous les concurrents. Certains étaient des amis d’enfance, qui me lançaient des sourires chaleureux en guise de salut, et d’autres, des compagnons d’arme. Des soldats de la légion, en vacances comme moi.
Le but du jeu était le suivant : il fallait attraper un palain, le capturer vivant, et en bonne santé, tout ça sans se faire mordre, bien sur.
Si la capture en elle-même est difficile, vu la rapidité avec laquelle ils se déplacent, la partie la plus ardue reste de les attraper sans les blesser et sans aucune morsure. Leur peau est si fine qu’elle se déchire sous la moindre pression et leur venin paralysant est presque aussi redoutable que le venin de gisk dont nous enduisons nos flèches de combat. Bien heureusement, contrairement à ce dernier, il n’est pas mortel.
Ces petites bêtes sont fort jolies avec leur cous graciles, leurs pelages aux reflets multicolores et leurs petites têtes aux aguets. Elles sont prêtes à bondir à la moindre alerte.
Et une fois les concurrents entrés dans l’enclos, c’est exactement ce qu’elles firent. Elles se mirent à sauter frénétiquement dans tous les sens. Mes adversaires les imitèrent et bondirent aussi pour tenter de les capturer. Plusieurs couinements de douleurs raisonnèrent, disqualifiant la majorité d’entre eux, d’autres encore tombèrent raides sur le sol, momentanément paralysés, et furent aussitôt pris en charge par les services de soin.
Les plus malins cependant adoptèrent la même attitude que moi. La stase.
Car elles ne sautent pas vraiment dans tous les sens. Quand on prend le temps de les observer, on peut constater qu’elles suivent un circuit précis. Chacune le sien. Il faut donc en observer une, précisément, comprendre son étrange ballet et ensuite essayer de la saisir en devançant sa trajectoire.
Je repérai vite la mienne, elle avait un pelage bleuté et sautait autour de moi en dessinant une ellipse. J’attendis, placidement. Quand elle se trouva au point de l’ellipse qui me faisait directement face, vive comme l’éclair, je lançai mon lasso et d’un geste ferme le rabattis sur le sol en évitant soigneusement de tirer pour resserrer le nœud, ce qui aurait été fatal à la bestiole. Le poids de la corde suffit à la maintenir au sol et je n’eu plus qu’à la prendre délicatement entre mes mains en maintenant ses pattes en arrière pour éviter toute morsure et à la présenter au jury. Ce dernier me félicita et annonça ma victoire. Sous les applaudissements admiratifs, je rejoignis mes amis. Reya m’embrassa chaleureusement, Oswan me flanqua une tape virile dans le dos, et nous nous mimes en route joyeusement.
Chemin faisant Reya et moi racontâmes à notre vieil ami notre vie depuis que nous étions partis de Tuila. Une révolution plus tôt. Et il y avait beaucoup à raconter. La vie au camp, nos instructeurs, la difficulté des exercices, le manque cruel de la forêt. Tout avait changé pour nous. Il s’intéressait et posait toute sorte de questions mais refusait toujours de donner le moindre indice quant à notre mystérieuse destination.
Soudain, il leva le nez au ciel et consulta la position des astres.
- On va devoir presser le pas les filles. Essayez de suivre le rythme.
Sur ce, il nous adressa un sourire ravageur et se mit à courir. Nous lui emboitâmes le pas, mais c’est vrai qu’il était rapide. Très rapide. Les herbes hautes nous fouettaient le visage au passage, et pour aller plus vite nous faisions des bons gigantesques.
Oswan devenait de plus en plus difficile à suivre. Je n’apercevais plus que sa silhouette qui apparaissait, disparaissait puis réapparaissait à chaque fois plusieurs dizaines de mètres plus loin.
Nous avions depuis longtemps déjà quitté le territoire des namiids. Tiula n’était plus qu’un amas de points lumineux à l’horizon. Mon ami ne semblait pas prêt à ralentir la cadence et même si je ne l’aurais jamais avoué, je commençais à montrer de sérieux signes de fatigue. Des élancements dans les mollets me faisaient un peu souffrir et j’avais des crampes qui me parcouraient le dos et m’empêchaient presque de déployer les ailes. Quel dommage que ces fichues ailes ne soient pas assez fortes pour nous permettre de voler. A quoi bon posséder de tels attributs, à l’envergure deux fois supérieur aux ailes du plus majestueux des dramure si c’est pour se contenter de faire des bons. Vraiment pathétique.
J’ai observé Reya du coin de l’œil. Elle ne semblait pas en mener large non plus. Le ciel maintenant orange sombre, avait des reflets rosés. C’était signe que le cycle d’Erha touchait à sa fin.
- On est presque arrivés les filles, encore un peu de courage. Nous cria Oswan pourtant loin devant.
Reya et moi avons échangé un regard las, et poursuivi toutefois sans broncher.
Soudain, notre guide s’arrêta et pointa son index droit devant lui.
- Est-ce que vous voyez quelque chose ? nous demanda-t-il, une pointe d’anxiété dans la voix.
- Euh… ben pas vraiment. Répondit une Reya, un poil découragée. J’espère que tu avais vraiment une bonne raison pour nous trainer ici. Parce que c’est sur qu’on va rater la course.
- On va surement la rater, mais je vous promets que vous ne serez pas déçues.
Je reconnu l’endroit où nous nous trouvions. Nous étions aux pieds d’Archoï, le point culminant de l’Archa. Cette montagne vertigineuse constitue un poste de surveillance tout à fait stratégique, que tous ceux qui avaient, comme moi, embrassé une carrière militaire ne pouvaient ignorer.
- Je suis déjà venu ici des dizaines de fois Oswann et je sais qu’il n’y a rien à voir, à part des montagnes et des vallées à perte de vue.
J’étais franchement agacée, même si en réalité le versant par lequel nous approchions m’était inconnu. Le champ de Celeba qui nous entourait était un ravissement tout à fait nouveau pour moi. Je respirais à plein poumon la délicieuse senteur sucrée qui montait de leurs larges pétales rouges.
- Alors c’est que tu n’as pas regardé au bon endroit….il faut qu’on se rapproche encore un peu.
Pourtant bien décidée à lui emboiter le pas, une odeur épouvantable m’est soudain parvenue portée par une rafale de vent. Je du mettre la main devant mon visage et me résigner à respirer par la bouche pour ne pas rendre mon dernier repas.
- Ho mon dieu ! qu’est-ce qui pue comme ça Oswan ?
Au son étouffé de sa voix je compris que Réya elle aussi se bouchait le nez. Cette horrible odeur de charogne saturait totalement notre air.
- Respirez par la bouche et mettez vos pas dans les miens.
Nous n’allions pas rebrousser chemin si prêt du but de toute façon. Nous avançâmes encore de quelques centaines de pas et la puanteur se faisait de plus en plus insupportable à mesure que nous nous enfoncions dans les côtes d’Archoï, abandonnant le splendide champ de fleurs sauvages. Le sol à cet endroit était rocailleux et parsemé de pierres bien plus hautes que nous. Il nous fallait pratiquement bondir de proche en proche pour avancer.
Lorsque les formes gisant au sol se firent plus distinctes, Reya et moi poussâmes en chœur un cri horrifié. Des dépouilles, des corps sans vie se trouvaient là, abandonnés au milieu des rochers. Des cadavres de pryions par dizaines.
Nous restions figées, incapables de refermer nos bouches déjà ouvertes pour respirer, mais qui en cet instant trahissaient surtout la surprise et l’horreur.
- Vous les voyez comme moi maintenant ?
- Oswann, mais …. Que c’est-il passé ici ?
Reya était circonspecte, quant à moi, j’avais deviné où nous avait conduit Oswann pour avoir déjà entendu parler de ce lieu, par ma mère surtout. Mais je ne l’avais pas cru à l’époque.
- On se trouve à proximité de la porte n’est-ce pas ? osais-je la voix coincée dans la gorge.
- De quoi est-ce que vous parlez à la fin ! pas de ces stupides histoires de passage vers d’autres mondes j’espère… très bien, perdez votre temps si ça vous amuse, moi je rentre de ce pas prévenir les autres! vociféra Reya vraiment hors d’elle.
Quant à moi, je cherchais fébrilement à l’apercevoir. Me retournant dans tous les sens comme une girouette, dans l’espoir puéril que les légendes pourraient être vraies parfois.
- Levez un peu les yeux, elle existe !
Nous levâmes la tête vers le pourpre du ciel, en suivant des yeux le doigt d’Oswann fermement pointé au firmament. Et, en effet, une flaque luisante semblait flotter très loin au dessus de nous. La porte vers Terria.
- Tous ces gens ont tenté de la traverser. Les pryions connaissent son existence depuis toujours. Mais regardez comme elle est fine, c’est impossible. Ces personnes devaient être réellement désespérées pour tenter le destin de cette façon. C’est du suicide. Nous expliqua Oswann, pas peu fière de nos mines ahuries devant une telle trouvaille.
Mais une idée plus que tentante s’immisçait peu à peu en moi. J’allais tenter de leur en faire part :
- Impossible pour des pryions…. Mais nous…ais-je murmuré, un air de défi sur le visage.
- On pourrait le faire. Dit Reya tout à fait convaincue par mon enthousiasme et dont le visage était l’exact reflet du mien en cet instant.
Nous nous dévisagions tous les trois, prêts à nous lancer à son assaut. Parés à tenter de passer cette porte fantastique.
Cependant, avant que nous n’ayons pu prendre la terrible décision, notre attention fut détournée par une forme sombre qui s’érigea au milieu de cet étrange cimetière, se relevant doucement d’une position de recueillement.
Un pryion, bien en vie, s’avança posément vers nous.
Il était anormalement grand pour un individu de cette engeance, vêtu d’un uniforme de la garde royale magnifié par un corps que l’on devinait implacablement sculpté, des boucles brunes quelques peu éclaircies, par la vie au grand air sans doute, lui encadraient le visage. Sa démarche trahissait une assurance certaine et une mine grave habitait son visage aux traits pourtant juvéniles.
- Je ne ferais pas ça à votre place. Nous dit-il d’une voix ferme.
- Qui es-tu pour nous donner des ordres ? sais-tu seulement à qui tu t’adresses ? Oswann paraissait choqué qu’un vulgaire pryion se permette de nous apostropher ainsi.
- Je sers sa majesté. Que sa vie soit éternelle.
- Que sa vie le soit. Nous répondîmes en chœur à son salut.
- Je ne cherche pas à vous donner des ordres, simplement un conseil. Oubliez ce que vous avez vu aujourd‘hui. Cette porte n’est pas faite pour être empruntée par des Namiids.
Mes amis n’avaient pas encore compris l’identité de ce prétentieux Pryion. Mais je connaissais Ecko de réputation. Si la porte existait belle et bien, alors lui aussi devait exister. Je savais qu’il ne pouvait s’agir que de lui. Seulement, la jeunesse de ses traits me laissait sans voix.
- Tu es Ecko n’est-ce pas ? tu es celui qui a réussi la traversée et qui en est revenu?
Je n’arrivais pas à me détacher du regard triste et beau qui faisait son attitude pleine de provocation sonner anormalement faux. Ces longs cils semblaient prêts à s’envoler à chaque bourrasque. Le violet pâle de ses yeux me rappelait celui de la fleur de jacoba. Et ce fut comme si nous étions seuls, lui et moi, dans ce lieu de désolation.
Je peux bien me l’avouer à moi-même aujourd’hui, Ecko m’a bel et bien taper dans l’œil à la seconde où je l’ai rencontré.
Nous parlâmes longtemps tous les quatre, il nous raconta Terria et les raisons pour lesquelles plus aucun Namiid ne devait tenter l’aventure. Nous devons éviter d’emprunter ce passage entre les mondes car si nous ressemblons en tout points aux humains, les ailes dont nous sommes pourvus peuvent difficilement passées inaperçues. Et les rares intrusions de Namiids sur Terre ont donné naissance à toute sortes de légendes, de cultes et de croyances qu’il vaut mieux éviter d’entretenir.
Notre apparence diffère trop de celle des terriens et malgré nos capacités physiques supérieures aux leurs, ils détiennent une technologie et une soif de connaissance insatiable qui pourrait nous couter la vie. En plus de créer un réel déséquilibre entre les mondes.
Moi qui ne portais guère attention aux racontars des pryions, j’avais face à moi un individu tout à fait singulier, dont le charisme m’étreignait les tripes et qui était la preuve vivante qu’il arrive que la réalité dépasse les légendes.

Re: Concours "Un jour à..." Reprise : Nov 2011/Sept 2012

Publié : sam. 15 sept., 2012 5:12 pm
par enelos
Un jour à Pripiat.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'endroit est calme.
Pas un bruit ne s'élève des montagnes alentour. L'orage qui se prépare est le seul incident qui pourrait animer un instant ce paysage fixe.
Sinon, tout est calme. La chaleur écrasante domine les maisons aux fenêtres ouvertes et aux portes battantes. Un petit vent léger fait s'agiter les feuilles, et les rideaux tranquilles dansent un instant. On pourrait presque, en y prêtant une oreille attentive, entendre les rires des enfants jouant dans l'herbe folle. On dirait que les murs ont gardé leur écho, et que l'illusion du souvenir hante toujours ces bâtiments déserts.
Dans une fixité paisible les maisons semblent dormir, comme étourdies par tant de silence ; et les chaises laissées à l'abandon sur les terrasses invitent elles aussi le spectateur à un sommeil réparateur.

Qui aurait pu imaginer que ce lieu fut le théâtre d'un drame aussi épouvantable ?
Qui peut encore trouver dans ces ruines tranquilles baignées par la chaleur, la bousculade affolée, la fuite, l'abandon ?
Un oiseau sans un bruit s'élève dans le ciel, et les rideaux se remettent à danser sous l'éternelle brise.

Adieu, triste paysage, inconscient de sa ruine, comme un enfant qui joue, ignorant que les blocs qu'il foule sont des tombes. Le danger échappé, rôdant le long des murs, t'a condamné d'avance, et t'asphyxie sans bruit.
Nous ne nous poseront plus dans les rues de Pripiat. Cette ville est finie, la vie en est bannie.
L'orage qui se prépare est le seul avenir qui pourrait animer cette ville sans futur, coupable d'être trop près du site de Tchernobyl.

Re: Concours "Un jour à..." 7e Edition : Octobre 2012

Publié : lun. 29 oct., 2012 9:29 pm
par Fofifora
Un jour à… Paris.

Ce matin, quand je me réveille, je sais dès les premières nanosecondes que cette journée ne sera pas ordinaire. Tout simplement à cause du fait que je me sens bien. J’ai l’impression d’avoir dormi paisiblement, d’un sommeil réparateur d’au moins quatorze heures. J’aurais dû être exténuée par la journée de la veille, passée à récolter les plantations de cannes à sucres sous un soleil de plomb, de six heures du matin à neuf heures du soir, avec pour seule et unique pause celle du déjeuner, de vingt minutes maximum. Il faut dire qu’avaler un peu de purée de pomme de terre avec du pain, ça ne prend pas trois mille ans.
Mais, aujourd’hui, je me sens fraîche et en pleine forme. Prête à conquérir le monde, pratiquement.
Je me lève sans difficultés de mon lit. J’ai dit de mon lit ?
Je réalise alors que je ne suis plus chez moi. Dans ma maison – si l’on peut appeler cela une maison –, je dors sur un tapis de paille. Au Congo, il fait trop chaud pour dormir avec une couverture ; de toute façon, ma famille n’a pas les moyens d’en acheter. Je suis l’aînée, et j’aurais dix-huit ans dans deux mois. Je pourrai alors partir de mon village, pour chercher du travail. Mes parents, mes cinq frères, et tout le reste du petit village où j’habite, ne me prennent pas au sérieux. Ils pensent tous que je ne réussirai jamais à réaliser mon rêve : être avocate à Paris. « Trop d’études », « Pas assez d’argent » n’arrêtent-ils pas de me répéter. J’avoue que leur pessimisme commence à déteindre sur moi. Je suis de moins en moins motivée, en ce moment…
Paris, c’est tout pour moi. Je rêve d’y aller depuis que je connais son existence. Les Blancs de la ville – des touristes, pour la plupart – nous racontent tellement de choses merveilleuses à propos d’elle. Il paraît que pendant les fêtes de Noël, c’est extraordinaire… La Tour Eiffel est magnifiques, les rues sont décorées pour l’occasion, et les Champs-Élysées sont si beau qu’on se croirait dans un songe.
Il fait encore sombre dans ce qui semble être un appartement. Une idée folle me traverse alors l’esprit : peut-être est-ce MON appartement ? Je la chasse aussi vite qu’elle est venue. Comment pourrais-je avoir un logement ?
J’ouvre les volets… Et m’extasie devant le spectacle qui s’offre à moi.
Je rêve. Ce n’est pas possible. Ça ne peut pas être vrai. Oh, mon dieu !
Je ne vois plus que ça. Je ne sais pas combien de temps je reste, devant la fenêtre. Deux secondes, deux minutes ou deux heures ; qu’importe ! Je sais maintenant que ma journée s’annonce merveilleusement bien. Je ne comprends toujours pas comment cela est possible. Mais je m’en fiche. Je ne cherche pas à savoir. Je suis à Paris, c’est tout ce qui compte.
Devant moi, la Tour Eiffel pointe vers un ciel encore rose. Il est tôt et il fait froid. Je contemple le tapis de neige qui macule le parc d’en bas. C’est l’hiver. Plus précisément : c’est Noël. Au-dessus des rues sont suspendues pour l’occasion des décorations lumineuses, qui scintillent encore. Lorsque le soleil se lèvera complètement, elles s’éteindront. Alors je reste au-dessus de la rambarde, pour admirer jusqu’au dernier instant de ce spectacle merveilleux. Je suis à Paris.
Il est neuf heures lorsque je reprend mes esprits. Les décorations lumineuses ne scintillent plus. Il fait jours. Je ferme alors la fenêtre, et essuie mes larmes gelées sur ma joue. J’ai pleuré sans m’en rendre compte. Je suis si émue !
J’ouvre l’armoire qui se trouve dans « ma » chambre. Des tas de vêtements s’entassent sur des étagères. Ce n’est pas possible. Tout ça ne peut pas être à moi...
C’est alors que j’aperçois mon reflet dans un grand miroir accroché au mur d’en face. Je me reconnais… Sans me reconnaître. Je suis plus veille ; plus mature. Ma peau est toujours bronzée, tirant vers le marron foncé, à force des heures et des heures de travail dans les champs depuis que j’ai sept ans. J’ai également les mêmes grands yeux gris cerclés de vert. Mais ma poitrine a poussé et je suis plus grande – au moins de quatre centimètres. J’ai pris du poids : je ne suis plus aussi maigre qu’avant. On me donnerait… vingt-cinq ans, minimum.
Mais pourquoi ? Comment ?
J’entends alors une voix qui me semble familière :
- Kimya, que fais-tu, mon amour ?
Je me retourne… Et tombe nez à nez avec Angolo, mon ami d’enfance. Qui doit être à l’heure qu’il est… Mon compagnon ? Mon mari ?
- Je… Euh…, je lui réponds très bêtement.
- Je pari que tu étais encore en train de profiter de la vue sur la Tour Eiffel, n’est-ce pas ? ajoute-t-il doucement, avec ce sourire en coin que j’adore depuis que je le connais.
- Oui…
- C’est vrai qu’on a de la chance, toi et moi.
Il me rejoint, m’attire à lui et m’embrasse sur le front.
- Je m’étonne encore d’être ici, avec toi. Tu te rends compte que, si mon père n’avait pas été injustement mêlé à cette histoire de trafic, nous n’en serions pas là ? Jamais je n’aurai imaginé que j’avais une tante cachée, vivant en France depuis sa majorité, et qui avait plus que réussi sa vie.
Ouah… Tant d’informations en si peu de temps, ça a du mal à digérer, dans mon cerveau.
- C’est grâce à elle que nous sommes ici, toi et moi.
Il m’embrasse de nouveau, sur la bouche cette fois. Dieu seul sait combien j’ai rêvé qu’il fasse cela ! C’est comme je me l’avais imaginé : ses lèvres douces sur les miennes, son parfum si près de moi, ses mains parcourant mes cheveux…
Il se dégage brusquement, sous mes yeux étonnés :
- Kimya, tu m’embrasses comme si c’était la première fois ! Que se passe-t-il ? Tu me caches quelque chose ?
J’hésite à lui parler. Puis je me ravise, préférant profiter de tout cela.
- Non, je ne pourrai jamais ! Je t’aime tellement, si tu savais…
- Moi aussi !
Nous nous embrassons encore, puis il prépare le petit déjeuner. Pain, céréales, confiture, jus d’orange… C’est sans doute le repas le plus copieux que je n’ai jamais mangé de ma vie !
- Mon amour, que veux-tu faire, aujourd’hui ? Non, attends, laisse-moi deviné : je te pari n’importe quoi que tu veux d’abord visiter la Tour Eiffel, puis manger dans un restaurant de luxe sur les Champs-Élysées, pour enfin finir la journée en se promenant dans les rues, admirant ainsi les belles décorations qui règnent sur Paris en ce mois de Décembre. Je me trompe ?
Je le dévisage, ahurie. Depuis toute petite, c’est exactement l’itinéraire que je me programme dans ma tête. Je me suis toujours promis que ce serait la première chose que je ferai quand j’arriverai sur Paris. Mais…
- Comment as-tu trouvé aussi vite ?
Il s’exclame de rire.
- Kimya, ma douce ! C’est le quatrième hiver que l’on passe ici ! Depuis le temps, je sais parfaitement le « parcours spécial Paris-Hiver » que tu t’es programmé.
Je sens mes joues s’empourprer. Pour détourner la conversation, je demande :
- Angolo, quel jour sommes-nous, déjà ?
- Aujourd’hui, on est le dimanche dix-neuf décembre deux mille dix-sept très exactement, mon amour. Pourquoi ?
- Pour savoir…
J’ai donc eu vingt-trois ans il y a deux jours.
Je décide alors d’aller prendre une douche dans la salle de bain, pour réfléchir. (Une douche ! Une vraie ! Avec de l’eau propre et un savon qui sent bon !) Je passe alors en revue ce qu’il m’arrive depuis mon réveil. J’ai mystérieusement fait un bon de cinq ans et deux mois dans le temps très précisément. Je suis avec Angolo, mon ami et amoureux secret depuis toujours. J’ai rêvé tellement de fois du moment où l’on s’embrasserait, où l’on se trouverait l’un l’autre, rien que nous deux. Nos prénoms signifient « Paix » et « Force ». Je me suis toujours dit que c’était un signe du destin…
Je passe au moins quinze minutes sous l’eau chaude, jusqu’à ce qu’Angolo me rappelle que « si tu veux aller à la Tour Eiffel, nous devons impérativement y être avant onze heures ». Je devine sans mal que ce n’est pas la première – ni la dernière – fois qu’il me dit cela. Pendant qu’il se lave, j’en profite pour passer au peigne fin l’appartement. Un sac féminin traîne à côté du bureau. Ça doit être le mien. J’allais fouiller à l’intérieur… quand je me ravise. Si je suis vraiment dans le futur… Je préfère garder une part de secret quant à mon avenir. J’ai déjà découvert que je suis à Paris et que je suis en couple avec Angolo. Je préfère ne pas savoir quelles études je fais. Je ne sais pas quand je vais retourner chez moi – ni si j’y retournerai – mais c’est préférable de laisser un peu de mystère planer au dessus de mon avenir professionnel.
Lorsque Angolo et moi sommes enfin prêts, nous sortons de l’appartement et nous rendons à la Tour Eiffel. Et c’est ainsi que mon rêve devient enfin réalité. Je sais qu’il s‘est déjà réaliser quelques années auparavant ; mais ce n’était pas la Kimya de presque dix-huit ans qui le faisait – encore que, je ne sais pas vraiment quand est-ce que j’ai atterri à Paris, mais il y a peu de chance que ce soit à deux mois avant ma majorité. Avec Angolo, nous préférons monter par les escaliers. Je savoure la sensation du vent dans mes cheveux au premier, puis deuxième et enfin troisième étage. Je me mets alors à pleurer de bonheur.
Je suis en haut de la Tour Eiffel. Ça y est : je l’ai fait. Je vis à Paris, et je suis en haut de la Tour Eiffel.
- Tu est heureuse, Kimya ? me chuchote à l’oreille Angolo.
- Oh, que oui ! je lui rétorque.
Nous nous embrassons passionnément.
Nous prenons ensuite le bus parisien pour nous rendre sur les Champs-Élysées. Nous marchons un peu pour profiter de l’instant, puis nous arrêtons devant un restaurant chic. « Notre restaurant », l’appelle Angolo.
Je mange bien. Très bien même. L’addition est hors de prix, mais nous arrivons quand même à la payer. Mon dieu, on doit avoir beaucoup d’argent sur nos comptes pour pouvoir manger ici tous les dimanches d’hiver !
Nous nous promenons ensuite dans les rues de Paris. C’est magnifique. Je n’arrive toujours pas à réaliser que je suis ici. Comment ai-je fait ? Je suis fière de moi.
Nous restons jusqu’à tard le soir, à déambuler dans cette magnifique ville. Puis le moment de rentrer arrive. Angolo nous prépare un dîner en amoureux avec chandelles et fleurs sur la table. Je l’aime, il m’aime, nous sommes heureux.
Nous nous couchons vers vingt-trois heures. Je suis fatiguée, et je m’endors pratiquement tout de suite. Je sens quand même dans mon demi-sommeil la main de mon homme sur ma joue, et sombre ensuite dans les limbes de mon esprit.

Le lendemain, je suis réveillé par Elalie, mon frère de cinq ans. Il me crie dessus parce que je vais être en retard aux champs.
Je grogne, avant de réaliser que je suis revenue à la réalité. Je suis chez moi.
- Quel jour on est, dis-moi ?
Mon frère me regarde comme si j’étais folle.
- Ben, le vingt octobre, pourquoi ?
- De quelle année ?
- Ben, deux mille douze, pourquoi ? Tu vas bien Kimya ? T’as trop travaillé hier, c’est ça, hein ?
- Eu… oui, oui.
Il y a deux jours, on était le dix-huit. Je n’ai donc pas rêvé. C’était réel, hier.
Je me prépare en vitesse et arrive presque à l’heure aux champs de cannes à sucres. Angolo me salue, puis me demande pourquoi je souris bêtement.
- Parce que j’ai de la chance de t’avoir avec moi, je lui réponds sans hésiter.
Je vois alors une étincelle fleurir dans ses yeux.
Oui, j’ai de la chance. Et pas seulement parce que je l’ai à mes côtés.
Parce qu’hier, j’étais à Paris.

Re: Concours "Un jour à..." 8e Edition : Novembre 2012

Publié : dim. 25 nov., 2012 7:55 pm
par Judas_Cris
Un jour à Moscou…

Vêtus de lourds manteaux, capuches relevées et lunettes de protection solidement fixées à la figure, les deux hommes marchaient depuis trois heures déjà. La neige craquait sous leurs raquettes, les flocons volaient devant leurs visages et le vent soufflait face à eux. Mais ils devaient tenir bon, ils y étaient presque…
La neige tombait drue depuis une heure déjà, réduisant dangereusement leur visibilité. Et ce n’était pas pour déplaire à Gil. La vue de tous ces immeubles, de ces rues désertes noyées sous la neige, la vue de cette ville morte, le rendait profondément triste. Ne plus la voir l’aidait à oublier les morts qui étaient tombés ici…
Pourtant, il pouvait sans mal distinguer ces tours informes, ces immeubles dévastés, ces rues désertes… Il faisait simplement semblant de ne pas les voir, c’était tellement plus facile ainsi…
Moscou n’était plus une ville, c’était un tombeau, recouvert de son linceul blanc.
Et pourtant, la neige tombait et le vent soufflait… sans fin. N’auraient-ils jamais droit au repos ? N’avaient-ils pas assez souffert ? Le monde avait-il encore besoin de souffrance ?
Mais Moscou n’écoutait même pas ses questions. Moscou était morte, depuis trop longtemps déjà…
Soudain, l’homme de tête s’immobilisa, en proie à un pressentiment virulent.
- Qu’est-ce qu’il y a ? hurla Gil dont la tempête amenuisait la voix.
- C’est là ! lui cria à son tour Mathieu dont la neige avait blanchit la petite barbe.
- Comment ça ? On ne voit rien !
- C’est là je te dis !
Comme en écho à ses paroles, la neige fut moins vive tout à coup, élargissant l’horizon, ouvrant une nouvelle porte sur l’univers qui les entourait.
Devant eux, la terre s’ouvrait en une plaie terrifiante : les galeries de l’ancien métro, mises à nue par le dernier tremblement de terre.
Les deux équipiers se concertèrent du regard puis, dans un même ensemble, s’avancèrent vers les souterrains. Arrivés au bord de l’affaissement, Mathieu déroula une corde, puis en envoya une extrémité dans les galeries. Gil planta un piton auquel son compagnon arrima la corde. Il fut le premier à descendre, en rappel, dans les sous-sols.
Une fois, posé à terre, il scruta l’obscurité : s’il ne distinguait pas grand-chose, ce fut suffisant pour dire que les voies étaient praticables. Mathieu le rejoignit donc peu après.
Ici, le vent était moins violent qu’à l’extérieur, mais la neige se déversait toujours par l’ouverture béante dans le plafond.
Les deux hommes finirent par baisser leurs capuches, et retirer leurs lunettes de ski. Mathieu possédait des yeux noirs profond tandis que Gil les arborait bleu mer. Les deux hommes étaient assez semblables de visage, bien que Gil semblait plus âgé, et seule la petite barbe de Mathieu les différenciait.
- Foutu ère glaciaire, pesta le plus vieux, elle ne nous facilite pas la tâche ! Tu es toujours sûr de vouloir y aller ?
- Plus que jamais, c’est la dernière chose qu’il me reste…
- Soit. Mais je te préviens, il ne faudra pas s’attarder, qui sait ce qui règne dans ces ruines…
Laissant ses paroles en suspens, Gil sortit un petit paquet de sa poche. Pendant que Mathieu examinait les environs, il alluma sa cigarette, goutant au réconfort qu’elle lui apportait.
- Apparemment, il est encore possible de circuler par les conduits du métro, observa l’homme à la barbe.
- Mouais, c’est la ligne 12 non ?
- Oui, on devrait pouvoir ressortir près de la place Ilyinski, on serait presque arrivé.
- Alors allons-y mon frère, je ne tiens pas à moisir ici et je préférerais mourir dans ses galeries que de me risquer une fois de plus à cette tempête !
Mathieu acquiesça. Ils étaient tous deux à bout physiquement, pourtant ils devaient continuer… Ils étaient si proches du but.
Au bout d’une centaine de mètres, ils durent allumer leurs torches électriques, tant l’obscurité s’était faite épaisse. Si les rails en métal étaient souvent brisés où ensevelis de décombres, il y avait toujours un moyen de passer outre ses difficultés, et les deux hommes progressèrent bien plus rapidement qu’à la surface. Ils ne croisèrent qu’une seule rame. Celle-ci, renversée sur un côté semblait relativement intacte. Gil avait voulu l’explorer à la recherche de choses utiles, mais ses ardeurs avaient été vites refroidies à la vue des cadavres gelés qui s’y entassaient, le fixant de leurs regards vides. Les deux frères s’éloignèrent bien vite, refusant de se confronter à cette scène de désolation.
Au bout d’une vingtaine de minutes, ils finirent par arriver à une station d’arrêt, sans vie. Si au dehors, la neige recouvrait les corps, à l’intérieur, la situation était plus frappante : des dizaines de cadavres sans vie gisaient çà et là, dans un ultime ensemble de désolation.
La plupart étaient écroulés sur les bancs où dans les rares recoins abrités… tous étaient mort de froid, il y a plusieurs mois déjà.
Et c’était vrai qu’il faisait froid. Un froid doux, appelant au sommeil… Mais les deux hommes ne devaient pas fléchir, s’ils s’endormaient maintenant, jamais ils ne se réveilleraient.
Les deux frères reprirent donc leur route, laissant cet endroit aux morts. D’autres corps jonchaient les voies de l’ancien métro. Ces derniers semblaient avoir été broyés, déchiquetés par un monstre féroce. Ces morts-là étaient beaucoup plus anciens : dans la panique des grands changements climatiques, ils s’étaient jetés sur les roues d’une rame, ne pouvant résister à l’appel de la mort. Et il y avait une dizaine de ses corps, figés par le froid dans leurs positions torturées.
A la station suivante, le spectacle était le même : cette fresque de désespoir et de fatalité. Les deux hommes n’eurent heureusement pas à supporter une autre de ses scènes morbides : c’était là qu’ils devaient sortir.
Les vieux escalators ne fonctionnaient plus, mais peu importait. La neige, s’engouffrant par la bouche du métro, avait commencé à recouvrir les corps de son étreinte gracieuse. Les deux compagnons n’eurent plus à détourner le regard. Ils rabattirent leurs capuches et resserrèrent leurs lunettes de protection.
Et ils retrouvèrent l’air libre, et le vent glacial qui l’accompagnait. Après avoir fait quelques pas vers le nord, Mathieu s’arrêta soudain, tendit le bras et cria à son frère :
- Notre immeuble était là-bas
- Espérons qu’il y soit toujours, gémit Gil ; mais son compagnon ne l’entendit pas : le vent soufflait trop fort.
Ils traversèrent donc la place Ilyinski que la neige avait rendue méconnaissable, et finirent par se trouver face à une cage d’escalier éventrée, les portes en bois n’ayant pas résisté aux assauts du vent. A l’intérieur, la neige atteignait un bon mètre, presque autant qu’au dehors.
- C’est ici ? demanda le plus âgé des deux hommes.
- Oui, au second étage.
Les escaliers furent donc gravis. Lentement d’abord, puis plus rapidement une fois que la neige ne recouvrait plus les marches. Une fois arrivés au second étage, le plus jeune frère s’élança dans le couloir. Lorsque son compagnon le suivit, il avait déjà enfoncé une porte.
Le petit appartement était aussi glacial qu’un tombeau. Au milieu du séjour dévasté, se tenait Mathieu, ses yeux cherchant désespérément quelque chose. Tandis que Gil ôtait avec précautions ses lunettes de ski, il se mit à fouiller, à renverser des meubles, à soulever des choses, en déplacer d’autres. Son frère ne savait que trop bien ce qu’il cherchait : une trace de sa vie passée, de son bonheur perdu.
Il avait perdu sa fille de six ans durant l’évacuation de la ville, il y a deux ans. Elle était tombée de l’hélicoptère. Il n’y avait pas assez de place à bord, pourtant tout le monde avait voulu monter. Tous voulaient fuir l’agonie qui saisissait la ville, la mort lente du pays. Même après le décollage, les gens avaient continué à gesticuler, à vouloir conquérir leurs place, à survivre. Six personnes était tombées, dont la fille de Mathieu.
Ce dernier avait perdu sa femme six mois plus tard. Une fausse couche. Alors que la joie allait enfin revenir, la mort était survenue, foudroyant les deux êtres et figeant à jamais le cœur de son frère dans la peine.
Gil avait tenu à l’accompagner. Lorsque la maladie avait emporté sa petite amie au campement de réfugiés, son petit frère avait été le seul à être présent pour lui. Les deux frères s’étaient soutenus dans leurs peines respectives, liés pour toujours par un lien plus fort que l’amitié.
Maintenant, les voilà tout deux, dans ce tombeau à ciel ouvert qu’était devenu Moscou, fouillant les restes d’une vie heureuse à la recherche d’un souvenir… une étincelle qui ferait renaitre la paix dans le cœur de Mathieu.
Soudain, la main du jeune homme se referma sur quelque chose. Avec délicatesse, il la porta à ses yeux.
C’était la photo de son mariage. Un des plus merveilleux moments de sa vie… Qu’ils avaient été beaux ! Tous deux, avec leur fille, debout devant l’église dans leurs beaux habits… Il se souvenait parfaitement de ce jour béni.
Avec milles précautions, il se releva. Respectueusement, il glissa la petite photo dans sa poche. Gil s’approcha à ce moment :
- Il nous faut repartir, Mat, le jour va bientôt prendre fin, et il nous devons nous abriter dans les souterrains afin de faire du feu. Ici, nous risquerions de provoquer un incendie…
- Je te demande juste une minute encore. »
Mathieu avait froid, terriblement froid. Mais plus que ça : il était fatigué. Trop fatigué. D’un pas lent, il se dirigea vers la chambre de sa fille. Rien n’avait changé ici, comme si le temps s’était figé depuis leur départ. Le lit de la petite était défait, le tapis tressé légèrement de travers, quelques peluches abandonnées à même le sol. Sans un mot, le jeune homme en saisit une. Il se souvenait de ce petit ours, si cher à sa fille.
Il était fatigué. A bout de force.
Il se laissa tomber au sol, s’appuyant contre un mur. Une larme solitaire s’échappa de son œil gauche.
Gil prit place à ses côtés, il semblait exténué lui aussi.
- Je ne peux pas repartir maintenant, lui confia Mathieu. Je suis à bout de force, et ce flot de souvenir est trop douloureux pour que je parvienne à braver ma fatigue.
- Je suis dans le même cas, avoua son grand frère. Restons un moment ici, mais deux minutes, le temps de souffler, pas plus.
Mat hocha la tête, incapable de prononcer une phrase de plus. Ses membres ne répondaient plus, mais cela n’avait plus d’importance… Il se sentait bien. Pour la première fois depuis trop longtemps, il se sentait bien.
Le regard de Gil se perdit dans le vague. Son esprit était à présent incapable de penser correctement, se perdant dans ses réflexions de moins en moins cohérentes, mais cela n’avait plus d’importance… Il n’avait plus froid. Pour la première fois depuis trop longtemps, il n’avait plus froid.

Les deux hommes plongèrent lentement dans un sommeil sans rêve.
Un sommeil de paix.

Moscou était un tombeau, recouvert de son linceul blanc…