Celyn Blevins17 ans│Américano-gallois│#4
Entendre un cri, soit quelqu’un crier, n’est jamais anodin. On peut crier de joie, de peine, de colère, de peur, de douleur, et ce cri ressemblait à un cri de peur ou de douleur, mais je pencherai davantage pour la peur, parce que j’ai moi-même peur en ce moment. En réalité, je n’ai pas peur, le mot est trop fort, mais je suis anxieux, car Stan se sent mal, qu’on est tous les deux et apparemment avec nos camarades de classe dans un bâtiment laissé à l’abandon et que l’une d’entre eux est face à un danger quelconque. Ça reste un danger et ça m’angoisse grandement, mon premier réflexe étant de vouloir me précipiter auprès d’elle, mais il y a Stan et il est ma priorité absolue. Je ne peux pas le laisser là et aller voir ce qui se passe, on ne doit pas se séparer et j’ai bon espoir que notre camarade est elle aussi avec une ou plusieurs autres personnes, qui pourraient la protéger. Je ne sais pas si c’est un signe rassurant ou non, mais je n’entends pas de deuxième cri, seul le silence nous entoure et soit ça signifie que notre camarade est désormais hors de danger, soit… Je n’ose pas y penser, ça ne peut pas être ça, elle est forcément hors de danger, tout va bien, ça va aller… Non, rien ne va et ça ne va pas aller tant qu’on sera dans cet endroit. On doit en trouver la sortie et en partir le plus vite possible, mais, avant ça, il faut que Stan se reprenne et, tant que ce ne sera pas le cas, je ne partirai pas, parce que je ne partirai pas sans lui. Maintenant que je suis avec Stan, il est hors de question qu’on se quitte, car il est vulnérable et je me sens responsable de lui dans un sens positif, celui qu’étant donné qu’on est tous les deux, on doit être au moins deux du début à la fin.
Stan répond à ma question en hochant la tête, disant qu’il devrait y arriver, et j’en soupire discrètement de soulagement : ça va peut-être aller, finalement… Dès l’instant où Stan pourra de nouveau marcher et réfléchir correctement, ce sera un peu plus simple et j’ai confiance en lui, je sais qu’il y arrivera, et il essaie péniblement de se remettre debout, avant que je ne l’y aide en le soutenant d’un bras sous ses épaules et en fixant son visage des yeux, attentif. Il arbore un rictus de douleur et je grimace à mon tour en le voyant, m’en voulant de le faire souffrir, mais c’est soit ça, soit on demeure dans ce couloir, et mon instinct me souffle que c’est loin, très loin, d’être une bonne idée, alors on y va et je me ferai pardonner plus tard dès que j’en aurai l’occasion, en lui faisant un massage s’il en a envie. Une fois sur ses jambes et à peu près droit, je me cale délicatement contre lui, mon regard descendant et remontant le long de son corps à plusieurs reprises, vérifiant qu’il tient bien sur ses pieds et surveillant ses expressions faciales, qui me permettront d’anticiper une éventuelle chute. Stan ne bouge pas durant quelques secondes, inspire comme pour se donner du courage, et fait un pas et je suis son rythme, puis un deuxième et un troisième. Je le regarde et regarde de temps à autre devant nous, lorsque Stan pèse sur moi, et je serre les dents et raffermis ma prise autour de lui, m’y habituant.
Heureusement que je suis fort, ou j’aurais cédé sous son poids et me serais effondré en entraînant Stan avec moi, mais je résiste et on continue, effectuant encore trois pas, qui nous font entrer dans ce qui se rapproche le plus d’une chambre. Aussitôt, Stan s’écroule de tout son long sur le matelas et vomit, faisant redoubler mon inquiétude. Mes yeux s’écarquillent, mon cœur bat plus vite et, n’ayant cure de l’odeur, je contourne rapidement le matelas, m’accroupis près de Stan, sur un côté, et pose une main légère sur son dos, entre ses omoplates, pour lui faire sentir ma présence et mon soutien. Je le caresse doucement, les yeux rivés sur lui, espérant que ça le soulage un minimum. Après avoir tout régurgité, Stan s’excuse en passant une main sur sa bouche et je le fixe avec de grands yeux cette fois, la voix blanche :
-Ne t’excuse surtout pas pour ça… Est-ce que tu te sens un peu mieux ? Tu as besoin d’eau… Repose-toi, s’il te plaît…
De l’eau, il lui faut de l’eau, et je caresse une dernière fois son dos et une de ses épaules, avant de me relever et de regarder autour de moi. Évidemment, ce n’est qu’une chambre, il n’y a pas de salle de bain, donc pas d’eau, et j’acquiesce pour moi-même en tentant de garder mon sang-froid, ce à quoi je parviens, mais avec difficulté. Stan doit boire, on doit boire, mais je ne suis pas le plus important, ce n’est pas moi qui suis défoncé et viens de vomir, et je regarde de nouveau Stan, qui s’est repositionné sur le matelas, les yeux clos. Son souffle ralentit, il récupère et ça me rassure quelque peu : en ne faisant rien, en se laissant aller et en écoutant son corps, il récupérera de la meilleure des manières et ça me soulage énormément. Stan finit par s’endormir, je l’entends dans sa respiration lente et régulière, et, sans bruit, je fais le tour de la chambre à la recherche du moindre indice qui pourrait m’indiquer où est-ce qu’on est, dans quoi et où, mais rien, et, refusant de sortir de la chambre sans Stan, je m’immobilise dans un coin et m’y assois sans me soucier de la saleté qui s’accrochera à mon bas de pyjama, veillant sur Stan. Le sommeil est tentateur, mais je n’y glisse pas, prenant à cœur mon rôle de gardien de Stan, jusqu’à ce qu’il se réveille. Entre-temps, le jour s’est levé à en croire la faible lumière qui passe par la fenêtre, et Stan inspire et pose un pied sur le sol. Sans un mot, je le rejoins et me poste à côté de lui en l’observant, me tenant prêt si jamais il se lève et ne réussit pas à se maintenir debout.
Stan prend son téléphone et nous retournons dans le couloir, qui, malheureusement, n’a pas changé d’apparence. Là, je regarde autour de nous, aux aguets, mais je ne vois ni n’entends rien, lorsque Stan troue le silence en prenant la parole et ordonnant qu’on descende. Son ton est assuré et, n’ayant pas de meilleure proposition, je hoche la tête, approbateur, et le suis, avançant dans le couloir en continuant de regarder autour de nous pour qu’on ne se fasse pas surprendre, jusqu’à ce qu’on emprunte un escalier, qui nous conduit à un autre couloir à l’étage d’en dessous. Il est identique à celui du dessus et ça ne m’étonne pas, mais ça ne me rassure pas non plus, et je demeure aux côtés de Stan, alerte, quand j’entends des bruits sourds, diffus, qui me font sursauter. Je m’immobilise instantanément et, le cœur battant, regarde frénétiquement autour de nous, lorsque je me rends compte que ces bruits sont des voix. Je plaque une main sur mon cœur et en soupire de soulagement en fermant brièvement les yeux : ce doit être les voix de nos camarades… Je me reprends et marche, mais je dépasse Stan et me retourne vers lui, étonné que Stan ne continue pas sur sa lancée, et il me demande ce que je fous à voix basse tandis que je m’aventure dans le deuxième escalier. Je m’arrête le temps de le regarder et de lui murmurer :
-Ce doit être nos camarades, tu te souviens du SMS ? Je crois que ce sont eux, mais, dans le doute, je vais vérifier et toi, reste derrière moi : je serai ton bouclier.
Je lui souris sincèrement, sans pour autant cacher mon angoisse, et avance toujours, marche par marche, le cœur tambourinant. Il faut que ce soit nos camarades, il ne peut en être autrement, il faut que ce soit eux ou… Je n’imagine pas la suite, préférant chasser ces pensées de mon esprit et me concentrer sur ma progression, quand une voix retentit, une voix que je reconnaîtrais entre mille : Lyn. Mon sang ne fait qu’un tour : je fais volte-face et attrape Stan par les épaules en le regardant dans les yeux et en souriant jusqu’aux oreilles, les miens pétillant de joie, avant de m’enthousiasmer dans un chuchotis :
-Tu as entendu ?! C’est Lyn ! Elle est là, ils sont tous là !
Je l’attrape par la main avec la mienne valide et accélère légèrement l’allure en descendant le reste des marches, et on débarque dans un couloir où il y a du monde, des gens de notre classe, nos camarades. Mes yeux s’écarquillent, à la fois de surprise et de bonheur, et je serre fort la main de Stan dans la mienne afin de ne pas me laisser déborder par mes émotions. Je suis si soulagé, rassuré de les retrouver, que Stan aille mieux et qu’on soit ensemble, que je ne serais pas capable de décrire ce que je ressens avec précision, et je les admire un à un, heureux de les voir sains et saufs, jusqu’à ce que mon regard se pose sur Lyn.
Lyn… Mon cœur se serre violemment dans ma poitrine et je n’ai plus qu’une envie, courir vers elle et la prendre dans mes bras, mais je me réprime et laisse ma tête reposer contre Stan, comme pour me cacher et empêcher mon impulsivité de s’exprimer, parce qu’elle n’a pas lieu d’être. Subitement, la douleur dans ma main blessée se réveille et j’étouffe un gémissement en fermant fortement les yeux et en serrant un peu plus sa main. Je ne peux pas lui faire subir ça, il n’a pas à subir mon trop-plein d’émotions et ma douleur, et ma prise sur sa main se desserre peu à peu et je me redresse en souriant pauvrement :
-Excuse-moi…