Ennemis pour l'éternité -Fantasy Urbaine

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B-Chevalier

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Ennemis pour l'éternité -Fantasy Urbaine

Message par B-Chevalier »

Bonjour à toutes et à tous.
Auteur de trois romans, j'essaye une nouvelle expérience: écrire un nouvel ouvrage avec mon épouse.
Nous aimerions vous faire partager les premières lignes. N'hésitez pas à laisser un commentaire, toute critique est bonne à prendre.
c'est un premier jet, une ébauche...
Merci à tous les amoureux de la lecture.

BEN et AXELLE CHEVALIER

PROLOGUE
Paris, 25 novembre 4123

Le Centre Energétique Européen (C.E.E.), construit sur l’emplacement de l’ancien quartier de la Défense à l’ouest de Paris, regroupait plus d’une centaine de bâtiments. Parmi eux, se dressait un gratte-ciel de près de cinq-cents mètres de hauteur et qui comptait pas moins de cent-cinq étages. Au dernier niveau de l’édifice se trouvait une salle de réunion assez spacieuse, entièrement insonorisée, occupée par une immense table ronde, clin d’œil de l’architecte d’intérieur au roi Arthur. La pièce au décor ultramoderne était de taille rectangulaire et des vitres à double fonction, tantôt laissant passer la lumière, tantôt l’occultant, occupaient tout un côté. Pour l’heure, la salle était plongée dans la pénombre. Seul un ascenseur, à activation biométrique, permettait d’y accéder. Ainsi faite, cette pièce était le cliché de ce que pourrait être une salle de réunion pour agents secrets discutant de dossiers confidentiels.
Un écran géant diffusait des images tout droit sorties d’un film d’héroïc fantaisy. Plus d’un aurait été étonné de surprendre ces huit individus, vêtus de costumes sur mesure et assis confortablement autour de la grande table, regardant un film d’aventures pendant une réunion de travail.
Soudain, l’écran redevint noir et le président de la Commission se leva et prit la parole :
- Comme vous vous en doutez après avoir vu ces images, la récolte a été suffisante cette fois encore.
- Compte-tenu du rapport que vous nous avez présenté juste avant la vidéo, je m’attendais à mieux, intervint sèchement le représentant allemand. Il me semble que nous serons tous d’accord pour dire qu’une récolte suffisante n’est pas acceptable.
- J’ai parfaitement conscience de notre retard de production, répondit le président avec assurance. Cependant, sachez que ce retard devrait être rattrapé d’ici notre prochaine rencontre car nous avons enfin réglé les deux problèmes qui nous préoccupaient ces dernières années. Ainsi, les prochaines récoltes ne devraient plus être perturbées.
- Etes-vous certain que les solutions de substitution ne se révèleront pas pire que ce que nous avons connu ? demanda l’émissaire italien.
Le président ébaucha un sourire discret, prit le temps de regarder chacun des hommes assis autour de la table et répondit :
- Tout est sous contrôle, soyez-en sûr. Pour clôturer la séance, je vous propose de lever nos verres à ce nouveau cycle qui sera indubitablement très prospère.























CHAPITRE 1

Lum-Khaï ouvrit les yeux pour la première fois en tant que souverain de Lüma, non sans tristesse. Un voile de lumière se dessina devant lui lorsqu’il ouvrit sa deuxième couche de paupière, nécessaire pour pouvoir dormir dans un monde sans nuit.
Il put distinguer un seul soleil au travers de la bulle de verre de son habitat, signe qu’il devait encore faire un peu frais dehors. Son corps puissant s’étira de tout son long, comme pour l’avertir qu’il était prêt pour cette longue journée. La première en tant que Roi, la première sans que sa mère, Reine encore la veille, ne l’accueille chaleureusement, comme chaque nouveau jour.
Un élan de nostalgie s’empara de Khaï. Elle ne devrait pas être morte. D’aussi loin qu’il se souvienne, il avait toujours entendu les histoires extraordinaires sur sa mère jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge d’aller sur le champ de bataille pour la voir de ses propres yeux.
L’éclair de feu. C’est ainsi que son peuple l’appelait et aucun nom n’aurait pu mieux la décrire. Une image d’elle se dessina dans l’esprit du jeune Lümien qui la vit charger dans la mêlée, le dernier jour de sa vie. Seul le roi des Kentans, Kalihor, eut le courage de s’opposer à elle.
Khaï la revit terrasser son rival après un combat titanesque ou force et magie ne semblait plus faire qu’un. Il se souvint du hurlement de son peuple lorsqu’elle poussa son cri de victoire, faisant fuir ainsi le reste de l’armée Kentane. Ses blessures, à ce moment-là, ne semblaient pourtant que superficielles.
La fête battait son plein lorsqu’on la retrouva morte dans son lit. Les bandages couvrant ses blessures étaient couverts d’un sang noir et épais. Le Roi Kalihor avait certainement utilisé un poison très puissant pour arriver à ce résultat-là. Cet acte prouvait une fois de plus que le peuple de Kentary devait être anéanti, par tous les moyens.
Un élan de colère s’empara de Khaï, ce qui lui donna la force de se lever pour affronter cette journée. Il déploya ses ailes couleur de feu, symbole de sa lignée.
Depuis la nuit des temps, la famille royale de Lüma possédait des particularités physiques et psychiques exceptionnelles. Chaque descendant apportait son lot de surprises mais un élément restait immuable : des ailes couleur de feu.
Khaï ne dérogeait pas à la règle. Il avait reçu en outre le don de manier la force des soleils. Cette capacité lui avait immédiatement accordé les faveurs de son peuple tout entier, vénérant depuis toujours les trois astres solaires qui remplissaient le ciel de Lüma et qui le privait, par la même occasion, de la nuit.
A peine eut-il enfilé un pantalon de toile blanche que plusieurs bruits sourds l’obligèrent à lever la tête pour voir que trois Lümiens venait de se poser sur la terrasse de sa maison. Ces derniers n’étaient pas reconnaissables à cause du verre fumé qui composait le toit de sa bulle, mais il reconnut le pas lourd de Bolnac, général en chef des armées Lümiennes et son ami le plus fidèle.
Il noua ses longs cheveux blonds avant de sortir sur le toit pour accueillir ses visiteurs, le torse encore nu. Les rayons bleus de Ranus, le premier soleil, jouaient sur la peau ivoire du jeune homme et révélaient des muscles saillants qui, associés à ses larges épaules, dégageaient une impression de force brute. Il s’émerveilla, comme chaque jour, de la splendide vue de son arbre-bulle. Situé à plus de deux-cents mètres de haut, il dominait toutes les habitations de Lüma. Seule la salle du Conseil semblait vouloir le défier en s’élevant encore plus haut.
Chaque arbre-bulle était un trésor pour son peuple. Constitué d’un tronc impressionnant, ces arbres finissaient par une immense bulle de verre que les Lümiens avaient appris à tailler pour en faire des habitations. Seule la voie aérienne permettait de pouvoir s’y introduire, la plupart du temps par la création d’une terrasse située au sommet de la bulle.
Les grands yeux orange de Khaï se posèrent sur Bolnac qui l’accueillit à bras ouvert, le visage grave :
- Mon Roi !
- Pas de ça entre nous, lui répondit Khaï sans enthousiasme. Du moins pas en privé.
C’est en desserrant son étreinte qu’il identifia ses deux autres visiteurs : les membres du Conseil les plus anciens, Tendir et Elandhaïr.
- Membres du Conseil, dit Khaï en les saluant d’un signe de tête.
- Mon Roi, répondirent les deux intéressés d’une seule voix. Nous désirions juste nous assurer que tout allait pour le mieux, enchaina le vieux Tendir. Nous avons conscience que cette journée restera à jamais gravée dans votre mémoire. Si nous pouvons faire quoi que ce soit…
Le jeune souverain se dirigea à pas lents vers le bord de sa terrasse et laissa son regard vagabonder sur Lüma. Ranus frappait de ses rayons la forêt d’arbres-bulles, transformant ainsi les habitations en un véritable océan de lumière.
- Rien ne pourra m’aider en ce jour, si ce n’est votre présence apaisante. Je voudrais que la cérémonie soit la plus simple possible. Celle en hommage à nos guerriers m’a déjà fortement éprouvé.
Ce fut la vieille Elandhaïr qui s‘approcha de lui. Ses deux siècles d’existence lui donnaient la sagesse nécessaire pour intervenir dans pareille situation. Ses longs cheveux argentés couraient le long de son dos, couvrant ainsi sa grande robe blanche de membre du Conseil. Ses nombreuses rides n’arrivaient pas à flétrir son immense beauté.
- Ta mère fut la plus grande Reine que le peuple de Lüma a eue et pourtant, comme toi, elle est arrivée très jeune au pouvoir. Sache que nous serons là pour toi, comme nous l’avons été pour elle.
Khaï se retourna vers ceux qui allaient devenir ses conseillers les plus proches. Il avait parfaitement conscience de son jeune âge et même s’il espérait être un bon roi, l’ombre de la Reine exceptionnelle qu’avait été sa mère risquait de lui rendre la tâche plus ardue.
- Merci Elandhaïr pour votre soutien. Partons pour le temple maintenant. Je veux me recueillir auprès d’elle une dernière fois. Après, vous pourrez me mettre ce que vous voulez sur la tête, je l’accepterai de bonne grâce.
Les trois invités esquissèrent un léger sourire et Bolnac se frappa du plat de sa main.
- Voilà des paroles qui volent !
Le nouveau suzerain de Lüma déploya ses ailes tout en répétant la devise de son peuple « Voilà des paroles qui volent ! ». Il remercia intérieurement son plus fidèle ami d’être là pour lui aujourd’hui. Plus vieux de presque cinquante ans, Bolnac était un géant à la peau légèrement plus pâle que la sienne. Ses longs cheveux blonds étaient noués en une seule tresse tombant jusqu’à ses fesses. Habillé de sa tenue de combat, comme n’importe quelle journée, Bolnac était le pilier dont avait besoin Khaï, que ce soit sur le champ de bataille ou dans la vie de tous les jours.
Il avait commencé par être son instructeur, puis son maitre d’armes et de magie. C’était un privilège qu’avait instauré sa mère : les enfants de la famille royale n’iraient plus au temple des Anklèmes pour leur éducation mais seraient pris en charge par un Lümien de confiance pour leur enseigner tout ce qu’ils avaient besoin de savoir.
Ce fut de loin la mesure la moins populaire que prit sa mère lors de son règne. Mais au vu du résultat, personne ne trouva rien à y redire.
Bolnac déploya lui aussi ses ailes. Elles étaient d’un blanc immaculé, ce qui était extrêmement rare, alors que celles des deux membres du Conseil étaient plutôt bleutées.
Leur vol se fit aussi silencieusement qu’une brise de début de printemps. Ils descendirent ainsi tous les quatre vers le sol, slalomant entre les arbres-bulles pour atterrir dans la grande plaine de Lüma, juste devant les portes du temple nord de la cité.
Le jeune roi ne put s’empêcher d’avoir un pincement au cœur lorsque ses pieds nus touchèrent le sol frais de la lande. Peu habitué à se retrouver à si basse altitude, il ne comprenait pas cette fascination qu’éprouvait son peuple pour les temples des Anklèmes. Il jeta un rapide coup d’œil vers ses compagnons de vol et constata qu’il était, comme à son habitude, le seul à ressentir ce malaise.
Les grandes portes de bois sculptées s’ouvrirent pour laisser sortir un être vêtu d’une simple robe brune. Une corde de lierre lui serrait la taille et aucun bijou ou ornement ne parachevait cet œuvre de simplicité. Le crâne rasé, le corps bien plus mince que celui des trois Lümiens et dépourvu d’ailes, il n’y avait aucun doute sur l’identité de l’individu qui se présentait à eux.
- Anklème, formula le plus simplement possible Tendir. Merci de nous accueillir à une heure si matinale.
- Nous nous doutions de votre venue, répondit le vieux prêtre. Quel fils ne voudrait pas dire au revoir à sa mère.
Khaï fut touché de cette attention et salua d’un hochement de tête le prêtre. Il était le seul enfant de Lüma à ne pas avoir été élevé par les Anklèmes mais les enseignements de Bolnac n’en étaient pas moins élogieux à leur sujet.
Guide spirituel du peuple de Lüma, les Anklèmes étaient la voix de leur divinité. Ils constituaient une caste à part dans la société Lümienne et rares étaient ceux qui sentaient le besoin de sortir de leur temple. Les Grands Anklèmes ne révélaient jamais leur visage et rentraient en contact avec eux uniquement pour leur annoncer une future bataille avec les Kentans. Ils représentaient les membres les plus importants du culte et tous les Lümiens leur accordaient une reconnaissance sans pareille.
- Suis-moi, jeune Roi. Je vais te mener à elle.
Il invita Khaï d’un geste de la main, insinuant par la même occasion que seul ce dernier était le bienvenu à l’intérieur du temple.



Leurs pas résonnaient dans un immense couloir longeant les différentes salles de prières où les enfants Lümiens étaient en méditation. Khaï eut un petit pincement au cœur en voyant ce qu’il n’avait pas connu. Cette fraternité silencieuse qui liait les Lümiens dès leur plus jeune âge.
- Je te sens préoccupé mon Roi, chuchota l’Anklème qui le guidait sans pour autant ralentir sa marche.
- Je le suis.
- Peut-être devrions-nous faire une halte avant de voir ta mère. J’aimerais que tu la retrouves l’esprit serein et apaisé, afin de lui dire au revoir de la meilleure façon possible.
L’individu bifurqua en direction d’un cloitre particulièrement beau aux yeux du souverain. Ranus frappait de ses rayons bleutés les bancs de pierre situés dans le petit jardin central, laissant planer une ambiance apaisante et protectrice à laquelle n’importe quel individu normalement constitué aurait succombé.
- Installons-nous ici, qu’en penses-tu ?
- Je n’avais jamais vu ce lieu… ma mère…
- L’adorait.
Khaï surprit une pointe de tristesse dans la voix de l’Anklème.
- Vous la connaissiez ?
- Très peu. Elle était une femme exceptionnelle. Elle imposait le respect mais il y avait une part d’ombre en elle. Je ne l’ai vu qu’une seule fois en fait : ici. Elle était enceinte de toi et elle priait sous la lumière de Meruk, le troisième soleil. Jamais je n’avais vu pareil spectacle. C’est le lendemain qu’elle a annoncé que ta royale personne ne serait pas prise en charge par les nôtres pour ton éducation et qu’elle nomma Bolnac comme précepteur.
- Pensez-vous qu’elle a eu tort de faire cela ?
- J’ai pensé qu’elle était folle, au début… mais plus les années passaient, plus le temps lui donnait raison. Avait-elle conscience que le peuple l’adorait ? Que ses stratégies et ses compétences de guerres nous ont remis sur un pied d’égalité contre les Kentans ? Ce qui est certain c’est qu’elle voulait que tu lui succèdes avec toutes les cartes en main pour être celui qui lèvera la malédiction qui pèse sur Lüma.
La malédiction était la seule chose qui terrifiait le jeune Khaï. Deux millénaires auparavant, les Lümiens et les Kentans avaient déçu les Dieux pour avoir voulu prendre leur place. Pour les punir, ils les avaient plongés dans un profond sommeil pendant plus d’un siècle. A leur réveil, les deux peuples avaient perdu la mémoire. Ce furent les Anklèmes, épargnés par le mauvais sort grâce à leur farouche dévouement, qui durent leur raconter toute leur histoire, depuis leurs origines jusqu’à leur mise en sommeil et qui leur annoncèrent la malédiction choisie par les Dieux pour les punir : ils devraient chaque jour boire à la source de la vie s’ils ne voulaient pas tomber dans un profond sommeil, puis mourir. Cette source se remplirait à chaque fois qu’ils livreraient bataille contre les Kentans.
Les premiers temps, nombre de Lümiens ne crurent pas les Anklèmes et refusèrent de se soumettre aux Dieux. On l’appela l’âge du doute ou l’âge de la mort car ce fut un miracle si les Lümiens survécurent à cette sombre époque. Résignés, les survivants lancèrent un assaut désespéré face aux Kentans qui semblaient être dans le même état qu’eux et le miracle s’accomplit : la source de la vie permit aux Lümiens de pouvoir survivre à la malédiction.
Depuis, le peuple de Lüma guettait chaque appel des Anklèmes pour partir à la bataille afin de remplir la source de la vie. En deux mille ans, plus personne ne comptait le nombre de batailles que les deux peuples s’étaient livrés. Mais tout le monde s’accordait sur le fait qu’ils étaient maudits, chacun rejetant la faute sur l’autre et une haine irrationnelle s’installa entre les Lümiens et les Kentans.
- Pensez-vous seulement que cela soit possible ?
- Je n’en sais rien. Et d’un autre côté, Lüma n’a jamais été aussi belle qu’aujourd’hui. Son peuple n’est plus le même que pendant l’âge de la mort.
- Comme les Kentans.
- En effet. Preuve que cette malédiction n’a pas forcement eu que des effets négatifs.
Khaï se demanda s’il devait aller plus loin dans la conversation. Les Anklèmes étaient les portes paroles des Dieux. Jamais ils ne remettraient en question l’ordre des choses déjà établi.
- Je me demandais simplement si ma mère n’était pas morte pour rien. Si tout n’est pas qu’un recommencement éternel, un simple caprice des Dieux pour nous rappeler notre condition.
Il sentit la main de l’Anklème sur son épaule. Ce dernier le dévisageait avec autorité :
- Tu es déjà très sage, Lum-Khaï. Il ne tient justement qu’à toi de faire de ton règne un évènement qui marquera Lüma, comme l’a fait ta mère.
- Elle me manque.
- Le contraire ferait de toi l’un de tes ancêtres. Arrogant et sans cœur qui obligea les dieux à vous maudire. Ton peuple change en bien mon roi, il est sur la bonne voie. Fais de cette absence une force. Son souvenir doit te guider vers le bon chemin.
Khaï se leva. Il se sentait plus léger mais aussi honteux.
- Je n’ai même pas pris le temps de me vêtir comme il se doit pour l’occasion. Je vous présente mes excuses.
Son interlocuteur leva la main en signe de pardon.
- Lum- Khaï, tu es Roi. Tu es en deuil. Penses-tu que je vais me formaliser de ta tenue et t’imposer le protocole ? Viens, allons dire au revoir à ta mère. En revanche, je te conseille de revêtir au moins un linge pour ton couronnement…
Ne pouvant s’empêcher de sourire, Khaï remercia intérieurement le prêtre pour avoir réussi un tel exploit en pareille situation.
- Je vous suis.


Il pria un long moment devant le cercueil de sa mère. Il avait été placé dans la salle la plus au nord du temple, face à l’océan sans fin. A aucun moment, l’Anklème ne fit un bruit ou une remarque sur le temps dont Lum-Khaï eut besoin pour dire au revoir à celle qui était si chère à son cœur. Lorsque ce fut terminé, il le raccompagna en silence vers l’extérieur sachant que leur conversation passée ne transpirerait pas des murs du temple.
Suivant les conseils de l’Anklème, Khaï fit un détour par sa demeure pour se vêtir d’une longue robe de cérémonie rouge qu’il enfila juste par-dessus son pantalon. Il rattacha ses cheveux avec plus de soin avant de se laisser un peu dorer aux soleils, car Arsse accompagnait désormais Ranus et leurs feux réunis avaient de quoi réchauffer ses ailes.
Il prit ensuite son envol pour rejoindre la salle du Conseil dans laquelle les quinze membres l’attendaient sans montrer le moindre signe d’impatience.
Son intronisation fut simple et sans anicroche, étant le seul membre de la famille royale encore en vie à ce jour. Son apparition au bord de l’arbre-bulle surplombant Lüma créa un véritable déluge de battements d’ailes et l’ensemble de la population salua son nouveau seigneur.
Ce fut Tendir qui lui adressa en premier la parole lorsqu’il revint à l’intérieur de la pièce :
- Mon Roi, je tenais juste à vous signifier que nous allons lever la séance pour aujourd’hui. Vous nous convoquerez lorsque vous sentirez que le moment est venu pour vous de reprendre les choses en main.
- Merci Tendir. Vous pouvez prévenir le Conseil que je serai présent dès demain.
- Mon Roi…
- Tout ira bien.
- Comme il vous plaira.
Tendir le salua avant de se retirer. Khaï en profita pour remonter sur la terrasse et s’envoler vers sa demeure. Il atterrit avec grâce et trouva un paquet enveloppé dans un linge épais et brun. Il l’attrapa et le posa sur une table avant d’utiliser ses pouvoirs pour bruler la ficèle qui liait le tout.
Il tressaillit lorsqu’il découvrit les affaires de sa mère : sa cape, son bandeau… tout ce qui n’avait pas été souillé de son sang était réuni sous ses yeux. Pris d’un doute, il fouilla un peu plus minutieusement à la recherche du médaillon de sa mère. Ce dernier était formé de trois soleils superposés les uns sur les autres, le tout serti d’un rubis, le seul de son peuple. Ne trouvant pas le bijou, il tenta de se remémorer la fête suivant la bataille ainsi que la dernière fois qu’il l’avait vue étendue sur son lit, morte.
Une vérité s’imposa à lui : elle ne portait pas son médaillon, ce qui ne pouvait signifier qu’une seule chose : elle l’avait perdu pendant son combat contre le Roi Kentan, la notion de vol n’existant pas chez les Lümiens.
Sans plus attendre, Lum- Khaï s’envola pour se diriger vers le sud de la cité de Lüma, en direction du champ de bataille commun avec le peuple de Kentary : la Nécropole. Il atterrit avec souplesse non loin de la stèle de transfert. Cette dernière, posée à même le sol, se composait de deux blocs de pierre en demie lune, gravés de runes antiques. Sa mère lui avait déjà montré le simple rituel permettant son ouverture. Il mit un genou au sol et posa sa main sur la marque noire et lisse. Un grondement sonore retentit dans la plaine avant que les deux blocs de pierre ne s’ouvrent, laissant apparaitre le vortex qui le téléporterait vers la Nécropole.
Sans hésiter, le Lümien déploya ses ailes et se laissa engloutir par le champ de force.





CHAPITRE 2

En ce jour de deuil, les rues de la Cité de Kentary étaient encore pleines de monde malgré l’heure tardive. L’adieu était bien plus difficile cette fois car il ne s’adressait pas seulement aux valeureux guerriers morts deux jours plus tôt lors de la dernière Bataille, mais il s’adressait également au roi Kalihor. Les Kentans avaient perdu leur guide et c’est pour cette raison qu’ils ne parvenaient pas à rentrer chez eux. Ils voulaient rester le plus longtemps possible aux abords du temple, la dernière demeure de leur souverain.
La Cérémonie d’inhumation s’était déroulée il y a trois heures. Elle avait revêtu un éclat particulier en l’honneur du roi Kalihor. Le temple avait été décoré avec de magnifiques tentures multicolores et des fleurs blanches à profusion. Les Skhôls, les prêtres du sanctuaire, portaient la robe de deuil des Batailles, une longue tunique de couleur pourpre, qui recouvrait leurs pieds et leurs bras et sur le dos de laquelle était brodé l’emblème royal de Kentary. Ils avaient accueilli les corps nus, lavés et simplement posés sur une planche de bois des combattants décédés. C’est ainsi que les défunts s’en allaient, nus comme au jour de leur naissance. Chacun était porté par quatre frères d’armes et déposé sur la stèle d’incinération avant de disparaitre dans les profondeurs du temple. Le dernier corps à avoir été déposé avait été celui du roi. La foule avait retenu son souffle jusqu’à ce que la stèle réapparaisse vide. C’est ainsi que s’était achevée la Cérémonie d’inhumation et qu’avait débuté l’intronisation de Siska, la fille du roi Kalihor.
Cette dernière se revit, quelques heures plus tôt, se tenant très droite devant le Grand Skhôl, vêtue d’une robe longue de mousseline blanche, serrée à la taille par une ceinture sertie de pierres bleues, les cheveux tressés lui arrivant au milieu du dos. Elle n’avait pas manqué de courage et avait retenu ses larmes tout au long de ces rituels fatigants. Puis elle avait reçu du prêtre le collier de son père, symbole de son nouveau statut. Elle était à présent la reine de Kentary ! La foule l’avait acclamée car elle était très aimée de son peuple, comme l’était son père. Elle se souvint leur avoir souri puis le temple s’était vidé lentement et elle avait pu regagner le palais, à quelques rues seulement du sanctuaire.
Le palais était une demeure qui ressemblait aux autres habitations de Kentary mais en beaucoup plus grand. Il avait la forme d’une coquille de nautile percée à plusieurs endroits pour faire des fenêtres et s’allongeait sur un côté. Sa façade était composée de différents carreaux de couleur qui donnaient un côté joyeux à l’édifice. A l’intérieur, un tapis d’herbe conduisait à un réseau de chemins de pierre vers les différentes zones de l’habitation. Les meubles faisaient partie de la construction et avaient tous des formes arrondies. La plupart des maisons de Kentary comptaient seulement deux pièces, une pièce de vie dans laquelle on préparait à manger, et une pièce dédiée au repos et à la toilette. Le palais royal en comptait évidement un bien plus grand nombre. On pouvait dénombrer une quinzaine de chambres, la salle du trône, la salle du Conseil, une salle de réception, une grande cuisine, une salle d’armes et une salle d’entrainement.
La ville s’étalait en forme d’étoile à neuf pointes, avec une place parfaitement hexagonale au centre de laquelle trônait le bâtiment royal et d’où partaient les six rues principales en forme radiale. Une grande partie de cette ville étoilée s’étendait sur un lac, les maisons-coquillages reposant sur l’eau et les rues étant formées par des plaques de verre flottantes.
Kentary était une cité souterraine, il n’y avait donc pas de ciel ni de soleil. Le concept de jour et de nuit n’existait pas, seule la luminosité changeante du lac et des roches donnait un repère sur le temps et les moments de la journée.

Siska cessa de contempler sa ville à travers la fenêtre et se tourna vers Indis qui lui posait vraisemblablement une question qu’elle n’avait pas écouté.
- Siska, tu m’écoutes ? Si nous ne voulons pas être en retard pour le troisième repas de Rune, tu devrais peut-être te changer maintenant.
- Oui, excuse-moi, tu as raison. Je ne peux pas l’abandonner ce soir, alors qu’il n’a même pas pu assister au dernier adieu de Père, ce serait trop cruel.
La jeune femme, âgée seulement de trente-deux ans, fit glisser sa robe. Elle dénoua ses cheveux cuivrés, les laissant en cascade dans son dos, et enfila sa tenue habituelle qui mettait en valeur son corps mince et musclé : une simple tunique d’entrainement et un pantalon très moulant. Pour compléter sa tenue, elle se chaussa de bottes souples. Seul le collier royal éclairait l’ensemble. C’est ainsi qu’elle se sentait le plus à l’aise et qu’elle s’habillait le plus souvent, au grand désespoir d’Indis.
Cette dernière était la suivante et la meilleure amie de la nouvelle reine. Elles avaient le même âge et avaient grandi ensemble à la Coupole, entourées des autres enfants de Kentary. Mais si Siska préférait des tenues confortables, Indis, quant à elle, trouvait indécent de se promener en tenue d’entrainement. Selon elle, dès la fin de ses exercices de combat, une femme se devait d’adopter des vêtements plus conformes à sa condition féminine, et plus encore lorsqu’elle faisait partie de la famille royale. Cependant, pour une fois, elle ne fit pas de commentaire par respect pour la douleur que ressentait son amie. Elle-même portait un haut bleu azur formé de deux bandes se croisant sur la poitrine puis se rejoignant dans le dos et retenu aux épaules par des liens dorés. Le tissu vaporeux de la jupe, de la même couleur, largement fendu sur chaque côté, laissait deviner des jambes fuselées. Cette tenue laissait apparaitre un ventre plat et ferme. Pour parfaire sa toilette, ses cheveux d’un noir de jais étaient simplement retenus par un bandeau de même nuance tout comme ses souliers.
Siska se tourna vers elle et lui fit signe qu’elle était prête. Marchant côte à côte, elles sortirent du palais et se mêlèrent aux passants. Elles traversèrent la place et se dirigèrent d’un pas tranquille vers la Coupole qui se trouvait au milieu du lac. Tout au long du chemin, elles furent saluées par les Kentans qu’elles croisaient. En effet, la souveraine portait la marque de la royauté sur le front comme tous les membres de la famille royale et était ainsi facilement identifiable. Il leur fallut près d’une heure pour atteindre leur destination mais cette marche avait fait du bien à Siska. Elle se sentait moins morose et prête à affronter le chagrin de son jeune frère.
Les deux jeunes femmes pénétrèrent dans le hall de l’édifice. C’était une pièce ovale, de dimension raisonnable, et de laquelle des chemins de pierre menaient aux différents espaces de la bâtisse comme dans les maisons-coquillages. Une des nessas, les éducatrices en charge des enfants de la Coupole, se dirigea vers elles pour les accueillir et les invita à la suivre. Elle les conduisit jusqu’à la chambre de Rune, le frère de Siska et se retira après les avoir saluées.
- Siska ! Tu arrives bien tard ! Je t’attends depuis des heures moi ! dit-il en se jetant dans ses bras.
La grande sœur sourit au jeune homme. C’était tout à fait lui de l’accueillir en râlant sans même lui avoir dit bonjour ! Mais elle ne s’en formalisa pas, elle était simplement heureuse de le voir. Elle l’observa attentivement pendant quelques instants. Siska avait le sentiment que quelque chose avait changé chez lui mais sans savoir quoi. C’était toujours le même jeune homme de presque quinze ans, ses cheveux cuivrés comme les siens bouclant autour de son visage. Il avait un profil pur aux traits nets et fins, un menton énergique, une bouche serrée et de fiers yeux d’émeraude. Il n’existait pas de visage plus beau que celui qui la regardait. Pour ne rien gâcher, le corps était magnifiquement bâti : sous la peau orangé typique de leur peuple, les muscles longs, étirés, se dessinaient avec une précision parfaite, les épaules étaient larges, les flancs étroits et durs, le ventre athlétique, les cuisses puissantes. C’était un adolescent dans un corps d’homme. Son expression, marquée par le chagrin, reflétait aussi l’excitation. Mais pourquoi semblait-il aussi impatient ?
- Bonjour Rune, moi aussi je suis heureuse de te voir, répondit-elle avec ironie. Désolée de ne pas avoir pu arriver plus tôt mais j’ai été très prise aujourd’hui.
- Oh excuse-moi, dit-il d’un ton radouci, tu sais que j’aurais aimé pouvoir t’accompagner. Et d’ailleurs, est-ce que je dois t’appeler Reine Siska maintenant ? ajouta-t-il l’air espiègle.
- Pfffff, n’importe quoi !!! On aura tout entendu ! répondit la jeune femme en riant.
Son frère avait le don pour la faire rire et au moins il lui changeait les idées.
- Dis-moi plutôt pourquoi tu sembles si impatient ?
- C’est que j’ai une grande nouvelle à t’annoncer. Mais plutôt que de te le dire, je vais plutôt te montrer. Kara ! Tu peux venir !
Une jouvencelle qui devait avoir l’âge de Rune entra dans la pièce et vint se placer à côté du garçon. Elle était très charmante et avait un air doux et apaisant. Siska comprit tout de suite quelle était la grande nouvelle. Dès que les deux jeunes gens furent proches, les marques de vie qu’ils portaient sur le corps se mirent à scintiller doucement, signe qu’ils étaient maintenant liés l’un à l’autre. Ainsi donc, son frère avait trouvé son âme sœur et ne serait pas obligé de vivre une vie de solitude comme elle.
Tous les enfants Kentans étaient élevés à la Coupole. Lorsqu’ils atteignaient la puberté, la quasi-totalité d’entre eux se liait avec une personne du sexe opposé. Les amoureux ne se choisissaient pas, c’est le destin qui les désignaient l’un à l’autre par l’intermédiaire de leurs marques de vie. Ces dernières se mettaient à briller lorsqu’ils étaient en présence l’un de l’autre. Les couples ainsi formés étaient solides comme un roc et inséparables. C’était le destin. A l’âge de seize ans, ils quittaient ensemble la Coupole pour vivre leur vie d’adulte et d’époux. Il était extrêmement rare qu’un Kentan ne se lie à personne, Siska et Indis étaient des exceptions. Toutes deux n’avaient jamais vu leurs marques de vie briller en présence d’un garçon avant leur départ de la Coupole. Cela les avait énormément rapprochées et elles étaient devenues inséparables, un peu comme si elles cherchaient à prendre leur revanche sur leur destinée.
Siska savait parfaitement que son frère avait toujours été inquiet à l’idée de ne pas se lier, comme elle. Il craignait la solitude et la plaignait souvent de ne pas avoir de compagnon pour partager sa vie. Cet évènement était un soulagement pour elle comme pour lui. Elle non plus ne voulait pas que son frère vive ce qu’elle endurait depuis seize ans qu’elle était sortie de la Coupole pour vivre en adulte. Evidemment, ses parents avaient toujours été là pour lui apporter de l’affection mais ce n’était pas pareil. Savoir qu’on ne serait jamais aimée d’amour, qu’on n’aurait jamais d’enfant, personne ne pouvait comprendre cela excepté Indis qui vivait la même chose.
La jeune reine reporta son attention sur le visage de Rune, il était radieux, vraiment heureux, cela se voyait.
- Rune, félicitations ! Je suis tellement contente pour toi ! Et félicitations à toi aussi, jeune Kentane.
- Merci, grande sœur. Je te présente Kara. C’est arrivé ce matin, juste après le premier repas. Quelle surprise que cela se produise aujourd’hui !
- Enchantée Kara, je suis très heureuse de faire ta connaissance. Et si cela arrive aujourd’hui, c’est peut-être pour nous faire comprendre que le décès de Père n’est pas une fin, mais le début d’autre chose.
Kara leva les yeux vers Siska en rougissant.
- Bonjour, Reine Siska, je suis heureuse de te connaitre moi aussi, dit-elle avec timidité.
- Ah non Kara, il n’y a pas de Reine Siska qui tienne, tu es maintenant ma sœur donc tu peux m’appeler Siska tout court. Kara, je te présente Indis, c’est ma meilleure amie et tu nous verras rarement l’une sans l’autre.
Indis fit un signe de tête aux deux adolescents pour les saluer. Elle semblait troublée, mais Siska n’était pas étonnée, elle savait que c’était un sujet très sensible pour son amie. Pour détendre l’atmosphère, elle proposa d’aller prendre le troisième repas dans la salle commune avec les autres. La soirée, puisque le troisième repas précède le moment d’aller se coucher, fut très gaie malgré le deuil qui frappait la cité. Rune n’arrêtait pas de faire le clown pour amuser ses camarades, mais surtout sa bien-aimée qui riait aux éclats à chacune de ses farces. La tension dans le corps de la jeune femme se relâchait enfin, pour la première fois depuis le moment où les guerriers étaient revenus avec le corps de son père.


Siska et Indis marchaient en silence. Elles étaient plongées dans leurs pensées et ne prêtaient pas attention à ce qui les entourait. Elles débouchèrent sur la place sans même s’être aperçues du chemin qu’elles avaient parcouru. Celle—ci était presque vide, à l’exception de quelques passants isolés. En arrivant au palais, elles se souhaitèrent un bon repos et se séparèrent. Chacune avait hâte de retrouver sa chambre et de se mettre au lit.

Siska se déshabilla rapidement et après une brève toilette, elle s’étendit sur son lit. Elle sentait la fatigue dans tous les muscles de son corps et savait qu’elle avait besoin de dormir. Ça lui permettrait au moins d’oublier quelques heures le décès de son père qu’elle n’arrêtait pas de ressasser. Elle aurait tant eu besoin de sa mère, la Reine Astal, qui n’avait pas son pareil pour l’apaiser. Mais c’était malheureusement impossible, cela faisait cinq ans qu’elle était décédée. La jeune femme ferma les yeux et tenta de faire le vide dans son esprit pour trouver le sommeil. Mais c’était plus fort qu’elle, elle ne pouvait pas s’empêcher de se remémorer la conversation qu’elle avait eu la veille avec Nerwen, le général de l’armée. Il était venu la trouver avant l’heure du premier repas et avait sollicité un entretien confidentiel avec elle. Intriguée, elle l’avait reçu immédiatement dans la salle d’entrainement du palais.
- Princesse Siska, je suis désolé de te déranger au saut du lit mais il fallait absolument que je te parle du Roi Kalihor.
- Tu ne me déranges pas, Général Nerwen, je t’écoute.
- Hier, lors de la Bataille, le Roi n’était pas dans son état normal.
- Que veux-tu dire ?
- Votre père était quelqu’un de pondéré. Lors des nombreuses Batailles auxquelles nous avons participé ensemble, il se battait par devoir sans jamais faire preuve de cruauté envers les Lümiens. Alors qu’hier, votre père paraissait enragé, il massacrait tous ses adversaires sans pendre garde à sa propre sécurité. Je pense que c’est cette attitude qui l’a mené à sa perte. J’ai tenté de le calmer pour le ramener à la raison mais il semblait ne pas m’entendre ni me voir.
- Et d’après vous, qu’est-ce qui a pu le mettre en colère au point qu’il en perde son sang-froid en pleine Bataille ?
- Justement je ne sais pas. J’ai échangé quelques mots avec lui juste avant la bénédiction du Grand Skhôl et il paraissait aussi maitre de lui qu’à son habitude. J’y ai réfléchi toute la nuit j’en suis arrivé à la conclusion que votre père avait certainement dû voir quelque chose sur le champ de bataille qui l’a rendu fou de rage.
- Vu quelque chose ? Et personne d’autre n’a rien vu ? Avez-vous interrogé les guerriers ?
- Je voulais d’abord vous faire part de mes doutes et vous demander l’autorisation de poursuivre mes investigations.
- Faites, Général Nerwen, vous avez mon entière confiance.

En y repensant, elle devait bien admettre qu’un tel comportement de la part de son père, lui si sage d’ordinaire, n’était pas normal. Et le vieux soldat combattait avec le Roi Kalihor depuis au moins quatre-vingts ans, il connaissait son frère d’armes mieux qu’elle qui n’avait jamais eu l’honneur de participer à une Bataille. S’il affirmait que quelque chose clochait, il avait sûrement raison.
Si le défunt monarque était toujours lui-même juste avant la bénédiction du Grand Skhôl, que s’était-il passé ensuite ? Un évènement s’était inévitablement produit au tout début de la Bataille. Mais quoi ? Cette question, elle se la posait sans cesse depuis la veille sans trouver de réponse. Elle ne trouvait pas ce que son père aurait pu voir de si bouleversant au point de renoncer à tous ses principes.

Agacée de ne pas trouver de réponse à ses questions et d’être définitivement incapable de dormir, Siska se leva, se rhabilla et décida d’aller se promener pour se détendre. Elle marcha machinalement, profitant du silence qui régnait. Elle réalisa que ses pas l’avaient menée à la sortie de la ville, devant le portail dimensionnel qui menait au Tombeau. C’était ainsi que les Kentans nommaient le lieu où se déroulaient les Batailles. C’était un endroit où personne n’allait jamais en dehors des combats et seuls les membres de la famille royale avaient le pouvoir d’ouvrir le vortex pour y accéder. La jeune femme se demanda si c’était un signe qu’elle soit arrivée là. Elle avait l’impression qu’elle devait aller dans le Tombeau, qu’elle trouverait des réponses. Poussée par ce pressentiment, elle ouvrit le passage en récitant la formule et foula pour la première fois le sol qui avait vu mourir tant de Kentans ces derniers siècles.















CHAPITRE 3

Siska fut assaillie par une odeur âcre et indéfinissable qui lui fit froncer le nez. L’air était chaud et sec. Le sol rocailleux, de couleur ocre, était dénué de végétation. Ce paysage désertique était délimité par une double rangée de murs à arcades d’une centaine de mètres de hauteur. On avait presque l’impression de se retrouver dans un amphithéâtre romain, sans gradin, aux proportions démesurées. Le ciel, perpétuellement orageux, laissait filtrer une lumière blafarde.
Elle frissonna malgré la chaleur ambiante. Elle était très émue de découvrir enfin le Tombeau dont elle entendait parler depuis qu’elle était petite. Ses marques de vie la prédestinaient à participer aux Batailles mais son père, le Roi Kalihor, le lui avait toujours interdit. Il avait toujours été très protecteur avec elle, trop même. La reine de Kentary leva les yeux et observa l’amoncellement de nuages noirs zébrés d’éclairs blancs. Elle était très impressionnée, elle qui n’avait connu que sa ville souterraine et regardait le ciel pour la première fois depuis le début de son existence. Ramenant son regard devant elle, elle aperçut au loin quelque chose qui ressemblait à des constructions. Elle décida de partir explorer ce nouvel endroit, après tout ce serait mieux qu’elle soit préparée pour la prochaine Bataille à laquelle, cette fois, personne ne pourrait l’empêcher de participer.
La jeune femme avança d’un pas décidé sur le sol inégal. Quand elle arriva près de ce qu’elle avait pris pour des constructions, elle se rendit compte qu’un immense fossé au fond duquel bouillonnait du magma séparait en deux camps cet immense terrain de combat. De multiples ponts, dont certains étaient très larges alors que d’autres ne pouvaient laisser passer qu’une personne, permettaient de traverser pour se rendre de l’autre côté. Ces passerelles n’étaient pas toutes faites dans les mêmes matériaux : il y en avait en pierre, en métal ou encore en verre. Aucune d’elles n’avait de garde-corps.
Siska hésita mais elle n’avait pas envie de rentrer. Elle s’approcha à pas prudents du précipice et regarda en bas. C’était vraiment très haut et elle sentait la chaleur de la lave monter vers elle. Malgré tout, il lui en fallait plus pour l’effrayer. Elle franchit d’un pas énergique l’espace la séparant du pont le plus proche, sauta dessus et se mit à courir pour le traverser rapidement. Apercevant un objet par terre, elle s’arrêta et le ramassa. Il s’agissait d’un bijou, on pouvait voir trois cercles superposés les uns sur les autres avec une pierre rouge au centre. Ce n’était assurément pas de fabrication Kentane. C’était vraiment un très joli médaillon et Siska se demanda à quel Lümien il avait bien pu appartenir et si cette personne était morte, comme son père.
Alors qu’elle était absorbée dans ses réflexions, elle s’aperçut que ses marques de vie naturellement phosphorescentes s’étaient mises à briller intensément. Elle n’eut pas le temps de se poser de questions qu’elle perçut un mouvement à quelques mètres d’elle. Siska leva vivement les yeux. Un Lümien. Ça ne pouvait être qu’un Lümien avec sa peau ivoire et ses cheveux blonds, sans parler de ses ailes orange qui trahissaient ses origines royales. Il avait un visage d’ange aux traits purs, sa robe pourpre laissait deviner une musculature impressionnante et son allure paraissait athlétique et majestueuse. Est-ce que tous les Lümiens étaient aussi beaux ? Non, il fallait qu’elle se reprenne. Les questions à se poser étaient plutôt : Que faisait-il ici ? Que devait-elle faire ? La jeune femme réalisa tout à coup qu’il était armé d’une grande épée lumineuse ! Elle n’avait pas pris ses armes mais elle pouvait toujours se battre avec sa magie. Cela dit, il ne paraissait pas menaçant, lui aussi l’observait avec curiosité. Il semblait aussi surpris qu’elle. Ils se jaugèrent ainsi pendant un moment qui parut durer une éternité.
Lum-Khaï utilisa ses pouvoirs pour faire disparaitre son arme et rompit le silence :
- Je ne te veux aucun mal, je suis venu chercher ce médaillon. Il appartenait à ma mère. Il est…très important pour moi.
Les yeux de la Kentane se plissèrent, puis elle répondit d’une voix claire :
- Appartenait ?
Evidemment. Le jeune Roi comprit que les Kentans ne devaient pas être au courant de la mort de sa mère et par conséquent, de sa montée sur le trône de Lüma.
- La Reine Lum-Cis est morte des suites de ses blessures. Je suis son fils, Lum-Khaï.
- Toutes mes condoléances, je ne savais pas qu’elle avait été blessée sur le champ de bataille.
Le Lümien fut très surpris par cette réponse car sa tristesse semblait sincère.
- Je te remercie. Je sais que tu es en deuil toi aussi. Je ne pense pas que nous battre aujourd’hui serait une bonne chose pour nos deux peuples.
Avançant de quelques pas, Lum-Khaï tenta de se faire le moins menaçant possible. A cet instant, la foudre frappa le pont à seulement quelques mètres d’eux. Siska sursauta, surprise par ce phénomène naturel. Elle fit un bond sur le côté. Son pied glissa sur le rebord, elle perdit l’équilibre et chuta dans le vide. Une seule pensée lui traversa l’esprit, elle allait mourir ici, comme son père. Disparaitre dans la lave et personne ne saurait jamais ce qui lui était arrivé.
Tout à coup, elle sentit les bras puissants de Lum-Khaï l’encercler. Prise de panique, elle se débattit violemment, distribuant coups de pied et coups de poing pendant que le jeune homme peinait à les remonter vers la surface. Le binôme percuta durement la surface du pont et s’échoua sur le sol. Sans perdre de temps, Siska se remit sur ses pieds et se tint prête à attaquer. Mais le Lümien ne bougeait pas, il restait étendu sur la passerelle. La Kentane s’approcha prudemment et remarqua du sang qui coulait sur son front et sur ses cheveux. Il avait perdu connaissance mais il était vivant. Ne devrait-elle pas en profiter pour le tuer ? Cet homme était un ennemi et il était à sa merci. Mais il lui avait sauvé la vie. Pourquoi ne l’avait-il pas laissée mourir ? Siska hésita plusieurs minutes. C’est alors qu’elle aperçut une lumière intense émanant de son dos. Elle s’accroupit près de lui, écarta un pan de tunique déchiré entre les deux ailes et découvrit une marque de vie symbolisant l’esprit guerrier. Impossible ! A sa connaissance, seuls les Kentans avaient des marques semblables. Ce Lum-Khaï représentait un mystère et son instinct lui soufflait de ne pas le tuer. Elle déposa délicatement le médaillon, qu’elle avait gardé serré dans sa main, à côté de son visage, se releva et prit sa course vers le portail qui la ramènerait à Kentary.

Lum-Khaï reprit connaissance quelques instants plus tard, une douleur lui vrillant la tempe droite. En se redressant, il remarqua le médaillon de sa mère et le ramassa en souriant. Ainsi donc, cette jeune furie lui avait rendu le bijou et lui avait même laissé la vie sauve !
Pourtant, quand il l’avait aperçue pour la première fois, ce n’est pas le dénouement qu’il avait imaginé. En effet, après avoir trouvé le lieu de l’affrontement entre sa mère et le roi Kalihor, il avait replié ses ailes et s’était préparé à descendre vers la passerelle lorsque son regard s’était posé sur la Kentane qui semblait ramasser quelque chose sans avoir pris conscience de sa présence.
Son cœur s’était serré lorsqu’il avait compris ce qui se passait sous ses yeux et il avait plongé tel un aigle en chasse vers le sol. Il avait atterri avec force à une bonne dizaine de mètres d’elle, avait déployé ses magnifiques ailes et déclenché sa magie. Capable de donner de la matière à la lumière, il avait créé un impressionnant espadon* juste avec son esprit. L’arme brillait tel un soleil dans le creux de sa main.
Néanmoins, il avait été surpris par deux choses. D’une part, son adversaire l’avait regardé sans peur, voir même avec arrogance. D’autre part, l’autre point encore plus surprenant était… sa beauté. Lum- Khaï n’avait jamais vu une Kentane aussi belle. Ses longs cheveux cuivrés descendaient en cascade sur ses épaules et les courbes de son corps étaient parfaites.
Au même moment, il avait compris que son adversaire n’était pas n’importe qui. Sur son front brillait le signe si particulier de la famille royale Kentane. Il avait certainement face à lui la descendante de Kalihor. Roi depuis peu, Lum-Khaï avait connu pour la première fois le doute. Il avait certainement face à lui la seule personne qui pouvait lui tenir tête, voir le vaincre.

L’esprit embrouillé et plein de questions, le roi Lümien prit son envol vers le portail de Lüma. Sachant que nombre de Lümiens, lors de l’âge du doute, avait péri en essayant de fuir la malédiction par les cieux, il vola à basse altitude afin de ne pas être victime des éclairs mortels qui déchiraient le ciel du champ de bataille.



























CHAPITRE 4

Lum-Khaï franchit le portail, laissant derrière lui des volutes de flamme. Il atterrit ensuite lourdement sur le sol, prêt à refermer la stèle, lorsque Bolnac l’apostropha, accompagné de plusieurs guerriers.
- Khaï ! Nous étions prêts à utiliser le portail. On nous a rapporté que tu avais bondi seul à l’intérieur. Mais quelle folie s’est emparée de toi !
- Ça ne sera pas la peine mon ami, répondit de le jeune Roi avec légèreté. J’ai ce que je cherchais… bien que mon voyage ne se soit pas du tout passé comme je l’avais imaginé.
Sous le regard médusé de la garde royale, Khaï se dirigea vers la stèle et entama le processus de fermeture. Une fois fait, il se retourna vers son ami et lui frappa l’épaule du plat de la main.
- Du calme, tout va bien. Allons chez moi, j’ai besoin de me changer.
Bolnac renvoya les gardes avant de jeter un regard noir au jeune Roi qui s’était déjà envolé vers son arbre bulle. Lorsque le général en chef des armées Lümiennes se posa à son tour, il trouva son jeune seigneur sur la terrasse, une tunique propre sur lui.
- Vas-tu enfin me dire ce qui s’est passé ? Nous étions tous très inquiets. Si tu venais à disparaitre, le peuple de Lüma serait à la merci de Kentary !
- Et il n’en est rien alors calme-toi. Veux-tu un verre de liqueur Ligante ?
Le meilleur ami de Khaï souffla, un demi-sourire aux lèvres avant de céder.
- Si je dois en passer par là pour connaitre ton récit ! Et ne me sers pas une dose pour Anklème, je ne suis pas moine.
Partageant la bonne humeur naissante de son ami, Lum-Khaï servit deux grands gobelets de liqueur. Bolnac sentit l’arôme du sien avant de le porter à ses lèvres.
- Que l’on me coupe les ailes si ce n’est pas la meilleure chose au monde, rugit-il après avoir vidé sa chope.
Issu de la bave des limaces vivant sur les arbres-bulles, la liqueur Ligante était le met favori des Lümiens. Et parmi tous les Lümiens, Bolnac était celui qui l’aimait certainement le plus.
- Voilà des paroles qui volent ! répondit Khaï en s’asseyant dans l’un des grands fauteuils de bois sculpté qui lui servait de salon d’extérieur.
Se joignant à son ami, Bolnac se cala au fond d’un siège avant de revenir à un sujet plus sérieux.
- Alors, vas-tu me dire ce qui t’es arrivé ?
Lum-Khaï le fixa un long moment, comme s’il rêvait encore d’un moment passé avant d’annoncer un grand sourire aux lèvres :
- J’ai fait la connaissance de la fille de Kalihor.
Bolnac manqua de s’étouffer.
- De quoi ? Que viens-tu de dire ?
- Je suis allé chercher ce médaillon, enchaina Khaï sans laisser plus de temps à son ami. Ne me demande pas pourquoi, mais elle était là. Juste à l’endroit où ma mère avait vaincu son père.
- C’est elle qui t’a fait ça ?
- Oui… enfin non. C’est compliqué.
Le guerrier se leva pour se servir une nouvelle rasade de liqueur avant de faire de même pour Khaï.
- Alors comme ça, Kalihor avait une fille. Ça doit être une bagarreuse pour être capable de te tenir tête.
- Disons qu’elle a un sacré tempérament… se remémora Khaï qui ne put s’empêcher de sourire.
Son interlocuteur fronça les sourcils avant de reprendre plus sérieusement :
- Si je ne te connaissais pas bien, je pourrais croire que cette fille te plait… as-tu besoin que je te rappelle qui tu as enterré ce matin même ?
- Je ne te le conseille pas, répondit le monarque avec froideur.
Il laissa sa colère passer avant de reprendre plus calmement.
- Justement, elle ne savait pas pour Lum-Cis.
- Ce n’est pas étonnant, comment voudrais-tu que les Kentans le sachent ? Mais je sens que ce n’est pas ce qui te perturbe.
- En effet, souffla Khaï. Elle semblait…triste pour moi. Si les Kentans avaient empoisonné ma mère, pourquoi semblait-elle étonnée et compatissante, ça ne colle pas.
Bolnac parut embarrassé par les paroles de son ami. Il chercha pendant quelques secondes les bons mots, ce qui laissa planer un silence assez gênant.
- Tu sais, il est possible que son père n’ait pas parlé à sa fille de son plan ou… qu’elle se soit joué de toi.
Lum-Khaï foudroya son ami du regard :
- Me prendrais-tu pour un imbécile ?
- Non, mon roi, mon ami. Mais par quelqu’un qui semble très troublé par la nouvelle reine des Kentans. Ce peuple est fourbe, sans honneur. Il nous l’a prouvé à maintes reprises.
- Je le sais ! s’emporta Khaï. Crois-tu que ton enseignement est tombé dans l’oubli ou que la mort de ma mère soit pardonnée ? Mais tu n’étais pas là !
- Tu as raison, temporisa Bolnac. Tu as toujours su faire preuve de sagesse et ce, malgré ton jeune âge. Tu dis qu’elle a eu l’air vraiment triste pour toi. Alors comment en es-tu arrivé là ? finit-il par dire en pointant du doigt sa blessure ainsi que sa tunique déchirée qui trônait sur la table.
Khaï se mit une fois de plus à sourire. Comme si se retrouver dans un tel état était un agréable souvenir.
- Disons qu’elle a trouvé le médaillon de ma mère avant moi et que j’ai voulu le lui reprendre.
- Enfin des paroles sensées ! J’espère qu’elle est repartie en pire état que toi puisque tu as obtenu gain de cause.
Voilà une question dont Khaï n’avait pas la réponse. Sentant le sujet sensible pour son ami, il opta pour une réponse plutôt vague :
- Disons qu’elle m’a rendu le médaillon avant de filer.
- Espérons que cela lui serve de leçon. Quand à toi, promets-moi de ne pas retourner là-bas sans une solide escorte !
- Tu as ma parole. Maintenant, si ça ne te dérange pas, j’aimerais me reposer. La journée qui m’attend me fait bien plus peur qu’une bataille dans la Nécropole.


Une fois parti, Lum-Khaï se retrouva seul avec ses pensées. Bolnac avait raison. La rencontre avec la fille de Kalihor l’avait perturbé. Il ne pouvait se résoudre à croire que la Kentane lui avait menti. Il se remémora ce court instant où il l’avait tenue dans ses bras.
Ne prenant même pas la peine d’aller se coucher, Khaï resta sur le toit de sa demeure à contempler le coucher de Meruc, le troisième soleil. Il aimait ce moment si particulier, juste avant que Ranus ne se lève, où leurs rayons se croisaient, offrant un crépuscule aux couleurs vertes sur toute la partie ouest de Lüma, alors que la partie est se recouvrait d’une douce aurore bleutée.
Juste avant de sombrer dans un sommeil réparateur, le jeune Roi se demanda si la belle Kentane aux cheveux cuivrés pensait elle aussi à lui à ce moment-là.


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B-Chevalier

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Re: Ennemis pour l'éternité

Message par B-Chevalier »

Siska se réveilla tard. Après avoir fait une toilette minutieuse, elle serra la masse de ses cheveux dans une résille d’or en laissant retomber quelques mèches autour de son visage. Puis elle revêtit une robe de simple velours noir, mais un merveilleux velours souple qui, tel un drap mouillé, épousait les courbes de son corps jusqu’aux genoux et finissait par une courte traine. Les manches, très longues et flottantes, retombaient au sol. Le seul ornement était son collier royal.
La jeune femme descendit ensuite à la cuisine pour prendre un copieux repas, le premier de la journée, composé de pain à base de farine de mora, une plante poussant dans le lac, de poisson frit, de confiture et d’une salade de fruits. Indis la rejoignit alors qu’elle commençait tout juste à manger et s’attabla avec elle.
- Bonjour ma belle, tu es vraiment en beauté ce matin, tu fais honneur à ton nouveau statut et je suis très fière de toi, déclara-t-elle en se servant copieusement.
- Merci pour ce compliment mais ne t’emballe pas trop, c’est juste en l’honneur de la réunion du Conseil qui se tient tout à l’heure. Je ne compte pas abandonner ma tenue préférée, répondit Siska avec un clin d’œil.
- Je vois, dit-elle avec un sourire. Sinon, tu as réussi à dormir ?
La souveraine posa sur son amie un regard énigmatique. Elle laissa planer quelques secondes de silence puis lui raconta son escapade. Indis écouta attentivement son récit et prit quelques minutes de réflexion avant de prendre la parole.
- Donc, la reine de Lüma est morte ? murmura-t-elle pour elle-même. Je me demande pourquoi son fils t’a sauvé la vie ?
- Je ne sais pas, moi aussi justement je me pose la question. Mais peut-être qu’il voulait juste récupérer le médaillon. Après tout, si j’étais tombée dans la lave, son bijou aurait été perdu puisque je le tenais dans ma main.
- C’est possible, en effet. Mais peut-être y a-t-il une autre raison ?
- Je ne vois pas laquelle, si tu penses à quelque chose, dis-le franchement au lieu de jouer aux devinettes, répliqua Siska.
- D’accord, ne te fâche pas. Tes marques de vie se sont mises à scintiller et tu m’as dit que lui aussi avait une marque de vie dans le dos qui brillait. Je pense que vous vous êtes liés l’un à l’autre.
- Mais c’est impossible ! Lum-Khaï n’est pas Kentan, on ne peut pas se lier avec un membre d’une autre race !
- C’est vrai et il y a là un mystère à élucider mais je ne vois pas d’autre explication au scintillement de vos marques de vie. Tu as dit toi-même que tu étais troublée et que ton instinct t’avait poussée à ne pas le tuer, alors que c’est ce que tu aurais fait avec n’importe quel autre Lümien que tu aurais rencontré.
- Mais savais-tu que les Lümiens avaient aussi des marques de vie ?
- Non, je ne savais pas. Il faudrait interroger les Skhôls à ce propos, ce sont eux les repères pour notre mémoire d’avant le Grand Sommeil.
- Oui, je vais m’en occuper. Ce qui est sûr, c’est que si tu as raison, ça ne peut être qu’une malédiction supplémentaire. Aimer une personne que l’on ne peut voir que pour se battre …
Indis prit la main de son amie dans la sienne, ce simple geste suffisait le plus souvent à l’apaiser, et cette fois encore la magie opéra. Siska se détendit et finit même par retrouver le sourire.
- Merci pour ton aide, Indis. Je veux bien que tu te renseignes auprès des Skhôls mais sois très discrète, je ne veux pas qu’ils sachent ce qui s’est passé. Mon père ne leur faisait pas entièrement confiance alors je préfère être méfiante.
- Je vais m’en occuper.
Elles finirent leur repas avec enthousiasme puis se séparèrent après une brève étreinte, Indis pour aller au temple rencontrer les Skhôls et Siska pour se rendre à la réunion du Conseil.

La salle du Conseil était une pièce circulaire, de dimension raisonnable et disposant d’une grande table rectangulaire et de chaises à hauts dossiers. Les représentants des quatre confréries de Kentary étaient assis autour de la table.
Le Général Nerwen était le représentant de la confrérie de l’esprit guerrier, les membres étaient tous d’une force peu commune, d’une agilité exceptionnelle et d’une bravoure incomparable. Ils constituaient l’armée de Kentary.
Valda, la directrice de la Coupole, était la responsable de la confrérie du lien spirituel dont les membres manifestaient une empathie, une générosité et une patience surprenantes. Les nessas, les sages-femmes et les guérisseurs appartenaient à cette corporation.
Eléa, la conseillère royale, représentait la confrérie de la sagesse dont les membres montraient une intelligence et un bon sens accrus. Les Référents de quartier (qui organisaient et rendaient la justice), les médecins, les conseillers et les gardiens de la mémoire ancestrale en faisaient partie.
Rorgan, pour finir, incarnait la confrérie de la pensée créative. Leurs membres imaginaient, construisaient et mettaient en œuvre des concepts neufs, des objets nouveaux ou découvraient des solutions originales à des problèmes dans des domaines variés tels que l’architecture, l’agriculture, la gastronomie ou l’art. Ils exerçaient comme bâtisseurs, agriculteurs, cuisiniers ou artistes.
L’appartenance à l’une ou l’autre de ces confréries était définie par l’apparition de la première marque de vie sur le corps d’un Kentan, dès les premiers jours qui suivaient sa naissance. Au fil des ans, d’autres marques apparaissaient, la plupart étaient identiques à la première mais quelques-unes pouvaient appartenir aux trois autres confréries.
Seuls les membres de la famille royale appartenaient à deux confréries car ils avaient deux groupes de marques de vie en grand nombre. Ainsi Siska appartenait à la fois à la confrérie de l’esprit guerrier et à celle de la sagesse, comme son père, ce qui la prédestinait à son rôle de reine.
La marque de l’esprit guerrier ressemblait à une encre marine, celle du lien spirituel avait la forme d’une spirale, celle de la sagesse représentait un œil et celle de la pensée créative s’apparentait à un arbre.
Une dernière marque de vie existait : celle de la royauté qui ressemblait à une couronne et que tous les Kentans de sang royal portaient sur le front dès leur naissance.
Tous ces signes étaient légèrement phosphorescents et se mettaient à scintiller en présence du conjoint.
Chaque Kentan pouvait pratiquer de la magie qui était en lien avec la confrérie à laquelle il appartenait.

Pour l’heure, Siska présidait la table du Conseil autour de laquelle les quatre représentants et le Grand Skhôl étaient assis. La souveraine fut surprise par la présence de ce dernier. Généralement, un simple Skhôl assistait au Conseil, le dirigeant des prêtres réservant ses sorties aux annonces des Batailles et aux cérémonies d’inhumation.
Elle laissa les uns et les autres lui prêter serment d’allégeance puis le Grand Skhôl prit la parole :
- Reine Siska, je te remercie de nous accueillir aujourd’hui. J’ai tenu à assister personnellement à cette réunion pour te rappeler ton Histoire et l’importance de perpétuer le travail accompli par le roi Kalihor. Il y a deux mille ans, les Lümiens et les Kentans ont déçu les Dieux pour avoir voulu prendre leur place. En représailles, vous avez été plongés dans le Grand Sommeil pendant plus d’un siècle. C’est à nous, les Skhôls, qu’a incombé la tâche de veiller sur les Kentans. Au réveil, ton peuple et celui de Lüma avaient perdu la mémoire. C’est encore nous, épargnés par le mauvais sort grâce à notre loyauté envers les Dieux, qui avons été la mémoire de votre Histoire, depuis vos origines jusqu’à votre renaissance. Nous vous avons annoncé la malédiction choisie par les Dieux pour vous punir : vous devrez boire chaque jour à la source sacrée pour ne pas tomber à nouveau dans un profond sommeil, puis mourir. Cette source se remplit à chaque fois que vous livrez bataille contre les Lümiens. Afin de remercier les Dieux pour la deuxième chance qui a été offerte à ton peuple, il est de ton devoir de répondre à leur appel quand ils exigent le sacrifice d’une Bataille.
- Je te remercie pour ce rappel, Grand Skhôl. Il est dans mon intention de marcher dans les pas du roi Kalihor qui était un guide pour notre peuple et pour moi. Membres du Conseil, je souhaite que dès demain, le deuil prenne fin et que les activités reprennent. Les entrainements des guerriers reprendront également, j’y participerai chaque jour comme je le faisais du vivant du roi Kalihor. Nous devons nous tenir prêts pour la prochaine Bataille. D’autre part, nous tiendrons Conseil tous les sept jours, comme cela se faisait jusqu’à maintenant. Le Conseil est terminé pour aujourd’hui, je vous remercie d’être venus.

Siska attendit que tout le monde soit sorti et resta seule, pensive. La diatribe du Grand Skhôl l’avait mise mal à l’aise, elle l’avait ressentie comme une menace. Son père avait sûrement raison de ne pas leur faire confiance.
Les Skhôls n’appartenaient pas à leur race, ils n’avaient pas la peau orange comme les Kentans mais plutôt pâle, ils n’avaient pas non plus de marques de vie et ne pouvaient pas utiliser la magie. Leur espérance de vie était bien inférieure à celle du peuple de Kentary : là où un Kentan pouvait vivre jusqu’à deux-cent-cinquante ans, un Skhôl ne pouvait pas dépasser l’âge de quatre-vingt-dix ans. Par ailleurs, ils ne vivaient pas parmi eux mais dans le temple. C’était une véritable communauté, les prêtes et prêtresses étaient en couple entre eux, avaient des enfants qui devenaient à leur tour prêtres. Leurs habitations se situaient dans une partie du temple à laquelle les Kentans n’avaient pas accès, pas même elle. Son père lui avait raconté qu’il avait demandé à visiter les lieux à plusieurs reprises mais les Skhôls le lui avaient toujours refusé. Il avait même eu l’idée de s’y introduire clandestinement, mais n’avait pas trouvé le moyen d’y parvenir, il n’existait qu’un seul accès à l’intérieur du temple qui était gardé et cadenassé. Le roi Kalihor était convaincu que pour être autant protégé, cet endroit cachait quelque chose. Il faudrait qu’elle creuse aussi le sujet.
Siska laissa son esprit vagabonder et dériver vers le Roi de Lüma. Elle revit son visage aux traits purs, tellement beau et parfait qu’on aurait pu le confondre avec une statue, son corps sculpté par l’exercice. Elle se rappela sa voix chaude au timbre doux, prenant et attirant. Elle avait la sensation renversante d’avoir des papillons dans le ventre.



Indis chercha son amie dans tout le palais. Elle finit par la retrouver dans la salle du Conseil, affalée sur sa chaise à haut dossier, les yeux rêveurs, un léger sourire aux lèvres. A la voir ainsi, avec cet air un peu niais, le même que celui qu’avaient les filles de la Coupole les jours suivants le lien avec leur âme-sœur, il ne faisait aucun doute pour Indis que la jeune souveraine s’était lié à cet homme qu’elle avait rencontré. Elle enviait Siska qui connaissait enfin l’amour, elle aurait tout donné pour être à sa place.
Elle préféra la laisser à sa rêverie puisque qu’elle n’avait rien d’intéressant à lui apprendre. En effet, les Skhôls lui avaient assuré qu’aucun Lümien n’avait jamais eu de marques de vie. Une telle question les avait même sidéré tant cette idée leur paraissait absurde. Indis avait préféré battre en retraite pour ne pas se faire remarquer. Mais elle ne s’était pas découragée pour autant, elle était allée interroger les gardiens de la mémoire ancestrale. Ceux-ci faisaient partie de la confrérie de la sagesse, comme elle, et étaient en charge de la Bibliothèque. Les gardiens relataient tous les évènements importants de Kentary et en particulier les Batailles. Ces récits étaient consignés dans des sphères de mémoire, toutes entreposées dans ce lieu sacré. Il suffisait de poser sa main sur l’une de ces boules pour voir, comme un spectateur devant un film, tout ce qu’elle contenait. Cela représentait un énorme travail car les gardiens devaient interroger les personnes pour voir si les faits dont ils avaient été témoins semblaient intéressants, puis se connecter à leur mémoire grâce à leur magie pour pouvoir capturer ces instants dans une sphère.
La chance avait été de son côté car en arrivant à la Bibliothèque, le premier gardien qu’elle avait croisé n’était autre qu’Olorin, une de ses meilleures amies. Lorsqu’elles étaient à la Coupole avec Siska, un groupe d’amis s’était formé autour d’elles, de véritables amis : fidèles, attentionnés, drôles et un peu fous. Ils avaient passé de belles années ensemble et avaient imaginé des bêtises toutes plus originales les unes que les autres. Olorin faisait partie de ce groupe auquel appartenaient aussi Tana, Rorgan et Cyrion. Indis savait pouvoir poser toutes les questions qu’elle voulait sans crainte. Mais malgré tous les efforts de son ancienne camarade de jeux, elles n’avaient rien trouvé laissant supposer l’existence de marques de vie chez les Lümiens.





Quelques jours plus tard, le Général Nerwen vint faire son rapport à Siska. Elle le reçut dans la salle d’entrainement où elle passait une partie de la journée. Malheureusement son enquête n’avait rien donné. Certes, les guerriers avaient remarqué la cruauté du roi Kalihor pendant la Bataille, mais rien qui pût la justifier.
Siska avait l’impression de piétiner, elle ne trouvait aucune explication à l’attitude étrange de son père lors de son dernier combat, elle n’avait pas trouvé non plus de renseignement quant à l’existence d’une marque de vie dans le dos de Lüm-Khaï. Elle passait ses journées à s’entrainer pour s’éviter de penser à toutes ces questions sans réponse et surtout au roi de Lüma qui hantait ses rêves. Elle appréhendait la prochaine Bataille car elle se savait incapable de se battre contre Lüm-Khaï si jamais elle se retrouvait face à lui. Plus elle y pensait, plus l’idée d’empêcher le prochain combat s’imposait à elle. Mais comment ? Si la Bataille n’avait pas lieu, la source sacrée ne se remplirait pas et tous les Kentans finiraient par mourir. Elle savait que son père avait beaucoup œuvré pour trouver le moyen d’éviter les Batailles mais il n’avait pas trouvé de solution. Elle ne savait même pas ce qu’il avait envisagé.
Elle décida donc de profiter de la présence du Général Nerwen, qui avait été le bras droit de son père, pour en discuter avec lui.
- Général, si je peux me permettre, tu étais bien le principal conseiller de mon père, son confident même ?
- Je crois avoir eu cet honneur, Reine Siska.
- Je sais que le roi Kalihor essayait par tous les moyens de trouver une solution pour faire lever la malédiction des Dieux. Mais il me tenait à l’écart pour me préserver. Donc je ne sais pas quelles pistes il avait explorées. Et c’est là que je vais avoir besoin de ton aide. Je voudrais que tu m’épaules comme tu le faisais avec mon père, pour continuer ensemble le travail qu’il avait entrepris.
- C’est une immense faveur que tu me fais, Reine Siska. Tu peux compter sur moi comme le roi Kalihor le faisait.
- Je veux que nous travaillions main dans la main, et pour ce faire tu dois commencer par me dire ce que mon père avait essayé, même si cela n’a abouti qu’à des échecs.
- Reine Siska, je ne demande qu’à t’aider. Mais je te mets en garde, la voie choisie par le roi Kalihor lui a attiré la colère des Dieux.
- Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
- Comme je te l’ai dit, personne n’a rien vu lors de la dernière Bataille qui puisse expliquer la rage qui habitait ton père. Il savait que ce qu’il avait ébauché pouvait provoquer la colère des Dieux, et je pense que c’est ce qui s’est passé. Cette colère incontrôlable qui l’a mené à sa perte est une punition des Dieux.
- Mais qu’a-t-il fait pour risquer des représailles divines ?
A cette question, le visage du Général Nerwen se décomposa. Il jeta plusieurs regards furtifs dans la pièce, comme s’il pensait être espionné. Pour répondre, il baissa tellement la voix que Siska dût se rapprocher pour l’entendre.
- Le roi savait que les Batailles sont inévitables, nos ancêtres ont tenté de ne pas se soumettre à l’appel des Dieux et en ont payé le prix de leur vie pour beaucoup d’entre eux. A force de réfléchir à une solution, il a fini par douter de l’existence des Dieux. Il pensait qu’au bout de deux mille ans, ce n’était pas normal que la malédiction n’ait toujours pas été levée alors que les deux peuples s’étaient toujours rendus aux combats. Il ne comprenait pas à quel jeu jouaient les Dieux, et en a conclu qu’ils n’existaient pas et que c’était une duperie. Il a voulu faire part de ses doutes à la reine de Lüma et ils se sont rencontrés à plusieurs reprises dans le plus grand secret.
- Mais comment ont-ils fait pour se rencontrer sans que personne ne soit au courant ?
Les sens toujours aux aguets, le vieux guerrier enchaina :
- A la fin d’une Bataille, le roi a discrètement donné rendez-vous à la reine Lum-Cis le lendemain au Tombeau. Je suis allé la chercher et l’ai ramenée incognito à Kentary. Pour ne pas que sa présence s’ébruite, elle a logé chez moi. Ils se sont entretenus pendant plusieurs heures, ton père a insinué le doute dans l’esprit de la Lümienne. Ils ont décidé de se revoir clandestinement avant chaque Bataille. Le plan du roi était simple : si les Dieux existaient, ils désapprouveraient leurs rencontres et finiraient par se manifester. Mais il ne s’est jamais rien passé et cela a conforté ton père dans l’idée que les Dieux n’existaient pas. Mais sa mort tend à prouver qu’il s’est trompé…
- Ça explique la mort de la reine Lüm-Cis, elle aussi aura été punie en même temps que mon père … murmura Siska.
- Lüm-Cis est morte ? s’écria le Général Nerwen. Mais comment ?
Sa voix se cassa sur le dernier mot et il retint avec difficulté un sanglot. Siska le regarda avec étonnement.
- Tu parais vraiment affecté par cette nouvelle, souligna-t-elle doucement.
- Lüm-Cis était très chère à mon cœur. Cela faisait une trentaine d’années qu’elle venait la veille de chaque Bataille et logeait chez moi à chacune de ses visites. Au fil des années, nous nous étions rapprochés et avions beaucoup d’affection l’un pour l’autre. Mais comment sais-tu que la reine de Lüma est morte ? Elle était à peine blessée après la dernière Bataille.
La jeune reine rougit brusquement, elle avait commis une grave maladresse. Mais elle ne pouvait plus reculer, elle devait lui dire la vérité. Elle lui raconta sa rencontre avec Lüm-Khaï mais en passant sous silence le scintillement de ses marques de vie.
Nerwen écouta avec attention le récit de Siska puis réfléchit longuement, tellement longtemps que lorsqu’il reprit la parole, la jeune femme sursauta.
- Reine Siska, tu ne dois plus le revoir en dehors des Batailles. C’est le chemin qu’avait suivi le roi Kalihor et le même sort funeste sera au bout du chemin si tu recommences.
- Je comprends tes craintes et rassure-toi, il n’est pas prévu que l’on se revoie. Notre rencontre était un accident et nous avons à peine échangé quelques mots. Penses-tu que Lüm-Khaï était au courant des visites de sa mère ?
- Non, Lüm-Cis n’avait mis aucun des siens dans la confidence, pas même son fils. Avant la dernière Bataille, ils avaient justement discuté de la façon de vous annoncer, à toi et à son fils, que les Dieux n’existaient pas.
- Mais si la reine et mon père pensaient que la malédiction n’était pas divine, comment expliquaient-ils le remplissage de la source sacrée après chaque Bataille ? Et qu’on meure si on n’en boit pas tous les jours ?
- Ils avaient plusieurs hypothèses. Lüm-Cis pensait que les Dieux étaient peut-être morts et qu’il fallait tenter de ne plus boire à la source pour voir si ça provoquait toujours la mort. Votre père pensait plutôt que les Dieux n’avaient jamais existé et que ce phénomène n’avait rien de divin. Il envisageait que les Skhôls n’aient pas dit toute la vérité après le Grand Sommeil.
- Je sais que mon père ne leur faisait pas confiance. Mais la mort simultanée des souverains des deux peuples nous prouve qu’il s’est trompé et que les Dieux existent toujours. Peut-être était-il aussi dans l’erreur pour les Skhôls ? Il voulait tellement lever la malédiction qu’il était prêt à trouver n’importe quel coupable. Nous sommes donc revenus au point de départ. Plutôt que de s’unir avec les Lümiens, peut-être qu’on devrait plutôt ouvrir un dialogue avec les Dieux. C’est eux qui sont à l’initiative de notre malheur donc je trouve normal d’essayer de négocier avec eux.
- C’est une idée qui avait effleuré ton père. Mais pour parler avec les Dieux, il faut passer par les Skhôls et il ne voulait pas faire appel à eux.
- C’est vrai qu’il pouvait être buté parfois. Je vais essayer d’en parler au Grand Skhôl. Pour le bien de notre peuple, on ne peut pas ignorer cette alternative. J’aimerais que tu m’accompagnes lorsque j’irai m’entretenir avec lui.
- Bien entendu, Reine Siska. Je serai honoré de t’accompagner.
- Avant que je te libère, peux-tu me dire qui était dans la confidence pour les visites de la reine Lüm-Cis ?
- Il n’y avait que moi, le roi Kalihor avait beaucoup de mal à accorder sa confiance.
- Cela doit rester ainsi. Seule Indis sera dans la confidence avec nous. Je te ferai savoir quand nous irons voir le Grand Skôl. A bientôt, Général Nerwen.


********
Les semaines passèrent, laissant le temps de panser les blessures de la dernière bataille. L’immense cité d’arbres-bulle de Lüma était située sur une ile. L’océan sans fin composait le reste de leur planète.
Malgré les recommandations des Anklèmes, les Lümiens partirent après le long sommeil explorer cet océan afin de découvrir une terre où ils ne seraient plus sous le regard des Dieux. Malheureusement, de mémoire de Lümien, jamais personne n’était revenu d’une telle expédition.
C’est ce que Lum-Khaï observait du haut de sa demeure sous la chaleur écrasante des trois soleils : Ranus, Arss et Meruc. Les apparences permettaient aux Lümiens de croire à un mirage. Comme si leur vie pouvait se résumer à séjourner sur une ile paradisiaque, pêcher, faire l’amour, se battre… Mais au fond lui, Khaï ne voyait en cela qu’une chose : son peuple n’était pas maitre de son destin. Comme tous les jours, chaque Lümien commençait sa journée par aller boire à la source. On devrait dire « boire à la malédiction », pensa le jeune roi d’humeur maussade.
Ce fut une fois de plus son fidèle ami Bolnac qui le tira de ses pensées. A peine ce dernier se posa-t-il sur la plate-forme de la demeure royale qu’il apostropha son seigneur afin de le mettre en condition pour la nouvelle qu’il venait lui annoncer.
- Encore à regarder ton royaume ! Veux-tu que je fasse venir l’un des artistes sans entrejambe qui vit dans les maisons basses de cette cité pour en faire une gravure sur ton arbre-bulle ?
- Je te sens en forme mon ami, répondit Khaï en enlevant sa tunique, révélant son torse musclé et glabre.
- Remet ta niroine, frimeur ! Je ne viens pas te donner la fessée. Le grand Anklème te réclame. Il a, à priori, une surprise pour toi, un présent.
Khaï se figea.
- Tu en es certain ? Ce n’est pas pour…
- Non mon frère. Entends-tu les tambours de guerre ? Il est venu me voir ce matin pendant que je buvais à la source. C’est lui en personne qui m’a prié de te prévenir.
- Alors ne le faisons pas attendre, répondit Khaï en remettant sa tunique.
La main ferme de Bolnac se posa sur son épaule. Son regard était devenu dur et il plongea son regard bleu nuit dans le sien :
- Puis-je te faire une suggestion, mon roi ?
Surpris par un tel comportement, Khaï se retrouva instantanément plongé dans son enfance et considéra à nouveau le Lümien qui lui faisait face comme son mentor.
- Je t’en prie.
- Ne lui parle pas de ta rencontre avec cette Kentane. J’ai comme le sentiment que ça ne serait pas vu d’un bon œil.



Il ne leur fallut que quelques minutes pour se rendre au temple du grand Anklème. Ce dernier se trouvait complètement à l’Est de l’ile, sur une bute surplombant l’océan. Pour certains, il représentait le lieu le plus paisible de Lüma. Isolé à plusieurs centaines de mètres du premier arbre-bulle, seul le bruit des vagues caressant le sable chaud brisait le silence religieux entourant l’édifice.
Comme tous les temples de l’ile, ce dernier était fait en pierres taillées. De forme rectangulaire avec une tour en son centre, on aurait dit une masse géante. Parfois, Khaï se demandait si les Anklèmes ne venaient pas d’un autre monde, tellement ils étaient différents des Lümiens.
Le Grand Anklème patientait devant les deux grandes portes en bois sculptées, en compagnie d’un jeune homme. Le temps de grimper les marches les séparant, Khaï eut le loisir de détailler ce nouvel individu bien singulier. Crâne rasé, pas d’ailes, une robe d’Anklème jaune et orange, les premiers signes étaient sans appel : un Anklème parmi tant d’autres. C’est en s’approchant qu’il put voir des différences notoires : la corpulence de l’individu était bien supérieure à la moyenne des moines et il devait faire presque deux mètres, ce qui le rendait à peu de chose près aussi grand qu’un « petit » Lümien. Khaï, quant à lui, le dépassait encore d’une bonne tête là où le grand Anklème ne dépassait pas son sternum.
- Bonjour Grand Anklème.
- Bonjour à toi, jeune roi. Bonjour à toi aussi, Bolnac. Merci d’avoir répondu à mon appel.
Le Grand Anklème, caché derrière son masque, parlait d’une voix forte. Malgré sa position de souverain, Khaï ne pouvait s’empêcher d’être impressionné par le personnage.
- Je voulais te présenter ce prêtre. Il s’appelle Nathan.
- Il n’a pas vraiment l’air d’être l’un des vôtres. Il parait moins… frêle, ironisa Bolnac en dévisageant l’individu.
L’intéressé sourit, dévoilant une rangée de dents blanches sous ses yeux aux couleurs de l’océan. Sa mâchoire carrée ainsi que ses arcades prononcées lui donnait un air bestial sans pour autant paraitre agressif. Khaï eut d’instinct de la sympathie pour lui.
- En effet, Général. Il n’a que dix-huit ans. Nous, les Anklèmes, vivons beaucoup moins longtemps que vous. Il est à peu de chose près au même stade de la vie que vous, mon roi. Il a émis un souhait, très rare parmi nos frères et sœurs.
- Et quel est-il ? demanda Khaï.
- Celui de se battre à vos côtés, répondit l’intéressé en bombant le torse.
Les deux Lümiens se regardèrent. Tous deux connaissaient des histoires concernant les rares Anklèmes ayant fait le vœu de servir les Dieux au combat : jamais l’un d’entre eux n’avait survécu à une bataille. Embarrassé, Lum-Khaï chercha les mots pouvant freiner les ardeurs de ce jeune écervelé.
- Je suis honoré et certain que les Dieux sont fiers de toi. Néanmoins, comprends-tu ce que cela implique ? Il me semble que chaque prêtre ayant voulu embrasser la voix de la guerre a connu une fin aussi triste que prématurée.
- Surtout prématurée, enchaina Bolnac en s’empêchant de rire. Le dernier s’appelait comment déjà ?
- Boris, répondit le Grand Anklème, gêné.
- C’est ça ! Ta mère nous avait raconté son histoire. Elle fut aussi brève que tragique. Il est arrivé dans la Nécropole, porté par nos ailes. Plein de bravoure, il s’est jeté dans la bataille. Le premier Kentan qu’il a croisé...fut le dernier.
- C’est à peu près ça, enchaina Khaï en donnant un coup de coude à son ami.
Le jeune homme, qui semblait avoir un sourire incrusté sur son visage, ne se démonta pas devant l’ironie des deux Lümiens :
- Je sais que les dangers seront nombreux, mais je sais aussi que ma place est sur le champ de bataille. A vos côtés, mon Roi.
- Comme tu voudras.
- La tradition veut qu’il rejoigne un arbre-bulle pour vivre comme un Lümien. Je crois qu’il y en a de disponibles, vers le sud de la cité me semble-t-il ? précisa le Grand Anklème.
Lum-Khaï réfléchit un instant. Il connaissait les arbres-bulles dont parlait le Grand Anklème. Ne dépassant pas les dix mètres de haut, ces derniers étaient relégués aux Lümiens refusant de faire la guerre. Plus un individu se démarquait sur le champ de bataille, plus il lui était possible de réclamer un grand arbre-bulle lorsque celui-ci se libérait. Vivre « en bas », sans voir les soleils de sa maison, était presque vu comme un déshonneur.
- J’admire ton courage. Nous te fournirons l’un de ces arbres-bulles. Si tu survis à ta première bataille, nous envisagerons une autre solution afin de récompenser ta bravoure.
- Merci mon Roi, que les Dieux vous entendent.
Sans autre formalité, le Grand Anklème salua tout le monde avant de rejoindre le temple, laissant ainsi les trois compagnons seuls.
- Bien, allons te trouver une nouvelle demeure Nathan. Bolnac, va informer ton capitaine responsable des jeunes recrues qu’il devra prendre en charge ce jeune homme plein de fougue.
L’intéressé leva les yeux au ciel, montrant ainsi sa désapprobation. Avoir dans leur armée un Anklème n’était d’aucune valeur. Les flèches Kentanes les traversaient comme du papier, ils ne pouvaient voler et leur force n’avait d’égale que celle des enfants Lümiens.
- Tu l’envoies à la mort.
Le jeune Nathan détourna le regard, sa bonne humeur brisée par le ton cassant. Tout juste sorti de l’adolescence, il semblait être très impressionné par le Général qui avait presque cinq fois son âge.
- Il s’envoie à la mort tout seul. Si les Dieux le veulent sur le champ de bataille, qui suis-je pour le lui interdire ? Comment ne pas admirer un homme qui part au combat sachant que son ennemi est plus fort que lui ?
Khaï se tourna ensuite vers le jeune Anklème :
- Ne laisse personne te dire ce que tu dois faire. Sois maitre de ton destin. Si ta volonté est de mourir sur le champ de bataille, alors qu’il en soit ainsi.
- Merci mon Roi, marmonna Nathan empli de respect.
Bolnac haussa les épaules en déployant ses grandes ailes blanches :
- Voilà des paroles qui volent. Espérons qu’elles le protègent d’une fin tragique et prématurée.
D’une impulsion puissante, le Général s’envola en les laissant seul.
- Tu apprendras à l’apprécier, commença Khaï d’une voix plus enjouée. Il n’aime pas voir mourir des soldats sur le champ de bataille, qu’ils soient Lümiens ou Anklèmes, pour lui c’est la même chose. Un soldat est un soldat.
B-Chevalier

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Re: Ennemis pour l'éternité

Message par B-Chevalier »

voila voila... j’espère avoir quelques retours :)
B-Chevalier

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Re: Ennemis pour l'éternité -Fantasy Urbaine

Message par B-Chevalier »

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B-Chevalier

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Re: Ennemis pour l'éternité -Fantasy Urbaine

Message par B-Chevalier »

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JaneSerpentard

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Re: Ennemis pour l'éternité -Fantasy Urbaine

Message par JaneSerpentard »

Bonjour,
Cela fait à peine 10 minutes que je me suis connecté mais j’ai été attiré par ton histoire. Je ne sais pas, c’est sûrement le titre, tout d’abord, et puis ensuite le genre. Pour tout te dire, je n’ai pas encore eu le temps de lire mais je te le promets, à ma prochaine connexion (dans la journée), je lirai ce que tu as posté et je laisserai un commentaire.
A tout à l’heure !
JaneSerpentard

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Re: Ennemis pour l'éternité -Fantasy Urbaine

Message par JaneSerpentard »

Re !

Alors, je n’ai lu que le prologue et le chapitre 1 mais j’adore déjà ton histoire !
C’est une pure merveille, je suis tout de suite tombé sous le charme de l’univers que tu décris, j’adore la fantasy mais je n’arrive pas à l’écrire alors que toi, c’est un chef d’œuvre ! Je ne sais pas quoi dire... c’est magnifique, les noms sont super et sonnent très bien, on voit d’ailleurs que c’est de la fantasy aussi grâce aux noms. Tes chapitres sont longs et dynamiques, les descriptions sont belles et très réalistes (si c’est le mot avec une histoire qui est imaginé :lol:). J’ai envie d’y aller dans ce monde, je veux y voyager. C’est franchement une des meilleures histoires que j’ai découvertes sur ce forum.

J’avais juste une petite question. Comment faites-vous, toi et ta femme pour écrire à deux ? Et surtout, comment faites-vous pour que ce soit aussi bien ? A la limite, que tu écrives ça tout seul et que ça ressorte comme ça, d’accord (et encore...) mais à deux ! Je suis impressionnée, vraiment !

Je dois y aller mais promis, dès que je peux, je lis la suite (j’ai trop hâte :lol:) !
B-Chevalier

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Re: Ennemis pour l'éternité -Fantasy Urbaine

Message par B-Chevalier »

bonjour,
merci beaucoup pour ton retour qui nous va droit au cœur.
pour tout te dire, nous nous fixons une ligne d’écriture pour un chapitre et nous écrivons chacun dans notre coin. pour finir, nous nous réunissons et prenons ce qu'il y a de mieux dans les deux écrits.
la suite devrait arriver dans les prochains jours ^^
encore MERCI.
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