De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

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Aquila

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De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Aquila »

Salut les gens,

Il y a quelques années maintenant, j'avais imaginé une très petite nouvelle narrant les péripéties d'un jeune garçon et d'une déesse, "De Plumes et de Sang". Au delà d'une histoire, c'était tout un univers que j'avais imaginé. Un univers où des dieux finalement très humains marchaient parmi les Hommes. Mais le format que je m'étais imposé ne m'a pas permis de le développer ni de le faire découvrir. C'est pourquoi j'ai décidé d'y retourner pour une nouvelle histoire.

Indépendante de "De Plumes et de Sang", cette nouvelle sera beaucoup plus longue cette fois et le ton y sera différent. Plus sombre et plus dur.

Il est temps désormais de déployer nos ailes et de quitter "Bois aux Serres", de prendre de la hauteur et de voir à quoi ressemble le monde au delà de cet îlot de paix farouchement protégé. Il est temps de voir ce que cela implique lorsque que les Hommes et les dieux sont aussi intriqués, de découvrir le revers de la médaille. Je vous présente "De Cendres et de Ruines".

Cela sera certainement mon dernier texte avant de me lancer dans mon projet de roman. Plus que jamais, vos avis positifs ou négatifs m’intéresse. Que ça soit sur mon style, comme sur mes idées.

Bonne lecture.

De Cendres et de Ruines


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Liste des chapitres

Chapitre 1

Chapitre 2
Dernière modification par Aquila le mar. 03 nov., 2020 11:56 pm, modifié 7 fois.
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Fantasy]

Message par Aquila »

L’enfant revint à elle, allongée sur le sol, avec un mal de crâne proprement épouvantable. Un magma de douleurs insupportables, parfois sourdes et crescendos, comme si l’on tentait de lui broyer la tête, parfois cinglantes et aigües, comme un coup de fouet lui déchirant les chairs. Elle poussa un faible gémissement et, instinctivement, ouvrit les paupières. Grossière erreur. Le ciel gris, presque blanc l’éblouit violemment, lui blessant les yeux et lui vrillant le crâne, décuplant son martyr. Elle bascula alors à quatre pattes et vomit un jet de bile acide avant de se laisser retomber sur le flanc, vaincue et secouée de tremblements. Elle aurait voulu hurler. Hurler sa douleur et sa peur à s’en déchirer la gorge, pour que l’on vienne l’aider, qu’on la porte et qu’on la rassérène en lui disant que tout ira bien. Qu’on la soulage de ses souffrances intolérables. Mais elle n’entendait rien ni personne à proximité et tout juste arrivait-elle à émettre quelques sanglots.

L’angoisse la poignarda alors, presque aussi terrible que la douleur qui lui ravageait le crâne. Elle se répandait en elle telle un poison pernicieux et paralysant. Son cœur s’emballa au rythme de ses pensées affolées : « Pourquoi ai-je si mal ?! », « Pourquoi personne ne vient m’aider ?! », « Pourquoi je n'arrive pas à crier ?! », « Que m’arrive-t-il ?! ». Elle avait de plus en plus de mal à respirer, elle étouffait. Au bord de la panique, elle bloqua sa respiration et tenta de se reprendre. Elle expira longuement, puis inspira profondément, elle bloqua sa respiration et recommença. D’abord saccadés et entrecoupés de sanglots, les cycles se firent de plus en plus réguliers. La panique finit alors par refluer, ne laissant derrière elle qu’un limon d’angoisse qui lui engluait l’esprit et lui tordait le ventre. « Inspire, bloque, expire », s’intima-t-elle encore.

Agitée de tremblement nerveux, le crâne rempli de douleurs et les paupières toujours étroitement closes, elle se redressa précautionneusement.
« Inspire, bloque, expire ».
Une fois sur ses genoux, elle explora à tâtons son environnement immédiat. Elle finit par trouver ce qu’elle imagina être un mur de pierres et s’y adossa.
« Inspire, bloque, expire ».
« Inspire, bloque, expire ».
La douleur était terrible et lui arracha un nouveau sanglot. Ne pouvant rien faire pour se soulager, l’enfant tenta de détourner son esprit de ses souffrances.
« Qu’entends-tu ? »
« Rien… Rien de rien si ce n’est le bruit du vent. »
« Que sens-tu ? »
« Le bois et la chair brûlée… Le sang et la pourriture. »
« Que vois-tu ? »
Sous ses paupières, elle abaissa son regard. Elle plaça sa senestre en protection au-dessus de ses yeux, avant de les ouvrir progressivement, petit à petit, voulant à tout prix éviter de s’infliger un nouvel éblouissement. À mesure que son champ de vision s’agrandissait et se faisait plus net, l’appréhension la gagna. Les odeurs n’auguraient rien de bon, cependant elle allait peut-être pouvoir savoir où elle était et comprendre ce qui lui était arrivé. Ayant suffisamment contemplé le sol en gravillons, elle redressa la tête, abaissa sa main et releva les yeux… Avant de les écarquiller dans un rictus de pure horreur. Le cœur de l’enfant déjà éprouvé par la peur et la douleur s’accéléra encore : « Des morts ! Partout ! »

Des dizaines de cadavres, d’hommes, mais aussi de femmes et même d’enfants, arborant des plaies béantes et reposant dans des flaques de sang séché. Son regard affolé sauta de corps en corps et de blessure en blessure tandis qu'un frisson d’horreur lui parcourut l’échine. Elle dut plaquer ses mains devant sa bouche pour ne pas vomir à nouveau, face à l‘atroce spectacle que lui imposait ce charnier.
« Regarde autre chose ! Regarde autre chose ! »
Arrachant son regard des dépouilles, l’enfant se releva fébrilement et observa les lieux. Elle se trouvait au centre d’une vaste cour, adossée à un puits et non pas un mur. En face d’elle, ce qui avait dû être une grande et belle bâtisse de pierre blanche n’était plus qu’une coquille vide noircie, aux poutres encore fumantes. Deux autres dépendances de chaque côté se trouvaient dans le même état.

Tout à coup, elle se mit à trembler de peur et se prit les bras, car pire encore que ce spectacle de ruine et de mort, c’était que l’endroit ne lui rappelait absolument rien. Son esprit s’agita alors dans une tempête de questions tandis qu’elle essayait de rassembler ses souvenirs. « Quel est cet endroit ? Comment suis-je arrivée là ? Que s’est-il passé ? » Et la peur devint épouvante, car rien ne lui revenait en mémoire, tout fuyait, telles des rémanences fugaces d’un rêve déjà oublié. Une question en amenant une autre, finit par arriver la plus cruelle et la plus terrible d’entre elles : « Qui suis-je ? ».

La panique, si semblable à un prédateur, la saisit à la gorge et lui déchira les entrailles. « C’est un cauchemar, je vais me réveiller ! » L’enfant s’élança au hasard, voulant fuir ces morts si nombreux, fuir ce lieu de désolation, fuir surtout son esprit en ruine et ces questions qui la tourmentaient. N’eut-elle pas fait cinq pas qu’elle s’étala de tout son long en trébuchant sur un soldat décédé. La douleur perça alors à travers la panique, l’obligeant à contempler l’atroce et implacable vérité : elle ne rêvait malheureusement pas. La petite se prit la tête entre ses mains en gémissant, avant de les retirer précipitamment. Sa senestre était devenue poisseuse de sang à moitié coagulé. Faisant fi de la souffrance et mue par une curiosité impérieuse, elle explora à tâtons et avec une précaution infinie son cuir chevelu. Elle y décela rapidement une longue plaie sur le sommet, assez profonde pour qu’elle puisse y plonger une bonne partie de la première phalange de son auriculaire. Aussitôt, un nouvel élancement aigu lui fendit le crâne, voilant sa vue d’un linceul blanc.

« Au moins maintenant, je sais pourquoi j’ai aussi mal au crâne », pensa-t-elle en pouffant de manière hystérique. Le rire agonisa rapidement en sanglot et elle se mit à pleurer son nom perdu et ses souvenirs disparus. Elle pleura toute sa détresse et sa souffrance, tant elle se sentait écrasée, perdue et surtout terrorisée par la folie de la situation. Combien de temps resta-t-elle là, sanglotant en position fœtale à quelques pas du cadavre l’ayant vue trébucher ? Elle n’aurait su le dire, perdue qu’elle était dans les brumes de son propre esprit aliéné, à marcher sur une étroite corniche surplombant un vide sans fond nommé folie. Toujours est-il que, lorsque l’enfant retrouva possession de ses moyens, les ombres des bâtiments détruits s’étaient considérablement étirées dans la cour.

Elle s’assit sur son séant, trop épuisée pour ressentir autre chose qu’un grand vide teinté d’angoisse. Ainsi elle profita de ce semblant de détachement pour essayer de résoudre cette mosaïque parcellaire qu’était sa situation.

Elle était entourée de ruines calcinées et de cadavres, qui pour la plupart, affichaient d’horribles plaies. Elle-même avait la peau et les vêtements gris de cendre et une profonde entaille à la tête. Elle avait donc dû être présente durant les événements ayant conduit à ce massacre. Peut-être même vivait-elle ici. Après tout, malgré ses nombreuses déchirures et brûlures, malgré le sang et la cendre, son bliaud de lin vert brodé et son fin manteau de laine seyaient plus à ce petit manoir qu’à une cabane de paysan. L’enfant poussa plus loin sa réflexion. Comme des fumerolles s’échappaient toujours des décombres et que les morts n’étaient pas encore gonflés, elle n’avait pas dû rester inconsciente plus d’un jour ou deux.
Elle se surprit à sourire, mais même cela était douloureux à cause de ses lèvres gercées. Si sa blessure à la tête l’avait très certainement rendue amnésique, au moins ne l’avait-elle pas rendue idiote. D’ailleurs en y réfléchissant bien, elle parvint à la conclusion qu’elle n’était pas vraiment amnésique. « Ou du moins, pas totalement », raisonna-t-elle. L'enfant se souvenait en effet avec précision de ses chiffres et de ses lettres, elle se souvenait, par exemple, que la valériane facilitait le sommeil et que le soleil se levait à l’est. Mais elle était cependant incapable de se remémorer son propre nom, de dire si elle avait un père, une mère ou des frères et sœurs. Elle ne savait même pas à quoi elle ressemblait, ni quel dieu elle priait. En fait, c’était tout son Moi qui avait disparu, tout ce qui la définissait de près ou de loin : les relations qu’elle avait pu avoir avec les autres, ce qu’elle avait pu aimer ou détester… Elle n’était plus qu’une somme de connaissances sans expérience, une sorte de nouveau-née savante.

L’enfant dut interrompre ses introspections mentales car, piétinant la chape de silence qui recouvrait les ruines, des claquements de sabots se firent entendre dans un crescendo inquiétant. La peur revint en elle au galop et la poussa à sortir de sa léthargie. « Qui pouvait bien donc venir si tard après un tel désastre sinon des pillards ? » D’instinct, la gamine ramassa le glaive du soldat mort contre lequel elle avait trébuché. Le manche de l’arme vient tout naturellement trouver sa place au creux de sa senestre, appuyant sur des callosités bien précises. Ce n’était pas la première fois qu’elle tenait une lame, constata-t-elle avec surprise. Mais elle n’eut pas le temps de s’attarder sur cette découverte, car le bruit des sabots se fit de plus en plus présent. Se servant de l’arme comme d’une canne, elle se releva en chancelant. Son crâne, elle en était persuadée, allait se fendre en deux tant la douleur était atroce. Mais étonnamment, il tint bon. Et elle aussi. Elle retourna s’affaler contre le puits, dos aux arrivants, et fit la morte, malgré un cœur qui battait à tout rompre.

Les claquements devinrent crissements, les chevaux étaient dans la cour. Silence. Des paroles furent échangées, trop loin pour qu’elle parvienne à en saisir le sens. Les crissements reprirent. Horreur ! Au moins l’un des cavaliers semblait aller dans sa direction. À chaque pas de l’animal, l’enfant aurait voulu s’enfuir en hurlant, mais elle ne pouvait que rester immobile et silencieuse. Sauf qu’elle se mit à trembler ! « Les morts ne tremblent pas ! » paniqua-t-elle. Elle tenta de se calmer à nouveau grâce à sa respiration, mais elle suffoquait. Elle essaya alors de bander ses muscles pour empêcher les tremblements, mais cela ne fit que les empirer. En désespoir de cause, elle se mordit la langue. Et soudain, son cœur rata un battement, car ce fut le souffle même de la bête qu’elle perçut dans son dos. Le cavalier était tout près ! L’angoisse était si forte qu’elle en avait la nausée, d’autant que, les yeux clos, elle ne pouvait voir ce qui se passait. L’enfant entendit le cavalier mettre pied à terre juste dans son dos, à l’autre extrémité du puits. Elle pouvait même sentir l’odeur musquée du cheval par-dessus celle des innombrables cadavres.
-Tu as soif ? dit une voix indubitablement masculine.
Elle se figea, tétanisée, tendue comme un arc. À qui s’adressait-il ? À elle ? Ou à sa monture ? L’avait-il seulement remarquée ? Comment pouvait-elle le savoir ainsi plongée dans le noir ? Elle ne pouvait qu’attendre, immobile, et espérer que sa volonté ou que son cœur ne lâche pas. Le raclement du seau sur la pierre se fit entendre. Il allait puiser de l’eau, déduisit l’enfant. Mais au lieu du claquement du seau sur l’eau qu’elle s’attendait à entendre, ce fut la longue plainte aigüe de la manivelle qui lui perça les tympans. Une douleur tout aussi aigüe explosa alors dans son crâne et elle ne put, à son grand effroi, retenir un gémissement de souffrance. Se sachant désormais repérée et voulant par-dessus tout fuir ce supplice, l’enfant se releva précipitamment. Elle fit quelques pas pour s’éloigner du puits et se retourna, glaive en garde. Seules l’adrénaline et la peur la maintenaient encore debout. Face à elle, l’ayant déjà rejointe de l’autre côté du puits, le cavalier.

Grand, il était vêtu d’une cotte d’armes blanche bordée de noir et frappée d’un imposant griffon dressé couleur or, qu’il portait par-dessus un haubert en maille lui descendant jusqu'aux genoux. Le tout était resserré à la taille par une ceinture. Toujours à sa hanche, un baudrier où battait un fourreau. L’épée qu’elle contenait était déjà à moitié dégainée dans sa dextre. De l’autre côté de la hanche était accroché un heaume décoré de longues plumes de corbeau. De son visage, elle ne vit que ses cheveux noirs de jais et ses prunelles, d'un bleu d’acier, qui la fixaient avec intensité. Le reste était caché par une écharpe noire qu’il avait remontée jusqu’à recouvrir son nez.

Il y eut un instant de flottement durant lequel ils s’observèrent. Quelques battements de cœur tout au plus, mais qui semblèrent se dilater à l’infini pour l’enfant, tant la tension était forte. Et puis le soldat se relâcha. Son regard se fit plus doux et il laissa retomber son épée au fourreau avant de porter sa main gantée de cuir à son visage et d’abaisser son écharpe. Pas un instant la gamine ne quitta des yeux les mains du soldat et elle resta en garde, bien qu’elle éprouvât de plus en plus de difficulté pour tenir son glaive droit.
-Tout va bien, petite, je ne te veux aucun mal.
Il avait une voix grave, mais douce. Cela ne suffit cependant pas à la rassurer. Elle voulut lui hurler des imprécations en retour, mais ses mots moururent dans sa gorge sans qu’elle ne comprenne pourquoi, ajoutant encore à sa confusion. Aussi, dut-elle se contenter de montrer les crocs.
-Allons, baisse ton arme.
Les larmes lui montèrent de nouveau aux yeux. Qui effrayait-elle ainsi tremblante avec sa lame ? Elle en avait assez de lutter, assez de tout cela. Quel autre choix lui restait-il de toute façon, sinon celui de tomber sur son glaive. Mais elle voulait vivre !
-Regarde-moi.
Elle leva les yeux vers le soldat, mais ne distingua pas grand-chose à travers ses larmes.
-Je sais que tu as peur et que tu as mal, mais laisse-moi t’aider, petit miracle.
Son glaive tomba au sol dans un bruit mat, qui sembla pourtant résonner à ses oreilles. L’avait-elle lâché ou était-il devenu trop lourd pour elle ? Elle n’aurait su le dire. Cela n’avait de toute façon, plus d’importance, pourvu que tout cela cesse. Elle fit un pas, chancelant. Le soldat lui dit quelque chose qu’elle ne comprit pas, ses oreilles bourdonnaient. Elle avait trop chaud. Le premier pas fut suivi d’un deuxième puis d’un troisième. Tout l’éblouissait comme si elle avait regardé trop longtemps le soleil. L’enfant voulut faire un pas supplémentaire, mais un dernier éclair de douleur frappa, lui fendant le crâne. Tout devint blanc et elle sentit ses jambes se dérober, mais qu’importe, l’oubli lui tendait enfin les bras.

***


Erland jura et bondit en avant, rattrapant la gamine in extremis. D’un coup de dent, il déganta sa dextre et la posa sur le front de l’enfant. Elle était brûlante de fièvre. Et elle faisait peine à voir. Ses vêtements, déchirés en plusieurs endroits, étaient tachés du sang et de la cendre qui la recouvraient de la tête aux pieds. Sur son visage tourmenté, les sillons creusés par les larmes laissaient apparaître une peau d’une pâleur cadavérique. Mais le plus terrible était la plaie qu’elle avait à la tête. Erland la distinguait sans peine malgré la masse informe de cheveux roussis et plâtrés de sang et de cendre. Une longue entaille sur tout le sommet du crâne. Et il avait vu assez de blessures équivalentes pour savoir qu’on avait voulu le lui fendre d’un coup d’épée. N’osant toucher la plaie, il se pencha dessus et grimaça, car plus que les esquilles d’os, c’était le pus suintant qui l’inquiétait. « C’est un vrai miracle qu’elle soit encore en vie », s’étonna-t-il intérieurement.

Sans perdre plus de temps, le chevalier ramassa son gant et se redressa, l’enfant inconsciente au creux de son bras senestre. Il siffla entre ses lèvres et, arrivant au galop depuis l’autre bout de la cour, mit pied à terre, Valez. Trapu, il faisait une bonne tête de moins qu’Erland et avait une épaisse barbe cuivrée qui lui mangeait le visage, mettant en valeur un nez empâté et tordu à force d’avoir été cassé. Il portait une cotte d’armes identique à la sienne bien que plus sale. Valez regarda brièvement l’enfant et un éclair de surprise traversa ses petits yeux ambrés.
-Vivante ? grommela-t-il de son ton bourru qui lui seyait si bien.
-Pour l’instant…
-Première bonne nouvelle de toute cette putain de journée.
Il jaugea la blessure.
-Quoi qu’elle aura tôt fait de virer mauvaise, si vous voulez mon avis captain’.
Erland lui adressa un regard exaspéré avant de donner un coup de menton en direction d’Obside, son étalon moreau.
-Dans mes fontes, celle à dextre, il y a une musette. Apporte-la-moi, je te prie.
Le temps qu’il s’exécute, Erland s’était assis en tailleur par terre, la tête de la gamine en travers de ses cuisses. Il récupéra ensuite la sacoche de cuir que Valez lui tendait, dans un bruit de verrerie.
-Merci L’Ours. Prends mon cor et sonne le rappel.
-Tu fais chier, Le Noble. Je ne suis pas ton valet, râla Valez pour la forme.
L’ignorant, Erland remonta son écharpe sur son nez. L’odeur des cadavres était encore plus forte près du sol, d’autant que le froid le faisait renifler. Et ce fut sous la plainte modulée du cor qu’il commença à soigner l’enfant.

Il fouilla sa musette et en tira une grosse fiole d’eau-de-vie, dont il fit sauter le bouchon de liège, et entreprit de nettoyer la plaie. Sans jamais la toucher de ses doigts, il s’efforça à dissoudre l’amas gluant de cheveux, de sang coagulé et de cendre ainsi que de gravillons qui salissait l’entaille. Une fois dégagée, Erland versa de l’eau-de-vie directement dessus. L’enfant gémit et se tortilla faiblement, mais ses yeux restèrent clos.
-Je sais, murmura doucement le chevalier, ça fait mal, mais il faut que tu sois brave.
La blessure restait toujours terrible à voir, mais au moins il n’y avait plus de corps étrangers dedans. Il sortit ensuite un pilon et un mortier de bois, qu’il garnit avec précision de diverses plantes séchées piochées dans de petites bourses. Une fois broyées et liées avec de l’eau préalablement bouillie tirée d’une autre fiole, il appliqua l’emplâtre avec précaution dans la plaie. Enfin il la recouvrit de bandelettes de lin. Et tandis qu’il nettoyait et rangeait son matériel, le reste de l’unité arriva les uns après les autres, par groupes de deux. Tous montés. Tous habillés de la même cotte d’armes.

Il y eut d’abord les jumeaux Alric et Elric, jeunes, les yeux bleus, aussi blonds qu’Erland était de jais et de même stature que lui, ils avaient des traits fins, presque juvéniles, qui leur avaient ouvert bien des lits. Vint ensuite Hilbert, un chevalier nerveux et sec avec une carnation pâle qui faisait ressortir ses cernes, suivi de Guihem, petit, mais trapu avec un cou de taureau, il ressemblait à une barrique. Peu après ce fut au tour d’Anselme, taciturne et avec une longue cicatrice qui lui barrait le côté gauche du visage, de l’oreille au menton, accompagné de Voral, un vétéran grisonnant aux favoris frisés.

Une fois pied à terre, les soldats commencèrent à discuter entre eux. Erland qui venait tout juste de terminer, reprit l’enfant qu’il avait adossée au puits dans ses bras et se retourna vers ses hommes.
-Messieurs !
Immédiatement, les conversations cessèrent, et ils s’alignèrent face à lui.
-Nous avons une survivante, déclara Erland.
Les choses étaient suffisamment rares après le passage de ces fous du dieu unique pour provoquer un certain émoi dans le rang.
-Cependant, tempéra-t-il, elle est gravement blessée. On a tenté de lui fendre le crâne et elle a beaucoup de fièvre. Je doute qu’elle tienne une journée de plus sans soin.
-Quel est le plan alors, capitaine ? questionna Voral.
-Je la ramène à la forteresse. Vu son état, seul Lughérrin saura la sauver. En partant maintenant et en chevauchant toute la nuit, je devrais y être au lever du soleil.
-Quinze lieux en une nuit ?! s’exclama Hilbert. Sauf votre respect, capitaine, vous aurez tué votre cheval que les donjons de la Haute-Avana n’auront toujours pas pointé à l’horizon.
Les autres membres de l’unité abondèrent en son sens, chacun allant de sa remarque. Erland leva la main pour imposer le silence.
-Je n’ai guère besoin d’une leçon équestre, laissez-moi terminer. Avec deux chevaux et des haltes régulières, c’est parfaitement faisable sans avoir à tuer une bête.
Cette fois il n’eut aucun commentaire et tous se regardèrent. Le sous-entendu était limpide : l’un d’entre eux allait devoir prêter sa monture. Le silence, pesant, s’étira désagréablement, mais Erland ne fit rien pour le rompre, car il savait ce qu’il leur demandait. Réclamer à un chevalier son destrier revenait à réclamer à un ménestrel son instrument. Cela ne se faisait pas. Aussi se contenta-t-il de les considérer à tour de rôle, cherchant à accrocher leur regard fuyant. Puis il vit les jumeaux échanger un coup d’œil plus appuyé peut-être, ou arborer une expression légèrement différente. Quoi qu’il en fut, cela suffit aux deux frères pour se mettre d’accord et l’un d’entre eux s’avança au grand soulagement du reste de l’unité.
-Voici Tempête, déclara Elric en lui tendant les rênes de son étalon à la robe souris. C’est une brave bête, capitaine. Prenez-en soin.
-Merci, répondit humblement Erland. Il en sera bien entendu ainsi.
Il confia la blessée à Voral et, avec l’aide d’Al et El, il vida les fontes d’Obside et de Tempête, allégeant les bêtes au maximum, ne gardant que le strict nécessaire à sa cavalcade. Puis il termina en réglant les étriers de Tempête. Le chevalier hésita un moment à se séparer de l’écu qu’il portait dans son dos, mais il préféra le conserver. Il se sentirait nu sans.
-Pourquoi s’emmerder avec la gamine ? Elle est déjà à moitié crevée ! Elle ne survivra pas à la chevauchée !
Soupirs las et injures accueillirent la sortie de Valez.
-Mais c’est vrai quoi, merde ! On ferait mieux de la lâcher à un soigneur et de battre la campagne à la recherche de traînards !
Le sang d’Erland ne fit qu’un tour. « Putains de républicains, toujours à brailler leur avis comme s’il importait. » Il reprit l’enfant des bras de Voral pour la coller dans ceux de Valez puis il dégaina une dague qui lui tendit, poignée en avant.
-Eh bien fais donc Valez ! s’emporta Erland, vas-y, achève-la. Comme ça on gagnera encore plus de temps. Quoi ?! Cela ne te convient pas ?
Il ramassa un gourdin près d’un corps.
-Tu préfères peut-être terminer le travail comme il a été commencé ?
-Mais… balbutia Valez
-Mais quoi Valez ? Il balaya d’un geste la cour couverte de cadavres. Tu trouves qu’il n’y a pas déjà eu assez de morts comme ça peut-être ?
Erland reprit la gamine dans ses bras et regarda son unité. La majorité affichait clairement leur exaspération voire leur dégoût vis-à-vis des propos de Valez, cependant quelques-uns semblaient néanmoins partager son point de vue. Il décida d’enfoncer le clou.
-Tous ces morts, cette divinité assassinée, ce village détruit, commença-t-il en embrassant le carnage d’un geste de bras. Tout cela est la conséquence de notre échec, le prix que nous avons à payer et à supporter. Alors si de cet opprobre, nous pouvons tirer quelque chose de bon et, ne serait-ce que sauver une vie, il est de notre devoir d’agir… C’est en tout cas ce que me dicte mon honneur.
Les visages se firent honteux ou colériques. Les plaies causées par la trahison d’un groupe d’éclaireurs quelques jours auparavant étaient encore à vif. Trahison ayant conduit à ce désastre. Quoi qu’il en soit, à son retour à la forteresse, il aurait une petite discussion avec le lieutenant qui commandait d’ordinaire cette unité.

Se drapant dans son mépris, Erland se dirigea vers Obside. Il lui murmura à l’oreille tout en lui caressant le chanfrein de sa main gantée. Le cheval se mit alors sur ses canons antérieurs, facilitant ainsi la monte à son cavalier chargé de son précieux fardeau. Une fois l’animal redressé, il distribua ses ordres d’un ton péremptoire :
-Sous-lieutenant Voral, vous prenez le commandement de l’unité. Poursuivez la mission comme elle était prévue, jusqu’à l’arrivée des nettoyeurs, ensuite, rentrez à la Haute-Avana. En cas de problème, référez-vous au lieutenant Herm.
-À vos ordres, capitaine !
Il adressa à chacun des membres de l’unité un dernier regard acéré :
-Faites votre devoir.
Erland attrapa alors les rênes de Tempête, cala l’enfant sur le devant de la selle et mit Obside au trot d’une pression des talons. Dans son dos, il entendit quelques « Bonne chance capitaine » lancés avec plus ou moins de conviction.

Guidant ses montures entre les nombreux cadavres, Erland quitta la cour gravillonnée pour descendre la petite colline boisée sur laquelle était construit le manoir, afin de rejoindre le village en contrebas. Une fois sorti du couvert des arbres, il s’engagea sur la route principale et dut à nouveau traverser ce qui restait de Vulpia après son martyr. Tout comme le manoir, la bourgade n’était plus que décombres carbonisés peuplés de cadavres par centaines. Pas une maison, pas un bâtiment n’avait échappé à cette folie destructrice, et en passant devant le temple, il en vint à se réjouir que l’enfant fût inconsciente. Désormais voué à la ruine et à la mort, on pouvait apercevoir à l’intérieur des monceaux d’ossements, concentrés près de là où avaient dû se trouver les grandes portes de bois. Sans doute les séides du dieu unique y avaient-ils parqué femmes et enfants avant d’y mettre le feu. Comble de l’horreur, si tant est que l’horreur eût une échelle, sur le parvis du temple étaient crucifiés sur de grandes croix de bois dressées, la déité locale, un être aux attributs vulpins, ainsi que tous ses flamines. En quittant les lieux, Erland sut que ces images le hanteraient pendant longtemps. Malgré des années de guerre, il en avait la nausée. Toute cette folie, tous ces morts au nom d’un dieu même pas incarné, ni même révélé. Le sentiment de gâchis qui en résultait était insupportable.

Quand la route pavée réapparut de sous les cadavres et les débris, Erland put lancer ses montures en avant, plein est, en direction de la place forte. C’étaient des destriers, des montures de guerre nerveuses et puissantes, aussi piaffèrent-elles d’impatience à la vue des grands espaces. Mais il leur tint la bride, augmentant progressivement le rythme, forçant les bêtes à s’échauffer doucement, car il se lançait dans une course de fond et non dans un sprint. Et c’est quand le soleil tomba sur l’horizon qu’Erland mit les chevaux au galop.

Malgré le cœur lourd et l’esprit assailli par les interrogations, il sentit l’allégresse le gagner à mesure qu’il parcourait la campagne de la Péninsule des Mille Couronnes. Chevaucher lui procurait toujours cet effet-là : la vitesse, le sentiment d’union avec l’animal qui répondait à la moindre pression de genoux, mais aussi l’adrénaline de la mission… Tout cela participait à ce sentiment incoercible. Et puis, il faut dire que ce soir, les dieux lui offraient un spectacle enchanteur. Il vit le ciel, embrasé par les feux rougeoyants du soleil couchant, s’éteindre et recouvrir la campagne d’un linceul indigo tandis que se leva, ronde et pleine, Selenassa. Selenassa la Bleue, L’Océan du Firmament, la Déesse de la Nuit. Selenassa, la magnifique et majestueuse lune bleue. De l’empyrée, elle noya les dernières braises crépusculaires et inonda de sa lumière azur les champs qui s’étendaient jusqu’aux horizons, les transformant en mers infinies parsemées çà et là de fermes, de moulins et de hameaux, comme autant d’îlots perdus sur les flots. La nuit promettait d’être belle.

Voilà plus d’une heure qu’Erland suivait, à travers un bois clairsemé, la Talène, un petit affluent de l’Avana. Un rapide coup d’œil à sa carte, éclairée par la pleine Selenassa à son zénith, lui indiqua qu’il avait fait plus de la moitié du trajet. Le chevalier décida donc d’une halte pour changer de monture et il quitta la route pour rejoindre la berge. Le fracas des sabots laissa place au ruissèlement de l’eau sur les galets et aux hululements indignés d’une chouette dérangée.

Il sauta de selle et retint un juron, tant ses cuisses étaient contracturées à cause de l’intense chevauchée. Mais serrant les dents et faisant fi de la douleur, il récupéra la gamine. Elle avait l’air terriblement mal en point, plus livide encore, si cela était possible, qu’au départ du village. La fièvre qui la dévorait avait fait taire ses derniers gémissements voilà déjà plusieurs lieux. Hélas, Erland ne pouvait rien faire de plus pour l’aider si ce n’est de se hâter. Aussi alla-t-il la déposer avec douceur contre le tronc d’un vieux saule pleureur penché, dont le houppier venait caresser les flots, et retourna s’occuper des chevaux.

Sous la lumière azur de la lune, les bêtes, encore fumantes de leur effort dans la froidure de la nuit, avaient des allures spectrales. Hennissant et piaffant d’impatience, elles renâclaient à se laisser faire. Le plus dur avec les destriers n’était pas de les faire galoper, mais de les faire s’arrêter, car elles auraient pu continuer jusqu’à ce que leur cœur lâche. Erland les força jusqu’à la rivière, et dut encore se battre contre Obside et Tempête assoiffés : trop d’eau aussi froide bue trop vite après un tel effort et c’était des coliques assurées pour eux et donc leur mort.

En les ramenant près du saule, le chevalier les fit trotter en cercle autour de lui afin de contrôler qu’aucune des deux montures ne boitait et il en profita également pour vérifier le dessous de leurs sabots. Un caillou un peu trop pointu coincé dans la sole du sabot sur un galop de plusieurs heures pouvait causer des ravages. Une fois certain de la bonne santé des destriers, il récupéra la petite qu’il déposa avec précaution sur Tempête, avant de lui-même grimper en selle juste derrière elle, non sans un grognement douloureux. Il allait payer pendant plusieurs jours cette cavalcade.

« La Haute-Avana, enfin ! » soupira intérieurement Erland. Perdue dans la brume matinale, à peine révélée par la lumière blafarde de l’aurore, de la forteresse il ne percevait que le rocher sur lequel elle était accrochée, mais cela suffit à lui mettre du baume au cœur. Cependant, avant de rejoindre la place forte, il lui restait à traverser l’Avana elle-même, le puissant fleuve qui coupait la Péninsule des Mille Couronnes en deux d’ouest en est. Souvent plus large qu’une lieue et trop impétueuse, l’Avana n’était franchissable qu’en de rares endroits, comme ici où son lit s’étranglait dans une roche dure, permettant ainsi la jetée d’un pont entre ses deux rives. Et quand les fers des chevaux écumants de fatigue claquèrent sur les pierres ocre du pont, accompagnés par le rugissement de l’eau, cela sonna aux oreilles d’Erland telle une fanfare triomphante. Il l’avait fait ! Quinze lieux en une nuit, sans tuer de monture. Et l’enfant vivait toujours, il avait placé son index déganté sous son nez pour s’en assurer. La gamine s’accrochait à la vie de toutes ses forces. Rien que pour sa ténacité salvatrice, elle méritait tous ces efforts.

Passé le pont, il lui fallut encore lancer ses montures épuisées à l’assaut de la colline abrupte, sur un chemin heureusement pavé qui serpentait jusqu’à la forteresse située au sommet. La dernière centaine de toises lui semblait interminable tant la fatigue lui pesait. Mais au fur et à mesure de son ascension, la Haute-Avana émergea de la brume. D’abord ses épaisses murailles, puis leurs créneaux. Apparurent ensuite les donjons et leurs toits pentus en ardoise bleu noir. Enfin, au sortir du dernier virage en épingle, tandis qu’il approchait de la barbacane qui protégeait l’entrée de la forteresse, il vit claquer au vent, les immenses étendards blancs frappés du griffon doré, planté au faîte des donjons. Victoire !

En cette matinée naissante, la herse était levée, mais les portes n’étaient que légèrement entrouvertes et gardées par deux hallebardiers.
-Halte ! Qui va là ?! tonna le plus ancien des deux.
-Capitaine Erland de Corval !
Sachant sa cotte d’armes cachée par l’enfant qu’il transportait devant lui et l’improbabilité de sa présence ici et maintenant, Erland décrocha de sa ceinture son heaume aux longues rémiges de corbeaux, qu’il agita au-dessus de sa tête en avançant au pas. D’abord méfiants, hallebardes pointées dans sa direction, les deux soldats finirent par le reconnaître quand le chevalier corbeau fut suffisamment proche pour qu’ils détaillent son visage.
-Capitaine ! saluèrent-ils en se mettant au garde-à-vous.
Faisant fi de leur mine surprise, Erland salua en retour et talonna une dernière fois Tempête avant de pénétrer dans la Haute-Avana sans un mot.

Deux cents toises d’est en ouest, près de cent de largeur, la place forte recouvrait l’ensemble du plateau dont les murailles épousaient les rebords abrupts. Sitôt franchie la barbacane côté est, s’imposait immédiatement au regard le château, construit du côté ouest. Malgré la distance, son aspect massif et ses hauts donjons emplissaient tout le champ de vision et dégageaient une aura écrasante. Le long de cet axe est-ouest matérialisé par une large voie pavée, se trouvaient de part et d’autre une multitude de bâtiments, des baraquements et des écuries principalement, mais aussi de nombreux bâtiments en lien avec l’intendance ou l’artisanat. Tout pour faire vivre et fonctionner les deux compagnies d’infanterie et la compagnie de cavalerie qui constituaient la garnison de la Haute-Avana. La pierre aux chaudes nuances ocrées avec laquelle tout était bâti aurait pu donner à l’ensemble des airs de charmant petit village fortifié si ce n’était que tout ici était construit pour être purement fonctionnel et dans un style typiquement militaire : froid et sans fioriture.

Bâillant à s’en faire décrocher la mâchoire, Erland se laissa transporter aux écuries par les chevaux. Les bêtes savaient par habitude qu’elles y trouveraient soins, nourriture et repos. Aussi n’eut-il pas besoin de les talonner pour les y presser, exténuées qu’elles étaient après cette folle chevauchée. De plus, les écuries étaient sur le chemin pour se rendre à l’infirmerie. Malgré l’heure matinale, la Haute-Avana s’activait déjà dans un crescendo où s’accordaient bruits de bottes, bourdonnements de voix et cliquetis métalliques des armes et des armures. Les chevaux durent louvoyer entre les soldats et les serviteurs qui allaient et venaient, vaquant à leur devoir respectif.

Arrivé devant les écuries affectées à son unité, Erland eut la chance d’apercevoir immédiatement Godefroy, qui s’affairait à proximité. Non que cela soit chose difficile, l’homme avait la carrure d’un ours, de longs cheveux paille noués en catogan et une barbe tout aussi fournie. Maître palefrenier et hippiatre hors pair, le chevalier s’était adjoint ses services voilà déjà plusieurs années et après une telle nuit, il n’aurait voulu confier ses destriers à personne d’autre.
-Maitre Godefroy ! l’interpella-t-il.
Relevant sa crinière blonde de son labeur, il essuya ses mains sur son tablier de cuir qu’il portait par-dessus une simple chemise en lin écru aux manches enroulées jusqu'aux coudes et des chausses également en lin.
-Capitaine de Corval ?! L’air ahuri, il n’en oublia pas moins de saluer l’officier. Vous n’étiez pas censé être à Vulpia ?
Erland se laissa glisser lourdement à terre, abandonnant la grâce à la fatigue, et récupéra l’enfant.
-J’y étais encore quand le soleil se couchait hier et j’y serais encore aujourd’hui si le destin ne s’en était mêlé, répondit-il en désignant la jeune blessée d’un geste de la tête.
Les prunelles vert sapin de Godefroy s’attardèrent un instant sur la petite, avant de s’embraser :
-De Vulpia à la Haute-Avana en une nuit ? À deux et sans montures fraîches ? Mai-
D’un geste, Erland le coupa.
-Paix Godefroy, je sais. Et c’est bien pour cela que je vous les confie, à vous et à personne d’autre.
Le maître palefrenier renâcla, mais finit par accepter les rênes que lui tendait le chevalier.
-Je dois porter la petite à l’infirmerie sans plus attendre. Je reviendrai dans la journée.
-Bien, capitaine.
Il salua puis emmena les destriers dans les écuries. Erland sentait que la situation ne lui plaisait pas, mais on ne pouvait reprocher à un homme comme Godefroy de trop aimer les chevaux. Poussant un soupir de lassitude, il raffermit sa prise sur l’enfant et partit au pas de course en direction du château. Malgré la fatigue et ses jambes rendues raides et douloureuses par la chevauchée, il parcourut la centaine de pas qui le séparait du château avec célérité. Grimpant les marches du parvis deux par deux, il passa devant les gardes sans même ralentir et pénétra dans l’édifice.

Loin d’être un château palatial, la vocation uniquement militaire du lieu se reflétait également dans sa décoration. Le grand hall d’entrée accueillait ses visiteurs, paré de l’étendard du duché, le griffon doré, de celui de la garnison, un pont ocre stylisé par-dessus un fleuve, ainsi que, plus modestes, les bannières des régiments. Les couloirs quant à eux, étaient plus chichement décorés, devant se contenter d’enduit de chaux peinte ou de tentures grossières quand une pièce chauffée se trouvait derrière le mur.

L’infirmerie étant située au rez-de-chaussée et à proximité de l’entrée, Erland fut rapidement devant et il y entra brusquement, en s’exclamant :
-Quelqu’un pour m’aider !
La pièce sans fenêtre était plongée dans l’obscurité et les braises agonisantes dans l’âtre n’y changeaient pas grand-chose. Erland aperçut cependant deux membres de la guilde des soigneurs qui, somnolant encore sur une table il y a quelques instants en attendant leur relève, bondirent de leur chaise précipitamment.
-Que se passe-t-il ? demanda le premier d’une voix encore pâteuse, tandis que le second s’affairait à faire repartir le feu.
-Une enfant, blessée au crâne par un coup d’épée. Ce n’est pas beau à voir et elle a beaucoup de fièvre.
Malgré la pénombre, Erland avisa la table, sur laquelle il déposa la petite.

Quand feux et bougies furent rallumés, les deux soigneurs, un homme et une femme, commencèrent à examiner brièvement la jeune blessée en assaillant le chevalier de questions auxquelles il répondit de bonne grâce. Ce faisant il laissa son regard vagabonder. Le premier soigneur était un homme dont il ne savait pas le nom. Petit et sec, il avait le visage glabre et des cheveux noirs aux nombreux épis. La femme, elle, était une dame qu’il connaissait bien. Maïa. Approchant les soixante hivers, elle restait néanmoins une jolie femme à la longue chevelure blanche et au visage doux. Tous deux étaient vêtus de la tenue de leur guilde : chausses en laine blanche avec une tunique, courte et évasée, de laine également, mais rouge et brodée d’un cœur doré sur la poitrine. Le tout était complété par une longue ceinture de cuir noir, s’enroulant plusieurs fois autour de leur hanche. La pièce, quant à elle, n’était pas très grande. Ce n’était, en vérité, que l’antichambre de l’infirmerie, qui elle, se retrouvait derrière la porte du fond. Cette pièce-ci servait de lieu commun pour les soigneurs. Les murs n’y étaient qu’étagères chargées de fioles, d’herbes séchées et d’outils divers. Parmi cette pharmacopée, il y avait également une petite bibliothèque remplie de traités de médecine ou de botanique.

Las, le chevalier finit par interrompre le duo de soigneurs :
-Où est Lughérrin ?
Les deux tuniques rouges se regardèrent, l’air gêné, avant que Maïa ne réponde :
-Il… dort à l’étage, capitaine.
Erland comprit immédiatement de quoi il retournait et, se retenant à grand peine de jurer, fit volte-face et grimpa l’escalier, avalant les marches deux par deux. L’étage n’était qu’un long couloir plein de portes. Il s’arrêta devant l’une d’entre elles, marquée de profonds coups de griffes et y frappa sans ménagement.
-Lughérrin ! tonna-t-il.
Divinité aux attributs lupins, Lughérrin était un être au passé mystérieux. Tout juste Erland savait-il qu’il était originaire du sud de la péninsule et que le village de ses ouailles avait subi le même sort que Vulpia. Suite à cela, il s’était engagé corps et âme contre les partisans du dieu unique, en mettant son savoir et ses pouvoirs de guérison au service de ceux qui les combattaient. C’était donc une divinité aimée et révérée dans toute la garnison.
-Lughérrin, espèce d’idiot de bois sans soif, ouvrez cette porte !
Mais même les divinités avaient leurs démons et Lughérrin, lui, tentait très humainement de les noyer dans l’alcool.

Alors qu’il s’apprêtait à marteler la porte à nouveau, il perçut derrière elle un grognement suivi d’un bruit de verrerie. Quelques instants plus tard, elle s’entrebâilla légèrement, libérant des effluves de renfermé et d’alcool. Coupant court aux baragouinages vineux et outrés de la divinité lupine, Erland déclara :
-Maître Loup, nous avons besoin de vous en bas. Maintenant.
-Plutôt demain ! grogna-t-il en guise de réponse avant de tenter de refermer la porte.
« Évidemment… » Epuisé et à bout de patience, le chevalier s’énerva. D’un coup de botte, il rouvrit la porte en grand, envoyant Lughérrin au sol dans un jappement. Sans lui laisser le temps de se relever, Erland fondit sur lui et le souleva par la chemise.
-Il suffit, Lughérrin, je n’ai pas le temps pour vos ivrogneries. Dessaoulez. De suite !
La diction était posée, mais le ton était froid et dur, tant et si bien que le dieu loup montra les crocs en plongeant ses iris jaunes dans ceux bleu acier du chevalier corbeau qui soutint son regard lupin sans ciller. En plus de ses yeux et de ses canines particulièrement pointues, Lughérrin, dans sa forme humaine, conservait une longue queue pelue et des oreilles de loup. Après de longs instants de tension, ses oreilles tendues en arrière finirent par retomber et il céda :
-Très bien, soupira-t-il dans un relent de mauvais vin.
Tandis qu’Erland le relâcha, les traits de Lughérrin se plissèrent sous une intense concentration… jusqu’à ce que son oreille droite s’agite d’un spasme. Il éclata alors de rire et se mit à imiter le chevalier :
- Il suffit, dessaoulez. De suite ! pouffa-t-il.
Exaspéré, Erland avisa dans ce cimetière de bouteilles d’alcool, posée sur un boudoir, une vasque en porcelaine blanche emplie d’eau qui devait servir aux ablutions. Sans ménagement, il attrapa Lughérrin, trop hilare et aviné pour se défendre, et l’y traîna avant de lui plonger brièvement la tête dans l’eau.
-En voilà des façons de traiter un di-
Sa phrase se termina dans un concert de bulles tandis qu’Erland lui replongea la tête dans la vasque.
-Suffit De Corval ! haleta le dieu loup. De grâce !
Le laissant s’affaler le long du meuble, Erland le vit se concentrer à nouveau. Seulement cette fois, il ne s’esclaffa pas. Brusquement, ses oreilles tombèrent tout comme ses épaules. Son visage se fit las et quand il rouvrit les paupières, ce fut pour lui adresser un regard morne et tourmenté. Ce regard avait le don de glacer Erland. Quels événements, quelles pensées pouvaient rendre une divinité aussi misérable ? Les secondes s’étirèrent, engluées qu’elles étaient dans la gêne mutuelle que ressentaient le capitaine et la divinité. Cette dernière finit par tendre le bras, qu’Erland saisit afin de l’aider à se redresser. Debout, il était aussi grand que lui.
-J’ai… cru comprendre que vous aviez besoin de moi, De Corval.
-Oui Maître Loup, acquiesça Erland avec déférence, s’efforçant de faire comme si rien ne s’était passé. Une enfant, une survivante de Vulpia. Crâne fendu, mais c’est la fièvre qui la tue actuellement.
-Bien. Je… me rends présentable et je descends.
Dans un dernier regard, Erland quitta la pièce avec soulagement, laissant le sentiment de malaise et les odeurs de musc et de mauvais vin derrière lui.

Quand Lughérrin les rejoignit quelques minutes plus tard, ils avaient déplacé la blessée dans une petite pièce dédiée aux examens. Contrairement à l’antichambre, celle-ci baignait dans la lumière qui jaillissait en torrent des étroites mais hautes fenêtres exposées plein sud. Une forêt de chandeliers fixés dans les murs de pierre nue et un large âtre où ronflait un feu venaient noyer toute trace d’ombre. Sur des plans de travail se trouvaient des flacons et outils de chirurgiens, dont certains n’auraient pas dépareillé dans un atelier de menuisier. Au centre, une large table de bois massif dont le plateau était plaqué d’une épaisse feuille de cuivre. C’était sur celle-ci que reposait désormais l’enfant, débarrassée de ses hardes. La voyant ainsi nue, Erland lui donnait entre douze et quatorze ans, selon à quel rythme elle fleurissait. Les deux tuniques rouges saluèrent respectueusement le dieu lupin avant de s’écarter.

Après un rapide examen, Lughérrin posa ses mains sur les tempes de l’enfant et ferma les yeux. Au bout de longues secondes, il les rouvrit, l’air plus las que jamais.
-Priez-moi avec ferveur mes louveteaux, car ça va être un âpre combat que de la ramener, soupira-t-il.
Ce faisant, il déplaça un tabouret de manière à pouvoir prendre place derrière la tête de la fille et il reposa ensuite ses mains de part et d’autre de son crâne meurtri. Aussitôt qu’il se concentra, une intense nitescence en émana et auréola la tête de l’enfant. Un instant subjugués, Erland et les deux soigneurs finirent par s’installer à coté de la divinité. Ils plongèrent en eux-même et se mirent à l’exalter avec passion dans leur litanie mentale.
Dernière modification par Aquila le dim. 25 oct., 2020 1:20 pm, modifié 4 fois.
Malta-Vestrit

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par Malta-Vestrit »

J'espère voir la suite rapidement :D
Le style est toujours aussi agréable à lire et l'univers devient vraiment intéressant, j'ai hâte d'en apprendre plus, tant sur l'univers que sur les personnages.
ChrisRuess

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par ChrisRuess »

Et bah sacré premier chapitre d'héroic fantasy, un bon vocabulaire et quelques petites figures de style de par derrière les fagots, un beau dialogue, des personnages intéressants (je veux voir un jour les peluches Lughérrin pour les enfants). On sens beaucoup de tension de second plan et pas mal de personnages à découvrir je pense, comme les fous de l'armée du dieu unique, par exemple : keseukcé seula ? ;)
Bref, vivement la suite !
VoyageImaginaire

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par VoyageImaginaire »

Je trouve que c'est très bien écrit, très fluide.On s'imagine facilement les personnages.
J'attends la suite avec impatience.
Mono9000

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par Mono9000 »

Mais quelle cruauté envers tes personnages... :lol:
Pauvre petite puce !!

Malgré tout, ce texte est superbe. Le style est riche sans être emprunté ni trop lourd. Et puis l'univers qui de dessine derrière laisse imaginer de belles choses.
Hâte d'en découvrir plus !! ;)
VoyageImaginaire

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par VoyageImaginaire »

J'adore l'idée (que les dieux côtoie les Hommes me fait rêver) et l'histoire est très bien racontée, donc vraiment, bravo !
Vivement la suite !
louille

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par louille »

C'est très impressionnant.
Tu écris bien, prenant le temps de décrire les sensations, les paysages, les crispations de chaque personnage. Tout un monde se dessine en arrière-plan, sans que ce ne soit dit de façon didactique. Tu nous le fait sentir, notamment par des références ou des noms aux consonances étranges.
C'est un univers dur, sanglant, on sent que ça ne va pas être tendre. Mais tu parviens déjà en un chapitre à y insuffler une intensité émotionnelle qui rend tout ton récit haletant.
Préviens-moi quand tu postes la suite s'il te plaît, ton histoire est saisissante.
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Fantasy]

Message par Aquila »

Merci à tous pour vos retours si enthousiastes !
Vos commentaires sont d'autant plus important pour moi qu'ils m'aident à roder mon style et notamment à trouver le juste équilibre entre la richesse et la lourdeur, entre le lyrisme et l’artificielle. Apparemment, je suis sur la bonne voie :).

Vous serez, bien entendu, tous prévenus quand le chapitre suivant sera en ligne. En attendant et pour patienter, VoyageImaginaire et louille, vous pouvez jeter un œil à "De Plumes et de Sang" la très courte histoire qui est à l'origine de cet univers. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ;) .
Dernière modification par Aquila le dim. 25 oct., 2020 1:24 pm, modifié 1 fois.
VoyageImaginaire

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par VoyageImaginaire »

Je l'ai déjà lu et je l'ai adoré !
Les descriptions étaient complètes et la résolution magnifique
Elo971

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par Elo971 »

Comme d'habitude, je tarde à venir commenter, alors que je l'ai déjà lu ... La prochaine fois, je ferais le commentaire en direct, rappelle-moi, d'accord ? ;)

Pour commencer, je crois que ce que je préfère, c'est cet univers que tu décris. On a terriblement envie d'en savoir plus, d'en lire davantage, de s'y trouver un peu plus longtemps. Surtout quand tu nous dis que c'est dans le même univers que "De Plume et de Sang" que j'avais beaucoup aimé aussi.
Ensuite, ces personnages, avec la fillette au passé mystérieux, mais qui montre déjà une combativité et un esprit si fort. Erland, qui a l'air droit, honnête et courageux, dont on ne connait pour l'instant pas grand chose non plus. Et Lughérrin, cette divinité sans peuple, qui lutte pour continuer à vivre, malgré tout.
Quelles sont leurs histoires et que leur est-il arrivé ? En quoi sont-ils liés et que vont-ils faire à présent ? Quelles seront leurs avenirs et leurs péripéties prochaines ?
En quelques phrases, tu réussis à nous intriguer, au moins sur ces personnages, et on veut en apprendre davantage.

Et puis ce dieu unique, qui est-il ? Quels sont ses fidèles, qui dévastent tout ? Quelle est l'histoire de ce monde pour en arriver là ?

Je te l'ai déjà dit, je te le répèterais encore et encore, tu écris bien, surtout depuis que tu t'efforces d'alléger ton style.
Tes descriptions sont très précises, et permettent de bien se projeter dans l'univers et les histoires que tu narres. Tes personnages sont toujours intéressants, avec ce brin de complexité qui fait qu'on s'attache et qu'on souhaite savoir le passé, le présent et le futur de ces personnages.

En conclusion, quand tu publieras (j'en suis persuadée, ça arrivera), je serais la première à acheter tes ouvrages !
Bloulou

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par Bloulou »

Bonjour,
C'est tout simplement un très bon début d'histoire. Même sans avoir lu ta première histoire sur ce thème (que je vais aller lire juste après), on est tout de suite plongé dans ton univers qui est très original.
J'ai hâte de savoir si Lughérrin arrivera à la sauver. (Même si je me doute que oui) Et qui est donc réellement ce preux chevalier qui n'a pas hésité à abandonner ses compagnons pour sauver une enfant ?
La suite ! La suite ! La suite ! :D
Ton écriture est très complète et pourtant si simple à lire et à apprécier.
Tu tiens le début d'une histoire géniale de Fantasy.
Courage, continue :D
Bloulou
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Fantasy]

Message par Aquila »

Merci Bloublou pour ton commentaire :) !
La suite arrivera cet été normalement. Je te préviendrai.

Si tu vas lire "De Plumes et de Sang", n'hésite pas a y laisser un commentaire également.
Dernière modification par Aquila le dim. 25 oct., 2020 1:25 pm, modifié 1 fois.
Mensonges

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par Mensonges »

Coucou, j'ai fini par lire ton histoire puisque tu as mis un message sur mon mur ;)
D'abord, j'aime beaucoup l'effort de langage que tu fais, avec des mots rares, des phrases un peu alambiquées. Je suis très intriguée par ce début, et j'attends la suite, surtout d'en savoir plus sur cette mystérieuse enfant et de savoir pourquoi elle a survécu. J'aime bien aussi l'univers avec des dieux vivant sur terre, a priori, c'est très original et très intéressant.
Bonne continuation à toi, sois sûr que je lirai la suite ! Et peut-être "De plume et de Sang" si j'ai le temps !
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Fantasy]

Message par Aquila »

Merci Mensonges pour ton commentaire, sois sûr que tu seras prévenue quand la suite sera en ligne ;) !
Dernière modification par Aquila le dim. 25 oct., 2020 1:25 pm, modifié 1 fois.
Animia8

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par Animia8 »

Hello !

Je suis passée suite à ton message sur mon mur :mrgreen:

En premier lieu, tu as une belle plume, fluide, diversifiée et très imagée. Tu décris très bien les émotions également ! Bref, je suis pressée que l'aventure commence, pourras-tu me prévenir quand tu posteras la suite, s'il-te-plaît ? ^^
Pi-Rate

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Re: De Cendre et de Ruine [Fantasy]

Message par Pi-Rate »

Bouh. Tu t'attendais pas à me voir là, hein. Bah je t'avoue que moi non plus, mais je me devais de dire au monde entier que c'est trop bien trop bien trop bien.

Ton histoire est extrêmement prometteuse.
Dès les premières lignes, on a envie de la protéger, cette enfant, de la sauver et de soigner ses blessures.
Ton style d'écriture est génial, j'ai l'impression de la voir près de moi, recroquevillée sur le sol, et j'ai envie de l'attraper dans mes bras pour lui dire que tout ira bien.
On a envie de découvrir avec elle son histoire, qui elle est, et ce qui est arrivé à son village.
On a envie de la voir s'en sortir, parce qu'on sent en elle beaucoup de force, de courage et de maturité au regard de ses réactions.
La richesse et la précision du vocabulaire utilisé permettent de s'imaginer les scènes sans aucun effort, on entre dans le décor et dans l'histoire dès les premiers mots, spectateurs de la souffrance de cette enfant et de la désolation du village.
On a envie de remercier Erland pour son humanité, pour tous les efforts déployés pour sauver une vie parmi tant d'autres.
On a envie d'en savoir plus sur ce héros, quelques lignes suffisent à l'aimer et on a envie de vivre des aventures avec lui.
Son unité est très humaine aussi, un mélange de réactions différentes mais toutes très sensées (pourquoi faire tant d'efforts pour sauver une anonyme qui a très peu de chances de survivre, après tout ? et quel chevalier voudrait prêter son cheval ?) qui permet de ne pas avoir que des personnages trop blancs, sans faille, trop gentils finalement.
Et quelle est cette histoire de trahison ? Quel événement a conduit à ces ruines ?
Très surprise de me retrouver face à un dieu loup totalement saoul ! Ne lisant normalement pas du tout de Fantasy, je ne m'y attendais pas ! Et j'adore, je rejoins ChrissRuess pour dire que je veux voir des peluches Lughérrin ! Et le jour où elles sortent, j'en veux absolument une !
J'espère qu'il va pouvoir rassembler toutes ses forces pour sauver cette enfant, et peut-être pourront-ils s'aider mutuellement à surmonter les événements visiblement similaires qu'ils ont vécus ?
J'attends avec impatience la suite, j'espère voir tous ces personnages se lier entre eux.
Une fois encore, j'aime beaucoup le style d'écriture que tu as développé, tu es arrivé à un juste milieu entre un vocabulaire riche et précis et une lecture fluide sans aucune lourdeur.
Merci de me faire découvrir un genre totalement inconnu et de me faire adorer cet univers que tu as créé !
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Fantasy]

Message par Aquila »

Salut,

Après des mois de travail, voici le deuxième chapitre de "De Cendres et de Ruines". Environ 50% plus long que le premier, j'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire et j'espère que sa lecture vous en procurera tout autant.

Comme toujours, vos avis sont importants pour moi, alors n'hésitez pas à me laisser un commentaire. N'hésitez pas également à partager ma nouvelle si vous connaissez gens que ça pourrait intéresser.

Émotions et informations vous attendent au fil de ces paragraphes. Il est temps de faire connaissance avec nos protagonistes.
Bonne lecture !


Chapitre 2



L'enfant s'éveilla, confortablement installée dans un lit et emmitouflée sous de chaudes couvertures. Ainsi donc, elle était toujours en vie… Et plus surprenant encore, elle ne ressentait nulle douleur, même son crâne ne lui faisait plus mal. En fait hormis l’écrasante fatigue qu’elle éprouvait, elle allait bien. Physiquement du moins, car mentalement, son esprit restait amputé de ses souvenirs et tout débutait pour elle avec un crâne fendu, dans une cour peuplée de cadavres.

Aussi demeura-t-elle immobile, allongée sur le dos, les yeux rivés sur les solives au plafond en s’efforçant de ne penser à rien, refusant d'affronter la réalité. Peine perdue, car déjà venaient roder à la lisière des ruines de son esprit, les échos effroyables des horreurs qu’elle avait vues. Ce furent d’abord les images de soldats mutilés qui l’assaillirent, la laissant haletante et tremblante. Puis vinrent ensuite s’imposer à elle les souvenirs de femmes éventrées et d’enfants égorgés. Ses mains devinrent alors moites et son souffle court. Elle était certaine de sentir à nouveau les effluves infâmes de sang et de mort, tout comme à son réveil par terre sur le gravier. Elle étouffait. « Que cela cesse ! » hurla-t-elle mentalement. L’enfant se redressa vivement dans son lit et tenta de se calmer. Elle inspira profondément, bloqua son souffle, puis expira lentement, encore et encore. Bien décidée à ne plus se perdre dans son esprit, elle se mit à explorer la pièce du regard.

Elle se trouvait au centre d’une pièce tout en longueur, meublée de nombreux lits et de presque tout autant de chandeliers. Les lits, tous inoccupés, étaient répartis en deux rangées de part et d’autre de la pièce. Faisant face au sien, une grande cheminée où brûlaient bruyamment d’épaisses bûches. « Certainement une infirmerie ou un dortoir » jugea-t-elle intérieurement. De vastes tentures aux scènes religieuses recouvraient les murs. L'endroit ne lui disait évidemment rien.

Elle soupira en se frottant les yeux. S’étonnant encore de ne plus avoir mal au crâne, elle décida de l’explorer prudemment, là où elle se souvenait avoir décelé sa plaie. Sa main fouilla son cuir chevelu mais elle ne trouva rien. Pas un bandage, ni cicatrice ni croûte. Pas même la moindre bosse. Elle avait eu droit à un miracle, ce qui n'allait pas pour la rassurer. Pourquoi aurait-on fait cela pour elle ? Cherchant vainement une réponse, elle se tortilla par réflexe une mèche de cheveux. Curieuse, elle la tira devant ses yeux et loucha dessus. L’enfant découvrit alors qu'elle avait les cheveux quelque part entre le blond et le roux. « Un mystère de moins » ironisa-t-elle.

Soudain, elle entendit une porte s’ouvrir à sa dextre. Tournant la tête en conséquence, elle reconnut le soldat qui l’avait trouvée. L’enfant le regarda s’approcher avec appréhension. Ni haubert ni cotte d’armes cette fois-ci, mais une tunique noire aux passements argentés, des chausses noires et des bottes en cuir noir qui lui montaient aux genoux. Sur le dos, une longue cape en laine noire à capuche et à la doublure satinée d’un blanc cassé qui venait renforcer sa silhouette d’onyx. Elle était fermée aux épaules par une chaînette argentée. Ceinture et baudrier avec fourreau complétaient la tenue.

Le chevalier avisa une chaise qu’il déplaça à côté de son lit, de manière à s’asseoir près d’elle. Contrairement à leur première rencontre dans la cour, l’enfant put cette fois observer le visage de l’homme en détail. Il avait les cheveux noir de jais, mi-longs, un regard bleu aux accents métalliques, aussi acéré qu’une lame et qui tranchait avec son air avenant. Les traits fins, rasé de près, il avait l’air encore jeune, bien que de profonds cernes et un front ridé par les soucis témoignaient de sa fatigue.
-Bonjour jeune fille, débuta-t-il en souriant légèrement. Comment te sens-tu ?
Elle voulut répondre, mais tout comme auparavant dans la cour, ses mots moururent inexplicablement dans sa gorge et elle ne put qu’ouvrir et fermer la bouche tel un poisson hors de l’eau. « Pourquoi ?! Pourquoi je n'arrive pas à parler ?! » Peur, incompréhension, mais surtout frustration la gagnèrent. Une intense frustration qui lui brûla la gorge et lui amena les larmes aux yeux. Sur le point d’éclater en sanglots, elle se ressaisit du mieux qu’elle put. Sa fierté était tout ce qui lui restait à présent. Elle se composa une moue contrite et fit un geste incertain de la main. « Je n’ai plus de souvenirs ni de voix, mais sinon tout va bien messire chevalier... » Avec ses yeux embués de larmes et son mutisme, il dut la croire intimidée, car il tenta de la rassurer :
-Allons, n’aie pas peur. Tu es en sécurité ici désormais, personne ne te veut de mal, tout va bien. D’accord ?
Elle hocha la tête en retour et il reprit ensuite :
-Je me nomme Erland de Corval. Et toi ? Comment t’appelles-tu ?
« Si seulement je le savais moi-même... » gémit-elle intérieurement. Lui laissant le même arrière-goût amer qu’un aveu d’échec, elle dut se contenter de hausser les épaules. Le chevalier se fit alors perplexe.
-Tu ne veux pas me parler ?
Elle prit une expression peinée et plongea ses yeux inquiets dans ceux d'Erland en hochant la tête « Si ! Bien sûr que je voudrais ! Mais je ne peux pas ! Il faut que vous compreniez, messire ! » L’enfant se retint à grand-peine de s’agiter, redoutant qu’il ne la prenne alors pour une folle.
-Si ?
« Oui ! Oui !» Sa tête hocha au rythme de ses exclamations mentales.
-Eh bien alors ? dit-il, interloqué, qu’est-ce qui t’en empêche ? Je ne vais pas te manger.
Elle réfléchit à toute allure. Comment expliquer sa situation sans mots ? Que lui restait elle pour exprimer ses idées ? Après quelques battements de cœur, elle eut une idée. Levant sa senestre, elle en abattit violemment le tranchant sur le sommet de son crâne, là où sa plaie aurait dû se trouver. « Voilà pourquoi. » Erland fronça les sourcils :
-Tu ne peux pas parler… À cause de ta blessure ?
« Oui ! C’est ça ! » Elle hocha vigoureusement la tête.
Le chevalier noir, qui s’était tenu jusque-là bien droit sur sa chaise, s’affaissa légèrement en soupirant.
-Étrange… c’est pourtant Lughérrin, une divinité, qui t’a soignée. Tu ne devrais pas conserver de telles séquelles.
Puis, l’espace d’un désagréable instant, il la transperça de son regard acéré, comme s’il cherchait à lire en elle et il reprit, avec douceur néanmoins :
-Quand je t’ai demandé ton nom, tu as haussé les épaules… parce que tu l’ignores, n’est-ce pas ?
La gamine sentit son estomac se nouer. « Nous y voilà » se dit-elle. Elle craignait la réaction du chevalier lorsqu’il prendrait la pleine mesure de son état. Qu’allait-il faire d’elle ensuite ? Mais elle n’avait pas d’autre choix que de confesser la vérité. Impossible de camoufler une amnésie aussi importante que la sienne. Et puis comment mentir sur quoi que ce soit alors que l’on ne sait même pas son propre nom ? Elle hocha donc la tête, mais avec l’impression de se condamner.
-Également à cause du coup que tu as subi ?
Hochement de tête.
-Tu es amnésique.
Le ton était plus affirmatif qu’interrogatif. Elle acquiesça cependant.
-Est-ce l’amnésie qui te rend muette ? Tu ne sais plus parler ?
« Non. » Elle secoua la tête en signe de négation. De nouveau, elle mima sa blessure de sa main, mais cette fois elle se tapota ensuite la tempe puis la gorge avant de finalement lever deux doigts.
-C’est deux choses différentes ? Tu es amnésique et muette.
Hochement de tête.
« Voilà, c’est dit » soupira-t-elle intérieurement. À l’angoisse de ce qui allait advenir d’elle, se dilua une sensation de soulagement, comme si elle venait enfin d’avouer une chose honteuse ou terrible. Toutefois, elle appréhendait la réaction de ce mystérieux Erland. Car l’enfant, avec ses séquelles, se voyait comme brisée, avilie même. Et pour elle, il n’était pas concevable que le chevalier la voie autrement. Ne sachant pas dans quel royaume elle se trouvait, ni ses us et coutumes, son imagination mit son sang-froid à rude épreuve. D’ailleurs, le chevalier aussi semblait plongé dans ses propres pensées, nota-t-elle amèrement. Penché en avant il se massait l’arête du nez entre le pouce et l’index de sa dextre. Quel sort lui réservait-il ? Il se redressa :
-Bon, je vais aller échanger avec les soigneurs pour trouver une solution, lui expliqua-t-il.
Elle acquiesça machinalement. Erland posa alors une main sur son tibia qu’il pressa doucement. Elle pouvait sentir la chaleur de sa main à travers les couvertures. Malgré toute la méfiance qu’elle éprouvait vis-à-vis du chevalier, ce contact fut comme une torche dans la nuit, repoussant les spectres de mort et de destruction qui hantaient les ruines de son esprit. L’espace d’un trop bref instant, elle ressentit même un sentiment d’apaisement.
-Ne t’inquiète pas, tout ira bien.
Il retira sa main et se leva. « Non, non, non ! » gémit intérieurement l’enfant. Elle aurait voulu que ce contact se prolonge et dut se mordre durement l’intérieur de la joue pour ne pas se jeter dans ses bras et fondre en larmes afin de l’empêcher de partir, afin d’avoir un tout petit peu plus de chaleur humaine. Mais elle devait se montrer forte. Que penserait sinon ce militaire si elle se mettait à sangloter ? Que ferait-il d’une gamine pleureuse à l’esprit mutilé ? Aussi se contenta-t-elle de le suivre du regard, jusqu’à son départ de la pièce, avant de se jeter sur son oreiller et d’essayer de se calmer.

Sitôt qu’elle eut repris un semblant de contrôle sur ses émotions, elle se mit à échafauder des hypothèses : cet Erland de Corval lui paraissait sagace, intelligent et bienveillant. Trop peut-être. Pourquoi faisait-il cela pour elle ? Quelles étaient ses vraies motivations à son égard ? Ce doute empoisonna son esprit et flétrit la graine de confiance qu’il avait essayé de planter en elle. Et puis d’ailleurs, était-il vraiment en train de lui chercher un remède ou était-il en train de discuter de la meilleure façon de se débarrasser d’elle ? L’enfant voulut en avoir le cœur net. Elle préférait fuir et mourir plutôt que d’être vendue en esclavage ou pire, à un bordel.

Repoussant ses couvertures, elle sortit prestement du lit… et voulut y retourner aussitôt. Le sol, composé de petits carreaux qui formaient eux-mêmes de grands losanges aux nuances ocre, était à l’inverse de ses couleurs : glacial, et mordait cruellement ses pieds nus. Pour ne rien arranger, on avait changé ses vêtements et elle ne portait plus que pour seul et unique habit, un simple et informe surcot sans manches en lin d’un blanc crème. Se frottant les bras pour se réchauffer, elle partit en sautillant sur la pointe des pieds en maudissant équitablement le chevalier Erland, les dieux, le destin, sa méfiance, et ceux qui avaient pris ses vêtements et ses souliers. Sans oublier le froid.

À mesure qu’elle approchait de la porte en bois, elle commençait à saisir des bribes d’échanges, sans en reconnaître les voix :
-… Lughérrin… certain…
-… une divinité… Jamais oublié…
-…peut être idiote avant ?
L’enfant se figea, avec l’impression qu’un bloc de glace lui tombait sur l’estomac. La pensaient-ils idiote ? Folle ?! Le bloc de glace eut tôt fait de fondre tandis qu’une colère brûlante montait en elle. « Je ne suis ni folle ni idiote ! » Elle aurait voulu ouvrir la porte à coups de pied et leur hurler ces mots, ulcérée qu’elle était. Mais elle s’abstint. Non pas par retenue, mais parce qu’elle n’aurait pu que gesticuler en couinant, ce qui, elle en avait cruellement conscience, n’aurait fait que rajouter du crédit à ceux qui la pensaient idiote. Aussi tourna-t-elle sur elle-même, inspectant la pièce à la recherche d’une idée. Elle refusait catégoriquement de les laisser croire qu’elle était stupide. Son regard s’attarda sur le feu qui ronflait dans la cheminée. Et soudain, une idée qui embrasa son imagination.

Tremblante de froid, de fatigue et de colère, elle se dirigea néanmoins à pas vifs vers l’âtre où elle récupéra un éclat de charbon tiède, en périphérie du foyer. « Ils vont voir si je suis idiote ! » Elle retourna ensuite à son lit où elle jeta à terre les couvertures puis fit basculer le matelas hors du châlit en direction de la porte. Enfin, à l’aide de son fusain improvisé, elle écrivit sur les draps immaculés du matelas, à grands gestes rageurs : « JE NE SUIS PAS UNE IDIOTE ! » À peine l’enfant eut-elle fini, qu’Erland rentra dans la pièce. Aussitôt, la gamine se retourna pour lui faire face. Elle se composa une moue accusatrice et pointa successivement du doigt le chevalier et ses charbonneuses récriminations. Visiblement amusé, Erland déclara :
-Eh bien jeune fille, vous n’êtes certes pas une idiote, mais vous avez mauvais caractère.
Excédée, elle lui jeta son morceau de charbon à ses pieds. « Eh bien allez vous faire foutre, messire chevalier ! »
-Et hargneuse en plus de ça… Allez, viens, approche, ajouta-t-il en lui tendant la main.
En guise de réponse, la gamine lui montra les dents « « Approche » toi-même ! »
-Viens, te dis-je.
Le ton restait doux, mais péremptoire. Elle devina qu’il avait l’habitude qu’on lui obéisse. Bien que mesurée, cette marque d’autorité eut pour effet d’éteindre la colère de l’enfant, ne laissant que des fumerolles de rancune. Aussi décida-t-elle de ne pas pousser plus loin son insolence et elle s’avança avec méfiance, tendue comme un arc, en se demandant, un peu tardivement, s’il n’allait pas la frapper pour son effronterie. Mais au lieu de cela, il la souleva et, avant même qu’elle ne comprenne ce qui lui arrivait, elle se retrouva dans ses bras, la tête sur son épaule.
-Je n’ai pas chevauché toute une nuit pour te sauver et te voir ensuite mourir d’une pneumonie, lui dit-il gentiment en la portant vers un autre lit.

Prise à contre-pied par la réaction d’Erland, submergée par le contact physique, c’en fut trop pour l’enfant fatiguée. Son menton se mit à trembler et avant qu’elle ne puisse tenter quoi que ce soit, elle fondit en larmes. S’abandonnant dans les bras du chevalier, renonçant à toute velléité de fierté et de courage, elle redevint ce qu’elle était vraiment : une gamine seule, terrifiée et tourmentée par ses traumatismes. « Pourquoi moi ?! » Et quand, une fois assis sur le rebord du lit, Erland commença à lui caresser le dos en la rassurant, ses sanglots étranglés se firent déchirants et elle le serra de toutes ses maigres forces en retour. L’enfant pleura alors jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que ses larmes se tarissent, comme si en coulant, elles pouvaient laver les horreurs qui souillaient son âme pourtant si jeune.

Quand elle fut calmée, et après un long moment de silence où seuls se faisaient entendre le crépitement du feu et les va-et-vient de la main d’Erland sur son dos, ce dernier finit par rompre l’étreinte et la déposa avec douceur dans le lit. Elle aurait voulu que ce moment de paix et de sécurité hors du temps perdure encore indéfiniment, mais elle se laissa faire à regret, de peur d’épuiser la patience du chevalier noir, n’emportant avec elle qu’un peu de sa chaleur et de son odeur boisée.
Avec gravité, il lui dit :
-Ecoute jeune fille, en toi j’ai vu une ténacité rare, de la combativité et beaucoup de courage. Mais de l’idiotie ? Pas même une ombre. Ce que tu as entendu à travers la porte n’étaient que des conjectures erronées d’un soigneur. Je suis le seul à avoir échangé avec toi pour l’instant, et je peux t’affirmer que savoir se faire comprendre sans paroles ou être capable d’écrire une phrase sans fautes, c’est déjà témoigner de plus d’intelligence que beaucoup de soldats dans cette forteresse.
Elle savait qu’elle aurait dû être flattée ou touchée par ce qu’il venait de lui dire, mais tout sentiment positif semblait devoir être corrompu par son anxiété et sa méfiance vis-à-vis du chevalier. Aussi, l’enfant accueillit-elle ces paroles avec scepticisme. « De bien belles paroles, messire chevalier, alors même que je ne sais pas ce que vous allez faire de moi », s’imagina-t-elle lui répliquer.

Erland lui révéla ensuite que les soignants étaient perplexes face à ses séquelles et comme Lughérrin était absent, elle allait devoir patienter quelques semaines avant d’avoir, peut-être, des explications quant à ses maux qui l’affligeaient encore. Voire des soins. « Et s’il n’y en avait pas ? » pensa-t-elle sombrement.
-En attendant, tu vas rester ici te reposer, conclut le chevalier noir.
Elle acquiesça mollement, engluée qu’elle était dans ses réflexions de plus en plus pessimistes. La réaction d’Erland, les soigneurs « perplexes » et une divinité… Une divinité qui quoi ? Aurait oublié quelque chose dans son miracle ? Cela lui semblait invraisemblable. Qu’essayait-il de faire en lui racontant tout ça ? De la tromper ? D’endormir sa méfiance ? Ou de ne pas l’accabler ?
-Mais avant que je ne parte, il te faut un nom.
La proposition perça à travers ses sombres pensées et elle regarda Erland avec intérêt, presque avec espoir. Un nom était la fondation indispensable qui lui fallait pour se rebâtir une identité, pour s’ancrer à nouveau dans ce monde, qui fut un temps le sien, mais qui lui était désormais inconnu et hostile. Ce nom serait en quelque sorte un nouveau départ. Et elle fut rassurée quand elle vit le chevalier se concentrer. Il semblait prendre la chose avec sérieux. Toujours assis sur le bord du lit, le dos droit, ses yeux papillonnant dans la vaste salle, s’attardant parfois sur la gamine. Puis soudain, ils se fixèrent sur elle. Son regard acéré agriffa le sien et la transperça de toute son intensité. Elle avait la désagréable sensation que son âme était mise à nue, bien qu’elle n’eut plus rien à cacher, ni secret ni honte. L’enfant ne réussit à soutenir ses prunelles d'acier qu'un bref instant avant de détourner les siennes. « Mon nom n’est pas gravé sur mon visage, hein », pensa-t-elle sarcastiquement.
-De jade, murmura Erland.
Il battit des paupières comme saisi d’une illumination et reprit avec une voix cette fois plus affirmée :
-De jade. De jade est ton regard, alors de jade sera ton nom, Jade.
« Jade… »
À défaut de pouvoir goûter ce mot, de le faire rouler sur sa langue et d’en apprécier les sonorités et la texture, elle le manipula mentalement. « Jade », se répéta-t-elle. « Jade ». Elle aimait déjà ce nom. Elle aimait le fait que ça ne soit pas un nom choisi au hasard et qu’il ait un lien avec elle. Elle aimait ce que cela représentait. Rapidement elle se l’appropria. « Jade ». Pour la première fois depuis son réveil dans les ruines, elle ressentit de la joie et une douce et agréable chaleur se diffusa en elle. Ces deux syllabes lui suffirent à se sentir un peu mieux ; moins chose brisée et plus humaine. Et pour la première fois également, elle sourit à Erland. Un timide sourire, certes, mais chargé de beaucoup de choses.
-Visiblement, cela te plaît.
Jade hocha vigoureusement la tête.
-Sais-tu ce que c’est le jade ?
Elle acquiesça. « Une pierre précieuse ? »
-En plus d’être rare et précieux, le jade est également dur et tenace, lui apprit Erland. À bien des égards, j'estime que ce nom te correspond.
Erland semblait fier de sa trouvaille et Jade se sentit flattée. Flattée qu’il pense cela d’elle, mais aussi et surtout, flattée qu’il ait pris le temps de réfléchir à non pas lui donner un nom, mais à lui trouver son nom. Et cela renforça l’idée qu’elle se faisait de la sagacité du chevalier. Erland lui semblait être bien plus qu’un simple soldat ou officier. Mais encore une fois, Jade avait l’esprit tiraillé entre la méfiance et l’admiration. Cela vicia son bonheur et fana son sourire. Lasse, elle se laissa retomber sur son oreiller. « Suis-je condamnée à voir toutes mes joies et mes bonheurs corrompus ? »
Prenant certainement cela pour un signe de fatigue, Erland déclara en se relevant du lit :
-Bien, assez discuté. Il est temps que tu te reposes maintenant. Je repasserai te voir demain. D’accord ?
À l’annonce de son départ, elle se sentit blêmir. L’anxiété lui broya le cœur.
-Ça va aller ? s’enquit Erland.
« Non. »
Jade avait beau se méfier d’Erland, elle devait toutefois admettre que sa présence lui apportait un certain réconfort. Mais elle acquiesça tout de même, résignée à l’idée de devoir rester seule avec ses angoisses et ses démons. Cependant, le chevalier ne fut pas dupe.
-Ne t’inquiète pas, tu n’es pas toute seule. Derrière, lui expliqua-t-il en pointant la porte par laquelle il était venu, il y a des soigneurs et des infirmiers. Je vais les informer de ton état. Ils viendront s’enquérir de ta santé régulièrement. Tu peux te reposer en paix. Tu es en sécurité désormais.
Il lui serra doucement l’épaule, puis, dans un bruit d’étoffe et de botte, quitta la pièce d’un pas vif, faisant onduler sa cape, ne laissant qu’une odeur de cèdre derrière lui.

Poussant un lourd soupir, Jade s’enfonça la tête dans l’oreiller en se demandant ce qu’elle avait bien pu faire dans cette vie ou dans une autre pour mériter un pareil sort. Elle s’imagina alors en sanguinaire chef mercenaire, sans foi ni loi et violeur d’enfants. « Minimum cela… » jugea-t-elle. Mais elle cessa rapidement de se morfondre, car cela ne fit qu’amplifier les angoisses qu’elle cherchait à fuir. « Aussi dure que du jade hein », ironisa-t-elle douloureusement. « Jade… » Au moins avait-elle un nom désormais. « Jade, Jade, Jade. » Une pièce de plus à ajouter au puzzle. « Jade. Jade aux cheveux d’ambre, Jade aux yeux de jade. Jade la courageuse, Jade la tenace. Jade au mauvais caractère, Jade la hargneuse… Jade la jeune fille ? » Alors même qu’instinctivement elle se qualifiait d’enfant, à plusieurs reprises Erland l’avait appelée jeune fille. Quel âge avait-elle donc ? Balayant futilement la pièce pour s’assurer de sa solitude, elle souleva le col de son surcot et y plongea son regard. Une peau laiteuse, parsemée de taches de rousseur que venaient surplomber deux modestes renflements aux tétons d’un rose délicat. D’une main, elle s’appuya sur un sein ; ferme, chaud et sensible au toucher. Un courant d’air froid s’engouffra dans son surcot et mit fin à son exploration dans un frisson. Elle s’enroula prestement dans ses couvertures. « Autant pour l’enfant », se dit Jade la jeune fille.

Erland revint comme il l’avait promis le jour suivant, harnaché pour la guerre. Jade fut réveillée en sursaut par ses solerets de fer claquant contre le sol en pierre avant même qu’il n’entre dans la pièce. Son heaume aux plumes de corbeau sous le bras, il ne resta que le temps de lui dire qu’il s’en allait en mission et qu’il ne pourrait pas lui rendre visite ces prochains jours, avant de repartir précipitamment au son d’un cor de guerre, non sans lui promettre qu’il s’occuperait d’elle à son retour, la laissant dépitée et inquiète.

Jade vécut les jours qui suivirent dans une sorte de brume comateuse. Terrassée par les évènements, épuisée par le contrecoup du miracle de Lughérrin, elle passa le plus clair de son temps à dormir, sans pour autant arriver à se reposer. Car même la sérénité de la nuit et l’abandon du sommeil lui étaient refusés : si le jour elle fuyait ses angoisses, la nuit, elle subissait ses cauchemars. Combien de fois était-elle morte transpercée, éventrée, fracassée ? Combien de fois avait-elle fui des bâtiments en flammes et des ruines hantées de cadavres ? Les hurlements d’horreur, l’odeur infâme des corps en décomposition, les plaies béantes et les visages de mort… Chaque nuit, encore et encore. Elle se réveillait alors en sursaut, et sanglotait en maudissant le destin et les dieux, jusqu’à ce qu’elle se rendorme encore, toujours plus fatiguée.

Lorsqu’elle ne dormait pas, elle mangeait sans appétit les plateaux de nourriture qu’on lui laissait sur la table de chevet à côté de son lit et elle réfléchissait. Elle réfléchissait sur Erland, sur elle-même, sur son avenir et immanquablement, cela la rendait anxieuse. Alors, elle finissait par détourner ses pensées sans aboutir à quoi que ce soit et fixant le ciel à travers les longues, mais étroites fenêtres de l’infirmerie, elle se concentrait sur les sons qui lui parvenaient, essayant de deviner la vie qui se déroulait au-dehors. Bottes, sabots, cors et clairons, éclats de voix et claquements métalliques ne laissèrent guère de place à autre chose qu’à des scénarios martiaux. Aussi imagina-t-elle souvent de preux chevaliers et de fiers soldats partant protéger villes et villages contre de cruels barbares sanguinaires. Mais ce qu’elle préférait, c’était écouter la pluie et le vent battant les carreaux de verre. Elle fermait alors les yeux et se laissait bercer par les éléments. Dans ces moments-là, son univers ne se résumait plus qu’à son lit et à cette vaste coquille de pierre qu’était l’infirmerie. Et cela lui convenait parfaitement. Elle se sentait en paix et en sécurité, si bien qu’elle s’endormait rapidement pour quelques heures d’un sommeil sans rêve.

Trois fois par jour, un soigneur ou un infirmier de la guilde du Cœur-d’Or venait s’enquérir de sa santé. Ils se montraient tous gentils et patients, mais ils paraissaient à Jade distants, presque froids. Bien loin de la bienveillance que lui avait témoignée Erland. Ayant du temps pour réfléchir, elle comprit qu’à la différence du chevalier qui semblait lui porter un intérêt personnel, les soigneurs, eux, ne faisaient que leur métier et auraient agi à l’identique pour n’importe quel autre patient. Seule Maïa dérogeait à la règle. La soignante venait systématiquement lui apporter son repas du soir et se faisant, elle restait discuter, ou plutôt monologuer avec elle. Parlant de tout et de rien, jusqu’à ce que la jeune fille termine ou ne s’endorme. Malgré la frustration de ne pas pouvoir lui répondre, Jade appréciait ces moments qui brisaient la monotonie angoissée de sa convalescence. Et puis son ton enjoué et sa voix douce lui faisaient du bien.

Ce fut au bout du cinquième jour qu’Erland réapparut. Jade venait tout juste de terminer son petit-déjeuner : une épaisse tartine de pain aux noix et aux noisettes, encore chaude, recouverte de beurre et de miel et avec un bol de gruau indéfinissable, lorsque le chevalier pénétra dans le dortoir. De nouveau habillé de noir, il était encore plus cerné que la dernière fois, jugea la jeune fille, et une longue estafilade lui zébrait la joue. Sa mission, quelle qu’elle fût, avait dû être éprouvante. Une fois assis près d’elle et s’étant enquis de son état, le chevalier noir se tut, le temps pour lui de fouiller une poche de sa cape. Il en sortit, enchâssée dans un cadre en bois, une ardoise à laquelle pendaient attachés par de la ficelle, une craie dans un fourreau de cuivre et un chiffon.
-À défaut de pouvoir te rendre personnellement la parole, voici de quoi faciliter nos échanges, lui dit Erland en lui tendant l’objet.
Jade l’accepta et, immédiatement, prit la craie entre les doigts de sa senestre et en posa l’extrémité sur l’ardoise. Qu’écrire ? Que dire ? Tellement de choses, tellement de questions lui traversaient l’esprit. Par où commencer ? Par la base peut-être ? Sa main s’agita sur la plaque, puis elle retourna la tablette en direction du chevalier :
Merci »
Puis elle ajouta précipitamment :
Pour tout. Pour m’avoir sauvée ».
Face à ce témoignage de gratitude, Erland se contenta de hocher la tête, comme si tout cela allait de soi. Désormais en mesure de répondre aux questions, il l’interrogea aussitôt sur son amnésie, cherchant à comprendre comment elle l’affectait. Jade était d’une certaine manière heureuse de pouvoir s’expliquer clairement, craignant encore qu’Erland ne la prenne pour une folle. Et le fait qu’il aboutisse, en quelques questions pertinentes, à la même conclusion qu’elle dans les ruines, la rassura grandement. A savoir que c’était son moi, son « ego » lui précisa-t-il, qui avait disparu dans les limbes de son esprit, ainsi que ce qui gravitait autour.
Après être resté silencieux quelques instants, le chevalier noir reprit la parole :
-A présent, parlons de ton avenir…
À cette annonce, le cœur de Jade rata un battement et elle sentit son estomac se nouer. Elle redoutait autant qu’elle attendait ce moment. Qu’allait-il advenir d’elle ?
-Comprends bien que Vulpia, le village où je t’ai recueillie, n’est plus que cendre et ruine. Et nous n’avons trouvé aucun autre survivant que toi. Il ne reste plus rien ni personne, donc personne pour te connaître ou te reconnaître ni de retour possible.
Le ton était grave, mais Jade hocha la tête de façon laconique. Sans souvenirs, elle n’avait aucune attache émotionnelle avec ce lieu, tout juste ressentait-elle un vague sentiment de malaise, mais uniquement parce qu’elle savait qu’elle aurait dû être dévastée par ces paroles. En vérité, Jade était surtout impatiente que le chevalier lui dise ce qu’il comptait faire d’elle.
-Ton âge et les circonstances me mettent face à mon devoir et à mon honneur. Me voilà donc responsable de toi et de ton futur. Je pourrais te confier à un orphelinat, mais après vingt années de guerre, ils sont saturés. Trop d’enfants en peine, pas assez de bras aimants, ils sont devenus des lieux de perdition sordides où les lupanars viennent chercher de nouvelles chairs à besogner. Les temples, eux, ne recueillent plus d’enfants depuis bien des années. Ils ont suffisamment de novices pour toute une génération de flamines et de clercs. Et malheureusement, aucun maître artisan ne voudra d’une apprentie sans parrainage ni recommandation. Aussi, voici ce que je te propose : de par mon sang et mon grade, j’ai le droit d'avoir des serviteurs. Si tel est ton désir, tu peux donc rester ici à la Haute-Avana avec moi et me servir, tu seras en quelque sorte mon apprentie écuyère. Autrement, tu pourrais rejoindre l’intendance de la forteresse, qui est toujours à la recherche de bras pour travailler. Ils te trouveraient certainement une place en cuisine ou parmi les lavandières. Le choix t’appartient, Jade, conclut-il.

La jeune fille, qui était restée en apnée durant toute la tirade d’Erland inspira à nouveau, avant d’ironiser intérieurement « Que de choix, j’hésite. J’ai toujours rêvé d’être catin, mais je dois avouer que laver les sous-vêtements puants de soldats a l’air également intéressant… » Elle se retint de soupirer. En vérité, la situation n’était pas si mal, essaya-t-elle de positiver. Elle avait imaginé bien pire durant ses moments d’angoisse et elle appréciait le fait qu’il lui laisse le choix. Elle réfléchit. L’idée de rester auprès d’Erland ne lui était pas déplaisante ; bien qu’elle éprouvât sans conteste de la méfiance, elle était de plus en plus curieuse vis-à-vis de son bienfaiteur. Et en restant avec le chevalier pour le servir, Jade ne serait jamais mieux placée pour apprendre à le connaître et ainsi percer l’aura de mystère qui le nimbait. Enfin, Erland était son seul ancrage dans ce nouvel univers terrifiant et la solitude commençait déjà à lui peser, alors autant ne pas rompre cet unique lien. Baissant les yeux sur son ardoise, elle écrivit :
J’acepte de vous servir, messire. »
-Deux c à accepte. Et j’espérais qu’il en soit ainsi, lui avoua Erland avec un léger sourire. Puis il enchaîna :
-Te sens-tu prête à quitter l’infirmerie ?
Elle acquiesça.
-Alors ne perdons pas de temps. Tu vas me suivre jusqu’à mes quartiers où je t’expliquerai plus en détail ce que j’attends de toi désormais.
« Désormais… » Destin scellé, dés lancés… « … Et advienne que pourra... » compléta-t-elle mentalement.

Jade repoussa ses couvertures et s’apprêta à sortir du lit quand le froid se rappela à elle dans une caresse glaciale qui lui donna la chair de poule. Elle émit une sorte de grincement de gorge pour attirer l’attention du chevalier noir, puis agita ses pieds nus et se mima en train de grelotter. « Finalement, je vais rester ici jusqu’à ce que l’été arrive, si vous voulez bien messire chevalier… » Erland la considéra un instant avant de se pincer l’arête du nez.
-Effectivement… soupira-t-il. J’avais oublié ce… détail. Tachés, brûlés et déchirés, tes habits ainsi que tes souliers étaient malheureusement irrécupérables.
Jade faillit fondre en larmes, elle n’avait même plus de vêtements ! Rien ne lui serait-il donc épargné ? Dépitée et la gorge douloureusement serrée, elle sortit du lit et, prenant exemple sur le chevalier, elle se tint debout bien droite, malgré le froid et le terrible sentiment de honte qui l’accablait à cause de son grossier surcot. « Aussi dure que le jade, Jade », se répétait-elle intérieurement. Erland sembla cependant lire en elle comme dans un livre ouvert :
-Rassure-toi Jade. Tu en auras de nouveaux d’ici quelques jours, lui dit-il sereinement.
Puis il dégrafa sa cape et lui la tendit.
-En attendant, couvre-toi avec ça.
La jeune fille accepta la lourde cape avec gratitude. Au vu de la différence de taille entre Erland et Jade, cette dernière ne lui arrivant pas à la poitrine, elle ne pouvait pas juste passer la cape par-dessus ses épaules. Aussi enficha-t-elle la capuche sur sa tête, puis enroula serré autour de son corps le vêtement à la manière d’une toge avant de passer autour de ses épaules l’étoffe restante. Le poids de la laine et du satin, la chaleur et l’odeur du chevalier qui s’en dégageaient, la rassurèrent et la calmèrent. Ainsi enveloppée, où seuls dépassaient ses pieds nus, Jade se sentait beaucoup moins vulnérable et exposée.

D’un mouvement de tête, elle rabattit la capuche et s’inclina devant Erland en guise de remerciement puis récupéra son ardoise encore sur le lit. « J’espère que j’aurai droit à une cape également. » Visiblement amusé, Erland l’enjoignit à le suivre et elle lui emboîta le pas tandis qu’il quittait la pièce, le bruit de ses pieds nus sur la pierre venant faire contrepoint au claquement des bottes du chevalier.

Un couloir et des portes. Lorsqu’elles étaient ouvertes, Jade vit d’autres dortoirs où se reposaient des hommes. Elle avait été mise à l’écart, comprit-elle. Derrière certaines closes, elle entendit des hurlements étouffés et gémissements de douleur. À son regard terrifié, Erland lui dit d’un ton las en grattant machinalement son estafilade :
-Les combats ont été violents...
« Le monde ne s’est apparemment pas arrêté pendant que j’étais dans ma coquille de pierre », pensa Jade. Çà et là dans le couloir, filant tels de sanglants éclairs de porte en porte, des tuniques rouges au cœur d’or, les bras et l’esprit chargés de ce qu’il fallait pour sauver des vies.

Quittant avec soulagement l’infirmerie, Jade suivit Erland de couloir en couloir, d’escalier en escalier dans ce qui semblait être un labyrinthe aux douces nuances ocre. Pourtant tout était austère et froid. « Mais pas autant que mes pieds… » Pensa-t-elle. Au détour d’un énième couloir, ils croisèrent un serviteur qui ne devait avoir que quelques années de plus qu’elle. Livrée en laine grise, gilet de cuir, il avait une tignasse brune et un visage mangé par l’acné. Erland l’interpella.
-Capitaine ?
-Fais quérir maîtresse Onvald et maître Valmir. Dis-leurs que j’ai besoin de leur service urgemment, ordonna le chevalier.
-Bien capitaine !
Et il fila à toutes jambes. À la vue de la moue interrogatrice de Jade, Erland précisa :
-Maîtresse Onvald est tailleuse et maître Valmir cordonnier.
La jeune fille acquiesça, bien qu’elle fût sceptique quant à l’utilité d’un cordonnier, elle doutait en effet qu’il lui reste quoi que ce soit à botter quand il viendrait, tant ses pieds étaient glacés.

Erland finit par s’arrêter devant une lourde porte aux traverses de fer. Sortant une clé d’une poche, il l’ouvrit.
-Voici mes quartiers, c’est là que tu résideras désormais. Commença-t-il à expliquer.
Mais déjà Jade n’écoutait plus, car avisant la cheminée au feu ronflant, elle fit fi de toute notion de politesse et s’y précipita. Le dallage au sol, chauffé par la chaleur des flammes, mordit alors délicieusement ses pieds froids. Après quelques instants passés à sautiller d’un pied à l’autre, elle finit par s’asseoir à même le sol, se pelotonnant à proximité de l’âtre en poussant un soupir de contentement.

Le chevalier noir semblant l’ignorer pour l’instant, Jade laissa les flammes lui lécher le dos et explora la pièce du regard. Ni grande ni petite, elle devait servir de bureau de travail. Contre le mur, en face d’elle, des coffres et un buffet de bois clair et noueux. Dessus, posés sur des plateaux d’argent, carafes et verres à alcool. À sa dextre, la porte par laquelle ils étaient entrés, désormais close et de part et d’autre des bibliothèques. Au grand étonnement de Jade, presque tous les livres qu’elles contenaient étaient abîmés : reliures déchirées, brûlées ou tachées quand elles n’étaient pas tout bonnement arrachées. L’état des ouvrages lui semblait en totale contradiction avec l’image qu’elle commençait à se construire du chevalier. « Il y a une histoire derrière cela », se dit-elle. Puis, en pensant à elle-même « Ou peut-être qu’il aime bien les petites choses abimées... »

Tournant la tête côté senestre, ses yeux furent tout de suite attirés par un grand étendard accroché au mur, dans l’alignement avec le centre de la pièce, mais très en hauteur. Il représentait une épée croisée de deux plumes noires le tout entouré d’un fer à cheval. La jeune fille se rappela alors le heaume aux plumes noires d’Erland et que le page l’avait appelé capitaine. « Ce doit être la bannière des soldats qu’il commande », supposa Jade. Le reste du mur était couvert de cartes plus ou moins détaillées qui semblaient représenter une même région, mais à différentes échelles. La plupart étaient copieusement annotées. De part et d’autre de l’ensemble, deux fenêtres éclairaient la pièce d’une douce lumière matinale.

Dos à cela, debout, mais penché en avant sur son bureau, Erland triait des documents. Le meuble était de même facture que le buffet et tout le mobilier de la pièce. Même bois, même style dépouillé. Tout juste les pieds étaient-ils sculptés. « Simple, fonctionnel, militaire » jugea Jade. Sur le bureau, quantité de lettres, de rapports et autres schémas tactiques, soigneusement empilés, encerclaient un sous-main en cuir où l’on trouvait fioles d’encres et plumes en plus ou moins bon état. Au sol, sous le bureau et les chaises paillées d’osier qui l’encadraient, un large tapis ovale aux motifs végétaux complétait la pièce.

Le chevalier, plusieurs missives froissées dans une main, contourna son bureau pour récupérer deux des trois chaises qu’il y avait devant et alla les disposer face à face près de l’âtre. Il jeta ensuite les lettres dans les flammes tout en enjoignant Jade, toujours lovée contre les pierres chaudes, à s’asseoir. Pendant qu’elle s’exécutait, Erland prit une bouilloire d’aspect quelconque qui se trouvait sur le fronton de la cheminée et l’accrocha au-dessus des flammes après s’être assuré de son remplissage. Sous le regard intrigué de la jeune fille, il alla au buffet. Cachée par la stature martiale du chevalier, elle le devina plus qu’elle ne le vit sortir deux tasses du meuble puis y ajouter avec précision diverses feuilles séchées tirées de bocaux en verre, eux-mêmes dissimulés dans un autre compartiment du buffet.

Elle considéra avec émerveillement la magnifique tasse que lui mit ensuite Erland entre les mains. Finement émaillée d’un bleu se dégradant de la nuit à l’azur, elle était peinte de délicats motifs de lierres, réalisés à l’or. Cela amena Jade à de nouveau s’interroger sur son chevalier tutélaire.

Bien que la vie militaire lui soit étrangère, elle doutait avec certitude qu’un soldat préparant du thé dans des tasses qui devaient valoir plus cher que l’ensemble de l’ameublement de ses quartiers fût quelque chose de courant. Plus elle découvrait l’homme, plus il lui semblait fait de contrastes, à l’image de ses tasses et de ses quartiers ou de son bureau méticuleusement ordonné et ses bibliothèques aux allures de fosse commune littéraire. Jade avait l’impression qu’il était tout à la fois ombre et lumière, eau et huile. Erland était fort, autoritaire, martial, mais en même temps il s‘était montré doux, patient, et tout son savoir-être, tel que son langage ou son port, témoignait d’une indubitable éducation voire même d’un certain raffinement.

Ce faisant, Jade s’interrogea également sur sa propre image. Tout à l’heure prostrée contre la cheminée, maintenant assise en tailleur sur sa chaise, coudes sur les genoux, la tasse dans sa senestre tandis qu’elle se tortillait une mèche de cheveux dans sa dextre. Elle se traita d’idiote en se morigénant, elle devait passer pour une sauvageonne aux yeux du chevalier. Aussi la jeune fille décida-t-elle de prendre exemple sur lui : elle s’assit correctement, se tint le dos droit, les épaules ouvertes et se composa une expression neutre. Maintenant qu’elle avait soumis son avenir au bon vouloir d’Erland, elle devait absolument faire attention à ne pas le décevoir. Qu’adviendrait-il d’elle s’il finissait par la rejeter ?

Jade fut tirée de ses réflexions anxiogènes par un filet d’eau remplissant sa tasse. Quelques instants plus tard, alors qu’Erland prenait place en face d’elle, une douce chaleur se diffusa entre ses mains à travers l’émail et de riches arômes de plantes exaltés par l’infusion, commencèrent à embaumer. À cet instant, Jade sut avec une certitude presque viscérale qu’elle aimait le thé.
-La coutume veut que l’on partage un verre avec la personne avec qui l’on scelle un accord, commença Erland. Toutefois, tu me parais encore un peu faible pour de l’alcool. Alors, partageons plutôt un thé.
Sa phrase terminée, il leva sa tasse en avant et prit un ton solennel :
-A notre association, puisse-t-elle être bénéfique et enrichissante pour nous deux.
Accrochant son regard, Jade fit de même et hocha la tête. Elle ajouta mentalement une prière pour sa nouvelle vie qui, à cet instant, commençait en quelque sorte de façon officielle, en espérant qu’elle soit moins cruelle et plus douce que ce qu’elle lui avait actuellement témoigné. En tout cas, elle débutait dans un agréable parfum de feu de bois et de thé.

Buvant une gorgée en même temps qu’Erland, elle fut submergée par la richesse des saveurs qui se diffusèrent sur son palais. Comme elle avait anticipé, elle adorait cela et la brûlure du breuvage chaud serpentant dans sa gorge après les couloirs froids n’était pas pour lui déplaire. D’ailleurs, comme assoiffée de plaisir après un désert où tout n’était que peine et souffrance, elle aurait voulu vider la tasse d’une traite, mais elle se contrôla. « Ne sois pas rustre, idiote ! »

Le chevalier noir reprit la parole :
-Les coutumes ainsi sauves, je vais maintenant t’expliquer plus précisément ce que j’attends de toi…
Malgré le thé brûlant, la jeune fille frissonna. Et s’il lui demandait quelque chose qu’elle ne savait pas faire ? Ou alors mal ? Elle inspira profondément.
-Je veux que tu m’assistes au quotidien. Tout simplement. Quand je serai occupé ici-même à travailler, tu porteras mes messages et iras récupérer ce dont j’ai besoin. Lors de mes entraînements, tu m’apporteras mes armes et quand je partirai en mission, tu m’aideras à me préparer. Je te confierai également le soin de nettoyer et d’entretenir mon équipement. Et très certainement d’autres choses encore.
Voyant Jade visiblement mal à l’aise, Erland s’interrompit :
-Quelque chose ne va pas, Jade ?
« Oui ! Je ne sais pas faire tout cela ! » paniqua-t-elle. Qu’allait-il faire d’une apprentie écuyère ne sachant pas entretenir armes et armures ? Elle se tortilla sur sa chaise, hésitante, puis posa sa tasse sur le rebord de la cheminée et récupéra son ardoise :
- « Je ne sais pas m’occuper des armes », écrivit-elle en prenant une moue désolée.
-Jade, la rasséréna-t-il avec patience, cela aurait été absurde de ma part d’attendre cela d’une jeune fille de ton âge, amnésique de surcroît. Je t’apprendrai ce qu’il y a à savoir sur les armes et les armures, je t’apprendrai tout ce qu’il faut pour accomplir tes tâches et bien plus encore.
Et à mesure qu’il parlait, le ton rassurant mua. Il se fit confiant, presque impérieux, comme s’il énumérait non pas des promesses, mais des faits établis et actés. Il parlait avec toute la confiance de celui qui sait, car il peut. C’était une démonstration de pouvoir, d’autorité, comprit Jade.
-Tes besoins seront pourvus ; tu mangeras à ta faim tous les jours, tu logeras ici au chaud, dans mes quartiers et tu seras habillée dignement avec des tenues chaudes l’hiver et légères l’été. En retour, tout ce que je te demande, c’est de me servir avec efficacité, obéissance et loyauté. Continue à faire preuve de volonté et de combativité, aie soif d’apprendre et tout ira bien entre nous. D’accord ?
Elle hocha la tête vigoureusement, rassurée. L’éloquence du chevalier ayant calmé ses peurs, elle se sentait plus sereine. « L’écouter haranguer ses hommes doit être saisissant », s’imagina-t-elle.
-Parfait alors, conclut Erland en reprenant une gorgée de thé.

Jade l’imita, l’esprit en ébullition. Elle en était revenue à sa sempiternelle question qui l’obsédait depuis le début, mais qu’elle n’osait lui poser : pourquoi faisait-il tout cela pour elle ? Mais cette fois-ci, après cette discussion, il lui semblait tenir la réponse ou tout du moins une hypothèse solide contrairement à ses conjectures angoissées des jours précédents : peut-être faisait-il tout cela parce qu’il le pouvait, tout simplement. Un pur désir égoïste, qui soulageait sa conscience ou flattait son ego et son image chevaleresque. Ou bien il avait réellement besoin d’un page, et que ça soit elle ou tout autre gamin pas trop jeune recueilli dans les ruines aurait fait l’affaire. « En plus du côté héroïque de la chose, cela évite en plus d’avoir à verser un salaire… Pouah ! j’espère que je n’étais pas aussi cynique avant… » s’exaspéra Jade.

Le silence s’installa. Erland, qui semblait décidé à faire fondre ses iris bleu acier, ne quittait pas les flammes des yeux, l’air pensif. Jade, elle, papillonnait de détails en détails. Une dalle fêlée au sol, un reflet irisé dans une carafe sur le buffet, deux petites lampes à huile sur le bureau qu’elle trouvait mignonnes sans trop savoir pourquoi... Mais son regard revenait inexorablement sur les cartes fixées au mur. Où était-elle ? D’où venait-elle ? Le chevalier noir, qui avait terminé son thé, remarqua son manège.
-Les cartes t’intéressent ? lui demanda-t-il.
Elle acquiesça.
-Mais tu ne te souviens plus…
Elle acquiesça à nouveau.
-Viens alors, je vais t’expliquer rapidement.
Tandis que Jade rapprochait sa chaise, quittant presque à regret la douce chaleur de l’âtre, Erland récupéra les tasses qu’il alla déposer sur le buffet. Il prit ensuite une longue baguette de bois sur son bureau dont il alla claquer l’une des extrémités sur la carte la plus en haut. Avec un peu d’imagination, Jade y voyait, dessinée sur le parchemin, une immense créature marine à la gueule grande ouverte, essayant de gober un coquillage à sa mesure et un banc de poissons.
-Toutes ces terres, ce continent, c’est l’Ysaria, expliqua-t-il d’un ton professoral.
Il fit glisser sa baguette, l’amenant dans le coin nord-ouest de la carte où se perdait la dorsale du monstre.
-Ici, les Terres claniques de Kar’Gar. Des tribus barbares, parfois fédérées autour d’un haut-roi.
Il engloba ensuite d’un mouvement le reste des terres à l’exception d’un croc brisé.
-Le puissant Empire Vangrois, à la bureaucratie plus terrible encore que ses armées.
La baguette bondit sur la grosse île en forme de coquillage.
-Le Saint-Royaume d’Illalys, une théocratie rigoriste, éternel rival de l’Empire Vangrois.
Il navigua jusqu’aux archipels au sud du Saint-Royaume et au sud-est de l’Empire.
-Les Iles brisées. On y trouve quelques royaumes pirates et des tribus sauvages.
La gueule du Léviathan formait une sorte de mer intérieure que venaient presque fermer les terres d’Illalys. Sur la rive nord de cette mer, raccroché à l’Empire Vangrois par un isthme, un lambeau de terre en forme de croc brisé. C’est là que se posa la badine.
-La Péninsule des Mille Couronnes. Ce sont nos terres.
La Péninsule avait l’air si petite à côté de ce continent, cela rappela à Jade qu’il y avait tout un monde au-delà de ces murs de pierres. Erland passa à la carte en dessous, qui représentait principalement la géographie des Mille Couronnes ainsi que des voies de communication et quelques villes.
-La Péninsule donc… Environ un mois de cheval d’est en ouest, le double du nord au sud.
Elle écarquilla les yeux et reporta immédiatement son attention sur la première carte. Comme lorsque l’on arrive au pied d’une montagne que l’on a passé sa vie à voir à l’horizon, c’était l’information qui remettait tout en perspective, la clé de voûte nécessaire à son édifice de compréhension. En transposant mentalement la taille du croc sur le continent, Jade estima la taille de l’Empire à plusieurs années de cheval, peu importe la direction. Elle eut un sentiment de vertige. Semblant avoir deviné son émoi, le chevalier, d’un ton amusé lui dit :
-C’est grand, n’est-ce pas ? Mais un Vangroisien te dirait certainement que ce sont les Mille Couronnes qui sont minuscules. Tout est une question de point de vue.
« Oui, mais des années de cheval ! Des années ! » Elle se demanda quelles merveilles pouvait bien receler une si vaste terre. Ou quelles horreurs…
Erland reprit ses explications :
-A la frontière avec l’Empire et sur toute la façade est, de hautes montagnes. De cette chaîne naît toute une chevelure de rivières qui finissent pour la plupart dans l’Avana. C’est le fleuve qui divise la péninsule en deux. Au nord de celui-ci, des collines et des forêts, et au sud, des plaines.
La baguette amena l’attention de Jade sur une immense carte, presque aussi grande que le chevalier. Toujours la Péninsule, mais cette fois avec une richesse de détails stupéfiante. Hameaux, villes et villages, régions… tout semblait référencé et nommé. Mais le plus spectaculaire était l’incroyable densité des frontières. Malgré la taille du parchemin, on aurait dit la péninsule recouverte d’écailles, tant le maillage était dense.
-Voici les Mille Couronnes dans toute leur complexité, déclara-t-il avec emphase.
Aussitôt, Jade l’interrompit d’un grincement de gorge et se saisit de sa tablette :
Il y a vraiment mille royaume ? »
-Un S à royaumes puisqu’il y en a plusieurs. Et c’est plus compliqué que cela. Il n’y a sur ces terres, ni empereur, ni haut-roi ou roi. Donc aucun royaume. Par contre, on y trouve, et par centaines, duchés, comtés et baronnies. Tous indépendants les uns des autres. Et à cela, il faut rajouter tout autant de Cités-États, républiques marchandes et autres villes monastiques. Cumulées, on dépasse allègrement le millier d’entités indépendantes. D’où les mille couronnes.
« Cela fait toujours moins que le nombre de questions que j’ai en tête », soupira-t-elle intérieurement, frustrée. Ne pas pouvoir parler était un véritable supplice, comme coincée dans une caverne avec l’eau qui monte, elle avait l’impression qu’elle allait se noyer dans ses innombrables interrogations. Alors qu’à l’oral elle aurait pu exploser en questions et rebondir sur les réponses, écrire lui prendrait trop de temps et puis par où commencer ? Erland, lui, continuait son cours :
-Ici, c’est la forteresse de la Haute-Avana, où nous sommes. Et là, le village où je t’ai recueillie, Vulpia.
Jade nota que Vulpia était barré d’un trait à l’encre rouge. En y regardant bien, plus elle descendait vers le sud, plus les lieux étaient raturés. Ou alors cerclés, de rouge également. Elle devina que ces localités avaient subi le même sort que Vulpia et elle ne put réprimer un frisson d’horreur devant tant de désastres similaires au sien. Cette fois, une question émergea de la tempête. Elle reprit son ardoise.
Pourquoi cette guerre ? » Car quoi d’autre pouvait engendrer tant de destruction si ce n’est une guerre ?
Erland se pinça l’arête du nez.
-Question pertinente, soupira-t-il. À laquelle je ne peux répondre maintenant. Car pour que tu puisses comprendre cette guerre, il faut que je t’explique au préalable la culture et surtout la théologie des Mille Couronnes. Et je n’ai pas assez de temps aujourd’hui pour cela. Toutefois, sache qu’il s’agit là d’une guerre de religion aux accents de guerre civile. La péninsule s’entre-déchire sur qui prier et sur ce qu’il est juste de prier.
Jade secoua la tête, dégoûtée « Et c’est pour cela que l’on tente de fendre le crâne des jeunes filles ? » Les futures explications du chevalier avaient intérêt à être solides… Après tout, en tant que soldat, il était partie prenante de ce conflit.
Erland lui présenta encore quelques détails, puis finit par reposer sa baguette sur le bureau.
-C’est tout pour le moment, conclut-il. Allez viens, je vais te montrer les autres pièces.
Jade se leva et emboîta le pas du chevalier, non sans un dernier regard sur les cartes, promesses de connaissances encore mystérieuses et de mondes à découvrir.

La pièce derrière la porte à dextre par rapport à l’entrée était petite. Une seule fenêtre, pas de cheminée. C’était en quelque sorte la salle d’armes personnelle du chevalier. Sous les yeux ébahis de la jeune fille, s’étalaient sur les murs simplement enduits et nus de toute décoration, dagues, épées et lances de toutes tailles et de toutes formes. L’ensemble était gardé par trois mannequins de bois et de paille qui portaient les différentes pièces d’armure et d’équipement du chevalier. Pour seul meuble, un tabouret, un établi et des étagères ou étaient rangés huiles, graisses, chiffons et tout ce qu’il fallait d’autre pour entretenir le matériel du chevalier.

Devant tant d’armes et d’armures, Jade se serait attendue à ressentir un certain malaise, voire de l’anxiété après ce qui lui était arrivé. Mais tout au contraire et à sa grande surprise, elle se sentait étrangement rassurée, attirée même, comme lorsqu’elle avait ramassé le glaive dans la cour de Vulpia. « Ça tombe bien, parce que j’ai comme l’intuition que je vais y passer quelque temps dans cette pièce » ironisa-t-elle. Mais au fond, cela ne lui déplaisait pas. Elle avait même presque hâte de manipuler tout cet attirail.

Devant les yeux ronds de sa jeune page, Erland crut bon de préciser :
-Ce n’est là que mon équipement personnel. Il y a également aux écuries celui de mon destrier.
« Je comprends mieux pourquoi il avait besoin d’un serviteur… », se dit-elle en acquiesçant. Erland la laissa regarder encore quelques instants avant de refermer la pièce.

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Dernière modification par Aquila le mar. 10 nov., 2020 4:20 pm, modifié 7 fois.
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Re: De Cendres et de Ruines [Fantasy]

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Derrière la dernière porte, se trouvait la pièce à coucher. Plus grande que la salle d’armes mais plus petite que le bureau, ses murs étaient presque entièrement recouverts d’épaisses tentures de laine aux motifs quelconques, tout comme le sol l’était de tapis. Jade pénétra dans cet univers molletonné avec curiosité pour elle et délice pour ses pieds nus. « C’est donc ici qu’il dort… » Son enthousiasme fut toutefois rapidement refroidi. La pièce était à l’image des deux autres : chichement meublée et finalement assez impersonnelle, jugea Jade. Un grand lit, quelques coffres, une petite table avec une vasque en porcelaine remplie d’eau et de quoi faire ses ablutions… Elle ne trouverait pas de réponse sur ce mystérieux chevalier ici. Ce dernier attira son attention derrière elle. La jeune fille se retourna.
-C’est ici que tu dormiras. Comme tu peux le constater, j’avais anticipé ton acceptation.
Contre un mur, non loin de la cheminée, un lit de sangle avec toute la literie nécessaire. Un petit coffre et plusieurs paravents de cuir tendu sur des cadres en bois. Jade ne savait pas comment étaient traités les serviteurs ici, néanmoins, elle était à peu près certaine que de résider dans les quartiers d’un gradé et dormir sur un lit tenait plus du privilège que de la norme. Elle qui s’attendait à devoir passer ses nuits au pied d’une porte en fut émue.
Merci » écrivit-elle, reconnaissante.

N’eut-elle pas fait cinq pas pour s’approcher, qu’un éclat ambré lui accrocha le coin de l’œil. Tournant la tête, elle vit, là, posée sur la table derrière la vasque, un petit miroir en verre. Son cœur rata un battement, elle se figea et elle eut une violente montée d’angoisse, à tel point qu’elle crut qu’elle allait rendre son thé sur les tapis... Jade resta ainsi immobile une éternité de quelques instants vertigineux. Elle entendit Erland lui parler, mais elle ne comprit pas. Tout son esprit était obnubilé par ce petit morceau de verre. Que faire ? Elle voulait fuir ! Courir, disparaître ! Mais elle voulait savoir. Elle devait savoir ! « Dure comme le jade, Jade. Dure comme le jade ! » Un pas, puis un deuxième… Les entrailles glacées, elle avança lentement vers la table et se saisit d’une main moite et tremblante du miroir. Elle pouvait entendre son cœur frapper douloureusement sa poitrine. « Dure comme le jade, Jade ! » Elle inspira profondément, bloqua son souffle puis porta l’objet à hauteur de son visage… et elle ne vit rien. S’essuyant rageusement les larmes qui embuaient ses yeux, elle regarda à nouveau. Cette fois, elle y vit une fille qui la dévisageait avec intensité et inquiétude. Un puissant sentiment d’irréalité la saisit alors : son esprit n’arrivait pas à assimiler que l’inconnue qu’elle voyait était elle. Portant ses doigts au visage, elle le toucha comme pour être sûre qu'ils n’allaient pas passer au travers, ou que le reflet n’allait pas se dissiper, comme dans un rêve. Mais non, c’était bien la réalité et c’était bien elle. Jade.

« Elle… non, moi… » avait le visage juvénile, bien que ses traits enfantins commençaient à se faner là où fleurissait la future jeune femme qu’elle deviendrait. La peau pâle, de fines lèvres grenat, un nez étroit d’où cascadaient taches de rousseur jusqu’à ses pommettes… Elle remarqua dans ses cheveux blond-roux, qui avaient bien besoin d’être coiffés, une mèche blanche, là où aurait dû se trouver sa blessure. Par réflexe, elle les tortilla autour de son index tout en poussant une faible plainte devant cette nouvelle altération. Eux aussi étaient bien réels malheureusement. C’était en quelque sorte la cicatrice qu’elle n’avait pas. Passée la stupéfaction, elle essaya de se rassurer en se disant qu’elle préférait cela à une boursouflure de chair sur le sommet du crâne. Puis elle se regarda dans les yeux. Vert intense, de jade, indubitablement. Elle qui avait été frappée par les cernes d’Erland en eut pour son compte. Malgré presque une semaine de convalescence, la mort qui l’avait si étroitement enlacée et ses nuits tourmentées l’avaient visiblement laissée exsangue. Mais plus que son air fatigué, c’était son regard qui la perturbait. Si ses sourcils restaient neutres, ses yeux, eux, étaient comme écarquillés en permanence, bloqués dans un état d’horreur et de sidération. C’était les deux puits de vérité dans le masque qu’elle essayait de se composer et qui menaient directement aux noirceurs hantées de son esprit en ruine. C’était le regard de ceux qui en avaient trop vu. L’accablement et la tristesse la saisirent alors, sa gorge brûlait et son menton tremblait. Elle ne voulait pas de ce regard. Elle n’aurait, d’ailleurs, jamais dû l’avoir ! Submergée, elle dut se mordre violemment l’intérieur de la joue pour ne pas fondre en larmes. « Idiote ! Volonté et combativité a-t-il dit. Il n’aura que faire d’une gamine chouineuse… Dure comme le jade, Jade. Dure comme le jade ! » Elle inspira profondément et expira de la même manière, essayant de se calmer un peu. Elle reposa le miroir, puis, considérant son ardoise un instant, elle ne put s’empêcher d’écrire sa détresse :
- « Pourquoi ça arrive à moi ? »
La honte lui courbait l’échine et elle n’osait regarder le chevalier. Ce dernier s’approcha, plia les genoux pour se mettre à sa hauteur et lui posa une main sur l’épaule.
-Regarde-moi Jade.
Elle obéit, les yeux humides.
-Écoute : Il n’y a pas de destin tracé, pas de dieux influant par-dessus ton épaule, ni de fatalité consciente qui t’en voudrait. Ce qui t’est arrivé à toi, est déjà arrivé à d’autres et va encore arriver à d’autres. N’essaye donc pas d’y chercher un quelconque lien de causalité avec toi. Le martyr de Vulpia ne vient former qu’un maillon de plus au bout d’une longue chaine d’événements ayant débutée bien avant nos naissances. Prends le temps dont tu as besoin pour te remettre, puis va de l’avant. Va de l’avant pour te reconstruire, même si c’est difficile. Autrement, à stagner dans le passé, ton esprit va se noircir et se corrompre. C’est là le début d’une spirale infernale qui ne mène qu’au désespoir et à l’autodestruction. Tout cela je le sais, car ce sont là des chemins que j’ai malheureusement déjà foulés. Et si tu tiens vraiment à donner un sens à tout cela, alors vis. Vis selon tes désirs, vis la plus heureuse que tu peux. Car quelle meilleure vengeance contre ceux qui ont voulu te tuer ?

Jade se sentit encore plus abattue. Ce n’était pas ce qu’elle aurait voulu entendre. Ce qu’il dépeignait là était une cruelle réalité sur un monde aveugle et arbitraire, où l’enfance et l’innocence n’étaient en rien des boucliers contre la folie des hommes et la fatalité. Où il n’y a pas de solution miracle. Ce n’était pas ce qu’elle voulait entendre, mais c’était peut-être ce qu’elle avait besoin d’entendre. Quoi qu’il en soit, elle était trop chamboulée pour y réfléchir et elle se contenta de hocher la tête en s’essuyant les yeux.
« Aussi dure que le jade, Jade»
Dernière modification par Aquila le mar. 10 nov., 2020 4:19 pm, modifié 3 fois.
Bloulou

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Re: De Cendre et de Ruine [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Bloulou »

Bonjour,
Alors pour une suite, celle ci est très réussie. Toujours le même style d'écriture si agréable à lire et un vocabulaire précis et riche (que je t'envie un peu). Tu réponds à nos questions, mais sans trop en dévoiler. C'est une histoire poignante, comme on peut en trouver chez les écrivains aguérris. Des personnages touchants et le début à n'en pas douter d'une belle aventure. La petite Jade est une enfant très touchante, par son vécu et sa force de caractère. J'espère sincèrement qu'elle s'en sortira et trouvera sa place à Haute-Avana. Le chevalier, un homme d'honneur, est aussi bienveillant que le premier chapitre nous avait laissé l'apercevoir, et j'espère qu'il pourra l'aider.
J'aime bien lire les romans d'héroïc fantasie, je peux dire que ton histoire retient toute mon attention, et représente bien l'idée que je me fait de ce genre.
Cette histoire méritait amplement mon attente impatiente. Et je veux bien attendre encore six mois de lire la suite si c'est pour retrouver une telle qualité.
Bloulou
Pennyworth

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Re: De Cendre et de Ruine [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Pennyworth »

J'ai lu les deux chapitres d'une traite 😁 j'ai mis le temps mais j'y suis venue finalement.
C'est toujours aussi bien écrit et décrit, efficace avec un luxe de détails. Je suis admirative parce que quand j'écris je préfère l'action à la description mais tu arrives à allier les deux de manière agréable.
Les personnages sont attachants, même si j'ai un faible pour Erland. L'univers a l'air bien exploite... J'avoue que je reste un peu sur ma faim concernant l'explication de la guerre... Je suppose qu'il ne fallait pas trop en dire mais je partage un peu la frustration de jade pour le coup.
Bref, je lirai la suite avec plaisir.
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Aquila »

Merci pour vos retours :) !
Bloulou a écrit : dim. 11 oct., 2020 9:45 am Cette histoire méritait amplement mon attente impatiente. Et je veux bien attendre encore six mois de lire la suite si c'est pour retrouver une telle qualité.
Bloulou
Je suis assez lent à l'écriture, mais j'essaye d'améliorer ça aussi. Toutefois, je préfère effectivement prendre mon temps et sortir un texte propre que de précipiter les choses.
Pennyworth a écrit : ven. 16 oct., 2020 7:47 am J'avoue que je reste un peu sur ma faim concernant l'explication de la guerre... Je suppose qu'il ne fallait pas trop en dire mais je partage un peu la frustration de jade pour le coup.
Bref, je lirai la suite avec plaisir.
C'est ça. Les informations seront bien entendu données en temps et en heure. Mais comme je place principalement le lecteur du point de vu de Jade, il les obtient au même rythme qu'elle ;) .
De toute façon, si j'avais vomi toutes les explications sur l'univers, ses dieux et ses conflits d'un bloc dans le chapitre, en plus d'être imbuvable, ça aurait fait "artificiel".
Mensonges

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Mensonges »

Coucou !
Lu et approuvé !
J'ai beaucoup aimé retrouver le point de vue de Jade. J'apprécie le trait de caractère cynique que tu lui as associé, c'est plutôt rare d'en retrouver en littérature, et c'est beaucoup plus intéressant que l'auto-apitoiement. Je trouve que tu as très bien ouvert et clos ce nouveau chapitre, avec de jolies tournures de phrases qui collent bien à l'atmosphère sombre de ta nouvelle, tout en réussissant à faire avancer l'histoire. Les choses se mettent en place et j'attends déjà la suite, mais prends tout ton temps, c'est déjà super comme ça ! Tu comptes faire combien de chapitres grosso modo ?
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Aquila »

Mensonges a écrit : lun. 26 oct., 2020 4:28 pm Coucou !
Lu et approuvé !
J'ai beaucoup aimé retrouver le point de vue de Jade. J'apprécie le trait de caractère cynique que tu lui as associé, c'est plutôt rare d'en retrouver en littérature, et c'est beaucoup plus intéressant que l'auto-apitoiement. Je trouve que tu as très bien ouvert et clos ce nouveau chapitre, avec de jolies tournures de phrases qui collent bien à l'atmosphère sombre de ta nouvelle, tout en réussissant à faire avancer l'histoire. Les choses se mettent en place et j'attends déjà la suite, mais prends tout ton temps, c'est déjà super comme ça ! Tu comptes faire combien de chapitres grosso modo ?
Merci pour ton retour, Mensonges !

Pour le cynisme, je suis content que tu relèves ça de façon positive, car ce n'était pas quelque chose d'évident à mettre en place.
C'est naturel chez un vieux briscard avec 20 années de campagne. Beaucoup moins chez une gamine. Il a donc fallu que je travaille ça pour ne pas que ça choque et pour que cela reste cohérent avec le personnage. D'autant qu'effectivement, on peut s'attendre à plus d'auto-apitoiement de sa part.

Concernant le nombre de chapitre, aucune idée à vrai dire. Si l'histoire est bien arrêtée et que tous ses éléments structurants sont emboités, je fais le découpage au feeling, au moment ou j'écris. Pour tout de même donner un chiffre, peut être entre 10 et 15.
Malta-Vestrit

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Malta-Vestrit »

Enfin lu ;)

Toujours aussi bien écrit, j'aime la poésie et la recherche qu'il y a dans tes phrases, le ton ancien, "médiéval" qui est rendu.

L'histoire et les personnages sont vraiment intrigants, la personnalité de Jade est bien décrite, forte, mais avec les faiblesses et les "coups de mou" qu'on attendrait de sa part, qui la rendent si touchante et qui distillent un peu d'émotion dans ton texte. Quant à Erland, j'attends vraiment d'en savoir plus sur lui, si les infos distillées au compte-gouttes sont faites pour nous appâter, c'est réussi ;)
Idem pour l'univers, qui s'annonce complexe et (je l'espère) bien développé. (Et j'avoue qu'une représentation de la carte décrite par Erland serait vraiment appréciable 8-) )

Donc bravo, je ne peux que t'encourager à écrire rapidement la suite :D
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Aquila »

Salut les gens !

Un ami a gentiment accepté de me faire une couverture pour mon histoire, en retravaillant une image que j'avais trouvé :

Image


Le bâtiment en flamme représente le petit manoir dans la cour duquel se réveille Jade. J'aime bien l'effet que cette image procure. Comme une sorte d'avant propos au début de l'histoire, puisqu'elle commence quand l'enfant revint à elle, après ces événements justement.
La police du titre est la pour rappeler l'importance de l'écriture, seul moyen que Jade a pour communiquer.

J'ai également publié mon texte sur Wattpad, dans l'espoir de gagner de nouveaux lecteurs :
Si vous êtes utilisateur, n'hésitez pas à me suivre la bas aussi et surtout à partager autour de vous :).

Merci !
Bloulou

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Bloulou »

Waouh !!! :o :D

C'est trop jolie! On retrouve bien la référence au début de l'histoire, ça attire l’œil. On comprend ce que tu as voulu faire et c'est réussit. J'aime beaucoup.
Si je n'avais pas déjà lu ton histoire, c'est sure qu'avec cette illustration je n'aurais pas hésité une seconde de plus avant de la découvrir.

Tu pourras dire à ton ami qu'elle est très réussie.
Bloulou
Animia8

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Animia8 »

Hello !

Un deuxième chapitre encore plus appétissant :P ça nous donne envie de connaître la suite, mais ça n’en dévoile pas trop. Tu intègres progressivement et subtilement des informations sur l’univers, mais tu n’introduis pas encore des informations trop compliquées (j’imagine que de la géopolitique va entrer en jeu par la suite). Je suis également très curieuse quant aux motivations qu’à le chevalier à prendre une petite orpheline sous son aile. L’intrigue avance vite, on ne s’ennuie pas et les descriptions et les émotions sont toujours aussi bien détaillées. Il reste quelques petites fautes de frappes ça et là, je te conseille de demander à un ami de relire ton texte ou bien de le relire à haute voix ;)
Sinon, un vocabulaire toujours aussi diversifié et un style très intéressant.

J’attends la suite avec impatience et j’espère l’apparition de nouveaux personnages et un peu plus d’action ! :D

Super couverture au passage ;)
Aquila

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Re: De Cendres et de Ruines [Chapitre 2][Fantasy]

Message par Aquila »

Salut Animia8 !

Merci pour ton commentaire !

J'ai pris note de ta remarque. Une trentaine de fautes ont été corrigées grâce à la relecture d'une amie. Merci de m'avoir signalé ça !
Ça n'a pas l'air comme ça, mais je suis une catastrophe en français :oops:. Et malgré plusieurs relecture de ma part d'autres personnes, il y a toujours des fautes qui passent aux travers des mailles.
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